« Formes, dynamiques et représentations de la violence dans les mondes arabes et musulmans »
Responsables : Candice Raymond et Mohamed Bakhouch (AMU/IREMAM)
Les séances ont lieu le vendredi, de 14h à 17h, à la MMSH, en Salle A219 , à partir du vendredi 7 octobre 2016.
Omniprésente dans les médias, la violence apparaît de moins en moins comme une pathologie de l’ordre social, et de plus en plus comme une dimension fondamentale de la vie en société à laquelle il nous est donné quotidiennement d’être confronté selon des degrés très divers d’exposition. De la coercition érigée comme mode routinier de gouvernement par l’Etat autoritaire aux violences les plus ordinaires exercées dans la rue ou au sein de la famille, des massacres et autres atrocités commis en temps de guerre aux formes plus subreptices de violence physique et symbolique opérant au cœur des rapports intergénérationnels ou de genre, la violence semble partout, si bien qu’elle figure, pour les chercheurs en sciences humaines et sociales, « l’archétype de l’objet insaisissable » (Lavergne et Perdoncin, 2010).
En raison même de la multiplicité de ses manifestations, et surtout de la gravité des enjeux qui lui sont attachés, la notion de violence n’a cessé de donner lieu à des débats philosophiques, politiques et scientifiques. Certains auteurs aussi classiques qu’Hannah Arendt et Georges Sorel ont d’ailleurs longuement écrit sur la violence mais sans jamais la définir (Marzano, 2011), soulignant d’autant plus fortement son caractère évanescent. Cependant, considérer la violence sous ses diverses formes comme inhérente à toute relation de domination, par extension aux rapports sociaux, voire à la condition humaine même, rend-il pour autant cette notion inopérante pour les sciences humaines et sociales ? Dans quelle mesure demeure-t-elle, en dépit de ses apories définitionnelles, un point d’entrée pertinent pour lire les dynamiques sociales, politiques et culturelles à l’œuvre dans une société donnée ?
Cette interrogation s’avère particulièrement nécessaire dès lors qu’elle est appliquée à une aire culturelle, le monde arabe et musulman, régulièrement considérée de l’extérieur comme l’épicentre des dynamiques politiques et culturelles de la violence contemporaine, si ce n’est comme l’espace de manifestation d’une propension atemporelle à la violence. En prenant la violence comme thème, ce séminaire entend au contraire extraire la réflexion du prisme culturaliste, si fréquemment à l’œuvre dans les représentations médiatiques occidentales des mondes arabes et musulmans, et mettre à l’épreuve les concepts généraux et les outils ordinaires des sciences sociales, à partir de nos spécialités disciplinaires respectives (histoire, sociologie, anthropologie, littérature, science politique, géographie, linguistique).
Ce séminaire, pluridisciplinaire, n’a toutefois pas pour ambition de passer en revue tous les paradigmes dans lesquels la violence a été pensée et étudiée. Nous nous proposons, plus modestement, de déplier différentes dimensions d’un phénomène le plus souvent réduit, lorsqu’il s’agit des mondes arabes et musulmans, à ses manifestations religieuses et politiques. Ce faisant, nous entendons interroger non seulement la polymorphie et la polysémie d’une notion, mais surtout sa capacité heuristique et les potentielles limites de cette dernière.
Les séances seront organisées autour de trois principaux axes de réflexion :
- Les formes de la violence
Il s’agira en premier lieu de considérer la multiplicité des formes de violence, moins pour en établir la typologie que pour interroger les configurations historiques dans lesquelles elles prennent place, les modalités par lesquelles elles s’exercent et les rapports qu’elles entretiennent entre elles. De la violence pulsionnelle permettant une décharge d’agressivité à la violence ritualisée à des fins d’intégration sociale et d’exorcisme de la violence latente, des violences d’Etat à l’œuvre au sein de l’institution policière ou carcérale aux violences politiques des acteurs non-étatiques, de la violence structurelle du système socio-économique aux diverses formes de violence interpersonnelle sur les lieux de travail ou au sein de la famille, nous nous intéresserons aux ressorts, aux articulations – souvent dialectiques - et aux passages entre différentes types de violence, mais aussi entre différents « répertoires de la violence » (Tilly, 1996), entendus comme ensembles historiquement constitués de façons de faire violence.
- Socialisations et apprentissages de la violence
A l’encontre des visions naturalistes insistant sur le caractère inné de la violence, nous nous interrogerons en second lieu sur les conditions sociales et historiques de la formation des dispositions à la violence et/ou au consentement à la violence. L’examen de différents lieux d’apprentissage et de socialisation (la famille, l’école, les organisations de jeunesse, la rue…), permettra d’envisager diverses modalités d’habituation à la violence, avec une attention particulière portée au corps comme cible privilégiée de leur exercice.
- Représentations et légitimations de la violence
Enfin, ce séminaire abordera les enjeux et les pratiques relatifs à la figuration, à la qualification et à la justification des phénomènes violents, au travers des productions culturelles issues des mondes arabes et musulmans (littératures, arts visuels, mais aussi idéologies partisanes, discours juridiques, etc.). Comment les sociétés du monde arabe et musulman, à travers leurs diverses productions discursives, donnent-elles sens à leurs conflictualités, passées et présentes, et quelles représentations produisent-elles de leurs propres violences ? Comment les conceptions de ce qui constitue une violence, et de son caractère légitime ou condamnable, évoluent-elles dans l’espace et dans le temps ? Quels registres de justification sont-ils mobilisés, et sur quelles ressources rhétoriques, figuratives, esthétiques appuient-ils leur efficace ? Il s’agira ici d’explorer et d’historiciser aussi bien les perceptions et les représentations des diverses formes de violence que le discrédit, la banalisation ou la légitimation dont elles font l’objet.
Calendrier 2016
7/10 : Introduction générale du séminaire
- Candice Raymond et Mohamed Bakhouch (AMU/IREMAM) : Introduction générale
- Mohamed Ouerfelli, historien (AMU/LA3M) : « La violence chez Ibn Khaldoun »
14/10 : Violences coloniales, de l’Algérie à la Palestine (XIXe-XXe siècles)
- Didier Guignard, historien (CNRS/IREMAM) : « Le filtre des violences à la ferme »
- Cédric Parizot, anthropologue (CNRS/IREMAM) : « Israël-Palestine : intérêts et limites du paradigme colonial »
4/11 : Violences d’Etat : autoritarisme, coercition et routines violentes
- Juliette Honvault, historienne (CNRS/IREMAM) : « Violence du lien personnel de subordination : être un obligé de l’Imam du Yémen au XXe siècle »
- Vincent Geisser, politiste (CNRS/IREMAM) : « L’Etat tunisien et la gestion sécuritaire de la question étudiante : violences institutionnelles et contre-violences protestataires »
18/11 : Autour des « printemps arabes » : culture, violence et révolution
- Simon Dubois, sociologue (doctorant AMU/IREMAM)
- Richard Jacquemond, littérature arabe contemporaine (AMU/IREMAM) : « La révolution égyptienne, une révolution culturelle ? »
25/11 : Apprentissages de la violence, de la famille à l’école
- Khalyla Aude Coëffic, politiste (doctorante IEP d’Aix) : « La socialisation à la violence au sein des organisations de jeunesse du Hezbollah au Liban-Sud »
- Iris Seri-Hersh, historienne (AMU/IREMAM) : « L’école soudanaise et les ‘‘sciences militaires’’ avant la sécession du Sud (2005-2011) »
2/12 : Le droit face à la violence : y a-t-il des violences justes et/ou légitimes ?
- Bernard Botiveau, politiste (CNRS/IREMAM) : « Juste et légitime ? Juste ou légitime ? Les statuts juridiques de la violence politique dans l’Egypte contemporaine »
- Adam Baczko, politiste (doctorant à l’EHESS) : « La loi sans l’Etat : les tribunaux Taliban en Afghanistan (2001-2015) »
09/12 : La violence en images
- Kinda Chaib, historienne (post-doc Mucem/IREMAM)
- Mathilde Chèvre, littérature arabe contemporaine (cher. ass. IREMAM) : « La violence faite à l’enfant à travers les albums qui lui sont destinés (des années 1970 à nos jours) »
16/12 : Les représentations littéraires de la violence
- Claude Audebert, professeur émérite d’arabe (AMU/IREMAM) : « La violence dans Kalîla wa-Dimna »
- Mohamed Abdel Jalil, littérature arabe et études coraniques (doctorant AMU/IREMAM) : « Analyse de la traduction du dictionnaire de la non-violence du français vers l’arabe ». Voir l'article...