Cette étude qualitative commandée par la Dares en 2015 vise à éclairer les effets de la « négociation administrée » de l’égalité professionnelle, sous menace de sanctions depuis 2012. Elle explore plus précisément le processus d’élaboration, le contenu, la mise en œuvre et le suivi d’accords spécifiques et de plans unilatéraux en matière d’égalité professionnelle élaborés en 2014 et 2015, et mis en œuvre entre 2014 et 2017, juste avant les récentes évolutions législatives donnant davantage d’autonomie à la négociation collective d’entreprise.
Premier volume de restitution de cette étude, ce document explore ce que produit cette « égalité négociée » en entreprise, à partir d’une analyse de contenu d’un corpus de 186 textes élaborés entre 2014 et 2015, extraits de la base de données D@ccords de la DGT-Dares, recensant les textes déposés dans les Direccte. La construction d’un échantillon raisonné relativement représentatif de l’activité de négociation collective dans ce domaine, au regard du secteur d’activité, de la taille d’entreprise et du type de texte (accord ou plan), a été réalisée en concertation avec la Dares.
La première partie analyse comment le langage du droit du travail, qui infuse les textes, se mélange avec d’autres registres de justification : la rhétorique managériale des bénéfices de la diversité pour la performance, et un horizon plus politique de « représentation équilibrée » des sexes. L’inspection du travail, des expert·e·s, différents guides de « bonnes pratiques » et des exemples d’accords glanés sur internet ou collectés par voie syndicale jouent un rôle majeur dans la mise en conformité face à un droit en constante évolution, au prix cependant d’un certain conformisme. Si l’accord de branche est rarement cité comme source directe d’inspiration, la négociation d’entreprise s’avère influencée par d’autres niveaux, dont en premier lieu celui du groupe auquel appartient l’entreprise.
La seconde partie met l’accent sur l’usage des chiffres dans cette négociation unique par son impératif de quantification. L’étude souligne que ce diagnostic chiffré est souvent partiel et parfois partial ; les objectifs chiffrés portent en général sur les moyens, plus rarement sur les résultats, et les indicateurs de suivi ne permettent pas d’évaluer l’amélioration de la situation relative des femmes à moyen terme. Une attention particulière est portée par cette étude à la mesure des écarts de rémunération, souvent relativisés au regard du secteur ou d’un périmètre restreint de calcul. L’étude montre que l’analyse des écarts s’avère souvent frustre, même « sophistiquée » par des logiciels, car elle n’est ni structurelle, ni dynamique et n’interroge jamais les possibles biais discriminants des conventions collectives ou des outils de GRH.
La troisième partie se concentre enfin sur les types d’actions préconisées par les accords et plans étudiés, afin de saisir les éventuels innovations et mimétismes entre entreprises et secteurs d’activité. L’égalité professionnelle est souvent interprétée de manière restrictive comme synonyme de mixité ou de parité, en négligeant la notion d’égalité des chances, et certains domaines d’action sont priorisés : recrutement, articulation des temps, promotion aux postes à responsabilités et formation continue. L’étude montre l’attention accrue portée à la transparence et à l’objectivation des processus RH, à la sensibilisation des managers au risque de discriminations et à l’implication des hommes et des pères, tout en regrettant que l’égalité soit souvent pensée à bas coûts. Néanmoins, si l’égalité femmes-hommes paraît être désormais investie comme un enjeu de business par des grandes entreprises, notamment pour les plus dotées et dans les secteurs en croissance comme le numérique et la finance, l’égalité négociée apporte encore peu de réponses aux soucis des travailleuses du bas de l’échelle, employées et ouvrières (bas salaires, temps partiels imposés, précarité d’emploi, carrières plates et pénibilité du travail).