Cette chronique raconte-t-elle une histoire d’arroseur arrosé ? Je suis évincé d’un comité d’experts de l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES). Le professeur, dont j’ai révélé le plagiat sur ce blog, n’a pas été évincé de ses fonctions d’expert au CNU. Deux poids, deux mesures en matière de déontologie de l’expertise ? L’histoire est un peu longue à raconter.
Vendredi 18 mars 2011 : un jour important. L’université de Rennes 2 et son comité d’éthique tiennent une journée de réflexion sur le plagiat. Le 2 décembre 2010, je révèle un plagiat d’un professeur de cette université, repéré par un lecteur de ce blog ; un autre plagiat sera ensuite identifié dans le même ouvrage, ainsi que des plagiats dans un article (chroniques : "Copier/coller sans guillemets"). Aucun des six auteurs plagiés n’a déposé de plainte. Deux spécialistes de la recherche sur le plagiat, Michelle Bergadaà et Jean-Noël Darde, interviendront dans cette journée. Quel va être l’impact de ces deux interventions ? Deux associations professionnelles ont, par un communiqué, demandé que ce professeur, vice-président de la 19ème section du CNU (sociologie), démissionne ou soit démissionné de cette fonction. Il ne l’a pas fait : en février 2011, expert de la discipline, il a siégé et instruit des dossiers de qualification aux fonctions de maître de conférences ou de professeur. Les 35 autres membres de cette section n’ont pas protesté (chronique : “Savoir et se taire“).
Consultée par le président d’une des associations professionnelles de la discipline, Valérie Pécresse a répondu, le 25 février : “le pouvoir disciplinaire sur les enseignants-chercheurs appartient à la section disciplinaire du conseil d’administration de l’établissement auquel ils sont affectés”. La Ministre a dû répondre la même chose pour le plagiat de la présidente de l’université de Polynésie. A l’inverse, elle avait suspendu, en 2009, Laroussi Oueslati, président de l’université de Toulon, pour une suspicion de trafic de diplômes,… sans consulter la section disciplinaire de l’établissement (chronique : “Un président suspendu“). A ma connaissance, le conseil d’administration de Rennes 2 n’a pas demandé à sa section disciplinaire d’instruire le dossier du professeur incriminé (à noter que le professeur plagiaire est membre de ce CA). Le CA de Rennes 2 convoquera-t-il la section disciplinaire après la journée de réflexion ? Par ailleurs, ni la presse nationale ni la presse régionale n’ont donné d’écho à ces plagiats.
Le professeur de Rennes 2 a-t-il ou non respecté les régles déontologiques du métier d’enseignant-chercheur du supérieur et doit-il être sanctionné ? J’ai dévoilé sur ce blog le plagiat. Pour cela, j’ai été copieusement injurié (chronique : “L’injure comme défense“), mais personne n’a porté plainte contre moi pour diffamation. J’ai fait part de ces plagiats parce que j’avais, comme d’autres collègues, des certitudes sur ce qu’est une entorse à la déontologie du métier. Depuis hier, je n’ai plus de certitudes.
Voilà pourquoi. Le 21 décembre 2010, je reçois une lettre de mission, signée du Directeur de la section des établissements de l’AERES, me nommant membre du comité d’expertise pour l’évaluation d’une université. Le 7 décembre, j’avais répondu au délégué scientifique de l’AERES qui m’avait contacté pour cette expertise que j’acceptais cette mission avec plaisir, lui écrivant : “je suppose (c’est ce que je pense très sincèrement) que tenir un blog n’est pas un obstacle pour être membre d’un comité d’expertise“. Le CV envoyé pour cette mission mentionnait explicitement cette activité de blogueur.
Le 22 février 2011 (deux mois après réception de ma lettre de mission et un mois avant l’évaluation de l’université), le directeur, signataire de ma lettre de mission, me téléphone pour me signifier, avec doigté, mon éviction du comité d’expertise. “Vos activités de blogueur sont incompatibles avec les règles des experts appliquées par l’AERES”. Je lui rétorque que ces activités lui étaient connues quand il a signé ma lettre de mission et que rien dans le statut de l’expert de l’AERES ne mentionne une telle incompatibilité (Statut de l’expert AERES). Il y a donc clairement pour moi un “abus de droit” : on m’évince de l’expertise avant même que celle-ci n’ait eu lieu. Je n’aime pas du tout me sentir coupable avant même d’avoir pu fauter !
Je demande donc au directeur qu’il m’explique en face à face sa décision : ce qu’il a fait le 16 mars au siège de l’AERES, avec beaucoup de courtoisie d’ailleurs… et après avoir pris soin de faire valider sa décision par le service juridique de l’AERES. Je résume, de mémoire, ce que j’ai entendu et qui m’a laissé pantois.
L’application des régles déontologiques par l’expert n’est pas ce que vous pensez ; je ne vous accuse pas de ne pas avoir respecté ces régles ; je dois anticiper les résultats de votre participation au comité d’expertise car la déontologie n’est pas seulement une question de pratiques objectives (respect ou non des règles), mais aussi une question d’images et de représentations. L’université évaluée, ses personnels, ses étudiants mais aussi les lecteurs des rapports d’évaluation de l’AERES pourraient penser et/ou dire qu’un blogueur, qui exprime publiquement des jugements sur l’enseignement supérieur, n’a pas pu être “objectif”, faire preuve de “neutralité” dans ses analyses… Bref, votre participation fragiliserait l’ensemble de l’expertise et ferait courir le risque que le rapport final soit invalidé par le président de l’université. Je pense avoir retransmis honnêtement les propos du directeur ; le blog lui laisse l’opportunité de me contredire.
L’entretien se termine. Le directeur me propose une sorte de compensation à mon éviction : participer au comité d’expertise pour l’évaluation d’une Ecole. Je réponds : “non ! Pourquoi mon activité de blogueur ne serait-elle pas incompatible avec celle d’expertise d’une Ecole” ? Je prends quelques photos reproduites dans cette chronique.
Depuis hier, la conversation avec le directeur de l’AERES me turlupine et, progressivement, j’établis un lien avec la question du plagiat. Ma conception de la déontologie était donc erronée ? Le respect de celle-ci ne serait donc pas seulement une affaire de pratiques individuelles. Des acteurs, concernés directement ou indirectement par une évaluation, pourraient invalider un rapport d’expertise à la simple vue de la composition d’un comité et sans même pouvoir prouver la faute éventuelle d’un des experts. En effet, pour celle et celui qui l’ignorerait, les rapports de l’AERES indiquent la composition du comité d’expertise mais ne mentionnent pas (heureusement !) les jugements de chacun des experts ; ceux-ci sont, bien évidemment, soumis à la confidentialité. C’est le président du comité qui assure la synthèse des analyses et des jugements.
Le lien avec l’affaire du plagiat (toutes les chroniques du blog sur le plagiat) : c’est quoi la déontologie ? Il faudrait prendre en compte l’image, la représentation de l’application des régles déontologiques. Dans mon cas, du fait de cette représentation effectivement possible de mon activité de blogueur (”il n’est pas neutre” ou “il ne peut pas être “neutre”), je suis évincé a priori. Dans le cas du plagiat du professeur de Rennes 2 (il a été expert pour l’AERES), quelle est la représentation presque unanime ? Les faits signalés dans les premiers paragraphes de cette chronique démontrent des attitudes extrêmement majoritaires : “on ne veut pas voir le plagiat”, ou “on l’excuse” ou même “on le nie”. Les représentations l’emportent sur les faits prouvés. Je m’attendais à tout sauf à cela ! En France, le plagiat a donc de beaux jours devant lui !
Il faut, selon moi, se poser un certain nombre de questions et débattre. Qu’est l’expertise dans le champ de l’enseignement supérieur et de la recherche ? Comment se construit-elle ? Pour être reconnue, peut-elle se passer d’écrits ou d’interventions orales ? Vouloir une réforme de l’enseignement supérieur, qui n’est pas celle que conduit le gouvernement, vaut-il une interdiction d’expertise ? Comment sont repérés et choisis les experts ? Quelles sont leurs obligations mais aussi leurs droits ? Peuvent-ils échapper aux conflits d’intérêts quand l’évaluation est faite par les “pairs” ? Quels intérêts ont-ils (à part un gain financier très faible : 600 euros pour cinq jours d’expertise) à accepter d’être experts ? Le risque “0″ doit-il exister pour les experts ?
Quel est l’impact du rapport d’évaluation sur les établissements évalués ? Ceux-ci disposent, avec les rapports de l’AERES, d’une évaluation gratuite (mais obligatoire). Que penser alors des dizaines voire quelques centaines de milliers d’euros payés à des cabinets privés pour qu’ils constituent les dossiers de réponse aux appels à projet des investissements d’avenir ? Les auditeurs de ces firmes à visées lucratives sont-ils des experts des universités ?
Je suis évincé d’un comité d’experts de l’AERES. Le plagiaire n’a pas été évincé de la 19ème section du CNU. Pourtant être vice-président d’une section du CNU est bien plus important qu’être expert de l’AERES pour l’évaluation d’un établissement. La morale de l’histoire est connue. Pour des commentateurs à venir de cette chronique, elle sera celle de “l’arroseur arrosé” : ”vous avez dévoilé à tort un plagiat car vous n’avez pas compris ce qu’était la déontologie ; vu la Vox populi nettement majoritaire, il est normal que le plagiaire s’en sorte ; et c’est bien fait pour votre gu…” !
Merci à toutes celles et à tous ceux qui ont osé s’exprimer pour condamner le plagiat. Merci aussi à celles et à ceux qui l’ont condamné tout en préservant leur anonymat : la peur règne dans les corporations professionnelles ! Merci aussi au directeur de la section des Etablissements de l’AERES d’avoir pris le temps de me recevoir et de m’avoir relancé dans mes réflexions sur l’évaluation, les évaluateurs et les évalués !
I kien mneħħi minn kumitat ta 'esperti mill-Aġenzija għall-Valutazzjoni ta' Riċerka u Edukazzjoni Ogħla (BIL-GASS). L-għalliem, min sibt plaġjariżmu f'dan il-blog ma ġie mneħħi mill-pożizzjoni tiegħu bħala espert fuq CNU. Żewġ piżijiet, żewġ miżuri dwar l-etika ta 'kompetenza? L-istorja hija daqsxejn twil li tgħid.
Il-Ġimgħa 18 Mar 2011: jum importanti. L-Università ta 'Rennes 2 u kumitat tiegħu etika jkollu repli fuq plaġjariżmu. Fit-2, 2010, sibt plaġjariżmu ta 'professur ta' din l-università, imnebbaħ minn qarrej ta 'dan il-blog, ieħor plaġjariżmu mbagħad se jiġu identifikati fil-istess xogħol, u plaġjariżmu f'artikolu (kronika: "Kopja/Paste mingħajr virgoletti"). Ebda wieħed mill-awturi sitt ilment ikkupjat tkun ġiet ippreżentata. F'żewġ speċjalisti ta 'riċerka dwar plaġjariżmu, Michelle Bergadaà u Jean-Noël Darde, jintervjeni fil-ġurnata. X'se jkun l-impatt ta 'dawn l-interventi? Żewġ assoċjazzjonijiet professjonali għandhom, fi stqarrija , talab lill-professur, viċi-president tal-taqsima 19 ta 'l-CNU (soċjoloġija), jirriżenja jew ma rriżenja biex din il-funzjoni. Hu ma: Fi Frar 2011, esperti fid-dixxiplina, huwa serva u edukati fajls kwalifika bħala professur assoċjat jew professur. Il-oħra membri 35 ta 'din it-taqsima ma protesta (kronika: "Know u tkun siekta"). More...