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Formation Continue du Supérieur
3 avril 2014

La réforme de la taxe d'apprentissage

FocusRHCette réforme a pour objectif principal d’orienter une part croissante de la taxe vers l’apprentissage et d’améliorer la transparence et la lisibilité des circuits de financement de l’apprentissage pour les entreprises.
Elle a été adoptée, pour partie, par la loi de finances rectificative pour 2013 et la loi relative à la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale du 5 mars 2014. La loi de finances rectificative pour 2013 a fusionné la taxe d’apprentissage et la contribution au développement de l’apprentissage au profit d’un prélèvement unique de 0.68 % (0.44 % pour l’Alsace-Moselle) de la masse salariale de l’entreprise. Cette mesure prend effet dès la collecte 2015 (masse salariale 2014).
Cette loi instaure la possibilité pour l’entreprise d’affecter la Contribution Supplémentaire à l’Apprentissage (CSA) aux CFA et sera reversé par l’OCTA avant le 31 mai. Les CFA pourront bénéficier du cumul de la part dite « Quota » de la taxe et du montant de la CSA.
La loi du 5 mars 2014 précise les éléments suivants : « - Après versement obligatoire au trésor public, l’employeur peut se libérer du versement du solde du quota en apportant des concours financiers pour un total ne pouvant dépasser 21 % du montant de la taxe due ;
- Le total des dépenses libératoires effectuées par l’employeur au titre du « Hors quota » ou Barème ne peut dépasser 23 % du montant de la taxe d’apprentissage due. »

Par ailleurs, ce texte fixe un nouveau cadre pour l’affectation du Barème de la TA et définit les formations technologiques et professionnelles initiales. Ces formations technologiques et professionnelles sont dispensées hors cadre de l’apprentissage, à temps complet et de manière continue. Elles doivent être délivrées dans le cadre de la formation initiale et conduire à des diplômes ou titres enregistrés au RNCP.

Les dépenses éligibles au titre du Barème sont :
- Les dépenses réellement exposées, afin de favoriser des formations technologiques et professionnelles dispensées hors du cadre de l’apprentissage (lycées professionnels, écoles, universités) ;
- Les subventions versées aux CFA ou sections d’apprentissage au titre du concours financier lorsque celui-ci ne suffit pas à financer le cout réel de la formation.

Les dépenses pouvant être prises en charge sont :
- Les frais de premier équipement, de renouvellement de matériel existant et d’équipement complémentaire des écoles et des établissements, en vue d’assurer les actions de formation initiales dispensées hors du cadre de l’apprentissage ;
- Les subventions versées aux établissements, y compris sous forme de matériels à visée pédagogique et conformes aux besoins de la formation en vue de réaliser des actions de formation technologique et professionnelle initiale. Les OCTA proposent l’attribution de ces subventions selon des modalités qui seront fixées par décret en Conseil d’Etat ;
- Les frais de stage organisés en milieu professionnel, dans la limite d’une fraction de la TA (décret à paraitre).

Afin d’assurer une meilleure lisibilité et de réduire le nombre de collecteurs, les OCTA devraient passer de plus de 140 à une quarantaine, au plus tard le 1er janvier 2016. Les habilitations actuelles expireront le 31 décembre 2015. Voir l'article...

3 avril 2014

Conclusion du Colloque « La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs en France : enjeux et perspectives »

Sénat - Un site au service des citoyensACTES du Colloque « La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs en France : enjeux et perspectives ». Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).
Conclusion
Marie-Christine Blandin
D’une reprise d’une proposition des Assises, les écologistes ont fait un amendement, les votes ont fait un inexistant et beaucoup d’entre vous ont fait une gigantesque pétition et ensemble nous avons fait un colloque, une journée, grâce à Anaïs, une étudiante de master 2 que nous avons recrutée d’abord en stage puis en CDD. Nous la remercions ainsi que nos collaborateurs.
On a entendu des exemples d’ailleurs. Ailleurs n’est pas notre modèle et, même s’il l’était, tout n’est pas transposable. Je pense toutefois qu’y regarder donne de l’oxygène et que nos valeurs communes trouveraient là dedans du bonheur avec plus de parité, une place plus respectueuse pour les étudiants, le souci que l’équipe dialogue au préalable avec le candidat, la lisibilité et la transparence des critères etc.
Ici il y a de bonnes choses. Nous entendons l’utilité du dialogue disciplinaire des sections tout comme les grandes différences entre sections nous laissent voir de grandes marges d’amélioration et d’échange de bonnes pratiques, tout comme il serait pour elles difficiles de s’opposer à des mutations pour favoriser l’interdisciplinarité, la diversité des cursus, une bonne évaluation des capacités pédagogiques. D’ailleurs, les évaluer sans voir les gens m’interroge.
Je fais une petite parenthèse. Vous savez qu’en Belgique de nombreux hébergements de personnes âgées fragiles ou de personnes en situation de handicap sont préférées par des familles françaises et sont beaucoup moins chères. Alors on peut s’interroger sur ces questions auxquelles le service public à la française n’arrive pas à répondre. Moi qui habite à cinq kilomètres j’y suis allée. Savez vous que ces recrutements de personnes qui accompagnent les personnes âgées ou les personnes en situation de handicap ont pour critère principal des entretiens très longs et des mises en situation pour évaluer l’empathie avec des personnes fragiles avant les diplômes acquis ?
Je reviens à notre sujet. C’est bien sûr à partir de l’ambition partagée pour la transmission et la production des savoirs et de notre attachement commun aux missions de démocratisation du service public qu’il faut repenser nos structures, les procédures qui les accompagnent, les conditions d’exercice des enseignants chercheurs. Nous le savons et vous connaissez l’histoire de ce colloque. Nous ne sommes pas dupes non plus du contexte de ce débat, contexte mettant en tension l’autonomie et la restriction de moyens, ni du voisinage d’autres débats, entre Europe et Nation, entre compétition et coopération et, dans le Parlement, entre responsabilité locale et garantie de l’Etat. Je peux vous dire qu’ici aussi, sur d’autres sujets, les débats sur ce qui se passe au niveau de l’Etat et au niveau local sont également très animés. Pour avoir présidé une région, je peux vous dire qu’on sait aussi défendre le service public à partir d’une collectivité. Si je n’avais pas désamianté les lycées quatre ans avant les actions menées au niveau de l’Etat je ne pourrais pas me regarder dans une glace. On peut entretenir un bon dialogue.
Je sais que nous nous quittons et que certains se posent la question de savoir ce que sont les perspectives. Les débats ont été enregistrés, ils seront lus et utilisés, en particulier par les parlementaires que vous n’avez pas vus mais qui relisent très sérieusement ces documents, je peux vous le dire. Ils nous les citent parfois dans des débats. Rassurez vous tout cela est lu et bien surveillé. Le gouvernement doit rendre un rapport au Parlement sur ce sujet, il va donc entendre les points de vue, je l’espère. Un décret est en préparation, il est bien que ce colloque ait eu lieu avant.
Nous restons à votre disposition pour toute contribution qui vous brûlerait les lèvres ou qui mûrirait au bout de quelques jours ou semaines. Pour notre part, députées et sénatrices organisatrices, nous poursuivons les consultations, notre insistance auprès du gouvernement pour lever les précarités, notre travail avec vous pour gommer tous les points aveugles et circuits kafkaïens qui ont été cités et pour construire un diagnostic juste. Je vous ai entendu dire que certaines choses n’étaient pas vraies. Il faudrait qu’on se voit de près et nous sommes à votre disposition pour faire des formats plus étroits, des formats de travail et produire. Il faut produire du diagnostic juste et dégager des consensus porteurs de progrès humain et d’arbitrage en toute connaissance de cause.
Index
AERES : Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur
AFEP : Association Française d’Economie Politique
ATER : Attaché Temporaire d’Enseignement et de Recherche
BIATSS : personnels des Bibliothèques, Ingénieurs, Administratifs, Techniciens de Service et de Santé
CA : Conseil d’Administration
CEA : Commissariat à l’Energie Atomique
CESE : Comité Economique, Social et Environnemental
CIFRE : Convention Individuelle de Formation par la Recherche
CJC : Confédération des Jeunes Chercheurs
CMP : Commission Mixte Paritaire
CNAM : Conservatoire National des Arts et Métiers
CNECA : Commission Nationale des Enseignants Chercheurs du Ministère de l’Agriculture
CNRS : Centre National de la Recherche Scientifique
CNU : Conseil National des Universités
CP-CNU : Commission Permanente du Conseil National des Universités
CPU : Conférence des Présidents d’Université
CUE : Communauté d’Universités et d’Etablissements
ECTS : European Credits Transfer System
EELV : Europe Ecologie Les Verts
EPHE : Ecole Pratique des Hautes Etudes
EPIC : Etablissement Public à Caractère Industriel et Commercial
EPST : Etablissement Public à caractère Scientifique et Technologique
ESPE : Ecole Supérieure du Professorat et de l’Education
ESR : Enseignement Supérieur et Recherche
ESSEC : Ecole Supérieure des Sciences Economiques et Commerciales
FAGE : Fédération des Associations Générales Etudiantes
HDR : Habilitation à Diriger des Recherches
IGR : Ingénieur de Recherche
INRA : Institut National de la Recherche Agronomique
INSERM : Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale
INSU : Institut National des Sciences de l’Univers
LMD : Licence Master Doctorat
LRU : Loi sur la Responsabilité des Universités
MESR : Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche
PAPERA : Collectif Pour l’Abolition de la Précarité dans l’Enseignement supérieur, la Recherche et Ailleurs
PEPS : Projets Exploratoires Premier Soutien
PES : Prime d’Excellence Scientifique
PU : Professeur d’Université
RCE: Responsabilités et Compétences Elargies
SHS : Sciences Humaines et Sociales
SNESUP : Syndicat National de l’Enseignement Supérieur
SNIR : Syndicat National Indépendant de la Recherche Scientifique
SNRI : Stratégie Nationale de la Recherche et de l’Innovation
UMR : Unité Mixte de Recherche
UPMC : Université Pierre et Marie Curie
UVSQ : Université de Versailles Saint-Quentin.
Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).

3 avril 2014

Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ?

Sénat - Un site au service des citoyensACTES du Colloque « La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs en France : enjeux et perspectives ». Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).
Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? »
Modératrice : Mme Isabelle Attard, Députée du Calvados
Intervenants :
- M. Olivier Nay, Vice Président du CP-CNU et Président de la section 4 Sciences Politique
- M. Raphaël Romi, Professeur de droit à l’Université de Nantes, Doyen honoraire de la faculté de droit de Nantes
- M. François Garçon, Directeur de l’UFR 03 de la Sorbonne
- M. Julien Hering, Membre du Collectif PAPERA
- Mme Claire Guichet, Représentante de la FAGE au sein du CESE.
Isabelle Attard
Pour ceux qui ne me connaitraient pas je suis Isabelle Attard, députée du Calvados et en charge de la loi Enseignement Supérieur et Recherche à l’Assemblée Nationale. Je remercie mes collègues sénatrices, Corinne et Marie, pour l’organisation de ce séminaire. C’était extrêmement important pour nous de ne pas s’arrêter de façon très sèche, avec le vote de cette loi et la fin des débats à l’Assemblée et au Sénat et que nous puissions, comme promis, reparler du recrutement des enseignants chercheurs dans le cadre plus serein du Sénat et de cet hémicycle.
Pourquoi aujourd’hui finissons-nous avec une table ronde qui s’intitule « quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française » ? Tout simplement parce qu’on voit bien que cet amendement adopté au Sénat a fait polémique, c’est le moins que l’on puisse dire. Ni Corinne, ni Marie, ni moi ne regrettons d’avoir mis sur la table ce problème qu’est le recrutement des enseignants-chercheurs et de la procédure de qualification. Je maintiens que c’est un souci. Si ce n’était pas un problème il n’y aurait pas eu de telles réactions. Il y a eu une polémique déjà au moment des Assises de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. La polémique n’est pas née à l’Assemblée, elle n’est pas née non plus au Sénat. C’est important qu’on assume notre rôle de législateur en privilégiant le débat, en proposant des pistes au Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, quelque chose qui fonctionnerait mieux. Nous ne sommes pas là pour faire la révolution mais bien pour améliorer notre système. Les débats qui ont eu lieu ont prouvé qu’on n’était pas tous d’accord, qu’il n’y avait pas consensus ni unanimité, en tout cas en France, sur cette procédure, et qu’il fallait en profiter, prendre du temps pour mettre tout ça à plat et réfléchir sereinement.
Pour mentionner le pourquoi de cette polémique, je pense que cet amendement qui a fait du bruit n’était pas seul. Nous avions beaucoup réfléchi au sein d’EELV, nous avons fait passer beaucoup d’auditions, nous n’avons jamais caché notre opinion sur cette procédure et nous avons proposé une réforme en profondeur du recrutement des enseignants chercheurs, nous avons proposé également des amendements pour la valorisation du doctorat en lui-même pour essayer d’améliorer les conditions d’étude des doctorants – à ne pas confondre avec docteurs - éviter le gâchis auquel on assiste pendant les années de thèse, éviter les pertes et faire en sorte qu’il y ait un meilleur encadrement. J’ai doucement souri pendant cette journée en entendant la possibilité d’avoir la présence d’un doctorant dans les comités de sélection, dans les jurys, parce que cela faisait partie des amendements proposés qui ont été balayés d’un revers de main et je m’aperçois au fil des discussions que la présence des étudiants existe dans de nombreux pays dont nous avons eu l’exemple tout à l’heure. Nous avons donc réfléchi à un meilleur encadrement, une meilleure homogénéité dans les chartes de thèse parce qu’il y a des écoles doctorales qui fonctionnent de manière remarquable et on voit que ce n’est pas le cas partout. On voit encore des directeurs de recherche s’occuper d’une dizaine ou d’une douzaine d’étudiants en même temps. Je considère personnellement que ça ne représente pas les conditions optimales d’étude.
Nous avons déjà eu des pistes dans la table ronde précédente avec les exemples européens. On les a notés et je pense qu’il y a des choses à rechercher parmi tous ces exemples de Suède, Finlande, Suisse etc. Si nous sommes si passionnés d’Europe c’est aussi parce que les exemples sont à trouver en regardant ailleurs. Je ne dis pas que tout est applicable en France, loin de là, mais si l’Europe doit servir à quelque chose c’est bien à regarder les bonnes pratiques ailleurs, ne pas être nombriliste et regarder ce qu’il est possible d’adapter à nos méthodes françaises. Je vais passer la parole tout d’abord à Olivier Nay, professeur de Sciences Politiques à la Sorbonne et Président de la section 4 du CNU, section de Sciences Politiques.
Juste pour préciser pourquoi nous n’avons pas invité toutes les sections du CNU à s’exprimer, c’est simplement parce que nous ne sommes que quelques intervenants et il n’y a pas 70 représentants des sections aujourd’hui. Il y en a dans la salle et tant mieux. Les Sénatrices ont fait une sélection de façon à avoir le plus grand éventail possible et je pense qu’elles ont réussi dans leur choix. Encore désolée que nous n’ayons pas une semaine de débat à consacrer à ce sujet pour pouvoir laisser parler tout le monde et tous les responsables des sections. Olivier Nay, vous avez la parole pour dix minutes, je vous remercie.
Olivier Nay
Je vous remercie. Je pensais avoir un peu plus de temps mais je vais essayer alors d’aller vite. Je tiens à dire que les points que je soulève sont personnels et ne sont pas au nom de l’institution que je représente, qui n’a pas été consultée. Je remercie EELV de prendre le temps de la réflexion. La loi prévoit je crois un rapport qui sera proposé par le gouvernement au Parlement d‘ici deux ans et j’espère que ces échanges pourront nourrir la réflexion du gouvernement et du MESR.
Plutôt que de centrer mon intervention sur les questions de gouvernance, de procédure, d’institution et en particulier sur le CNU, j’ai préféré évoquer des questions très générales pour penser le recrutement de qualité pour des raisons assez simples. Je pense que le débat a été très mal engagé, a été nourri d’incompréhension, de suspicion et ce n’est pas comme cela qu’on peut produire un résultat cohérent, susceptible de provoquer l’adhésion de l’ensemble de la communauté des enseignants chercheurs autour d’une réforme du recrutement. Il y a eu une focalisation sur cet amendement et je crois qu’il est temps de réfléchir de manière beaucoup plus vaste. Je voudrais proposer cinq éléments de réflexion à votre jugement.
Tout d’abord, je pense qu’il faut arrêter de penser à partir des institutions et des procédures. Je pense qu’il faut une réflexion systémique sur la question du recrutement et qu’il faut impérativement que, tous ensemble, on réfléchisse à l’ensemble du continuum qui va de la sélection des doctorants et de leur formation dans les écoles doctorales en passant par les critères de soutenance, du doctorat, les conditions concrètes de recrutement jusqu’aux fonctions d’enseignant chercheur. Lorsqu’on recrute, on évalue en effet l’adéquation d’une candidature à une fonction. On ne peut pas réfléchir en termes d’attractivité du métier sans réfléchir à tout ce continuum.
Deuxième point de réflexion, il faut que la réflexion sur le recrutement soit ancrée dans une vision du système universitaire. Il faut réfléchir à des principes éthiques, scientifiques, professionnels, autour desquels l’université du XXIe siècle doit se construire, plutôt que de raisonner à partir de modèles et de procédures sur lesquels on a tendance à se focaliser un peu vite. Je pense qu’une réforme doit reposer sur des principes auxquels la communauté qui est censée la mettre en oeuvre doit adhérer. Elle doit reposer sur des principes vastes, et le recrutement doit nous permettre de nous interroger sur ce qu’est la transmission du savoir, sur ce qu’est la production libre des connaissances, ce qu’est le système public d’enseignement supérieur. Je ne vais pas ouvrir toutes ces portes, ne vous inquiétez pas, mais je pense qu’on doit avoir une vraie réflexion sur l’université du XXIe siècle au delà de la comparaison avec d’autres modèles.
Troisième point, je pense qu’il faut cesser d’opposer systématiquement, dans un raisonnement tout à fait binaire qui est artefactuel, le national et le local. On assiste à un mouvement d’autonomisation des universités, c’est très bien et personne ne le conteste. Opposer liberté locale, nécessairement vertueuse, et instances nationales, nécessairement archaïques et constitueraient un carcan, me semble une très mauvaise approche de la question du recrutement. Je pense qu’il faut réfléchir en terme de complémentarité, d’intégration, de transmission et éventuellement de confiance. Je voudrais juste réagir à ce que Madame Picard a dit tout à l’heure. Je pense que votre propre construction est totalement artefactuelle. Vous dites que si le CNU pense bien travailler, c’est que les jurys de thèse fonctionnent mal, ou que les jurys de recrutement fonctionnent mal. On n’a absolument pas cette perspective de travail lorsque l’on est au CNU. Vous dites aussi que l’adhésion des enseignants chercheurs au CNU est un élément qui a altéré leur adhésion à l’établissement, à la communauté locale. Tous les sociologues qui ont travaillé sur l’identité, sur l’engagement, sur l’adhésion, savent bien qu’on peut avoir des adhésions multiples. Je me sens personnellement tout autant membre de Paris 1, que membre du CNU, que français et languedocien. Je pense que vous fonctionnez sur un principe de vases communiquant, qui est une construction de chercheur, mais qui n’est pas forcément la réalité dans laquelle les enseignants chercheurs pensent leur adhésion au système.
On peut avoir une double adhésion à des instances de régulation nationale et à son établissement. Je ne comprends pas votre forme de raisonnement qui me semble biaisée. Vous pourriez associer à la métaphore des silos celle des vases communiquant. Ce sont des métaphores qui ne fonctionnent pas très bien. Evidemment la métaphore des silos est terrible. Un silo est figé, clôturé. Moi quand je suis rentré au CNU je n’avais pas d’a priori. J’ai trouvé un lieu d’échange, où il y a de vrais débats épistémologiques, où il y a des échanges entre des personnes qui ne communiquent pas dans les congrès parce que le format des congrès n’est pas fait pour celui, qui ne communiquent pas dans les universités parce que les universités sont spécialisées. C’est un lieu où il y a de l’échange et je dois dire que j’ai été très agréablement surpris. Je ne défends pas le CNU pour défendre le CNU et je parle évidemment de manière très personnelle.
Quatrième point, je pense qu’il faut cesser aussi de penser qu’il y a un modèle idéal, un modèle international idéal. Je suis content que la précédente table ronde ait montré qu’il y a une très grande diversité de modèles. Il y a autant de systèmes de recrutement dans le monde qu’il y a de systèmes nationaux. L’idée d’uniformisation mondiale n’est pas un modèle en soi et je pense qu’il y a de bonnes choses chez nous, sinon on ne serait pas le quatrième pays au classement mondial en termes de publication scientifique. La France est un pays qui a de bons chercheurs. Si on recrutait de si mauvais enseignants chercheurs on n’aurait surement pas ce rang là. Penser systématiquement nos spécificités sous la forme d’anomalies qu’il faudrait éliminer au profit d’une adaptation à un modèle qui serait vertueux est une très mauvaise piste. On doit avoir cette inquiétude là systématiquement lorsque l’on réfléchit à l’adaptation du recrutement. Mettons aussi bien fin aux grandes écoles, c’est une spécificité française.
Interventions
Entièrement d’accord. Oui.
Olivier Nay
Il y a beaucoup de spécificités françaises. C’est un point qui est délicat. Cinquième point, il faut assumer qu’il y ait un vrai conflit de vision qui est souvent camouflé, altéré, inavoué dans les discussions. Je ne veux pas être caricatural mais il y a quand même, depuis la loi de 2007, un certain nombre de personnes, de groupes, qui perçoivent l’autonomie des universités comme une étape vers un système ouvert dans lequel les universités seraient mises en concurrence dans un marché de la connaissance et auraient pleine responsabilité en matière de recrutement. La diversité des modes de recrutement, la différenciation des statuts la contractualisation des liens entre les enseignants-chercheurs et les universités, seraient vues nécessairement comme des bonnes choses. C’est une vision qui se défend mais qui relève aussi de la croyance que la meilleure recherche est celle qui s’appuie sur un système où l’excellence est le résultat d’une mise en compétition systématique des établissements et des enseignants-chercheurs qui atteindraient l’excellence par la nécessité de croître dans un système compétitif. Il y a une autre vision, défendue par de très nombreux enseignants-chercheurs dont je fais partie, et qui est que l’autonomie des universités est un état d’équilibre entre une autonomie de gestion, qui permet de renforcer les initiatives locales, rapprocher éventuellement les universités des territoires, mais qui est aussi qu’il peut y avoir des formes de régulation nationale, des contrepoids, qui peuvent s’ancrer par exemple dans l’existence de communautés scientifiques qui, au côté de l’Etat et des établissements, peuvent avoir un rôle à jouer dans la régulation des enseignants-chercheurs et des processus de recrutement. Cela s’appuie bien sûr sur l’exigence de maintenir des critères scientifiques.
Je terminerai en disant pourquoi il faut une étape nationale. Je ne crois pas en les vertus exceptionnelles d’une phase nationale de recrutement des enseignants chercheurs. Je pense qu’il y a d’abord une dimension juridique. Il y a un fait qu’on ne peut pas nier, nous fonctionnons dans un système où les processus locaux ne sont pas satisfaisants, et tant que nous n’aurons pas réglé cela nous ne pourrons faire table rase d’un système de régulation national qui garantit un minimum de contrôle extérieur sur le recrutement. Je terminerai par ce qui est peut-être le plus important. Il faut concevoir, et je ne parle pas du CNU ni de la qualification, une étape nationale de recrutement comme une phase d’admissibilité dans un processus en deux temps qui comprend une évaluation des compétences générales, et pas seulement la thèse et les compétences scientifiques. C’est une phase qui étudie l’adéquation des compétences des candidats à leur fonction. Il faut ensuite une phase de sélection, maitrisée par les établissements qui étudie l’adéquation des candidats à un profil de poste, ce qui n’est pas du tout la même chose. Qu’il y ait ces deux étapes est, pour moi, une garantie de qualité du recrutement. Pensez qu’il faille en favoriser une au détriment de l’autre est une très mauvaise piste, et souvent les débats, parce qu’ils cristallisent les oppositions, ont tendance à le faire.
Je termine. On pourra lever beaucoup d’idées reçues, le CNU comme deuxième jury de thèse, la qualification comme une phase coûteuse qui produit de l’inégalité entre les candidats. Je voudrais simplement conclure en disant que si, en quatre jours, 17000 enseignants chercheurs se mobilisent pour une institution qui est censée les persécuter, c’est sans doute qu’il y a une raison qui va bien au delà de l’amendement. Derrière il y a des inquiétudes sur la vision que nous voyons proposée de l’université. C’est un élément de cristallisation qui va bien au delà de la question du CNU et de la qualification.
Isabelle Attard
Je vous remercie et je voudrais préciser une chose importante. Il y a des choses extrêmement fausses qui ont circulé au moment des débats à l’Assemblée et je tiens à préciser une chose. Nous n’avons jamais, ni les sénatrices, ni moi à l’Assemblée, proposé de dissoudre ou de faire disparaître le CNU parce que je sais que c’est ce qui a circulé et qui a motivé certains à signer cette fameuse pétition. C’est le premier point. Nous avons proposé de remettre à plat la procédure de qualification au milieu de beaucoup d’amendements qui avaient du sens et qui permettaient justement de réfléchir en profondeur sur la procédure de recrutement. C’est important de le préciser car ce sont des rumeurs qui ont circulé. Deuxième chose, nous n’avons jamais dit que la France avait des mauvais chercheurs. Ça voudrait dire que je me tire une balle dans le pied. Je pense que la France a d’excellents chercheurs et qu’elle pourrait en avoir plus. Je pense qu’elle pourrait faire vivre ses chercheurs encore mieux, les chouchouter bien plus, s’en occuper bien mieux, les rémunérer bien mieux. Ça oui, je l’ai dit, je l’ai répété et je continuerai à le faire, mes collègues également. En aucun cas je pense que nous avons de mauvais chercheurs. Je pense que nous avons justement de très bons résultats avec de piètres conditions de travail et que nous ne pourrions, de ce fait, que nous améliorer.
Je donne la parole à Raphaël Romi, professeur agrégé de droit public à l’Université de Nantes, spécialiste d’environnement, et comme les autres, malgré un magnifique CV, il n’aura que dix minutes.
Raphael Romi
J’ai très envie de vous dire d’abord que quand on est scientifique on ne doit pas avoir de tabou. Je parle en tant que scientifique mais aussi en tant que personne, quelqu’un qui a fait quatre universités, qui a été reçu à un concours d’agrégation externe, qui ensuite a été Doyen, qui a été ensuite membre du comité national du CNRS, plus particulièrement dans les commissions interdisciplinaires, et puis qui a été membre de jury d’agrégation pour boucler la boucle, puisque je suis presque à la fin de ma carrière. Ce que je voudrais vous dire c’est que je veux partir non pas de modèles que j’idéaliserais, mais de ce que je voudrais éviter. Je suis d’abord très conscient que c’est dans mes disciplines que j’ai vu les travers dont je vais parler. Je vais parler de ce que je voudrais éviter.
Je voudrais éviter ce que j’ai vécu pendant trente ans. D’abord, un recrutement endogamique permanent qui aboutit à ce que des étudiants, très souvent de manière canalisée, soient dans l’obligation d’être étudiants puis enseignants, comme dans un gigantesque couloir duquel on les empêcherait de sortir, et produire finalement un savoir académique car seul ce savoir académique, sans évasion à gauche et à droite du couloir, peut leur permettre de devenir enseignant chercheur.
Ce que je voudrais aussi éviter c’est un recrutement qui fasse que, comme certains de mes collègues qui sont enseignants en droit, les recrutés n’aient jamais écrit un marché public ni plaidé, jamais même fonctionné dans une administration du point de vue de l’administrateur et qui connaitraient à peine les usagers de l’université du point de vue de leur utilisation de l’université. Ce que je voudrais éviter c’est d’avoir des gens qui délivrent un savoir purement livresque alors même qu’ils sont censés livrer un enseignement adapté à des métiers en devenir. Et qu’est ce que je recherche dans ce contexte ? Ce que je recherche c’est d’abord qu’il y ait une connaissance de la pratique des professions et des métiers, qu’il y ait un apprentissage réel des deux métiers d’enseignant chercheur, l’apprentissage de l’enseignement, de la recherche, de l’administration de l’université, et, sans doute par le biais de stages, l’apprentissage des professions et des métiers auxquels ils doivent s’adapter et adapter leur enseignement tout au long de leur carrière.
Ce que je recherche ensuite, vous l’aurez compris, c’est la souplesse des carrières et des passerelles. Nous sommes dans un système qui est absolument étranger à l’idée de souplesse des passerelles et des carrières. Que reste t’il à faire dans ce contexte ? Se projeter en donnant un certain nombre d’idées pour penser, sans se préoccuper de ce qu’il se passe à l’extérieur, sans taper à bras raccourcis sur ce qu’il se passe ici mais en en tirant les conclusions. Je pense qu’il faut procéder contre le centralisme par une décentralisation qui n’irait sans doute pas verser dans la perversion du microlocalisme : je pense à des grandes régions. Je crois ensuite qu’il faut rechercher à lutter contre l’absence d’apprentissage. Qui dit apprentissage, dit école. Il faudra donc nécessairement qu’il y ait des écoles d’enseignants chercheurs qui ne soient pas ces minables écoles doctorales dont on nous rebat les flancs et dans lesquelles on n’apprend pas les professions et les métiers auxquels on doit adapter nos enseignements et nos recherches.
Et puis, je pense qu’il faut rechercher la variété. Il faut d’une part ouvrir aux professionnels le droit de venir enseigner, et pas seulement comme « associé ». Il faut ouvrir, dans le calibrage du recrutement des docteurs, des « fenêtres de tir » qui ne produisent pas des docteurs uniquement à visée académique mais qui soient capables de produire du savoir, de la recherche, de l’enseignement pratique. Je pense notamment que parmi les docteurs que j’ai eu en droit, ce sont les docteurs CIFRE qui m’ont donné le plus de satisfaction. Ce sont eux qui jamais n’ont pu percer ce calibrage très spécifique de la section 2 du CNU. Je crois qu’il faut instituer cette variété contre l’uniformité, car nous vivons dans un monde où la vie est fondée sur le refus de l’uniformité, alors que l’université ne recrute que des profils uniformes.
Je pense qu’il faudra également, et je l’ai mis à la fin parce que j’y crois vraiment, travailler à ce que puissent être publiés des postes hors sectorisation CNU, c’est-à-dire qui soient profilés sur les métiers, les professions, les interdisciplinarités. Je fais du droit de l’environnement, j’en viens à exiger de mes étudiants et à exiger de moi même un certain nombre de connaissances extra juridiques. Le droit public, je m’en bats les flancs. Je fais du droit privé, de l’écologie. J’attends de mes étudiants la souplesse d’esprit nécessaire pour qu’ils puissent s’ouvrir à ces disciplines là. Malheureusement s’ils le font et s’ils produisent une thèse qui témoigne de cette ouverture d’esprit, ils ne pourront jamais se faire accepter par le CNU, ils se feront retoquer. Il leur faudra, mais c’est peut-être une chance, être avocats, praticiens dans des établissements publics ou des entreprises avant de revenir ensuite enseigner. Ce sont de très bons enseignants, alors, qui nous reviennent par la fenêtre de tir qui leur est ouverte.
Alors oui, je pense que la suppression du CNU dans ces conditions là est une obligation. C’est le CNU tel qu’il est organisé aujourd’hui qui doit être supprimé. Il n’y a pas d’institutions taboues. Une institution vit en cycle et le cycle du CNU tel que nous le connaissons, pour certaines disciplines en tout cas, est terminé.
Isabelle Attard
Merci beaucoup. Raphaël Romi avait proposé de faire une intervention en une minute j’ai refusé, vous avez tenu huit, c’est merveilleux. Je vais ensuite passer la parole à François Garçon, maître de conférences à Paris 1 en Histoire et Civilisation.
François Garçon
Merci de m’avoir accueilli. J’ai été élu sur un poste de MCF en 22ème section (histoire), à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne en 1999. Election qui mettait un terme à une expérience que trop peu d’universitaires connaissent, notamment ceux qui enquillent les diplômes et, dans la foulée, un poste de titulaire qui les amènera tranquillement vers la retraite, trente, voire quarante ans plus tard. Expérience qui se nomme le chômage.
En 1999, dans un moment particulièrement difficile, j’ai donc été élu dans des conditions que je qualifierai de banalement scandaleuses : tous les candidats s’entassaient devant la porte d’une mansarde de la vieille Sorbonne, porte derrière laquelle un jury de 23 personnes débitait les candidats, à coups d’auditions d’une quinzaine de minutes. Le jury, anonyme, m’a demandé d’ânonner ce que figurait dans le dossier de 800 pages, déposé à une dizaine d’exemplaires, que personne n’avait seulement feuilleté comme en attestaient les questions qui m’étaient posées. Lors de cet entretien, je n’ai rien évoqué des vingt ans qui me séparaient de ma soutenance de thèse, et personne ne s’est inquiété de ce que j’avais pu faire entre 1981 et 1999. De chômage, je n’ai évidemment pas parlé. Ni séminaire de recherche devant des pairs, ni leçon devant des étudiants, rien. Juste du baratin. Le soir même, le directeur du département qui me recrutait, m’informait au téléphone que le jury m’avait élu. Il était lui-même franchement hostile à mon recrutement, et ne s’en était jamais caché. J’ai pu observer par la suite que ce simulacre de recrutement n’est nullement atypique, mais serait plutôt la norme dans l’université française. Le recrutement faussé, qui recouvre un localisme massif qui concerne presque une élection de professeur sur deux, est parmi les maux les plus destructeurs de l’enseignement supérieur.
La deuxième tare de l’enseignement supérieur français, au moins dans sa partie universitaire et plus précisément dans les SHS, est l’absence d’évaluation. L’évaluation, jusqu’à l’arrivée de l’AERES, est une pratique qu’ignore l’université française. A ceux qui prétendent sans rire que les universitaires sont la profession la plus évaluée, je recommande d’aller voir comment se déroule l’évaluation dans le secteur privé. Ni évaluation, ni contrainte de résultats : celui qui publie peu, voire rien du tout, celui qui a abandonné toute recherche scientifique depuis dix, quinze, trente ans, celui-ci ou celle-là file de beaux jours. Son salaire lui est versé chaque mois. La stérilité dans le secteur privé est non seulement plus rapidement repérée mais est généralement sanctionnée. On vit très bien dans l’enseignement supérieur, sans avoir besoin de demander des congés sabbatiques, sans solliciter de primes. En limitant son activité au simple enseignement, d’un même volume pour tous, publiants et non publiants.
Evoquant les mesures de salubrité qu’il conviendrait d’adopter dans l’enseignement supérieur français, plusieurs me viennent à l’esprit. D’abord, il conviendrait de supprimer le statut de maître de conférences à vie. Il s’agit là d’une aberration. Comment peut-on maintenir en vie une sous-caste de 35 000 personnes, affectées aux mêmes tâches que les professeurs, sans lui permettre d’envisager d’accéder au rang supérieur. La limitation dans le temps du statut de maître de conférences va de pair avec l’instauration d’un système de tenure-track. Un candidat à un poste qui s’ouvre se voit doter d’une période de six à huit ans pour faire la démonstration qu’il remplit le besoin exprimé par le département recruteur. La tenure-track, avec mise à plat des activités du candidat au bout de la quatrième année, est le meilleur moyen pour régénérer le tissu universitaire et enrayer l’encalminage rapide des nommés à vie sans conditions suspensives. Les jeunes chercheurs, en quête de postes, ne devraient pas demeurer insensibles au spectacle de tant d’enseignants-chercheurs qui occupent des places en étant devenus des passagers clandestins de l’enseignement supérieur.
Autre préconisation, avec la généralisation du séjour post-doc avant tout recrutement. Le post-doc oblige à découvrir d’autres laboratoires, d’autres équipes de recherche. Le séjour post-doc coupe le cordon ombilical qui lie le département recruteur avec l’étudiant couvé en son sein, facilite l’apprentissage d’une langue étrangère, lisez l’anglais, que si peu d’universitaires maîtrisent finalement. Le post-doc est un premier pas vers l’éradication du localisme, mal français que le CNU n’a jamais combattu autrement que verbalement, et que cet organisme n’a aucun moyen de contrôler. En ce sens, les statistiques du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche qui font état de recrutements massifs de localiers parmi les professeurs, renvoient à l’inanité de l’argument du CNU comme quoi l’organisme constituerait un rempart contre l’endorecrutement.
La dernière réforme qu’il conviendrait d’entreprendre est la suppression des concours de la fonction publique, au moins dans l’enseignement supérieur. Le mot concours est intraduisible en anglais, disait ce matin, un intervenant. Le concours, qui pétrifie un universitaire en le transformant mécaniquement en fonctionnaire d’Etat, n’a pas lieu d’être. Les établissements doivent être libres de choisir les candidats qui leur conviennent, sans se sentir obligés de privilégier le lauréat d’une épreuve qui est aux antipodes de ce qu’est la recherche scientifique. Le concours est la préparation à une épreuve normée, cadrée d’où l’inventivité, l’apport personnel sont proscrits. Tous les candidats, dans un temps imparti et dans un lieu fermé, doivent réussir l’équivalent du jeu des Chiffres et des Lettres. Comme si la recherche scientifique se fondait sur pareils critères ! La recherche, au moins dans sa phase initiale, est solitaire, longue, exploratrice des limites, transgressive. Aux antipodes donc du concours. Dans les établissements supérieurs qui comptent aujourd’hui sur la planète et que traduisent les multiples classements internationaux où la France est brutalisée, les universitaires qui comptent n’ont pas passé de « concours ». Ils ont été élus par leurs pairs, sur la base de leurs travaux ou d’une promesse scientifique, dans des établissements généralement publics et en compétition les uns avec les autres. Simplement, ces établissements s’appliquent des règles simples pour éviter de favoriser le régional de l’étape, pour évaluer leurs professeurs, pour encadrer les étudiants.
Dans ces établissements, vers lesquels convergent les étudiants les plus ambitieux et les universitaires les plus exigeants, nul CNU ni concours. Des règles de simples bon sens, une obsession du benchmarking, autrement dit le souci de se comparer aux autres sans se prévaloir d’un exceptionnalisme franchouillard qui fait sourire tous ceux en poste dans toutes les universités étrangères, celles qui comptent.
Isabelle Attard
Merci beaucoup, comme je le disais hors micro nous prendrons toutes les questions après. Je laisse maintenant la parole à Julien Hering, membre du collectif PAPERA, Pour l’Abolition de la Précarité dans l’Enseignement, la Recherche, et Ailleurs. Il n’y a pas beaucoup d’explications à donner, les mots clés y sont. A vous la parole.
Julien Hering
Merci, merci de m’avoir invité. Ce que je voulais c’est introduire une autre vision de ceux qui sont dans les rouages des qualifications. Le collectif PAPERA est né en 2008, il a été créé par les précaires. Qu’entend-on par « précaire » ? Des doctorants, des contractuels, des vacataires, des « rien du tout », ceux qui travaillent parfois à l’université pour rien. C’est surtout le cas en SHS, c’est plus fréquent, mais c’est le cas même dans d’autres secteurs. Le collectif voulait proposer une parole à ces personnes là. On fonctionne principalement via le web parce que ce sont des gens qu’on ne voit jamais, qu’on n’entend jamais, et ici ils peuvent témoigner comme ils veulent, témoigner et s’informer via le site web. C’est donc cet axe là que je vais discuter.
On parle de la qualification mais elle fait partie d’un ensemble. On avait mis le pied dans la porte en 2009 au Ministère pour être auditionnés là-bas et donner notre avis. A chaque fois que Valérie Pécresse se déplaçait on était dans ses pattes, et au bout d’un moment ils se sont demandés qui on était et ils nous ont reçus. Effectivement, la qualification était quelque chose sur lequel on voulait vraiment discuter. A l’époque ils nous ont dit que le décret allait être révisé. Effectivement ça a été révisé mais le nouveau décret n’a rien changé. C’est quelque chose qui nous avait déjà quand même interpelé à l’époque et on a eu beaucoup de retours. Beaucoup de choses que je vais dire viennent de l’expérience de terrain de tous ces précaires qui font remonter l’information. Leur vision est différente de celle donnée dans les interventions précédentes. Elle n’est surtout pas seulement disciplinaire. Même si je suis biologiste, la grande difficulté des parcours pour aller jusqu’au poste selon la discipline est différente. Même si on parle de la qualification et du milieu académique, il faut se rappeler que l’académie est aussi les EPST, les EPIC. Un chercheur, un doctorant, même s’il fait partie d’un laboratoire, ne va pas se dire qu’il va postuler seulement au poste de maitres de conférences. Il va postuler aussi à l’INSERM, dans un EPIC, et toutes les complexités là se rajoutent à celles qu’il va rencontrer.
Pour commencer par les doctorants, je les appelle les maltraités ou les formatés. Les maltraités, parce qu’il y a une hétérogénéité interdisciplinaire, une hétérogénéité dans chaque discipline. On dit souvent qu’en SHS les financements sont les moins nombreux, c’est vrai. Pour les sciences dures, même si les financements montent à 80%, il y a aussi beaucoup de difficultés.
Quand on regarde le LMD, on s’est beaucoup battu sur le contrat doctoral, pas forcément pour que ça change complément mais pour que ça change autrement. On ne voulait pas ce contrat doctoral comme ça parce que le principe des trois années est un gros problème. Il y a la problématique du financement et aussi la problématique du doctorat et coupler les deux sur une durée aussi courte nous paraissait aberrant. Dans un pays comme la France, la durée moyenne est supérieure à trois ans et la difficulté est de trouver le financement après. En Angleterre, en Allemagne, c’est encore plus et aux Etats-Unis c’est même au dessus de six ans. Vous voyez que pour arriver à un recrutement de qualité il faut d’abord avoir des doctorats de qualité et donner du temps aux docteurs pour faire leur doctorat. Si dans certaines disciplines comme les SHS, les doctorats dépassent trois ans ce n’est souvent pas parce qu’il ont envie de prendre du temps, il y a beaucoup de technologies et de méthodologies qui sont longues à mettre en oeuvre et à maitriser. Il ne faut pas oublier que le financement est un atout, et les doctorants financés ont souvent une meilleure réussite après. Ils ont été plus tranquilles pour faire leur doctorat que ceux qui ont travaillé sans financement et qui ont eu un boulot à côté.
Là dedans rentre aussi le problème de l’encadrement de la thèse et de la charte de thèse. Les moyens mis à disposition sont cruciaux pour les doctorants et ça n’a rien à voir avec sa qualité de chercheur naissant, c’est très important de le regarder. L’encadrement est aussi indispensable. Le record que j’ai vu c’est, je crois, 23 doctorants par chef de thèse, c’est quand même assez affolant. Ce qui est nouveau aussi avec la diminution des postes et la difficulté à être mobile après le doctorat, c’est la concurrence qu’il y a dans les laboratoires. Par exemple en SHS c’est la concurrence pour avoir le seul ordinateur à disposition. Dans les « sciences dures » c’est la concurrence féroce entre les docteurs pour la publication. Ce n’est pas forcément lié à la qualité du docteur ou du doctorant, c’est bien ça la problématique.
On arrive aussi maintenant, avec le passage à la responsabilité des masses salariales des universités, à un grand changement qui est de donner des heures d’enseignement aux doctorants. C’est un très grand problème. Le monitorat a baissé, certaines universités interdisent la première année ou la dernière année, on se retrouve avec une année et les universités disent ne pas donner d’enseignement pour un an seulement. La possibilité parfois de faire des vacations, qui est possible même avec un contrat doctoral, est parfois refusée. On se retrouve avec un jeune docteur qui est embêté pour passer le barrage de la qualification parce qu’il n’arrive pas à passer le barrage du nombre d’heures d’enseignement nécessaires.
Au niveau du doctorat et du docteur, il y a 20% des docteurs qui arrivent à un poste académique, 30% si on regarde les docteurs qui arrivent sur l’académie entière, c’est à dire qui ne vont pas forcément faire de la recherche. On regarde souvent les autres pays mais aux Etats-Unis par exemple ça se dégrade, 70% des enseignants sont contractuels. Les tenure tracks sont bien jolis mais là bas c’est 10% donc c’est féroce pour avoir une tenure track et commencer à rentrer. En Angleterre par exemple aussi, le chercheur est contractuel à vie et c’est bien pratique parce qu’il n’y a pas tout l’administratif, toute la recherche de fonds, on cherche juste pour son salaire et c’est en train de disparaître par manque de ressources financière (cela devient alors une précarité). En Allemagne, les postes académiques sont très rares. Donc la comparaison à l’étranger est quand même limitée.
Ce que je tiens aussi à dire c’est qu’il y a de grandes difficultés au moment de la qualification. On parle souvent de la qualification, des dossiers, mais la personne vit pendant ce temps là. Il faut rester dans le secteur. Il y en a beaucoup qui disent : « vous n’êtes plus en poste, vous n’êtes plus en CDD de chercheur, vous ne pouvez pas être qualifié ». Moi j’ai déjà eu des témoignages de gens à qui ont a dit : « vous n’êtes pas dans un laboratoire, vous ne pouvez pas être qualifié ». La grande difficulté est la précarité pendant ces années là où les docteurs font des vacations ou autre. Etre qualifié sur ces postes là c’est vraiment très compliqué. Il y a vraiment un problème. Il faut soutenir ces chercheurs à qui on ne donne même pas les moyens de montrer s’ils sont bons ou mauvais.
Concernant les recrutements académiques à l’étranger, ils sont de 5%. J’ai l’exemple de Toulouse qui vient de recruter, sur 14 postes de maître de conférences, 13 étrangers. Quand je vous raconte toutes les difficultés qu’ont les doctorants et docteurs de France, on se pose la question. Effectivement il faut montrer qu’on est concurrentiel à l’étranger, mais se dire que Toulouse, qui couvre un gros secteur sans rien autour, a recruté, pour briller à l’étranger, 13 docteurs sur 14 à l’étranger, cela pose des problèmes.
On peut les coupler aux problèmes de parité, la France reste bloquée à 20-30%. La carte de l’UNESCO 2013 montre que c’est le Brésil qui est en première place avec 50% en parité. Donc là il faudrait continuer à proposer plus de postes et à améliorer les recrutements paritaires.
La qualification est effectivement un recrutement national qui protège théoriquement du localisme mais il ne faut pas oublier que dans de nombreux témoignages qu’on reçoit il est fait mention du féodalisme de certaines sections. Il y en a qui sont complètement verrouillées et où les gens sont qualifiés parce qu’ils viennent de tels laboratoires et qu’ils ont eu tels chefs de thèse. Le CNU protège donc aussi mal de ce système. La question est donc de remettre à plat tout le système et de ne pas croire que de supprimer le CNU va ouvrir la porte au localisme. Le localisme est partout, au CNU et autre. On ne peut pas dire que toutes les sections sont comme ça, de la même façon qu’on ne peut pas dire que toutes les universités font du recrutement inégalitaire mais il y en a, et la question est vraiment de trouver les moyens de l’empêcher. Il y a des pratiques qui sont vertueuses, il ya des universités qui demandent à leurs postulants maitre de conférences, l’UPMC le fait, de faire un cours devant tout le monde. Ce n’est pas le cas partout.
Un candidat ne va pas seulement postuler dans une université mais aussi dans un EPIC par exemple et la complexité des candidatures est problématique. Postuler de l’étranger, à l’INSERM, au CNRS, pour la qualification, tout ça en même temps peut être compliqué. On a des post-docs qui étaient à l’étranger et dont les chefs de laboratoire leur ont dit qu’ils n’avaient pas le temps de prendre l’avion pour être auditionnés. Ça pose quand même un problème lorsqu’on veut obliger les gens à partir à l’étranger en post-doc par exemple. Il faut avant tout privilégier la qualité de ce qu’on propose pour que la personne puisse prouver qu’elle est valable comme chercheur. On peut passer à côté d’un Prix Nobel si on ne lui donne pas de moyens et pas de salaire pour pouvoir travailler.
Une dernière chose sur la qualification et sur les recrutements, c’est la problématique d’interdisciplinarité. Beaucoup de questions se posent sur des thèses qui sont très belles, qu’on trouve géniales parce qu’elles sont interdisciplinaires. Les écoles doctorales s’en vantent mais, en réalité, arriver à trouver une section qui corresponde à ce doctorat c’est très difficile. On a le même problème au niveau du CNRS. Les docteurs sont vraiment coincés, il y en a qui arrêtent complètement car ils n’ont aucun moyen de faire valoriser leur interdisciplinarité.
Je voudrais juste terminer en disant qu’est apparu, avec la LRU, le recrutement sur CDI. Ça paraissait intéressant. Ça ne rentre pas dans le cadre de la loi Sauvadet (Loi du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels), qui était la loi qui proposait de résoudre la précarité en proposant des CDI, mais beaucoup d’universités en passant à la LRU on pu proposer des postes de CDI. Il y a beaucoup de syndicats qui sont venus nous voir parce qu’on a eu des retours sur la façon dont ça s’est passé. Le recrutement est parfois assez clair, on demande parfois que le candidat soit quand même qualifié. Autant cela peut être anodin pour des postes administratifs ou techniques mais je peux vous dire qu’un chercheur qui rentre en CDI est très mal perçu par ses collègues qui sont passés par la qualification et par un concours local. Ça pose de gros problèmes, notamment pas de plan de carrière prévu, même si on en voit de moins en moins.
Pour rebondir sur l’importance à donner au secteur privé, je vous donne mon point de vue personnel. Effectivement il y a des personnes qui viennent du privé, qui ont fait de la Recherche & Développement pendant vingt ans en pharmacie, qui voudraient en faire partager un plus grand nombre de personnes et qui trouvent des difficultés. Il y a aussi d’autres retours de personnes qui se demandent comment elles vont reconstruire leur carrière en venant du privé vers le public en termes de retraite, et beaucoup ne le font pas. Souvent ce sont des personnes qui ont de bonnes expériences et il faut donc se poser les bonnes questions pour pouvoir les attirer.
En conclusion, il faut améliorer le doctorat, c’est-à-dire donner des moyens aux écoles doctorales. On a eu beaucoup de réflexion pendant des années et je pense que c’est le meilleur moyen. Les écoles doctorales interviennent localement, elles sont capables de juger les thèses. La question des trois ans est problématique, on se battra toujours contre ça. J’ai été content d’entendre, à l’une des conférences où j’étais invité, un directeur du Ministère dire que les trois ans paraissaient assez aberrants. Sur le papier c’est bien mais il faudrait alors trouver le financement. Je ne peux pas adhérer au fait qu’on dise qu’il n’y a pas assez d’argent et qu’il faut limiter tout le monde à trois ans pour pouvoir financer tout le monde. On ne peut pas dire qu’on a assez de docteurs en France, c’est plutôt l’inverse, on en manque. Il y a eu des suppressions de postes énormes, on manque d’enseignants chercheurs, il y a eu 3000 postes supprimés depuis 2008. Au niveau de l’industrie on est en panne d’innovation et dans les laboratoires de R&D en France il n’y a que 15% de docteurs. Ce n’est donc pas le problème, il faut trouver plus de financement et financer tout le monde, pas seulement sur trois ans. Au niveau du recrutement, effectivement, il faut remettre à plat tout le système.
Isabelle Attard
Merci beaucoup pour ces informations très denses mais nécessaires. Je présente la dernière intervenante de notre table, Claire Guichet, qui était membre du comité de pilotage des Assises de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche qui se sont tenues l’an dernier, qui est également représentante de la FAGE, Fédération des Associations Générales Etudiantes et qui siège à la délégation du droit des femmes à l’égalité. Je laisse la parole à notre dernière intervenante.
Claire Guichet
Merci. Beaucoup de choses ont déjà été dites. Quelque part c’est bien, ça me laissera plus de temps pour entrer dans des choses qui autrement peuvent sembler un peu techniques mais qui sont néanmoins importantes.
Je voudrais juste dire deux mots de ce qui a amené le comité de pilotage des Assises de l’Enseignement Supérieur à proposer la suppression de la qualification dans son rapport à l’époque, alors qu’on entendait remonter énormément de demandes dont beaucoup ont été évoquées aujourd’hui, sur la fluidité des carrières, sur la capacité à faire des allers-retours avec la société civile ou même à avoir une entrée plus fluide pour les jeunes dans le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il nous a semblé que, si la qualification n’était pas l’alpha et l’oméga des problématiques des carrières dans l’enseignement supérieur et la recherche, elle était néanmoins un verrou symbolique, symptomatique d’une certaine vision de l’académie, qu’elle posait des problèmes importants et qu’elle n’était pas le bout de la lorgnette, notamment à deux égards. Le premier est effectivement l’interdisciplinarité, qui nous avait été beaucoup défendue par l’ensemble des acteurs au sein des Assises, et le deuxième est notre volonté de travailler de manière très forte sur la pédagogie et la manière dont un bon recrutement intègre bien mieux les questions pédagogiques. Pour ce dernier point effectivement ça ne concerne pas l’ensemble des sections, mais de manière générale on avait un retour majoritaire disant que la pédagogie n’était pas suffisamment prise en compte. N’étant pas à ce moment là, au temps des Assises, en capacité de mener ce qui nous aurait amené à une proposition détaillée, il nous a semblé en tout cas important d’apporter au débat cet élément là pour essayer de faire avancer les choses.
Puisque vous me laissez quelques minutes pour faire la suite, je voudrais dire effectivement quelques mots sur la question d’un recrutement de qualité. Qu’est ce qu’un recrutement de qualité ? Il faut d’abord se poser cette question là et je ne suis pas sûre qu’on ait tous la même vision de ce qu’est un recrutement et un collègue de qualité, tout simplement parce qu’on a entendu au cours des Assises des gens défendre qu’il ne fallait pas aller vers plus d’interdisciplinaire. Nous avons entendu que les gens qui voulaient aller vers plus d’interdisciplinarité bafouaient l’excellence de la discipline. A partir de ce moment on ne peut pas avoir la même vision de ce qu’est un recrutement de qualité quand on pense qu’il faut plus d’interdisciplinarité ou quand on pense que l’excellence se fait dans le confinement.
Pour moi, après des années de militantisme étudiant au niveau français et européen, un recrutement de qualité c’est premièrement un bon chercheur, qui produit de la recherche de qualité, c’est majoritairement ce qui est vérifié aujourd’hui par le CNU et qui devrait être gagé par une thèse de bonne qualité passée par un jury qui donne le diplôme du doctorat. C’est aussi un collègue, un salarié dans l’établissement qui apporte quelque chose. C’est une adéquation aux thèmes sur lesquels on a besoin de se spécialiser, sur lesquels on a besoin d’avoir de l’enseignement. C’est quelqu’un qui est capable de travailler et de s’insérer dans une équipe, et qui a une vision d’un projet d’établissement. Et là je voudrais bien dire qu’il ne s’agit pas de tomber dans une autonomie qui soit synonyme de compétition, d’excellence. On entendait parler dernièrement des enseignants chercheurs de l’Université d’Avignon qui nous disaient que dans la licence d’AES ils avaient 60% de boursiers. Est ce qu’aujourd’hui quelqu’un peut décemment dire qu’enseigner dans une licence avec 60% de boursiers c’est la même chose que d’être dans un master 2 à Paris 7 ou ailleurs ? Ce n’est pas pareil. Il y a un moment où il faut admettre que d’avoir un projet d’établissement ce n’est pas avoir de la compétition d’excellence. C’est quelque chose qui répond à l’ambition d’un territoire, qui peut être une ambition sociale, qui peut être un projet différent et dans lequel on a besoin d’avoir des collègues qui se sentent investis. Le dernier point c’est d’être un bon enseignant. Un enseignant avec des qualités pédagogiques, des qualités de transfert de connaissance. Isabelle This Saint-Jean le disait ce matin. C’est quelqu’un qui peut tenir une salle alerte et donne envie aux gens d’apprendre.
Dans une logique systémique, il me semble qu’il y a un certain nombre de propositions pour améliorer le recrutement et aller dans ce but de ce que moi je définis comme un recrutement de qualité, qui commence déjà dès le master 2 et dans les initiations à la recherche dans lesquels on pourrait déjà avoir un lien beaucoup plus fort entre les laboratoires et les masterants. On pourrait les amener beaucoup plus à pouvoir effectuer une partie de leurs stages dans des laboratoires, à faire leur mémoire dans des équipes encadrées, à, quand ils le souhaitent, intégrer leur projet de mémoire dans des projets de laboratoires. Ça se fait, mais pas suffisamment. Et ça a été le problème lors des Assises. A chaque fois on nous disait que ça se faisait à tel ou tel endroit. Certes, mais comment faire en sorte de tirer ces bonnes pratiques vers le haut et avoir une bonne qualité partout ?
Ensuite le deuxième temps est aussi la campagne d’accès au doctorat. On parle du recrutement des enseignants-chercheurs mais aujourd’hui, la campagne d’accès au doctorat à la base c’est une personne dans un premier temps. C’est est ce que, oui ou non, vous avez un directeur de recherche. Pour un certain nombre d’étudiants en master, la lisibilité de ce phénomène là n’est pas forcément évidente. On a aujourd’hui besoin de mieux clipser ensemble la logique de master-doctorat et de permettre à plus de masterants de comprendre ce qu’est un process doctoral, de comprendre comment on choisit son directeur de thèse en fonction d’un certain nombre d’objectifs scientifiques, comment on choisit son laboratoire, parce que beaucoup vont dans le laboratoire du directeur qui a bien voulu les prendre etc.
Ensuite, les écoles doctorales. Je pense qu’il faut que les écoles doctorales fassent ce qui était leur ambition à la base et qu’elles ont complètement oublié. Il faut multiplier les séminaires. On a aujourd’hui, dans les écoles doctorales, des doctorants qu’on ne voit jamais, qui n’ont aucun séminaire, qu’ils soient obligatoires ou facultatifs. Et s’ils veulent des séminaires, ils sont en charge de les organiser eux-mêmes. Ce n’est pas normal. A un moment on doit pouvoir, sur un cursus de doctorat, dire que ces gens sont passés par un certain nombre d’enseignement, de séminaires, qu’ils ont pu choisir éventuellement à la carte ou pas, on en peut en discuter, mais ils sont passés par un processus dans lequel ils ont pu à la fois récupérer de la connaissance et échanger sur la connaissance qu’ils étaient en train d’essayer de produire.
Ensuite, il faut faire des points d’étape annuels. Je ne suis pas en train de faire l’apologie des autres pays, je dis juste qu’on peut regarder de temps en temps. Il se trouve que nous sommes l’un des seuls pays d’Europe dans lequel on ne fait pas de point d’étape annuel dans lequel le doctorant présente ce qu’il a fait cette année, un bilan d’étape, explique ce qu’a été l’objectif. C’est comme ça qu’on perd des personnes dans la nature qui, n’étant pas soutenues par un laboratoire, ayant un directeur de thèse qui a quinze autres doctorants, ont perdu le rythme de ce qu’ils sont en train de faire. Dans ces points d’étape on pourrait réfléchir, avec ces gens là, sur ce qu’ils sont en train de produire et leur dire que, si ça continue comme ça, leur thèse ne sera peut-être pas une production qui leur permettra de devenir enseignant-chercheur. On a finalement des gens qu’on amène systématiquement jusqu’au doctorat sans jamais parler avec eux de leur insertion professionnelle et à qui ensuite la qualification est chargée d'annoncer qu'ils peuvent ou ne peuvent pas enseigner, alors que c'était jusque là leur seul objectif..
Il faut évidemment que les écoles doctorales prennent mieux leur place dans l’encadrement et qu’elles fassent en sorte que l’encadrement soit homogène. Il faut qu’on propose, même si c’est à plusieurs universités, des modules pédagogiques qui permettent aux doctorants de se former à l’enseignement, de se former à des méthodes pédagogiques, d’aller au contact du terrain. De la même manière, il faut donner à ceux qui ont des charges d’enseignement en parallèle de leurs contrats doctoraux ou qui ont des ATERats, de, s’ils le souhaitent, avoir des visites de pairs qui viennent évaluer leurs qualités pédagogiques, leur donner leur avis sur ce qu’ils ont fait, sur comment ils peuvent d’améliorer etc.
Au niveau du recrutement, il me semble que si on arrive à monter en puissance au niveau de la qualité de l’encadrement et du soutien que l’on donne à nos jeunes docteurs, on n’aura plus à les labéliser CNU puisqu’ils seront déjà, par leur doctorat, labélisés comme en capacité de faire de la recherche. Il nous restera deux choses à évaluer, la première c’est leur capacité pédagogique. Je pense que dans ce cadre là il faut privilégier une multi-évaluation. La première serait par les résultats de leur module pédagogique qui devrait être obligatoire pour quiconque voudrait être enseignant-chercheur. La deuxième serait une analyse de leurs enseignements précédents soit par une visite de pairs, soit par une évaluation par leurs étudiants, soit par le rappel des notes de rapport de l’équipe pédagogique qui les a encadré. Il faut de mon sens un cumul d’évaluations pour avoir quelque chose de pluri-orienté.
Enfin, pour ce qui est de l’équipe et de l’établissement, je considère que, dans le cadre du recrutement, une fois qu’on sait qu’on est en face de quelqu’un qui répond aux qualités d’enseignement et de recherche, c’est la lettre de motivation, l’entretien et aussi l’obligation d’avoir eu une expérience de mobilité auparavant, qui empêcheront le localisme. Il faut une obligation de mobilité de carrière avant d’être recruté et, à partir de là, on a des gens qui ensuite doivent rentrer dans le projet de l’établissement. Sur le comité de sélection, on a parlé d’y intégrer des étudiants et je pense que c’est essentiel, tout comme les BIATOSS. On ne peut plus décemment dire qu’un établissement recrute collectivement si tout le monde n’est pas investi dans ce processus. Il faut que ces comités de recrutement, systématiquement, augmentent la part de membres de l’extérieur, de membres internationaux, pour qu’on puisse avoir vraiment quelque chose d’intéressant au niveau local. Il faut aussi que le dossier de recrutement soit unique. C’est un détail mais qui pourrit la vie de tous ceux qui sont dans les campagnes de recrutement et qui passent leur temps à faire beaucoup d’administratif pour pas grand chose.
Isabelle Attard
Merci Claire. J’avais promis qu’on aurait le temps des questions, c’est pour ça que j’ai été un peu abrupte avec nos intervenants et j’espère que vous m’en excuserez, mais je pense que la question mérite un long débat. Je vais prendre les questions au fur et à mesure.
Question
En écoutant toute la journée j’ai l’impression que ce n’est pas la meilleure formule cette tribune où les gens s’expriment et on doit poser deux trois questions rapidement. L’objet était d’échanger réellement. Vous avez dit beaucoup de chose sur lesquelles on a vraiment envie de discuter, notamment les deux derniers. Il y a des choses sur lesquelles on va être d’accord, que nous défendons. Il y a des choses sur lesquelles on réagit avec mes collègues en disant que ça n’est pas comme ça que ça fonctionne. Vous dites pour certaines choses qu’elles n’existent pas alors qu’elles existent. Il faudrait vérifier entre nous. Je pense qu’il faut vraiment organiser une vraie discussion. Je vous propose, en particulier vous puisque vous êtes concernés par la qualification, de demander à rencontrer les représentants de la CP-CNU pour avoir de vrais échanges pour qu’on entende vos remarques et puis qu’on réfléchisse à des solutions si on arrive à être d’accord. Je vous ai déjà entendu l’année dernière Madame Guichet aux Assises, et vous aviez dit relativement la même chose.
Isabelle Attard
Je préfère avoir des intervenants qui disent relativement la même chose car c’est un signe de cohérence.
Question
Bien sûr et ça n’est pas une critique. Je dis seulement que si on veut avancer il faut peut-être faire autre chose. Je remercie par la même occasion les sénatrices vertes de nous avoir donné cette fois-ci, à nous la CP-CNU, la possibilité de nous exprimer deux fois quinze minutes à la tribune. L’année dernière on ne nous avait même pas donné l’occasion de nous exprimer à la tribune. C’est un plus vers la possibilité d’échange. On ne peut pas reprendre tous les points. J’ai réagi tout à l’heure par rapport à Monsieur Garçon parce qu’il est là uniquement parce qu’il souhaite la suppression du CNU. Il a écrit un livre contre le CNU où il demande sa suppression et qui repose sur des contre-vérités. Je ne vais pas reprendre point par point mais un seul, parce que ça peut être amusant de vous le raconter. Vous êtes persuadé d’abord que l’entreprise est immensément vertueuse et que c’est le meilleur système possible qu’il faudrait suivre absolument, et vous êtes persuadé que le monde universitaire a une haine totale vis-à-vis de l’entreprise, ce qui est assez faux. Même parfois je trouve chez mes collègues une sensibilité à la culture pro-entreprise qui me paraît décalée. Je veux seulement vous dire que moi j’ai fait de la chimie pendant dix ans dans une multinationale à Berlin. J’ai changé de voie, j’ai repris des études. Malgré cela, je ne l’ai jamais caché, je l’ai toujours mis dans mon CV et j’ai été recruté comme maître de conférences dans une discipline particulièrement éloignée du monde de l’entreprise puisque c’est l’Histoire et la Philosophie des sciences. Je n’ai jamais reçu une hostilité de la part de mes collègues, j’ai été qualifié et recruté sans aucun problème.
Isabelle Attard
Simplement, avez vous une question pour les intervenants ?
Question
Non, c’est un échange et j’essaye de montrer, par cet exemple là, comment fonctionne Monsieur Garçon. Quant à votre jury de recrutement, je suis complètement d’accord avec vous. Il y a des jurys complètement scandaleux où on a droit à dix minutes et la moitié des membres du jury sont incompétents, on le remarque aux questions qui sont posées. Donc je suis d’accord avec vous. Toutefois je défends la qualification.
Isabelle Attard
Vous avez raison, il y a le temps du colloque aujourd’hui organisé par mes amies sénatrices et il y a le temps des auditions, ça sera une autre formule et la suite de ce colloque. En tout cas compte tenu des impératifs des intervenants et de la salle j’aimerai par la suite ne prendre que des questions qui provoqueront un vrai échange.
Thierry Côme
Je suis Thierry Côme, vice-président de la CP-CNU au titre du groupe 2 et je voudrais intervenir avec une autre casquette, puisqu’on est tous multi-casquettes. Je suis, dans mon établissement, directeur du service d’orientation et d’insertion professionnelle.
Pour rebondir sur ce que vous avez dit Madame Guichet, je suis tout à fait d’accord avec vous sur le fait que, pour améliorer le recrutement à l’autre bout de la chaine des enseignants-chercheurs, il faut faire de l’information auprès des masters et je dirais même auprès de ceux qui démarrent une thèse. Contrairement à vous je pense que ça commence à se faire. Nous on le fait depuis longtemps dans mon université. On informe les futurs docteurs, lorsqu’ils démarrent l’école doctorale, sur les métiers de la recherche. On les prévient dès le début que ce n’est pas parce qu’ils commencent une thèse qu’ils seront recrutés comme enseignants-chercheurs. Il y a je crois 12000 thèses soutenues et 2000 recrutements. Même si on obtient les mille postes supplémentaires, ça fera seulement 25% de ceux qui sont docteurs qui deviendront enseignants- chercheurs. La grande majorité des docteurs iront donc bosser ailleurs qu’à l’université. Chargé de l’insertion professionnelle, mon discours c’est de leur dire de ne pas rêver. C’est à partir de ça que, les docteurs sachant dans quelle direction ils veulent aller, on peut adapter leur cursus dans les écoles doctorales parce qu’ils ont quand même des ECTS à valider. On peut leur faire des formations, ce qu’on fait aussi dans l’université, sur l’enseignement, pour leur donner les compétences pédagogiques qu’ils vont pouvoir valider au moment de la qualification. Ce n’est pas du tout antinomique avec une qualification nationale. Justement c’est parce qu’on est dans un cénacle qui représente toutes les universités et un grand nombre d’écoles doctorales et que les membres savent comment ça se passe dans leur école doctorale qu’on peut dire qu’on sait que dans telle université ça se passe comme ça etc. Si on reste dans un recrutement local, même élargi, il n’y a pas du tout cette diversité. L’amélioration de l’information favorisera l’insertion professionnelle des docteurs et permettra aussi un recrutement de qualité.
Dernier point, vu que je suis aussi Vice-Président au CNU, on fait des séances d’information avec les associations étudiantes. On fait des séances pour les candidats à la qualification pour leur donner les règles du jeu, parce qu’il y a un réel problème d’information et c’est pour ça que le CNU est vu comme quelque chose d’horrible. Les candidats ne connaissent pas les règles. Ils ne savent pas comment monter un dossier ni comment il va être apprécié. Au niveau du CNU on a un groupe de déontologie qui a mis en place la transparence. Dans la quasi-totalité de sections les critères qui sont utilisés pour examiner les candidatures sont mis en ligne. On dit aux étudiants d’aller voir sur les sites etc. On affait un effort. Il y a eu des critiques. Les critiques permettent d’avancer et on y a répondu par l’information au niveau du CNU et puis chacun individuellement dans nos propres écoles doctorales.
Laure Villate
Bonjour, je suis Laure Villate, post-doctorante dans une UMR INRA à l’Université Bordeaux 1. J’ai juste deux questions très brèves et assez éloignées de la qualification. Comme Monsieur Garçon j’ai été frappée par le manque de participation aujourd’hui et je l’explique en fait par deux choses. Selon moi il y a eu des question beaucoup plus graves qui ont été soulevées à la fin de l’année 2012 et en 2013 avant l’élaboration du projet de loi concernant notamment le manque de moyen récurrent dans les laboratoires. On a demandé aussi un renouveau de la démocratie et de la collégialité. C’étaient des questions beaucoup plus profondes et le projet de loi n’y a pas du tout répondu. Je pense que ça a induit une certaine lassitude et un manque de confiance. La confiance a été brisée et c’est pour ça je pense que les associations, les syndicats et les collectifs sont absents aujourd’hui. C’est un avis personnel.
Concernant une participation individuelle des enseignants-chercheurs qui ne sont pas très nombreux aujourd’hui je pense qu’ils ont tout simplement la tête dans le guidon. Ils ne sont même pas conscients de ce qui est en train de se tramer tellement ils croulent sous des tâches qui ne devraient pas être les leurs. Ce matin, j’ai entendu un argument en faveur de la suppression de la qualification qui disait que la qualification serait un frein au recrutement avec le fait que l’âge du recrutement des enseignants-chercheurs reculait. On nous a fourni un document ce matin avec un histogramme qui montre que le nombre de poste d’enseignants chercheurs a diminué de 10% entre 2009 et 2011. Pour moi ça rejoint la question de l’emploi qui est une question essentielle et la question de la qualification n’est pas vraiment, pour moi, essentielle aujourd’hui. Elle ne peut pas être résolue dans l’état actuel des choses c’est-à-dire avec un manque de postes ouverts au concours. Malgré les mille postes promis par an, il y en a 50% qui sont actuellement gelés par les universités.
Michel Paillet
Moi je voudrais revenir sur deux arguments qui ont été soulevés à l’encontre de la qualification. Le premier c’est sur le caractère chronophage et coûteux de ce processus. Je pense qu’il faut le relativiser et qu’il faut regarder le coût de l’encadrement d’une thèse du début jusqu’à la fin, y compris la qualification. Il faut comparer le coût de la qualification au coût de l’évaluation de la thèse elle-même, au coût de l’encadrement, au coût des comités de suivi de thèse qui sont nécessaires. Lorsque je les ai mis en place dans mon établissement la première chose que l’on m’a dit c’est que c’était coûteux et chronophage et qu’on ne voulait pas les mettre en place. Je pense que la qualification n’est pas très chère au regard du coût total de la production du doctorant.
Il y a un deuxième argument qui m’a plus sensibilisé c’est celui de la dévaluation du doctorat lié à ce label de qualification. Je pense qu’on ne peut pas lutter contre ce processus de labellisation. Si ce n’est pas la qualification qui labellisera le doctorat ça sera autre chose. La première chose ça sera l’université qui a délivré le doctorat. S’il n’y a pas de qualification, au moment de vous recruter on regarder d’où vous venez et ça sera le caractère principal de la restriction sur la qualité du doctorat. On est d’autant plus sensible à ça quand on arrive comme moi d’une université qui n’est pas très prestigieuse, je suis vice-Président de l’Université de Toulon. On est donc attaché aux processus nationaux qui garantissent la qualité du travail qu’on fait vis-à-vis de l’extérieur.
Question
Ma question va à Monsieur Nay. Vous avez fait une contradiction tout à l’heure. La qualification n’est pas la même chose que la commission pour les postes de maître de conférences. Pour moi c’est un doublon. Je ne dis pas qu’il faut supprimer le CNU ou la qualification, je trouve juste qu’il y a un doublon dans le sens où même les gens qui ont de bons dossiers ne sont parfois même pas entendus. Vous avez dit tout à l’heure pourquoi, parce que le poste est affiché avec une thématique particulière. Quand on est dans une section particulière et qu’un poste est ouvert, on doit pouvoir postuler sans que le poste soit fléché par le numéro de la section. Il ne faut pas faire un ciblage. Le CNU doit travailler sur ce point, c’est très important. Comment répondez-vous à ça ?
Alain Christian
Bonjour. Je suis Alain Christian, professeur d’université émérite, je participe aux commissions EELV sur l’enseignement supérieur et l’éducation et je fais beaucoup d’expertise pour l’AERES. Il se trouve que cette semaine il y avait, à l’AERES, un colloque croisé intitulé « regards croisés sur les qualités des liens formation-recherche ». Vous comprendrez que le débat d’aujourd’hui et le croisement des deux journées m’interroge.
Je vais poser un point de sémantique. Je trouve que dans ce débat nous avons glissé à de nombreuses reprises de chercheur à enseignant-chercheur. Il faut faire attention, nous parlons aujourd’hui des enseignants-chercheurs. Or, il me semble que c’est plus qu’une fonction, comme je l’ai entendu dire. C’est un métier qui s’apprend et qui se forge dans le temps. Quelles sont les conditions d’apprentissage de ce métier ? Probablement qu’elle commence très tôt par le goût de la recherche, déjà dès le master. Je passe là dessus, il y aurait trop de choses à dire.
Deuxième point sur lequel je voudrais insister c’est le point de vue de l’évaluation. Sans conteste en France, nous sommes face à une université de masse mais qui vit dans un pays qui a la culture de l’élite. Quand on confronte élite et masse et qu’on regarde du point de vue de l’évaluation il y a des problèmes. Pour avoir fait beaucoup de recrutement au niveau national et international, dans des universités européennes et de l’autre côté de la Manche et de l’Atlantique, je peux vous dire que c’est le dossier scientifique qui est prioritaire. Un UFR et un département vont parfois recruter un enseignant pour des causes de laboratoire alors que cet enseignant-chercheur a été recruté sur des problématiques d’enseignement. L’université se retrouve à zéro du point de vue de l’enseignement puisque la logique recherche prime sur la logique enseignement. Donc il me semble que de ce point de vue là il va falloir faire évoluer les indicateurs et la lisibilité de l’évaluation de l’excellence scientifique mais aussi de l’excellence pédagogique. Je m’en tiendrai là parce que dans plusieurs pays il y a des dispositifs qui permettent de dépasser la leçon formelle, factuelle, pour apprécier la dimension pédagogique d’un enseignant par l’intermédiaire de ses publications, sa valorisation, sa diffusion dans les médias, de ses portfolios. Tant qu’on ne sera pas revenu à un équilibre adéquat entre la logique d’enseignement et la logique de recherche, entre la logique pédagogique et la logique scientifique, en France on aura du mal à avancer alors que les pays anglo-saxons ont avancé sur ce sujet bien plus vite que nous.
Isabelle Attard
Je vous remercie et je me retourne vers nos intervenants pour savoir qui veux répondre à ces remarques.
Raphaël Romi
Je veux bien dire deux phrases. Ça m’a toujours troublé de savoir que pour être instituteur on fait une école et qu’on passe du temps en situation et que pour les enseignants chercheurs, jusqu’à il y a très peu de temps, ça ne se faisait même pas. On l’a mis en place mais on l’a mis en place très théoriquement. C’est la première remarque.
La deuxième remarque c’est encore une fois qu’être enseignant chercheur c’est tenir les deux bouts, mais en même temps on est dans un monde où on cherche à donner un métier à nos étudiants. Si on ne connaît pas les métiers, si on n’est pas capable de se ressourcer très régulièrement par un retour au terrain c’est problématique. Je veux bien qu’il y ait des trajectoires individuelles mais ce n’est pas le problème. Le problème c’est de systématiser la capacité des enseignants chercheurs à d’abord connaître le monde et ensuite à s’y replonger. Et là je pense qu’il faut des enseignements initiaux et des formations ensuite, avec des obligations de se ressourcer ou la permission de se ressourcer dans des stages en entreprise ou en administration, ce n’est pas sorcier à mettre en place.
Claire Guichet
D’abord quelques points pour ces messieurs de la CP-CNU qui me rappelaient que je suis concernée par la qualification, même si, je vous rassure, mon point de vue sur la qualification n’a pas pour but d’y échapper. Juste sur la question de l’orientation et de l’information sur l’orientation, je suis d’accord et je ne dis pas que ça n’existe pas. Je pense que la question c’est, comme je le disais tout à l’heure, d’amener à une homogénéité de la question à une échelle nationale et avoir moins d’hétérogénéité. Si on faisait le mapping je vous assure qu’il y a des universités dans lesquelles c’est excellent, d’autres dans lesquelles ça l’est moins. Même au sein d’une même université il y a des différences entre les disciplines. La question est donc d’abord de savoir comment on fait l’assurance qualité de ces process là.
Deuxièmement, c’est aussi le fait qu’il ne suffit pas de dire à des gens qu’ils ne seront pas chercheurs. D’abord parce que pour un certain nombre dans un certain nombre de filière, dire qu’ils ne feront pas carrière dans l’enseignement et la recherche ou même dans la recherche tout court finalement c’est quand même ça l’objectif. On a dans certaines filières des doctorats qui mènent sinon à des difficultés d’insertion parfois même pire que si vous vous étiez arrêté au niveau du master. Forcément ça joue. A partir de là, il faut que l’école doctorale soit aussi en capacité de produire des parcours différenciés pour aussi avoir d’un côté des spécialités sur la pédagogie pour ceux qui veulent absolument aller vers là et pour d’autres avoir des modules de spécialisation professionnelle et des capacités qui soient reconnue dans l’évaluation de leur doctorat.
Je veux revenir juste sur un point, c’est la question de la dévaluation qu’a évoqué Monsieur. Il faut faire attention quand on dit que si on n’a plus d’évaluation nationale on cherchera à savoir de quelle université on vient. La question de la dévaluation je la vois quand au moment des Assises on a dit, et ça a fait je crois consensus dans cette salle, qu’il fallait absolument que la haute fonction publique et le secteur privé reconnaissent mieux le doctorat, que ce soit en termes de capacité à accéder pour la fonction publique ou en termes de reconnaissance salariale pour le privé. On ne peut pas d’un côté dire ça, dire qu’il faut que les docteurs soient reconnus comme ayant toutes ces compétences là, et dire de l’autre que pour qu’ils puissent travailler chez nous, où ils ont été formés, on va leur demander un label supplémentaire. Pour la question de ce que vous dites sur l’origine de l’université c’est déjà le cas car dans le privé personne ne sait ce qu’est la qualification. Et d’ailleurs si vous cherchez un travail dans le secteur privé, qualifié ou pas qualifié, la première chose qu’ils regarderont c’est l’origine de votre doctorat.
Isabelle Attard
Je voudrais juste dire deux petites choses qui vont peut-être susciter encore plus de questions. Aujourd’hui on a des métiers qui n’existaient pas il y a cinq ans. C’est extrêmement délicat de dire à quelqu’un que les recherches qu’il fait ne le mèneront à rien parce qu’au bout des quatre ans d’études, peut-être que le métier qui correspond à ses études existera. Peut-être que ça ne sera pas en France, ça sera peut-être au Japon, au Népal, mais de quel droit peut on décréter qu’il ne faut pas se lancer dans telle ou telle recherche parce que ça ne mènera à rien ? Ce mécanisme d’existence de nouveaux métiers va de plus en plus vite. De plus, vous savez tous très bien qu’on change de métier plusieurs fois dans sa vie. C’est donc très délicat de dire que certaines recherches ne mèneront à rien.
Je voulais juste dire aussi que tous les docteurs n’ont pas envie d’être qualifiés. C’est très important. Etre jugé sur le fait qu’on a la qualification ou pas me paraît très délicat. Parmi les parlementaires et les personnes qui se sont chargées de ce dossier, nous sommes plusieurs docteurs. Personne n’est qualifié parmi nous et c’est un choix. C’est un choix de vie et nous ne sommes pas frustrés, comme j’ai pu l’entendre. On est là pour abattre tous les tabous et se parler franchement. Nous, sénatrices, députées et collaboratrices de groupe, ne sommes pas des docteures frustrées parce que nous n’avons pas été qualifiées.
Je reprends les questions après cette petite mise au point.
Olivier Nay
Je suis très heureux de vous entendre. Depuis ce matin nous parlons comme si la qualification était l’aboutissement nécessaire du doctorat. On sait que 80% des docteurs ne rentreront pas dans les établissements d’enseignement et de recherche. Si on conçoit la qualification non pas comme une visée ultime de tout docteur mais simplement comme une phase d’admissibilité dans un processus de sélection, la problématique est tout à fait différente et on n’a plus cette crispation sur la procédure de qualification alors même qu’on devrait se concentrer sur la qualité du doctorat. Je crois qu’il y a une crispation sur le CNU pour les raisons qui, sociologiquement, seraient très intéressantes à étudier. Il faut réfléchir à la formation de bons docteurs. Le jour où on aura de bons docteurs on pourra peut-être réfléchir à faire disparaître cette procédure.
Deuxièmement, il y a beaucoup de critiques sur la qualification comme second jury de thèse ou un processus qui discréditerait le doctorat. Je trouve ça complètement absurde. C’est un concours, on peut critiquer, comme le faisait François Garçon, le fait que ça soit un concours, je suis d’accord. Mais pour l’instant c’est un concours. Dans tous les concours il y a des procédures d’admissibilité. Qui va dire que lorsqu’il y a une procédure d’admissibilité dans un concours ça dévalorise le diplôme nécessaire pour présenter le concours ? Je prends un exemple. Pour partir à l’ENA il faut un M2 ou un diplôme de Science Po Paris. Est ce que le fait qu’il y ait des candidats de Science Po Paris qui échouent à l’ENA dévalorise le diplôme de Science Po Paris ? Il y a une incohérence que je trouve complètement délétère et je ne crois pas que la qualification dévalorise le doctorat. D’autant plus que si on veut diversifier le doctorat, en faire un diplôme qui permette d’intégrer des structures privées, d’intégrer même l’Etat, à Paris 1 on a l’ENA qui nous demande de proposer des formules de doctorat pour ses étudiants. Si on diversifie les doctorats, il est évident que tous les docteurs n’auront pas vocation à être qualifiés puisque la qualification c’est, encore une fois, l’adéquation entre un profil professionnel en formation et un poste d’enseignant chercheur. On peut parfaitement faire un doctorat de qualité qui prédispose à rentrer dans la fonction d’enseignement et de recherche. On peut avoir des très bons docteurs qui ont travaillé toute leur vie en entreprise et qui n’ont jamais enseigné. La qualification est là pour opérer une procédure d’admissibilité.
Pour la question du fléchage, je ne comprends absolument pas votre question. Le CNU considère tous les dossiers quels qu’ils soient sans aucun fléchage. Les fléchages sont décidés par les établissements avec accord ministériel je crois. Il n’y a pas du tout de fléchage, nous étudions toutes les candidatures qui se présentent à nous.
Sur la question du coût nous avons fait une évaluation au CNU, suite à une autre évaluation qu’on a trouvé totalement exorbitante qui visait à dénoncer le coût du CNU, qui était formulée par quelqu’un qui avait eu un échec important au sein de sa section donc on a considéré qu’il y avait un petit biais. On a produit le 10 décembre 2012 une évaluation qui présentait le coût global annuel du CNU à 2,7 millions d’euros qu’on a comparé avec le coût global que représentent les procédures de recrutement au niveau des établissements qui est de 15,7 millions d’euros. La qualification du CNU représente 20% de la totalité du coût d’un recrutement. L’étude est disponible sur internet et je vous demande d’aller la voir. Il y a aussi des idées qui circulent à propos du CNU comme celles qui circulent à propos des sénatrices. Je ne défends pas pour autant le CNU. Je ne pense pas qu’il faille une dékoulakisation comme le préconise François Garçon, je ne pense pas que le système est totalement pourri. Je pense qu’il faut repérer ce qui doit évoluer et puis mettre en place autour l’école doctorale, des processus de recrutement crédibles au niveau des établissements, et à ce moment là on pourra penser à faire disparaître éventuellement cette phase nationale. Je pense que la table rase aujourd’hui sans condition créerait des effets catastrophiques.
François Garçon
Juste une question à mon collègue. Un docteur qui vient par exemple avec un doctorat réalisé en anglais à Genève, qu’en faites vous ?
Olivier Nay
On considère que l’anglais est la lingua franca de notre discipline. Ce n’est pas le cas de toutes les disciplines mais ça commence à le devenir. On évalue la thèse comme une autre thèse.
François Garçon
Alors je vous lis ce que vous écrivez. « Les rapporteurs et la section sont donc fondés à déclarer irrecevables les dossiers qui ne s’accompagneraient pas de telles traductions. Les textes ont donc obligation de fournir une traduction en langue française pour tous les travaux publiés dans une langue étrangère. »
Olivier Nay
C’est la loi, il faudrait changer la loi.
Isabelle Attard
Je suis obligée de vous couper car nous devons prendre des questions. Il nous reste cinq minutes, j’ai cinq personnes qui lèvent la main et je ne peux pas accepter celles qui ont déjà pris la parole, je suis désolée d’être méchante.
Question
Mon intervention sera courte. J’ai une première remarque et je vais ensuite interpeller les législateurs et législatrices. Concernant les remarques qui ont été faites par rapport à ce qui se passe dans les diverses sections CNU, c’est une réalité de dire qu’il n’y a pas d’harmonisation des critères de qualification, de promotion entre les sections. C’est un regret qu’émet la CP-CNU mais le texte de loi n’oblige pas à une harmonisation des critères. J’interpelle nos sénatrices et députées parce que je pense qu’il y a nécessité d’un texte de loi qui affine le fonctionnement du CNU et le lien avec la CP-CNU sur cette harmonisation. Je voudrais juste dire qu’on parle des cas particuliers qui ne sont pas la majorité des modes de fonctionnement des sections CNU et on essaye de faire de ces exemples une généralité, ce qui est vraiment dommage.
Stéphane Leymarie
Bonjour, Stéphane Leymarie, Secrétaire général adjoint de SupRecherche-UNSA. Je ne peux pas réagir sur tout, je veux juste dire que j’ai été sensible à la façon dont Monsieur Nay a présenté cette proposition de poser le débat par une approche systémique qui viserait à voir comment on peut articuler le cadre national et le cadre local sur la base de grands principes. Sur la base du national il y a effectivement un énorme travail à faire sur l’harmonisation des critères et des procédures. Je crois que la CP-CNU a déjà commencé à y travailler. Chaque section fonctionne très différemment. Si on prend les sections 01 à 06, qui sont des sections à agrégation, ou la 16ème section, le fonctionnement est très différent donc ça crée déjà un problème en soi.
Du point de vue local je voudrais juste ajouter une réflexion qui, me semble t’il, n’a pas été mise en avant jusqu’à maintenant concernant les dérives localistes qui ont été évoquées. Il s’agit de la question des communautés d’université et d’établissements qui, peut-être à moyen terme, seront de nouvelles entités puisque certaines procéderont de la fusion d’établissements. L’objectif quand même, même s’il n’est pas clairement affiché, est d’avoir trente sites universitaires au niveau national. A un moment donné, avec l’apparition des conseils académiques dans ces CUE, et donc des compétences qui pourraient leur être dévolues, le recrutement local pourrait être fait au niveau des CUE. Là, on va voir apparaître de nouveaux enjeux dans les pratiques des comités de sélection qui seront des enjeux liés au pouvoir et à la territorialité des établissements qui ont constitué le CUE. Je suis moi-même dans un des premiers grands établissements qui ont été fusionnés, le produit de quatre universités qui sont réparties sur une géographie assez importante et que je ne nommerai pas. Je suis au conseil d’administration et on a déjà vu apparaître des problèmes au niveau des comités de sélection. Il y avait des stratégies d’acteur pour essayer de préempter les comités de sélection en vue de placer prioritairement les thésards d’une équipe issue d’un établissement par rapport à d’autres. Ce sont des stratégies qui peuvent apparaître. C’est du moyen terme parce qu’on a un peu de temps avant que le recrutement soit géré par les CUE plutôt que par des établissements. Par la suite on pourra peut-être envisager une culture du grand établissement mais dans tous les cas je pense que l’apparition des CUE est un élément à ajouter à la réflexion globale.
Joan Cortinas
Joan Cortinas, enseignant, ingénieur d’étude, ingénieur de recherche, précaire de la recherche et de l’enseignement supérieur. Je vais donner mon point de vue sur le sujet du jour en prenant le point de vue des précaires qui n’a pas été assez exprimé je trouve. Pour un précaire, un recrutement de qualité c’est quand on est défrayé pour des auditions dans toute la France qu’on doit payer de notre poche en n’ayant souvent pas de ressources du tout.
Un recrutement de qualité c’est de recevoir au moins un petit retour de la part des comités de sélection quand on n’a pas été sélectionné, qu’on n’apprenne pas ça comme si on était de la main d’oeuvre corvéable. On l’est, on le sait bien, mais au moins on pourrait recevoir un commentaire raisonné qui nous permette de nous dire qu’on n’a peut-être pas été bon sur certains points.
Troisième critère pour un recrutement de qualité, c’est qu’on ne soit pas obligé, du fait de la rareté des postes, à postuler à des postes qu’on ne souhaite pas avoir mais qu’on va avoir. On ne va pas forcément devenir de bons enseignants chercheurs dans un site qu’on ne souhaite pas. Merci.
Florence Jany-Catrice
Je vais dire trois petites choses. La première c’est que franchement il nous faudrait, et vous me voyez arriver, une analyse économique des raisons pour lesquelles nous sommes dans cette austérité, pour lesquelles nous avons autant de précaires et pour lesquelles nous considérons ça comme une donnée au dessus de nos têtes. Je suis sûre que dans quelques années nous n’aurons plus les moyens de produire cette controverse dans le champ académique. Je me suis suffisamment appesantie dessus ce matin, je n’y reviens pas.
Deuxième point, cet après-midi on s’est beaucoup plus appesanti – et c’est normal parce que c’est là où il y a le plus de flux - sur la qualification pour le passage primo-entrant au poste de maitre de conférences et très peu sur le professorat. Puisque nous avons là deux éminents professeurs des sections 02 et 04 qui sont quand même atypiques entre les sections 01 à 06 sur les questions de l’agrégation et que nous sommes un certain nombre de collègues – et je suis professeure donc je me permets de penser que je suis légitime pour le dire – pour la suppression de l’agrégation, j’aurais souhaité que vous interveniez là dessus. Je vous suis très bien Monsieur Nay sur nombre d’éléments que vous avez précisés sur la qualité de recrutement, sur les deux temps de qualification qui sont extrêmement nécessaires pour avoir de l’adéquation aux besoins. L’agrégation n’est pas du tout comme ça. On est dans un système complètement dérogatoire qui est une ineptie au XXIe siècle, vous me direz ce que vous en pensez.
Mon dernier point est plus transversal. Il me semble parfois qu’il y a une confusion entre la question de l’institution CNU et des dispositifs d’évaluation à l’intérieur du CNU. Il me semble que dans un certain nombre de cas nous discutons des critères d’évaluation qui sont nécessaires et qui, sans doute, se sont aggravés depuis trois ans. Vous avez donné cette temporalité Monsieur Nay et vous avez raison, il y a sans doute une crispation. Mais elle est liée aussi à la confusion entre l’évaluation et le CNU en tant que tel. Il y a une délégitimation du CNU parce qu’il y a des critères d’évaluation sur lesquels nous sommes de plus en plus nombreux à ne pas être d’accord. Cette obsession sur la bibliométrie, sur la recherche, sur le fait qu’on oublie l’ensemble de nos missions, qu’on mette sous le tapis sans doute un tiers ou la moitié de notre temps de travail sont un véritable fléau pour ce qui concerne l’évaluation et il faut vraiment ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.
Il y a une exception, et je reprends une remarque de Claire Guichet. Le CNU traite très mal la question de l’interdisciplinarité. On n’est plus dans la question évaluative tout à fait. Il me semble qu’il y a deux éléments de réponse ou d’explication là dessus. La première est qu’il y a un repli disciplinaire extrêmement fort pour des raisons que j’ignore. Je pense qu’il est quand même lié aux critères d’évaluation. Ces critères produisent le repli disciplinaire et empêchent l’interdisciplinarité au sein des sections du CNU telles qu’elles sont construites. Aujourd’hui, si la section 05 était plurielle ou pluraliste, nous se serions pas plusieurs centaines à exiger la construction d’une section interdisciplinaire. Ce repli identitaire nous oblige à essayer de réfléchir à cette question. Pour ne pas encore une fois jeter le bébé avec l’eau du bain nous avons plusieurs dispositifs pour y répondre. D’abord, comme le disait Raphael Romi, la possibilité de créer une section blanche. Ce n’est pas comme ça que vous l’avez évoqué mais on sait bien que c’est dans les cartons du Ministère. Je pense que la section blanche est tout à fait adaptée à des profils du type « droit de l’environnement » comme vous l’avez évoqué. On est en effet là sur des dispositifs un peu ad hoc dans lesquels on va piocher de temps à autre les ressources dont on a besoin pour essayer d’évaluer conjointement ou collégialement un dossier. Mais il me semble qu’il y a des dispositifs beaucoup plus structurels. Vous n’allez pas proposer cette section blanche pour 600 enseignants-chercheurs se réclamant de l’économie politique. Pour ceux-là, il n’y a pas de dispositifs. On peut alors créer une ou plusieurs méta-sections. Ça a marché à une période. Pourquoi ne pas en créer ? Simplement, pour un certain nombre de disciplines, il y a des urgences. Je ne crois pas du tout que le gouvernement aujourd’hui aura le courage de créer une méta-section, il faut aussi être un peu pragmatique.
Sinon je crois aussi qu’il faut laisser la possibilité de créer de nouvelles sections lorsque nous pensons qu’elles sont légitimes et urgentes à créer. Merci.
Raphaël Romi
Une autre solution est d’autoriser les recrutements locaux par les universités sans la qualification.
Olivier Ratouis
Bonjour, Olivier Ratouis je suis vice-président de la 24e section « urbanisme et aménagement de l’espace », plus précisément d’une section pluridisciplinaire. Elle n’est pas représentative en ce sens là de l’ensemble des sections du CNU mais en urbanisme et aménagement de l’espace nous avons des gens qui viennent de géographie, d’économie, de science politique, d’histoire, de manière très diverse et ça fonctionne bien, c’est plutôt intéressant. Je voulais dire que ça n’était pas forcément contradictoire.
La seconde remarque que je voulais faire est que supprimer la qualification signifie valoriser d’autres systèmes. Par exemple, on sait que si on veut devenir professeur d’Histoire, il faut être normalien et avoir l’agrégation. Il y a des réseaux, d’autres systèmes de fonctionnement. En philosophie ça existe également. Il faut faire attention à ce type de conclusion qui cache beaucoup de choses.
Isabelle Attard
Je vais terminer avant de passer la parole à Marie Blandin. Je voudrais juste parler du budget, parce que vous êtes plusieurs à nous avoir interpellé sur les priorités données à la précarité, priorités qui ne se retrouvent absolument pas dans le projet de loi ESR voté au mois de juillet mais qui se retrouvaient par contre dans les débats budgétaires cette semaine à l’Assemblée.
Je voulais vous dire que j’ai été seule pour qu’à l’intérieur d’un budget donné plusieurs millions aillent à l’université ou à la recherche, aillent aux fonds pérennes et non pas sur les appels à projet, que j’ai été seule pour me battre pour que l’université et les organismes de recherche vivent en faisant des choix politiques forts. Quand on fait des choix politiques cela signifie, dans un budget contraint, prendre là où il y a beaucoup d’argent pour en mettre là où il y en a moins. Cela s’appelle la répartition des richesses, c’est basique. Tout ce que je vais vous dire c’est extrêmement basique. Quand on est seule dans un hémicycle à se battre pour que plusieurs millions aillent là où il y en a besoin, pour qu’on arrête de payer Hadopi 6 millions d’euros et les donner aux créateurs, quand on se bagarre pour que le CEA, qui a un budget qui augmente de 14% en deux ans, participe un peu à l’effort national en donnant quelques millions à l’université et à la recherche, quand on se fait balayer tous ses amendements, il ne faut pas s’étonner.
Je vais vous donner un discours de citoyen. Il est simple. Vous avez tous des députés dans vos circonscriptions, vous avez tous des sénateurs. Il n’y a pas que les syndicats. Il n’y a pas que moi, Isabelle Attard, députée du Calvados, Corinne Bouchoux ou Marie Blandin, qui peuvent recevoir dans leurs permanences les syndicats ou les collectifs d’enseignants-chercheurs, de chercheurs, d’étudiants etc. On n’est pas les seules. Vous pouvez interpeller vos élus et aller leur expliquer ce qu’est la situation de l’université et de la recherche en France aujourd’hui. Si vous avez des choses à dire, si vous considérez que le budget n’est pas en adéquation avec ce que vous attendez du budget de la France, si vous considérez qu’il y a un manque, qu’il y a de la précarisation, qu’il y a des problèmes, à vous, simplement en tant que citoyen, pas en tant que Président d’université, vice-Président de CP-CNU ou conseiller municipal, d’aller expliquer cette situation à tous vos élus. Pour que la prochaine fois, pour le budget 2015, je ne sois pas seule dans l’hémicycle et que je sois comprise par mes collègues. Peu importe le parti politique, je ne suis pas là pour défendre une couleur, je ne suis pas là pour défendre EELV, je suis là pour défendre ce que j’aime, c’est-à-dire l’université et la recherche. Pour éviter que l’année prochaine je sois seule et que je passe pour une farfelue à essayer de donner de l’argent à l’université et à la recherche, à vous d’aller convaincre et d’aller expliquer les problèmes. Quand on se pose les questions budgétaires et qu’on parle de précarité et de priorité pour le budget de la France, il est nécessaire d’avoir son action à tous les niveaux.
Je vous remercie pour cette journée, merci à tous les intervenants de cette table ronde et je passe la parole à Marie Blandin. Raphaël, tu veux dire quelque chose ?
Raphaël Romi
Pour répondre à la question de l’agrégation, je l’ai passée quatre fois et je l’ai eu parce qu’un membre du jury était atypique. Je suis pour la suppression de l’agrégation, je suis pour le corps unique pour des raisons purement rationnelles.
Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).

3 avril 2014

Le système universitaire français : un système unique en son genre ?

Sénat - Un site au service des citoyensACTES du Colloque « La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs en France : enjeux et perspectives ». Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).
Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? »
Modérateur : M. André Gattolin, Sénateur des Hauts-de-Seine
Intervenants :
- Mme Emmanuelle Picard, Maître de Conférence à l’ENS Lyon
- M. Emmanuel Salmon, Attaché scientifique et universitaire à l’ambassade de Suède
- M. Jean Cordier, Président de la CP-CNECA.
André Gattolin
Merci Esther de ton intervention qui a déjà posé un certain nombre d’éléments du débat qui va venir, avec ton regard et ton expérience riche sur le sujet. Je me présente rapidement, je suis André Gattolin, Sénateur des Hauts-de-Seine, membre également de la Commission de la Culture, de l’Education et de la Communication. Corinne Bouchoux et Marie Blandin m’ont demandé d’être le modérateur de cette table ronde, ce que je fais bien volontiers auprès de vous et je vous remercie pour votre attention continue depuis ce matin. Le cadre de cette deuxième table ronde est : « Le système universitaire français, un système unique en son genre ? » Le sujet a déjà été évoqué par Esther Benbassa dans son intervention et il est vrai que cette coexistence pour les enseignants chercheurs français à la fois d’un système de qualification nationale, qui confère un statut de fonctionnaire d’Etat aux enseignants chercheurs et leur offre la garantie de l’existence et de l’appartenance à un corps national, et en même temps l’évolution de la gestion des universités depuis la loi LRU, l’autonomie et les marges de manoeuvre de plus en plus grandes données aux universités dans ce cadre permettent d’évoluer vers un système mixte qui distingue le système universitaire français. D’où l’intérêt aujourd’hui d’évoquer cette question avec ce qui est traditionnel en sociologie ou en sciences humaines, une approche comparative sur les systèmes qui sont mis en place et opérés dans d’autres pays. Nous avons à ce titre-là plusieurs intervenants, universitaires, spécialistes, connaisseurs à la fois du système français et d’autres systèmes étrangers pour les avoir pratiqués eux-mêmes.
D’abord je vais vous demander d’excuser très sincèrement Christine Musselin, Directrice Scientifique de l’IEP de Paris qui devait intervenir aujourd’hui sur les systèmes nord-américains et en particulier sur le modèle états-unien. Elle a été, pour des raisons totalement involontaires, empêchée d’être là parmi nous. Elle nous a demandé de l’excuser car le sujet l’intéresse très fortement. Nous avons néanmoins trois autres intervenants de grande valeur. Tout d’abord Emmanuelle Picard qui est maître de conférences à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon en Histoire contemporaine, qui travaille beaucoup sur la profession universitaire et sur les dispositifs d’évaluation. Elle connaît bien les systèmes suisses et hollandais mais elle nous fera une évocation des spécificités du système français notamment en termes de carrières au regard de ces exemples intra-européens. Je passerai la parole ensuite à Emmanuel Salmon qui est attaché à la coopération scientifique et universitaire à l’Ambassade de France en Suède. Il connaît donc extrêmement bien le système suédois et il a eu les mêmes fonctions en Finlande. Enfin, nous aurons l’intervention de Jean Cordier, qui va nous parler d’un système tout à fait particulier, celui qui régit le recrutement et la gestion des carrières attachées à l’enseignement agricole et agronomique auprès du Ministère de l’Agriculture et qui s’appelle la CNECA. Vous nous en parlerez car il n’est pas toujours connu, il s’agit d’une sorte de pendant du CNU qui a fonctionnement tout à fait particulier. Jean Cordier a accepté de suppléer à l’absence de Madame Musselin et nous parlera du système américain car vous avez fait votre doctorat à l’Université de l’Illinois, vous avez été professeur invité, vous avez beaucoup travaillé dans le cadre universitaire américain donc cela nous permettra de compléter ce point de vue.
On fera ensuite un système d’interactions. Peut-être qu’à la fin de chaque intervention les différents intervenants et Esther Benbassa voudront réagir et poser des questions, et puis on se tournera vers la salle pour entendre vos réflexions, vos points de vue et vos questions.
Je passe tout d’abord la parole à Emmanuelle Picard.
Emmanuelle Picard
Je vous remercie pour cette invitation au Sénat pour discuter de ce sujet sur lequel je travaille plutôt avec une perspective historique. Je parle donc en tant de chercheuse et non pas en tant que représentante d’un quelconque point de vue. Je me suis attachée à essayer de souligner quelles étaient selon moi, au regard des systèmes étrangers, les grandes caractéristiques qui permettent d’expliquer et de comprendre la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, c’est-à-dire une situation de tension très forte entre la tentative de mise en place d’un modèle proche de celui nord-américain avec des universités autonomes, et l’existence d’un corps national géré de façon réglementaire.
Si nous en sommes là aujourd’hui, c’est historiquement grâce à Napoléon puisque les universités françaises ont connu une rupture essentielle et originelle qui a été leur disparition en 1793 et leur refondation par Napoléon en 1808. On a tendance à penser que ce n’est pas un hiatus mais c’en est un très fort. En effet, les universités créées par Napoléon en 1808 n’ont absolument rien à voir avec les autres universités européennes. Ce sont en fait des lycées. Elles sont intégrées dans un système que l’on appelle l’université impériale et qui ne distingue pas l’enseignement secondaire de l’enseignement supérieur. Il est très important de garder cela en tête car il y a bien aujourd’hui encore une question sur la distinction et la coupure entre l’enseignement supérieur et l’enseignement secondaire en termes de service public, de maillage du territoire, de corps national enseignant, de diplômes nationaux. Ce sont des réalités qui pour nous sont toutes très naturelles et qui sont absolument incompréhensibles pour la plupart des pays étrangers ayant un fonctionnement dual dans lesquels on ne forme pas les professeurs d’université de la même façon qu’on formerait les professeurs du secondaire comme en Allemagne par exemple. En France il n’y a pas de rupture, ce sont les mêmes individus qui potentiellement pourraient prétendre à la poursuite d’une carrière. Ce sur quoi je veux insister dans cette introduction est que nous sommes les héritiers d’une tradition biséculaire qui est constitutive de la façon dont fonctionne le système d’enseignement supérieur. Il faut en être extrêmement conscient, connaître ce que cela implique et quels sont les choix qui en résultent si on veut penser à le réformer. Je suis frappée de voir, dans les débats sur les réformes depuis une dizaine d’années, comment les exemples étrangers sont systématiquement utilisés sans qu’ils soient ramenés à leur spécificité. Cela ne signifie pas qu’il faille continuer la tradition, cela signifie simplement que si l’on veut réformer il faut penser ce que nous sommes, ce que nous voudrions être et pourquoi les autres ne sont pas comme nous, fondamentalement et historiquement. Peut-être qu’alors nous pourrons trouver des solutions.
Dans le système français la vraie fracture est 2007. La loi LRU crée une situation sans précédent : les universités disposent de leur autonomie et en particulier de leur autonomie en termes de gestion de leur masse salariale, en termes de ressources humaines. C’est une rupture absolue et je dirais même une rupture extrêmement forte puisqu’elle va à l’encontre de l’existence d’un corps national. Il existe une antinomie entre les deux qu’il va falloir résoudre. Cet effet de centralité s’est incarné et s’incarne dans le CNU, une institution totalement atypique. Effectivement les italiens nous l’envieraient ou nous copieraient, mais nous pourrions discuter également du système italien qui est encore plus ossifié que le nôtre. En revanche, si l’on parle du CNU à tout autre universitaire de tout autre pays, il est aussi difficile de lui expliquer ce que c’est que de lui expliquer ce qu’est l’agrégation ou l’Ecole Normale Supérieure, qui sont pour lui des réalités qui n’existent pas. On peut trouver uniquement des paraphrases. Lorsque j’écris des articles en anglais il faut que j’explique ce dont je parle et je vous assure que c’est extrêmement compliqué pour mes traducteurs. Nous discutons pendant des heures sur les paraphrases qui vont restituer la réalité d’un dispositif qui n’existe nulle part.
Revenons au CNU qui est vraiment l’objet de mes recherches. J’avais lancé une enquête auprès de mes collègues pour savoir de quand datait selon eux le CNU et aucun n’a trouvé la bonne réponse. Je daterais le CNU d’un texte de 1890. Evidemment il ne s’appelait pas CNU mais c’est le texte de 1890 qui met en place des listes d’aptitudes aux qualifications et aux fonctions de maître de conférences. On ne va pas rentrer dans les détails mais le procédé qui consiste à considérer qu’il y a la nécessité de déterminer, dans une instance centralisée, ceux qui sont aptes et ceux qui ne sont pas aptes à occuper des fonctions d’enseignement dans les universités date des années 1890. Evidemment le système s’est complexifié mais, en tant qu’historienne, je crois qu’il a contribué à créer de grands cadres très spécifiques à l’organisation française et sur lesquels il faut réfléchir. Ce sont sur quatre grandes questions que je vous propose de réfléchir.
La première de ces questions est la question des disciplines. Tous les gens qui font de l’histoire des sciences, qui travaillent sur les sciences de l’enseignement, savent que ce sont des éléments structurants. Ce ne sont pas seulement des principes déclaratifs mais bien des principes organisationnels. Les travaux des historiens des sciences sont souvent axés sur la notion d’institutionnalisation d’une discipline, sur la façon dont une discipline lutte pour obtenir sa représentativité au sein des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, et il y a de nombreux procédés pour obtenir cette institutionnalisation. La France, est différente des autres pays dans lesquels les procédés sont des procédés de régulation qui évoluent avec le temps et qui sont assez plastiques d’une certaine façon. Il y a une institution qui permet la reconnaissance institutionnelle et qui s’appelle le CNU. Cela crée un rapport au savoir et à l’organisation des sciences très intéressant parce que l’on part de quatre sections en 1890, Lettres, Sciences, Droit et Médecine, et on arrive à environ 70 sections par un mécanisme de division cellulaire avec différentes périodes de crise pendant lesquelles on discute très férocement pour savoir si l’on va pouvoir diviser la philosophie en philosophie et sociologie par exemple - c’est le débat des années 1960 - ou si l’on va créer la biologie moléculaire.
Cette logique de division est de plus en plus fine avec en plus un procédé très intéressant à partir de 1970. On gouverne cette division des sciences par arrêté et non plus par décret pour pouvoir être très rapide, plus efficace et avoir moins de difficultés à le mettre en oeuvre. Ce n’est pas un simple effet d’organisation et cela crée ce que j’appellerai, en reprenant les travaux de Christine Musselin qui avait commencé à travailler là dessus, des logiques de silo disciplinaire. On a plusieurs silos comme les historiens, les minéralogistes, les physiciens des particules. On se sent soi-même appartenir à un silo et non pas à une institution qui serait par exemple l’université de rattachement pour des raisons très simples. Ce silo disciplinaire détermine la totalité de votre carrière puisque vous êtes docteur d’une discipline, qualifié dans cette discipline, vous êtes recruté dans un poste de cette discipline, évalué par le CNU de la section de cette discipline, donc pouvant atteindre la classe exceptionnelle au sein de cette même section. Vous restez parmi cette section, c’est votre univers mental. Votre fidélité est là et non pas à l’université qui peut finalement peu pour vous. Ces silos ont, pour moi, un effet extrêmement perturbateur sur le mode de fonctionnement scientifique car ils rendent très problématique toute possibilité d’interdisciplinarité. C’est pour cela que j’aime beaucoup quand Mme Benbassa rappelle l’institution dont elle est membre. Pourquoi y a t’il l’EHESS et le CNRS ? C’est bien parce qu’il était impossible au sein de l’université de créer un certain nombre de nouvelles disciplines du fait de cette gestion. On met en place l’EPHE en 1968 et la qualification n’est pas nécessaire. On met en place le CNRS en 1939 et là encore la qualification n’est pas nécessaire. On crée à ce moment là des lieux où la pluridisciplinarité devient possible. L’étude du genre par exemple, les gender studies, qui ont mis si longtemps à s’imposer en France, où se sont-elles développées ? A l’EHESS, parce que c’est un lieu où l’on reconnaissait cette approche disciplinaire. Le CNRS a été un lieu où se sont développées énormément de disciplines frontalières car il n’y a pas ce problème de découpage et de développement des carrières à l’intérieur d’un silo. Il y a des effets épistémologiques à l’existence d’une institution de la nature du CNU et c’est donc le premier point sur lequel il faut réfléchir.
L’autre problème à mon sens est le problème de la responsabilité. Qui est responsable de l’avenir de la communauté universitaire et à quel niveau, à quelle échelle se joue l’idée qu’on puisse avoir une opération de prospective, d’anticipation, de gestion des besoins ? Je ne parle pas des questions de politiques nationales, je parle véritablement d’une logique de gestion des universitaires, de l’offre d’enseignement et du développement de recherches qui sont concurrentes. La logique en silo est problématique car elle crée une opposition irréductible entre un fonctionnement vertical et un fonctionnement horizontal qui serait celui au niveau des établissements. Dans les autres pays, la logique de rattachement et la responsabilité de l’universitaire est vis-à-vis de son établissement. Elle est d’abord vis-à-vis de son département, puis de la faculté, puis vis-à-vis de l’établissement dans son ensemble. Il n’est pas anodin qu’aux Etats-Unis, en Suisse ou en Hollande par exemple les membres du département soient ceux qui recrutent leurs futurs collègues. La question des extérieurs ne se pose pas. Elle n’est pas pertinente. Des personnalités extérieures peuvent être sollicitées parfois mais cela se fait très en amont du dispositif lorsque l’on veut un avis sur la qualité scientifique de quelqu’un qui travaille sur des spécialités qu’on ne connaît pas. Néanmoins tout le processus de recrutement sera géré intégralement par les membres du département impliquant également des étudiants. En Hollande un représentant des étudiants est présent dans les comités de sélection et peut mettre son veto au recrutement d’un candidat. Pourquoi ? Parce que dans toutes ces universités il y a des comptes à rendre vis-à-vis de son dean, de son doyen, et de son Président d’université. L’allocation des moyens sera fonction des résultats du département et de son attractivité. Si vous faites de mauvais recrutements, vous n’aurez donc pas d’argent. Apparaît donc une responsabilité commune à faire des choix qui soient de bons choix. Cela ne se fit pas seulement dans une logique mercantile parce qu’on voit dans de grandes universités de la Ivy League - qui en sciences humaines ne sont pas plus tournées vers la production d’un savoir appliqué que nous - des pratiques identiques. C’est une idée d’attractivité au sens où il faut produire des gens qui sont de bons chercheurs et de bons enseignants et qui vont pouvoir permettre de faire vivre un département. En France il n’y a aucune construction de ce type. Les conseils UFR ne sont pas dotés d’une personnalité qui leur permettrait d’arbitrer par exemple sur la prospective des postes. On ne dit pas quels sont les réels besoins ni comment on les articule. Chaque discipline lutte pour obtenir son poste. C’est pour cela que j’ai trouvé extraordinaire ce qu’a dit Gilles Denis ce matin lorsqu’il a dit qu’il fallait gérer le recrutement au niveau des disciplines. Monsieur Denis vous dites en résumé que le CNU est la science et que les universités sont l’administration. Moi je dis que c’est aux universités de s’emparer de la dimension scientifique. Pourquoi la dimension scientifique serait-elle uniquement gérée au niveau national ? Elle doit l’être au moins à deux niveaux.
Concernant le processus en lui-même, je pense que mes collègues vont en parler plus en détail et j’en ai déjà dit quelques mots. Je voudrais souligner tout de même que le processus français est un processus qui déresponsabilise. Je suis très frappée, et quelqu’un le soulignait ce matin, par notre schizophrénie. Pourquoi serait-on de bons évaluateurs au CNU et de mauvais évaluateurs dans les comités de sélection ? Je refuse de penser que ma parole serait une parole d’une objectivité scientifique très grande lorsque je suis dans une instance centrale et que je recruterais que sur d’autres critères. Cela voudrait dire que je suis schizophrène, ce que je ne souhaite pas être. Vous aurez bien compris que personnellement je ne soutiens pas la qualification parce qu’elle entraîne une déresponsabilisation. On a beaucoup parlé de la question du doctorat et là aussi ne soyons pas schizophrènes. Si nous faisons soutenir des doctorats c’est que nous pensons qu’ils peuvent être reconnus comme tels. Ils n’ont pas besoin d’être qualifiés ailleurs. C’est aux membres des comités de sélection de savoir si ces doctorats là les intéressent et leur plaisent. Cessons de penser là aussi qu’on fait bien au CNU et mal dans les jurys de thèse. C’est peut-être le cas mais c’est alors grave, cela signifie qu’on n’est pas responsable. Cela déresponsabilise également le comité de sélection qui fait confiance au CNU qui a qualifié le candidat. Madame Benbassa nous a donné des chiffres. En vérité c’est bien plus fort que cela. La section de droit public qualifie 22% des dossiers, la section optique en qualifie 86% et ce n’est pas parce qu’il y a trois candidats dans un cas et cent dans l’autre. On a des pratiques qui sont très hétérogènes.
Enfin, cela pose la question du droit public. Cette section qualifie à 22% et décide de fonctionner comme un jury. Or, dans l’histoire du CNU, l’une des grandes luttes obtenues par les syndicats au début des années 1980 est justement qu’il y ait une déconnection entre le processus de qualification et le nombre de postes attribués. Jusqu’aux années 1980, le CNU avait la charge de qualifier le nombre de gens en fonction des postes disponibles. Le CNU faisait donc office de jury national de recrutement. Les syndicats ont voulu lutter contre cette prérogative et ont obtenu qu’en 1987 les listes de qualification soient progressivement complètement libérées de ces obligations. La question est maintenant de savoir pourquoi certaines sections du CNU continuent de s’arroger le droit de faire office de jury national quand d’autres ne vont pas intervenir dans le processus de choix. Cela crée une hétérogénéité qui est un vrai problème. Pourquoi pas une procédure de recrutement nationale des enseignants chercheurs ? Si le CNU doit servir à quelque chose c’est à recruter les enseignants-chercheurs.
André Gattolin
Merci beaucoup pour cette intervention très dynamique et très vivifiante et qui met beaucoup de choses en perspectives. Je me tourne vers Emmanuel Salmon. D’autres aspects dans les pays nordiques sont mis en place. Vous connaissez bien le système français pour avoir été chercheur au CNAM. Je vous donne la parole.
Emmanuel Salmon
Merci Monsieur le Sénateur. Merci à Mesdames les Sénatrices de me donner l’occasion de ce petit voyage express où je repars tout à l’heure. Je m’excuse par avance de ne pouvoir suivre la prochaine table ronde mais mon avion ne m’attendra pas. Je fais partie de ces gens qui ont passé un doctorat il y a vingt ans et qui n’ont pas choisi la voie royale, la voie de maître de conférences mais je suis quand même fonctionnaire de ce formidable Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche dans la branche des IGR. Je connais moins bien le système français puisque je ne suis pas passé par les affres de la qualification à l’époque et je pense que je n’aurais pas été qualifié puisque j’ai fait une thèse en contrat CIFRE, avec une société extrêmement à cheval sur la propriété industrielle, la réputation du milieu la disait la deuxième en France la plus secrète après cette grande entreprise proche de Saint-Etienne que tout le monde connaît. Donc je n’ai rien publié pendant toute ma thèse, je n’ai pu faire aucune communication à un congrès et ensuite le brevet qui a été déposé l’a été au nom de mon chef bien sûr et non le mien. Si j’avais dû faire valoir mes mérites pour être qualifié je pense que je ne l’aurais jamais été. Je n’étais probablement pas le meilleur chercheur du monde, je ne suis d’ailleurs plus chercheur mais j’espère que je n’étais pas le plus mauvais non plus. Une autre voie s’est ouverte. Ça ne m’a pas empêché de faire de la recherche mais du côté des ingénieurs de recherche et d’être depuis cinq ans dans ce qui s’appelle le réseau extérieur de la France, comme attaché scientifique d’abord en Finlande entre 2008 et 2012 et depuis plus d’un an en Suède à Stockholm. On m’avait contacté pour que je parle de la Suède, ce que je vais faire, mais pour le même prix je vais vous parler un peu de la Finlande parce qu’il y a des similitudes.
Je vais être très technique. Je suis content de revenir en France parce qu’un nordique sans powerpoint ça n’existe pas, et ici je vois que je suis le seul à avoir fait un semblant de powerpoint. Vous en excuserez le caractère spartiate. Il y a peu de choses, il vous donnera des éléments de contexte. Un petit élément de contexte sur le paysage universitaire pour vous rappeler qu’on parle d’un petit pays, ils le disent eux-mêmes, même si les Suédois le disent moins que les Finlandais. On est un peu plus de 9 millions d’habitants en Suède, un peu plus de 5 millions en Finlande. Ces pays ont quand même un peu plus d’une cinquantaine d’établissements d’enseignement supérieur dans le cas de la Suède et un peu plus d’une quarantaine dans le cas de la Finlande dont seize universités en Suède et huit qui sont des « grandes écoles » selon la traduction littérale. Elles fonctionnent comme des universités mais n’en ont pas le titre. Le titre d’université a longtemps été réservé aux établissements qui avaient le droit de délivrer le doctorat. Depuis quelques années maintenant, les grandes écoles, l’autre partie du corps universitaire, a le droit de demander l’autorisation au gouvernement de délivrer des doctorats dans certaines disciplines. Si ces grandes écoles se spécialisent dans une problématique particulière, dans une discipline dans laquelle elles acquièrent au niveau national voire international une reconnaissance, elles peuvent demander l’autorisation de délivrer le doctorat. C’est le cas de huit d’entre elles, ce qui fait qu’on peut presque considérer qu’on a 24 universités. Sur ces 24 nous en avons trois qui ont un statut privé et en tout, sur la cinquantaine d’établissements, 13 ont un statut privé. On peut avoir des universités privées en Suède et en Finlande. Le paysage finlandais est un peu différent au sens où il est très nettement coupé en deux branches, une branche universitaire et une branche qui s’appelle « les AMK », je vous épargne le nom en finnois. C’est la branche dédiée aux formations appliquées au niveau professionnel. Vous avez 14 universités actuellement en Finlande, il y en avait 20 quand je suis arrivé en 2008. On réduit par fusion avec une pression assez forte du gouvernement qui veut un nombre limité d’universités profilées, c’est le mot à la mode. Il faut se profiler et se spécialiser pour obtenir une certaine visibilité dans des champs disciplinaires. Il y a une réforme en cours sur les 25 AMK actuels et l’objectif clairement affiché du gouvernement est de les passer en dessous de 20 à l’issue de cette réforme qui devrait se terminer à la fin 2014. C’est un paysage relativement simple.
Vous parliez tout à l’heure de la difficulté d’expliquer ce qu’est le CNU. Une partie de mon travail est d’expliquer aux étudiants nordiques et de les inciter à venir étudier en France en leur montrant comme c’est formidable. Je peux vous dire que ce n’est pas gagné d’avance. C’est d’autant moins gagné d’avance quand il faut leur expliquer ce qu’est une Grande Ecole, ce qu’est un IUT. Ils savent très bien ce qu’est une université, le reste est complètement différent. Il y a pas mal d’étudiants nordiques qui viennent étudier ici donc cela montre qu’il y en a qui comprennent le système, qui comprennent l’intérêt de venir étudier dans un pays comme la France malgré les stéréotypes par forcément très positifs qu’on peut avoir dans ces pays-là. On n’est pas en pays conquis, loin de là. Il faut aller dans les pays du nord pour entendre que la France est un pays du sud. On est dans le même sac que les Italiens, les Grecs, les Espagnols avec tout ce que ça entraîne comme association, y compris au niveau de la qualité de l’enseignement supérieur et de la qualité de la recherche. Ceux qui connaissent un peu mieux savent qu’on a des domaines d’excellence et on trouve d’excellentes équipes mais pour le commun des mortels on se demande pourquoi aller faire des études en France dans un pays du sud alors qu’on peut aller en Grande-Bretagne par exemple. Le système, c’est à peu près Bologne. J’ai noté de façon provocatrice « Bologne avec retard pour la Suède et avec spécificités pour les deux pays ». Avec retard, parce que les Suédois ont pas mal traîné les pieds pour instaurer Bologne. Ils ont encore quelques diplômes à des niveaux intermédiaires par rapport au bac+3, bac+5, bac+8. Une des spécificités de ces deux pays et des pays nordiques en général, c’est d’avoir un diplôme intermédiaire entre le master et le doctorat qui s’appelle le « licenciat ». Je vous ai mis à chaque fois les noms en suédois et en finnois. Ils ont aussi un doctorat qui est en quatre ans. Cela pose des problèmes quand on veut faire des cotutelles mais cela répond à un des points qui a été évoqué ce matin. Dans ce doctorat en quatre ans les étudiants ont obligatoirement 60 ECTS, c’est-à-dire une année complète de formation sous forme d’ECTS, et parmi eux ils ont obligatoirement des ECTS de pédagogie. Et un doctorant dans une université nordique donne obligatoirement des cours. Ils ont donc une formation pédagogique au cours de leur formation de doctorat qui fait qu’après l’obtention de leur doctorat on considère qu’ils ont déjà une certaine expérience pédagogique acquise, validée par des ECTS. Ce n’est pas négligeable.
Comparaison n’est pas raison, on est d’accord. On a toujours des visites de parlementaires notamment, mais pas seulement, qui voudraient toujours trouver des solutions chez nous mais on ne peut pas forcément les importer. On ne peut pas notamment car on parle là d’établissements très autonomes. Depuis les années 1990 cette autonomie s’est mise en place et est allée assez loin parce que la dernière réforme universitaire en Finlande par exemple a entièrement transféré les personnels qui étaient des fonctionnaires de l’Etat sous statut de droit privé avec un contrat avec leur université. Ce sont des pays où il ne reste pas beaucoup de fonctionnaires contrairement à l’idée qu’on se fait peut-être ici. Ce sont ici des agents publics certes mais ce ne sont pas des fonctionnaires. Donc il y a une forte autonomie et une attente forte, à la fois des gouvernements et de la société, d’une stratégie pour les établissements. On leur demande d’établir une stratégie dont ils pourront se prévaloir lorsqu’ils recevront leurs moyens pour essayer de la mettre en oeuvre. Il faut aussi savoir que les relations de travail sont entièrement différentes. On fonctionne beaucoup avec des systèmes d’accords centraux entre les représentants des universités qui sont organisés en syndicats. Imaginez la CPU comme un « syndicat » d’université. Vous avez en face d’eux un syndicat au niveau national qui représente les personnels académiques, et tout ça se décline au niveau de l’établissement avec des accords locaux et avec l’individu dans une sorte de contrat individuel où on va notamment décider de la répartition du temps d’enseignement, du temps de recherche, du temps administratif obligatoirement. On ne nie pas l’existence de ces tâches administratives, cela fait partie du travail d’un enseignant. Ils ont ce qu’ils appellent la troisième mission, qui est la mission de rayonnement et de diffusion vers la société que ce soit par les relations extérieures ou par le transfert de la recherche. Ces trois missions sont essentielles, de même que la partie administrative. La place des syndicats et la place des étudiants, vous l’avez dit Emmanuelle Picard, est absolument essentielle. Il n’y a pas un organe dans lequel il n’y a pas de représentant étudiant. Y compris lorsqu’il va s’agir de mettre sur pieds une commission de recrutement pour recruter un professeur. Vous avez obligatoirement au moins un représentant étudiant.
Si on part donc de cette autonomie qui les caractérise, comment se passe grosso modo le processus de recrutement ? Il y a une décision de recrutement qui est prise par l’université sur proposition de la faculté, c’est-à-dire que c’est au département, compte tenu de ses besoins, de ses ressources, de ses moyens et de sa stratégie de développement, d’estimer qu’il y a besoin par exemple d’un nouveau maître de conférences. Là-bas cela s’appelle des lecteurs d’université pour être plus précis. Si le département arrive à convaincre son université, le poste est ouvert au recrutement. C’est un recrutement pour lequel une publication très large est faite, interne et externe, parce que la publication d’un poste peut aussi servir à la promotion interne. Si on ouvre un poste de professeur, peuvent candidater les maîtres de conférences sur place pour devenir professeur. Même s’ils ont d’autres moyens de promotion, c’en est un également. Je veux juste vous montrer le journal de la semaine dernière, l’équivalent du Monde local. Dans les pages « recrutement » on pouvait voir des annonces de l’Université de Luleå. C’est à 900km au nord de Stockholm, tout près de la frontière avec la Finlande, on est quasiment aux confins du cercle arctique. C’est une université plutôt technologique, qui s’est spécialisée dans ces domaines-là, et notamment, sans surprise, dans tout ce qui touche aux mines et à l’extraction du minerai, compte tenu de l’activité du nord de la Suède. Il y avait quatre doubles pages comme celles-ci de recrutements. Il y a des docteurs, des professeurs, des maîtres de conférences. On recrute les docteurs et les post-doctorants de la même façon, en faisant une très large publicité. Ensuite on remplit son dossier en ligne. On est dans des pays dans lesquels tout est dématérialisé. Vous avez un guide qui vous donne tous les éléments à fournir. Vous devez justifier de votre doctorat par exemple, mais vous avez la possibilité, si vous n’avez pas de doctorat, de faire valoir que vous avez quand même des compétences qui vous permettraient d’occuper le poste. Vous avez en même temps le modèle des conditions générales de l’accord de l’université qui régissent la façon dont vous allez être examiné, selon quels critères, sachant qu’on insiste fortement sur le fait qu’on évalue aussi bien l’aspect pédagogique que les capacités scientifiques et toutes vos autres activités. Une activité très prisée des nordiques est l’activité syndicale, d’association, dans un parti politique. Ça rentre dans ce qui peut vous donner des points parce que ça montre votre intégration dans la société. Tout à l’heure vous avez parlé du fait que justement c’était le département qui recrutait les futurs membres du département, comme une question d’attractivité. C’est aussi vu comme une question de collégialité. Vous allez travailler avec eux et ils vont travailler avec vous. Ils ont envie de savoir qui vous êtes et de vous évaluer car vous allez former un collectif. Ce sont des pays dans lesquels le collectif est quelque chose de très important. On fait une short-list pour déterminer ceux qui passeront les entretiens et puis vous avez une mise en situation. Vous avez des leçons qui sont ouvertes à tous les étudiants de l’université où vous allez avoir trois fois, quatre fois, cinq fois, pendant trente à cinquante minutes, quelqu’un qui va venir vous faire un faux cours. Il va donner les prérequis nécessaires, il va faire le cours, poser des questions. Dans la salle il y a aussi bien le public que les membres du jury, y compris des étudiants, et c’est un élément de votre dossier de candidature. Bien entendu, on ne néglige pas non plus les conditions de diplôme. Il y a ce qui serait l’équivalent du mot de qualification en suédois ou en finnois qui est la notion de compétence. Pour pouvoir être professeur ou maître de conférences vous devez être déclaré, qualifié comme compétent. Les ECTS en pédagogie je vous les ai mentionnées. La parité est obligatoire. Pour recruter un professeur par exemple, il est obligatoire d’aller chercher les avis dans au moins deux ou trois universités autres auprès d’experts du domaine auxquels on va demander de faire une sorte de review sur la personne en question. Si vous demandez cet avis à plus d’une personne, vous devez obligatoirement avoir autant d’hommes que de femmes. Même chose pour la composition de l’ensemble des comités de sélection. Les Suédois en particulier sont extrêmement à cheval sur les questions de parité et c’est donc assez différent par rapport à nous.
Je vais juste terminer par un point qui m’est venu ce matin lors de la première table ronde. On a parlé de confiance et on a entendu que le CNU était notamment une façon d’éviter le localisme, le népotisme etc. Je pense que c’est une différence de mentalité extrêmement forte entre les pays nordiques et nous, c’est que nous fonctionnons beaucoup sur une société très défiante et l’Etat est là pour faire en sorte qu’on ne se conduise pas mal. Le niveau national est là pour qu’on évite les dérives du niveau local. Les systèmes nordiques fonctionnent globalement beaucoup sur la confiance, et c’est sans doute une des différences culturelles qui fait que les systèmes nordiques ne seront pas facilement importables dans nos problématiques françaises. Je suis à votre disposition pour en discuter.
André Gattolin
Merci beaucoup pour cette intervention qui nous élargit là encore le panorama. Je note cette chose qui est l’importance accordée aux étudiants dans la sélection. Je le dis car c’est vrai qu’on a une certaine conception, et je vais peut-être en choquer certains, dans tout ce qui relève du service public, d’une copropriété entre l’Etat et une représentation légitime, je ne mets pas ça en cause, des syndicats, des organisations professionnelles, des gens qui travaillent. Mais les usagers sont systématiquement oubliés. Je dis ça parce qu’avec ma collègue Isabelle Attard et le soutien de mon groupe, nous sommes arrivés, dans la loi sur l’audiovisuel public, pour la première fois, à faire introduire dans les conseils d’administration des sociétés de programme nationales, publiques, les représentants des usagers. Ça fait trente ans qu’on le réclame et à chaque fois on nous disait que c’était impossible. On a trouvé un système compliqué mais qui permet, à travers des associations de consommateurs reconnus, d’avoir des gens qui sont finalement aussi des payeurs, des utilisateurs, des usagers, des citoyens, qui ont leur mot à dire dans l’organisation des structures publiques. Je trouve qu’en France on est passé longtemps dans un système géré par l’Etat avec un contre-pouvoir en la personne des représentants syndicaux, et il est nécessaire qu’ils soient là, avec au fur et à mesure du temps l’Etat déléguant au privé, au marché, dans tous les domaines du bien commun et ça pose un certain nombre de questions, en oubliant complètement qu’il y a des usagers et ces usagers sont souvent aussi ceux qui sont souvent à la base du financement qui existe puisque c’est un financement public. Je souligne ça parce que dans vos interventions précédentes vous nous avez donné des cas, que ce soit la Hollande ou ici la Suède, où cette reconnaissance, y compris dans le processus de sélection des enseignants, est essentielle.
Je passe la parole à Jean Cordier qui va avoir la triple nationalité, française, agricole et américaine, pour nous élargir encore ce panorama comparatif.
Jean Cordier
Merci de votre invitation à participer à cette table ronde, je suis très honoré. Je vais plutôt parler en tant que praticien du recrutement et de la promotion. Je ne suis pas la personne qui a pris le recul historique sur « d’où venons nous et où allons nous », mais j’ai été très intéressé par un certain nombre de remarques qui ont été faites par ma voisine de gauche et sur ce qui se passe dans les pays nordiques de l’Europe.
Très rapidement, personnellement je suis professeur de gestion dans une grande école d’agronomie qu’on appelle Agrocampus Ouest, mais pour tout vous dire j’ai commencé ma carrière comme cadre d’une entreprise privée. Je suis venu à la carrière académique sur le tard. Sur le tard ça veut dire que j’ai été amené à faire un doctorat dans l’Université de l’Illinois fondée par Abraham Lincoln. Il a pris son crayon pour dire « je la mets entre Springfield et Chicago », au milieu de nulle part, c’est la grande plaine, il n’y a rien. J’ai cette expérience d’avoir fait ma thèse aux Etats-Unis et j’ai beaucoup d’amis qui sont restés aux Etats-Unis comme universitaires et qui sont devenus des Full Professors des professeurs réputés, audités par le Sénat américain sur les sujets sur lesquels ils travaillent. J’ai donc pu observer la carrière d’amis. J’ai même participé à des recrutements aux Etats-Unis quand j’étais à l’université. En rentrant des Etats-Unis j’ai travaillé à l’ESSEC, une école privée. C’est l’ESSEC qui a financé mon doctorat. Enfin ce n’est pas l’ESSEC si je veux être précis, c’est la Johnson Wax, une entreprise privée dont le siège est à Chicago. C’est la relation entre les Grandes Ecoles et les entreprises qui a financé mes études aux Etats-Unis. En rentrant j’ai donc travaillé treize ans à l’ESSEC avant, comme je suis breton d’origine, de trouver un poste dans la fonction publique dans une école d’agronomie, et j’ai pu observer les systèmes de promotion dans les écoles de commerce parisiennes et dans le milieu public de l’agriculture. Je suis fonctionnaire du Ministère de l’Agriculture.
En poursuivant ma carrière, j’ai aussi été élu à la CNECA qui est la Commission Nationale des Enseignants-Chercheurs de l’Agriculture. C’est un petit CNU puisque nous sommes 1000 enseignants chercheurs à peu près dans cet organisme. J’ai été élu président de la section 9, c’est à dire tout ce qui est Sciences Humaines. Ça va de l’économie, la gestion, jusqu’à la sociologie et les sciences de l’éducation, les géographes humains. J’ai été élu Président de cette section il y a quelques années et, depuis deux ans, je suis Président de la Commission Permanente des dix sections qui est chargée de l’harmonisation des règles de fonctionnement et des usages. Chaque section avait pris ses habitudes et il fallait chercher à harmoniser le mode de fonctionnement des recrutements et des promotions entre sections.
Je vais témoigner du fonctionnement de la CNECA. La CNECA fonctionne par sections. En termes de recrutement nous observons les postes qui ont été ouverts dans les différentes écoles du Ministère de l’Agriculture. Il y en a 23 je crois. Chaque établissement décide de ses postes et nous les étudions, les recevons et nous donnons un avis sur les jurys de concours. Il n’y a pas de qualification dans notre système. Les concours sont ouverts à la demande des établissements dans le cadre d’une confrontation des différents départements qui avancent leurs stratégies et leurs besoins. C’est une période chaude annuelle, c’est le moment d’ailleurs où le conseil enseignant est au grand complet car c’est très important. Les ressources humaines sont très importantes, presque plus importantes que les ressources financières. C’est le grand moment de l’école qui décide des postes qui vont être demandés pour l’année suivant. La CNECA reçoit les postes ouverts et nous avons un avis à donner sur la composition des jurys. Les jurys étant constitués à 2/3 de personnes locales, 1/3 d’enseignants de même grade, maître de conférences ou professeur selon le type de poste, et un 1/3 de gens issus de centres de recherche comme l’INRA ou l’INSERM. J’ai oublié de dire que nous avons les sections d’agronomie mais aussi deux sections de vétérinaires. Nous donnons donc un avis sur les jurys de concours, avec un point non négligeable c’est l’équilibre des genres. Nous avons une demande officielle d’équilibre homme/femme dans les jurys de concours. J’ai été retoqué il n’y a pas très longtemps, il y a deux ans, sur un jury que je proposais. On m’a dit que j’avais mis autant d’hommes que de femmes sauf qu’il y a plus de titulaires dans le jury homme que dans le jury femme. Donc vous voyez qu’on peut avoir l’équilibre et être critiqué. J’avais bien fait mon jury mais il a fallu que je fasse des changements. C’est important mais j’en souris un peu car je commence à avoir des demandes d’exemption de jurys qui sont constitués de plus de femmes que d’hommes. La profession se féminisant à toute vitesse, je pense que je vais défendre l’équilibre parce que ça nous sauvera dans quelques années (rires). On donne donc un avis sur la qualité des gens et on donne aussi des autorisations à concourir. Nous avons des règles de diplômes requis, qui sont administratives, des thèses pour les maîtres de conférences, des HDR pour les professeurs. Nous avons les candidats étrangers qui connaissent la thèse mais pas la HDR, et chez les vétérinaires c’est encore plus compliqué. Nous pouvons donc donner des autorisations à concourir en fonction des éléments qu’on peut trouver dans le dossier, en particulier pour les étrangers. On a cette latitude.
Question
Excusez moi, y a t’il beaucoup de recrutements étrangers ?
Jean Cordier
Quelques-uns, oui. Nous avons des enseignants canadiens, européens qui viennent. Je ferai tout de suite une remarque. Lors de ces recrutements, parce que nous avons des établissements qui ont des réputations graduées, il peut y avoir une gradation de qualité des candidats qui peuvent avoir un intérêt pour telle école par rapport à une autre, pour Paris par rapport à la province, ça joue un petit peu. Ce que je voulais dire c’est que parfois, ayant participé à de nombreux jurys de concours, il y a de la sélection adverse. Le jury va se préoccuper de la durée de vie de l’enseignant chercheur dans l’établissement. Et moi je critique toujours les gens qui ont une vue longue car on n’est pas recruté dans un établissement pour y rester. La richesse vient du mouvement, de l’évolution, et quelqu’un qui me dirait qu’il fera sa carrière ici, je ne le prendrai surtout pas. C’est rédhibitoire, je ne veux pas de quelqu’un qui met des pieds dans les chaussons et qui pense qu’il restera toujours là. C’est la circulation dans différents établissements en France et à l’étranger qui donne la richesse et la qualité d’un bon enseignant chercheur à mon avis. J’aperçois que dans les établissements on a cette vision de recruter quelqu’un pour trente ans. Quelle horreur ! Il faut recruter quelqu’un pour le temps qu’il jugera bon d’apporter. Ce sont des expressions pratiques que j’évoque là.
Ensuite le concours a lieu. Je change de casquette. J’ai participé à un bon nombre de concours parce qu’il fut un temps, mais il est révolu, où il fallait absolument un membre de la CNECA de la discipline dans le jury de concours. C’était obligatoire. Cette obligation a disparu il y a quatre ans. Je suis donc beaucoup moins sollicité. Je ne suis plus sollicité comme membre de la CNECA mais comme spécialiste d’une discipline. J’ai participé à de nombreux concours, et je dirais que les épreuves varient entre les maîtres de conférences et les professeurs. En résumé, il y a l’étude du dossier par le jury sur place. Il l’a étudié avant mais il l’étudie sur place après l’expression du candidat. Ensuite, il y a la leçon qui a vocation pédagogique. Elle a vocation pédagogique mais je vous le dis tout de suite, elle ne l’est pas du tout. C’est totalement artificiel et elle ne permet pas de répondre à la question de savoir si le candidat a des qualités pédagogiques réelles ou pas. C’est une leçon devant un public. Il peut y avoir des gens, si je puis dire. Il y a beaucoup de personnes du département dans lequel le candidat va être recruté et je peux vous dire que les dossiers sont étudiés avant par l’ensemble du département qui recrute et que j’écho du département remonte au jury. Ce n’est pas officiel mais on a des impressions qui remontent du jury et je m’aperçois de plus en plus que les candidats ont été invités à se présenter, avant le concours, à des séminaires de recherche. De plus en plus on me dit ce qu’on a pensé quand le candidat est passé. Il y a des mesures informelles mais de plus en plus pratiquées et encouragées. J’encourage les séminaires où l’on a le temps de parler de recherche et où on voit les qualités d’expression, de présentation dans un temps limité d’une thèse qui n’est pas toujours exactement dans le profil du poste. La leçon qui est dans les textes se fait sans question, sans intervention, dure une heure maximum. Il y a une préparation de 24h en plus. C’est, je dirais, un bizutage. Je me souviens que je suis rentré directement sur un poste de professeur, j’ai eu cette leçon. Le degré de concurrence, à ce niveau de poste, n’est pas très élevé. Je parle là pour la CNECA, qui est un petit milieu et qui n’est pas trop mal en pratique, légale et informelle, mais qui souffre de la petite taille du groupe avec lequel on travaille. On est 100 par section en moyenne, c’est minuscule.
Nos établissements sont également petits et quand on ouvre un poste de professeur il y a un doute sur le fait de savoir si c’est destiné à une promotion ou au recrutement de quelqu’un de nouveau. Il y a doute et je pense qu’il y a aussi là de la sélection adverse. Si on sait qu’un maitre de conférences va postuler sur ce poste de professeur, je pense qu’un certain nombre de candidats potentiels ne vont pas postuler. Quand vous êtes de la maison vous avez été préparé, vous êtes soutenu par le milieu car si le poste a été ouvert c’est que le milieu soutient votre candidature. Il peut y avoir une sélection adverse. Ce sont les limites locales. En revanche les postes de maitre de conférences sont très ouverts. Il y a environ huit à dix candidats par poste sachant qu’on ne peut pas refuser de recevoir des candidats même si on n’en veut pas. J’ai vu parfois des candidats dans six ou sept concours, les mêmes personnes qui rament pour rentrer dans le système alors qu’elles n’y rentreront jamais. On ne peut pas les refuser, ce qui pollue un peu le concours. C’est une perte de temps manifeste. Le jury peut accepter de classer les candidats et dire que le concours est fini au bout de deux épreuves. S’il est incapable de le faire, il y a une dernière épreuve qui peut être mise en oeuvre. Je l’ai pratiquée une seule fois dans ma vie. J’étais opposé au directeur de l’établissement. Il y avait quelqu’un qui avait préparé sa leçon avec une équipe que je connaissais et avait un peu floué le jury par ses connaissances, il y avait peut être un autre candidat qui pouvait être compétent. In fine, mon expérience me fait dire que l’avis du tiers des enseignants chercheurs présents dans les jurys de concours est prédominant. En fait, je crois que je ne suis rarement allé contre l’avis des personnes locales parce qu’il y a toujours un feeling pour dire qu’on a envie de travailler avec une personne. Ça existe, c’est la collégialité. Un jury complètement extérieur qui dirait qu’un candidat est excellent sur ce qu’on sait compter, le nombre d’article etc., je n’y crois pas.
Je vais vous dire un point qui est important aussi dans les jurys de concours en recrutement chez nous, c’est que je m’aperçois de plus en plus qu’on a de bons candidats, on est heureux du concours, lorsque l’équipe qui va recevoir ce maître de conférences a une bonne réputation, en particulier en recherche. Lorsque l’UMR disciplinaire est bonne, on aura d’excellents candidats. Si l’équipe dans laquelle va travailler le recruté n’a pas de réputation, on aura de mauvais candidats. Tout simplement, pour faire carrière, il faut être dans les bons endroits. Les gens qui vont dans les mauvais endroits sont ceux qui ne sont pas adéquats. Tout à l’heure on parlait de l’évolution du système supérieur français, ayant moi-même été formé dans une grande école, ayant travaillé dans une grande école, ayant vu l’université américaine, je pense que nos grandes écoles vont évoluer et peut-être même plus vite qu’on ne le pense. En particulier je pense à un point sur lequel je vais insister. C’est que nous recrutons de plus en plus des gens dans des équipes de recherche. C’est sur ces thèmes là qu’on recrute et non sur la partie pédagogique. C’est certain. Nos grandes écoles, qui ont donc des vocations universelles, qui veulent tout faire, embrasser large, n’ont pas les moyens de tout bien faire. La science va tellement vite qu’il faut, par exemple en génétique, des moyens importants. On va donc concentrer tout ça, il faut des moyens d’université. Les recrutements qu’on fait sont de plus en plus des recrutements disciplinaires, de recherche, et de moins en moins sur la pédagogie. Et ça va faire évoluer les grandes écoles de façon très rapide en les rapprochant de l’université.
Sur les Etats-Unis un mot simplement qui n’a pas été évoqué mais qui est fondamental : tenure. Quand on est recruté on est assistant professor et l’université vous regarde sous toutes les coutures pendant six ans. Vous ne rentrez à l’université que lorsqu’on a pu vous observer en termes de recherche, d’enseignement, de capacité d’aller chercher de l’argent à l’extérieur. Je suis toujours surpris de voir sur les CV de mes collègues américains qu’ils ont indiqué avoir ramené 600 000 dollars de l’extérieur, ça fait partie de leurs qualités. Le fund-raising est absolument indispensable. En France on met très peu les sommes, mêmes si ça commence à se faire. Tout a été dit sur le recrutement local de l’université, sur le département qui recrute, sur le fait qu’il y a une responsabilité commune au recrutement et sur le temps passé pour dire d’une personne que c’est quelqu’un de bien. Nous on recrute quelqu’un en quelques heures sur du papier. C’est sans doute quelque chose qui est perfectible.
André Gattolin
Merci beaucoup. On a pris un peu de retard au début après le déjeuner donc, à part si les autres intervenants ont quelque chose à dire, je pense qu’on va passer directement au jeu des questions réponses. Merci de vous présenter.
Christophe Sauty
Bonjour, je suis Christophe Sauty, je suis Président de la section 34 Astronomie et Astrophysique, et j’aurais plusieurs remarques à faire. Il y a eu depuis ce matin beaucoup de portes ouvertes enfoncées, je suis désolé de vous le dire. On a l’impression qu’on a une grande méconnaissance du système français, de la façon dont ça fonctionne. On s’extasie sur un certain nombre de capacités à l’étranger sur des choses qu’on fait chez nous depuis longtemps. Je ne veux pas mettre en défaut mes collègues de la CP-CNU des autres sections, mais j’ai quand même regardé les intervenants qu’il y avait depuis ce matin, et il y a un certain nombre de sections, dont la mienne, qui sont complètement absentes. Est ce que c’est un fait du hasard ? J’ai entendu beaucoup de choses sur le CNRS. Toutes les sections de physique et de géophysiques fonctionnent très bien avec le CNRS, on n’a pas ce genre de problème. La qualification est perçue par l’ensemble de notre communauté comme tout à fait normale.
Je vais prendre d’autres caquettes. En particulier, la qualification a quand même pour rôle non seulement d’éviter le localisme mais aussi de définir le champ disciplinaire des personnes. On a, depuis toujours, regardé les multiples compétences. C’est un faut débat de dire qu’on ne regarde que l’enseignement ou la recherche, on sait très bien qu’il y a des tâches administratives. Il y a une confusion depuis ce matin qui m’embête énormément, elle a été soulevée mais elle est quand même cruciale, c’est qu’il y a une qualification pour les maitres de conférences et une pour les professeurs et les critères ne sont pas les mêmes. C’est vrai que les disciplines que je viens de citer, dont je fais partie, qualifient très facilement en termes de maître de conférences parce qu’on veut laisser un maximum de chance à de brillants futurs chercheurs qui ne le sont pas forcément encore, et en général ils partent à l’étranger, et ce n’est pas la qualification qui recule le temps de recrutement. On voit aussi que c’est un bienfait, la mobilité. L’astronomie est peut-être particulière dans ce cas là mais ça fait des dizaines d’années que les gens partent à l’international sans aucun souci et qu’on ne recrute pas quelqu’un qui n’a pas une expérience internationale soit au niveau de la thèse soit après la thèse. Ce n’est donc pas vrai dans toutes les sections.
La dernière chose c’est qu’on parlait de l’étape de recrutement. C’est vrai qu’à l’heure actuelle, avec les comités de sélection locaux, le recrutement est extrêmement rapide. Heureusement qu’il y a la qualification qui laisse un peu plus de temps sur lequel on recrute. Je suis désolé de dire que je suis toujours attristé quand j’entends parler du nord et du sud. D’abord la France est un pays du sud, je suis désolé de vous l’apprendre mais on a des mentalités et des structures qui font qu’on est un pays du sud. Moi je collabore depuis longtemps avec la Grèce, l’Italie et le Portugal et je peux vous dire que les gens sont essentiellement formés aux Etats-Unis, ont une conception des recrutements plus proche des américains et ne font pas de moins bons enseignants-chercheurs que nous. Ils travaillent tout aussi bien, ils publient au moins autant que nous donc ce n’est pas une question de qualité. Ce qui leur fait défaut très souvent c’est une question de moyens. Pour le recrutement, je peux vous dire qu’au Portugal j’ai constaté que c’était bizarre, finalement ils recrutent localement, le comité est essentiellement national. Il y a des professeurs de tout le Portugal pour l’Université de Porto donc, en termes de localisme, ils sont très loin du compte. Ils ont une agrégation du supérieur pour les professeurs, donc ils ont un système de qualification en plus. Il ne faut pas croire qu’on est unique en France sur un certain nombre de points.
Dernière chose, ma section particulièrement, avec la 63, s’est mise en porte-à-faux avec d’autres sections puisqu’on a fait l’évaluation cette année, qui n’est pas une évaluation mais un suivi de carrière et qui est effectivement indispensable. On s’aperçoit en faisant le suivi de carrière que d’abord nos collègues travaillent très bien, c’est une chose, mais la deuxième chose c’est qu’on ne peut pas faire de suivi de carrière en dehors de la discipline car chaque discipline a ses méthodes de travail. On ne peut pas faire de suivi de carrière pour quelqu’un qu’on n’a pas qualifié. Si les gens ne sont pas qualifiés on ne peut pas faire de suivi de carrière.
Emmanuelle Picard
Je voudrais juste répondre à Christophe Sauty. Vous avez aussi un outil formidable que personne n’a, qui s’appelle l’INSU et les colloques prospectifs. Si les autres disciplines étaient organisées en communautés capables de construire des programmes à dix ans ou à vingt, capables d’avoir établi, comme nous l’a montré un jour très brillamment Yves Langevin, pour la gestion des carrières des chercheurs, des systèmes d’une très grande transparence et d’une très grande finesse, qui consistent à caractériser la carrière des astrophysiciens et à trouver les moyens de faire un suivi très fin, moi je suis tout à fait intéressée par ce type de pratiques. A ma connaissance il n’y a pas d’autres disciplines qui aient choisi ce système. Vous êtes effectivement très atypiques.
André Gattolin
Y a t’il d’autres réactions ? Non ? Nous allons donc prendre d’autres questions. On va essayer de faire des questions groupées si possible. Il peut y avoir une part d’intervention mais essayons surtout d’avoir une part problématique et d’interaction avec les intervenants. Merci.
Jocelyne Fernandez Vest
Je suis des quelques personnes en France dont la carrière a été partagée entre l’Université et le CNRS, donc je pense que je connais assez bien les deux. Je suis directrice émérite au CNRS. Par rapport à l’intervention de Madame Picard, je peux dire qu’au CNRS malheureusement l’interdisciplinarité n’a pas été toujours renforcée. J’ai été élue dans trois législatures au comité national et les premières années où j’y étais on faisait beaucoup d’efforts sur l’interdisciplinarité. Ce n’est plus comme ça. Les commissions interdisciplinaires qu’on avait lutté pour créer, ont même été supprimées ces dernières années.
Par ailleurs, j’ai été évidemment intéressée par l’intervention de Monsieur Salmon en particulier. Je ne vais pas m’extasier sur l’étranger mais il est vrai que j’ai toujours travaillé avec des universités étrangères et notamment les pays nordiques, parce que je suis scandinaviste. Il y a deux choses sur lesquelles vous avez insisté et sur lesquelles on devrait encore insister je pense, c’est que les universités nordiques sont au service des usagers autant qu’au service de ceux qui sont recrutés, des permanents ou autres. Et j’en veux pour preuve ce qui se passe en ce moment dans les conseils scientifiques. Très récemment j’ai été élue au conseil scientifique de l’université avec laquelle je travaille principalement, je ne dirai pas son nom, où les étudiants sont très peu représentés et quand ils sont là ils ont très peu la parole. J’enseigne dans les universités suédoises et surtout finlandaises depuis quelques années et ce n’est pas du tout comme ça. On leur donne un temps de parole presque aussi long que celui des enseignants.
Autres chose, je pense que le terme de confiance, qui suscite de la défiance souvent en France, est essentiel. J’ai été membre du bureau du collectif Sauvons la Recherche pendant cinq ans et chaque fois que je parlais de certaines choses qui se faisaient dans les systèmes nordiques ou non et que j’insistais sur le fait que ça repose sur la confiance, on me disait que la confiance ne veut rien dire. La confiance ne veut rien dire dans les lieux de pouvoir. Je me demande depuis longtemps si l’université est considérée principalement comme un lieu de pouvoir. Il existe en Finlande un association que j’ai essayé de promouvoir ici, en montrant ce qu’il s’y réalisait, et qui associe les politiques, les chercheurs et les enseignants. C’est assez unique parce qu’au Danemark il y a une petite association de ce type mais qui n’a pas la même importance. La première question qu’on m’a posé à la fois à l’université et au CNRS c’est : « mais ce sont des politiques de quel parti ? », j’ai dit que c’était pour tout ceux qui voulaient en être membre et donc que ça n’était pas réservé à un parti. On m’a dit que c’était impossible, qu’on ne pourrait jamais faire ça en France. Résultat, quand il y a des problèmes concernant les réformes dans les universités nordiques ou concernant la recherche, les hommes politiques, les députés en général, qui sont en bon nombre en discutent à l’avance lors de journées d’études. Il n’y a donc pas de grande surprise au moment où il faut voter mais il y a aussi une confiance. Ici, j’ai entendu dire qu’on ne trouvait plus rien de ce qui a été présenté lors des Assises de la Recherche et des Assises de l’Enseignement Supérieur. C’est dommage et il faut travailler là dessus à mon avis.
Ma question est celle-là : que faire pour renforcer la confiance dans tout ce dont il a été question ici, c’est-à-dire l’enseignement et la recherche ?
André Gattolin
Merci, on va prendre une autre question.
Heidi Charvin
Heidi Charvin, Université de Rouen, membre de la 16e section CP-CNU et co-responsable du secteur recherche au SNESUP. La première chose c’est une intervention par rapport aux propos d’Emmanuelle Picard. Je voudrais juste rappeler une chose c’est que je pense qu’il y a un petit glissement de pensée qui est fait, on dit pas qu’entre guillemets on estime que les comités de sélection des universités n’ont pas de compétences scientifiques. Ce qui est évoqué c’est que dans les comités de sélection il y a des motifs de recrutement qui sont notamment liés au réseau, réseau interpersonnel, courant de pensée etc. Ils font que justement une évaluation nationale a son importance.
D’autre part on sait que de par l’importance maintenant de faire soutenir des thèses sous trois ans, il y a des nécessités de post-doctorats pour que les étudiants montrent qu’ils peuvent faire leur recherche tout seuls. Nombre de publications sont faites en partenariat avec leur directeur, voire écrites par leur directeur. Donc on allonge aussi la durée des thèses et des recrutements puisque ce n’est pas à trois ans mais à cinq ans et plus. Je pense qu’il faut quand même réfléchir à ces questions là qui ne changent pas le problème. Je veux bien avoir votre avis sur cette question.
Concernant la spécificité française, je pense qu’il y a quelque chose qui n’a pas été évoqué. On est ici dans un principe de formation généraliste de haut niveau par rapport à d’autres pays qui ont une formation réduite, spécialiste, dès l’équivalent du lycée français. Sur ce plan là on reconnait à la France cette capacité d’analyse, de synthèse, de réflexion qui sont la base même des compétences de nos chercheurs et qu’on a donc une formation de masse, des universités de masse. Est-ce qu’on peut être vraiment dans le système privé comme aux Etats-Unis ? C’est une vraie question, surtout que dans notre pays nous avons de moins en moins d’emplois dans l’agriculture, dans l’industrie, et que nous nous défendons essentiellement les savoirs-faire de haute technologie qui demandent une formation de masse de haut niveau. C’est une vraie question, y compris entre régions parce que ça voudrait dire que maintenant on est en train de déverser seulement certaines régions, certaines universités, les autres sont en train de s’appauvrir en gelant des postes, y compris au détriment de la formation. Or, il faut quand même rappeler que l’industrie n’est que 23% des emplois, 27% du PIB de notre pays. Tout le reste, tourisme, littérature, tout ce que vous voulez, pourvoie le reste sur le plan économique et social de notre pays. Je pense qu’on peut effectivement discuter la présence des étudiants dans les comités de sélection et au CNU, après, de quelle façon, ça n’est pas forcément facile mais il y a une nécessité. Dans le cadre de la CP-CNU on a proposé d’intégrer les BIATSS qui soient aussi présents dans les universités. Par rapport à ce qui a été évoqué par Jean Cordier concernant les recrutements de titulaires après six ans, si on compare par exemple avec l’Italie, on a énormément de collègues italiens qui viennent en France parce qu’ils ne trouvent pas d’emploi statutaire avant 55 ans. Je voudrais rappeler que le nombre d’années universitaires c’est douze ans en moyenne, donc l’embauche c’est en moyenne à 32 ou 33 ans, que le nombre d’heures hebdomadaires est d’environ 80 heures, que si on ramène ça sur le salaire moyen qui est de 2300 euros, pour 35 heures nous travaillons moins que le SMIC.
Dans ces conditions peut-on appliquer le système américain dans lequel les universitaires n’ont pas les mêmes salaires, avec un certain nombre de collègues, notamment dans les SHS mais pas seulement, qui sont en burn-out et si vous leur dites qu’il faut continuer à travailler dans ces conditions et qu’on continue à durcir les conditions de travail ce n’est pas possible. On sait qu’actuellement le nombre de doctorants ne baisse pas car ce sont les doctorants étrangers qui ont augmenté. Si on n’a pas une réflexion de politique générale sur cette question là, on va droit dans le mur dans les vingt prochaines années.
André Gattolin
Le temps passe quand même très vite donc on va prendre encore quelques questions mais assez courtes sinon il n’y aura pas de réponse.
Question
Je vais faire une intervention très courte car je vais rebondir sur l’intervention précédente. On a des spécificités dans notre recrutement qui étaient qualifiées de « bizarrerie » dans l’amendement qui était proposé. Je préfèrerais qu’on l’étudie en se demandant s’il y a des avantages à être différents des autres. Ce qui est sous-jacent dans ce qui nous a été présenté c’est qu’il faudrait s’aligner sur les autres. Il faudrait regarder comment c’est fait à l’extérieur et éliminer cette bizarrerie. Or, cette bizarrerie nous permet d’avoir un recrutement qui ne soit pas si mal que ça, qui est relativement attractif avec des étrangers qui viennent chez nous, tout ça pour des salaires qui sont quand même assez faibles. Ce qu’il faudrait se demander c’est : quel est l’intérêt pour nous de s’aligner sur d’autres pays alors que je pense qu’on n’a pas les moyens financiers, pour les salaires et les conditions de travail, de bien d’autres pays ?
Carole Chapin
Je voudrais seulement faire une remarque qui est liée à toutes les interventions que l’on vient d’entendre. Je suis assez surprise que personne n’ait mentionné l’existence de deux documents très importants, deux documents européens qui sont la Charte Européenne de recrutement des chercheurs et le Code du chercheur, que la France a adoptés au nom de l’Union Européenne, et dans lesquels il y a un certain nombre de bonnes pratiques qui sont précisées et notamment sur le fait de la confiance que l’on peut accorder aux futurs enseignants-chercheurs que l’on peut recruter. On en a beaucoup parlé et dans cette confiance il y a aussi le fait d’accepter le fait qu’un docteur, qui a donc complété un doctorat, a déjà des compétences de chercheur. Cette charte prend notamment en compte une étape de la carrière du chercheur qui s’appelle « chercheur en début de carrière » et cette étape inclut les doctorants, les docteurs et les docteurs en poste non permanents comme les post-doctorats. Elle les considère comme des chercheurs à part entière, en début de carrière certes, qui n’ont pas encore évolué dans leur carrière autant qu’un chercheur confirmé c’est évident, mais qui ont cette compétence là. Quand j’entends beaucoup parler des étudiants pour signifier les doctorants et aussi qu’il faut vérifier qu’ils soient capables de mener des recherches seuls. Je crois qu’on manque un peu de confiance envers les docteurs qui ont déjà démontré par l’obtention de leur doctorat qu’ils en étaient parfaitement capables.
Esther Benbassa
Puisque mon collègue doit partir est ce qu’il y a encore deux questions ? On arrêtera là et après chaque intervenant prendra la parole pour répondre.
Samir Bouzbouz
Bonjour, Samir Bouzbouz, chargé de recherche au CNRS, détenteur de la HDR. La question c’est quoi ? Le système français : un système unique en son genre ? Oui, il est unique en son genre. Pourquoi ? Si on commence par le bas de l’échelle, un lycéen arrive au bac. Après son bac il a deux choix. Il va soit à l’université, soit dans une école d’ingénieur selon ses notes. On a ces deux systèmes qui sont une richesse pour la France. Il faut qu’ils cohabitent tous les deux. L’étudiant va partir en école. Les écoles ont su faire leur révolution dans le sens où elles essaient d’être autonomes au niveau financier. Elles font des partenariats avec des grands groupes industriels, il y a des pédagogies qui changent. Il n’y a pas par exemple plus le mode de pédagogie classique mais une pédagogie par projet, par problème, qui est enseignée dans les grandes universités américaines. Les écoles arrivent à faire leur révolution. L’étudiant, à la fin, n’a pas de problème au niveau de l’embauche. Prenons l’autre filière, l’université. Il arrive en master et il arrive pas à pas au doctorat. J’ai été auditionné comme secrétaire national du SNIR, affilié à la CGC, à l’Assemblée Nationale sur l’avenir des doctorants. De ça, il sort pas mal de points. A la fin du doctorat, il y a des problèmes d’embauches pour ceux qui n’ont pas eu de bourse CIFRE. Les universités doivent maintenant chercher des sources de financement indépendantes, avoir des chaires industrielles au sein des troisièmes cycles comme cela se fait au sein des systèmes anglophones.
Deuxième point, par rapport au devenir des doctorants, il y a des crédits impôts recherche qui sont donnés aux PME. Pourquoi ne pas faire un système de crédit impôt recherche pour l’employabilité des PME pour les doctorants ? On demande aux PME de justifier leur recherche, donc un doctorant qui est embauché est à même de leur rapporter ce savoir-faire. Ce sont des pistes à court terme à explorer pour le devenir de l’université française.
Esther Benbassa
Merci beaucoup Monsieur. Question suivante.
Guillemin Rodary
Bonjour, je suis Guillemin Rodary, membre de Sauvons la Recherche. Je voudrais réagir à ce qui a été dit à cette table ronde. Il a été beaucoup fait l’éloge finalement du recrutement local dans les différents pays. L’UFR recrute localement et ça peut faire de très bons enseignants-chercheurs. Moi, ce que je vois, c’est que si on recrute au nord de la Suède sur des activités liées aux mines, on ne va pas avoir de mobilité pour pouvoir un jour se déplacer et aller autre part. Tous les exemples donnés, en Suisse et en Hollande, sont des exemples où finalement ce ne sont pas des recrutements nationaux et ça va être une cause d’inégalité de territoires, d’inégalité de personnes. Il y a des choses qu’il ne faut pas qu’on oublie, comme la mobilité des enseignants chercheurs qui sont recrutés. Au CNRS par exemple vous avez parlé du fait qu’il n’y avait pas de qualification. Mais justement, c’est un recrutement qui n’est pas local et on peut donc avoir une mobilité quand on n’est pas au CNRS.
Finalement cette question est très importante mais est ce qu’on n’est pas en train de regarder par le bout de la lorgnette ? La question de la qualification est une petite question. Est ce que vraiment ce dont on discute va avoir un jour un impact ?
Esther Benbassa
Une très bonne remarque. On ne connaît pas non plus le résultat des lois votées. C’est le long terme qui montre si les réflexions aboutissent. On ouvre le débat pour réfléchir, et vous êtes là, vous en faites partie, ce n’est pas le petit bout de la lorgnette. Il y a des centaines de personnes qui attendent un travail dans la recherche, pour eux ce n’est pas le petit bout de la lorgnette.
Emmanuelle Picard
J’aurais juste une remarque très rapide sur cette question du local. Je crois qu’il y a une incompréhension à deux niveaux. J’appelais à la responsabilité du groupe local mais je ne dis pas qu’il faut recruter localement. Il faut cesser de penser que le recrutement est forcément local parce que c’est au niveau de l’université. La seconde chose que je tenais à dire est qu’il faut s’interroger sur qui on recrute et pourquoi. Certains recrutements sont dits « locaux » et correspondent à des besoins réels et à des logiques réelles. D’autres recrutements n’y correspondent pas. C’est là qu’il faut réfléchir.
Lorsque je parle de prospective et que je disais que les astrophysiciens sont plus forts que les autres communautés je voulais insister sur le fait qu’ils ont construit une logique de prospective. De quoi a t’on besoin ? Qu’est ce que notre discipline ? Comment veut-on qu’elle contribue à s’organiser ? Cela devient du coup beaucoup plus clair. Si on ne réfléchit pas collectivement on joue le jeu de tous les intérêts contradictoires. Personnellement je ne pense pas que le CNU soit forcément le seul lieu où une discipline peut décider de son avenir.
Intervention sans micro dans la salle
Esther Benbassa
Il est vrai que le débat est complexe et qu’il y a des dérives possibles. Nous avons pris des pays trop grands, comme les Etats-Unis par exemple. On ne peut pas comparer la France aux Etats Unis parce que le problème est aussi qu’il y a une centralisation. C’est dans le périmètre du 5e et 6e arrondissements que les décisions de recrutement ou de qualification sont prises. Au Etats-Unis en revanche, lorsque l’on appuie la candidature de quelqu’un, les lettres viennent de différents pays et de différents professeurs. Regardez la HDR. Quand vous devenez full professor vous avez besoin de vingt lettres. Vous pouvez avoir cinq copains, mais vingt copains ça en fait trop. C’est aussi une question de géographie parce qu’en France le CNU, malgré ses grands défauts, remplace le localisme. Il y a des dérives à l’intérieur aussi, je suis d’accord, on en a tous connues. Mais le débat est ouvert et nous sommes tous là pour réfléchir sur ces questions.
Je remercie les intervenants et les intervenantes ainsi que tous les présents et présentes parce que c’est ainsi qu’on enrichit le débat. Le temps est très court, nous passons à la deuxième table ronde. J’appelle Madame Attard ainsi que les prochains intervenants. Merci aux organisatrices et merci à tout le monde.
Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).

3 avril 2014

La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs en France, Ouverture de l’après-midi par Esther Benbassa

Sénat - Un site au service des citoyensACTES du Colloque « La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs en France : enjeux et perspectives ». Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).
Ouverture de l’après-midi
Esther Benbassa
Chers collègues, chère Marie Blandin et chère Corinne Bouchoux, je vous remercie d’avoir bien voulu m’inviter à votre colloque même si je n’étais pas d’accord avec vous sur l’amendement ayant induit la suppression du Conseil national des universités (CNU), lequel a été par la suite réinstauré en Commission mixte paritaire (CMP). Connaissant votre profond dévouement à la culture et à l’enseignement, je sais qu’avec cet amendement vous souhaitiez seulement ouvrir le débat sur le fonctionnement du CNU. Déjà proposé auparavant à l’Assemblée Nationale par le groupe écologiste sans aboutir, il s'agissait donc de votre part d'un amendement d'appel, et ce débat, vous l’avez ouvert, je vous en félicite. Il faut parfois forcer un peu les choses pour lancer une réflexion. Cette intention était plus qu’honorable car il est temps, nous le savons tous, de réformer le CNU sans laisser le champ libre au bon vouloir et au paternalisme de certains, susceptibles d’être fort mauvais conseillers dans le processus du recrutement. Nous sommes tous et toutes d’accord là-dessus me semble-t-il. Je vous remercie également de m’avoir permis, grâce à cette brève intervention, de porter ma casquette première, et toujours valide, de professeure d'université.
Chers collègues, présidents d'université, syndicalistes, vous tous et toutes ici présents, je ne vous en salue pas moins en tant que sénatrice et vous souhaite la bienvenue dans cette auguste maison habituée aux débats contradictoires, sa grande spécialité, et qui prend ordinairement tout son temps pour s’y livrer. Nous discutons plus qu’à l’Assemblée et nous en sommes fiers.
Chères Marie et Corinne, vous me demandez d’ouvrir cette après-midi qui sera consacrée au système universitaire français et aux pistes de réflexion pour un recrutement de qualité. Lourde charge car, même si je vous étonne, je dois dire que notre système fonctionne globalement bien et un recrutement de qualité y est assuré pour l’essentiel. Il n’en est pas moins urgent de le revoir en profondeur et de ne pas seulement mettre en avant les questions budgétaires, certes très importantes et même primordiales, mais qui n’expliquent pas toujours les failles de ce système. Le budget voué à la recherche et à l’enseignement supérieur est de 25,77 milliards d’euros hors salaires et de 31,11 milliards si on inclut le programme des investissements d’avenir. Cette somme peut paraître considérable si on ne rappelle pas que nos universités sont gratuites pour nos étudiantes et étudiants. C’est une somme bien modeste si on la compare à la situation des grandes universités américaines comme Harvard, Stanford ou Yale qui, elles, sont payantes. Ce budget est stable si on prend en considération l’augmentation de 0,5% en cette période de récession. Notre ministre Madame Geneviève Fioraso promet 1 000 créations de postes dans les universités sur le quinquennat, ce qui est peu mais constitue tout de même un effort encourageant, montrant que l’enseignement supérieur dans notre pays reste une priorité.
Pour répondre très brièvement à la question du premier panel sur l’unicité de notre système, étant donné mes séjours de longue durée dans les universités et centres de recherche nord-américains, hongrois ou hollandais, je me mettrai sans peine à la place de nos collègues étrangers qui éprouvent le même étonnement que Rica et Usbek (Cf. Montesquieu, Les Lettres Persanes) lorsqu’ils arrivent à Paris aux XVIIIe siècle. Nos collègues universitaires ou chercheurs étrangers ne comprennent pas tout simplement notre système universitaire constitué d’une multitude d’universités, centres de recherche, grandes écoles, etc. Et nos concours, ils les comprennent encore moins. Le manque d’unité, d’homogénéité de notre système nuit à sa visibilité à l’extérieur. Et aussi à l’intérieur d’ailleurs. Ne négligeons pas cet étonnement qui devrait se transformer pour nous tous en questionnement.
Aux Etats-Unis, il y a des universités privées et des universités publiques qui sont plutôt des universités fédérales, gratuites pour les habitants de l’Etat fédéral. Notre système complexe milite pour l’élitisme, renforçant la reproduction des élites à partir de modèles convenus et exclusifs ne permettant pas une production diversifiée et hétérogène, source de créativité, d’énergie et de dynamisme. Ainsi laisse-il les plus défavorisés dans l’incapacité de s’y introduire malgré la gratuité des études supérieures. Je parle bien sûr de l’incapacité de s’introduire dans les élites, même lorsqu’ils sont objectivement au niveau de ces élites.
Le fonctionnement des universités a été aussi perturbé par le passage à l’autonomie, créant des inégalités entre les universités et des dysfonctionnements relativement graves. Là-dessus, je dirai que le système américain est habitué au mécénat privé et au fund-raising qui lui permet d’avoir des crédits proches des budgets de certains Etats africains. Voici quelques considérations tirées d'un rapport d’information sur l’université et sur l’autonomie: « Le principal défi a consisté pour les universités à trouver l’équilibre optimal dans la définition de leurs orientations stratégiques entre d’une part la nécessité d’affirmer leur identité propre et ce qui fait leur valeur ajoutée ». Lorsqu'on lit le rapport, on n'est pas moins impressionné de la différence entre les universités. Par exemple l’Université d’Avignon, avec 7000 étudiants, a su utiliser son autonomie stratégique pour tirer son épingle du jeu. Elle a développé des niches de spécialisation en rapport direct avec les atouts et traditions du territoire qui font une sorte d’orchidée universitaire dans les domaines du patrimoine, de la culture et de l’agroalimentaire. De même, Strasbourg, avec 43 000 étudiants était nécessairement différente. Compte tenu de son assise sur le territoire, elle est en mesure d’assurer une pluridisciplinarité à tous les niveaux, tout en développant des niches de spécialisation. En revanche, la situation semble plus compliquée pour des universités de rang intermédiaire, partagées entre les exigences immédiates d’un environnement socio-économique complexe, parfois défavorisé, et une ambition de rayonnement national et international.
On s'aperçoit que la loi LRU a également favorisé l’ouverture des universités sur le monde économique même si les collaborations sont encore bien sûr à ce stade balbutiantes. Le grand problème a été cette inégalité et notre incapacité à apprendre à faire du fund-raising, à savoir à collecter de l’argent à l’extérieur des universités. On ne rend pas autonomes les universités sans leur donner les moyens de le devenir réellement, notamment en sachant lever des fonds. D’ailleurs, le bilan de ces cinq ans d’autonomie, à lire le rapport, peut être résumé dans cette phrase : « une abrogation pure et simple de la loi LRU serait perçue comme une perturbation de plus et un frein à la modernisation des pratiques expérimentées jusqu’ici ». Nous pouvons discuter là-dessus longtemps, en tout cas la perturbation a eu lieu, ce qui n’arrange pas le système ni ne comble ses failles. L’apprentissage du fund-raising, qui est une constante dans les universités américaines, sera une nécessité en France pour combler l’inégalité qui, avec le temps, creusera les écarts en créant des universités pauvres et des universités riches. Même les universités fédérales, en Amérique, qui sont gratuites pour les habitants de l’Etat, s’ouvrent vers le privé. En cela l'université Berkeley, publique, est un exemple. Moins de bureaucratie, une plus grande démocratie en passant par la gestion collective, une unification du système par divers moyens dont le jumelage entre les grandes écoles et les universités en créant un système de vases communicants seraient quelques orientations sur lesquelles on pourrait réfléchir. Je ne préconise pas la suppression des grandes écoles. Ce serait suicidaire de se mettre à supprimer ce qui marche. On peut faire également des jumelages entre les universités isolées et les grandes universités des régions en constituant des ilots et en laissant à chacune son autonomie. Comme vous le voyez, le chantier est vaste et nous avons ici des techniciens de l’université qui sauraient mieux que moi dessiner les grandes pistes à suivre.
Quant au recrutement de qualité, la sélection est-elle rude au CNU ou reflète-t-elle la mauvaise qualité des doctorats soutenus ? Voilà la question que je vous pose en me référant au deuxième panel de cet après-midi. En 2011, 12 675 candidats postulaient à la qualification dans une ou plusieurs sections. Au total, 21 409 candidatures ont été envoyées dont 17 705 ont été jugées recevables. Ainsi, 10 718 qualifications ont été délivrées à 8 031 candidats. Si on fait le pourcentage, on arrive à 63,4% de candidats qualifiés et à 60,5% de demandes de qualification satisfaites. En outre, le taux varie selon les disciplines, puisque le taux de qualification est de 50% en lettres, de 40% en droit et de 65% dans les disciplines scientifiques.
Ces chiffres sont parlants et ils démontrent la facilité avec laquelle les doctorats sont attribués. J’ai l’honneur de n’être enseignante qu’en doctorat et d’être directrice d’études à l’Ecole Pratique de Hautes Etudes (EPHE). Je ne défends pas ma chapelle parce que j’ai été recrutée sans passer par la qualification : l'élection, interne, des candidats à l’EPHE est validée ensuite par l’Institut de France, le CNU n’intervenant pas. En revanche, j’enseigne en doctorat et il y a de vrais problèmes, qui ne relèvent pas du CNU. Avant de réformer ce dernier, il faudrait peut-être réformer le doctorat en le rendant plus sélectif et plus rigoureux. Nos classes regorgent de doctorants qui ne sont pas à leur place. On peut aussi remonter plus haut et parler des masters qui manquent également de rigueur dans le recrutement des étudiants. Lorsqu'on compare un doctorat américain et un doctorat français, on peut être étonné par certains décalages, dont l’absence trop fréquente de recherche à partir de sources premières et le peu de suivi par les enseignants du travail accompli. Parfois, il arrive que certains de nos collègues fassent tout simplement de l’abattage en inscrivant sous leur nom le plus grand nombre possible d'étudiants.
Même la qualification devrait être revue. Il serait opportun de voir combien de qualifiés échappent vraiment au réseautage. Ouvrir le CNU à des personnalités du monde du travail, à des enseignants et chercheurs de l'étranger, revoir les critères de sélection, neutraliser le réseautage par affinités universitaires, décentraliser le CNU, prendre en résidence au moins trois jours le futur candidat à un poste pour mieux le connaître et voir si ses qualités intellectuelles sont adaptées à l’université, mesurer sa sociabilité, lui faire donner une leçon devant des étudiants pour juger de ses qualités pédagogiques, voilà quelques suggestions tirées de mon expérience d’enseignante et de visiting professor à l’étranger. Il est temps de s'atteler à un audit extérieur du CNU, pour vérifier si la démocratie y fonctionne encore. La réflexion est ouverte. Malgré ses grands défauts, le CNU pare (en principe) au localisme. Poursuivant notre réflexion, tâchons de le réformer de l'intérieur pour le rendre plus efficace et moins clientéliste. Sans tomber dans le piège de sa dissolution.
Nous sommes un pays influencé par sa tradition révolutionnaire. Au lieu de réformer ce qui existe, nous créons de nouvelles instances, ce qui explique d’ailleurs le côté hétérogène, mille-feuilles de notre système universitaire. Si Rica et Usbek venaient des Etats-Unis, ils auraient probablement été étonnés de notre penchant à casser dans l’idée que la nouveauté nous empêchera de garder nos mauvaises habitudes, notamment de copinage pour le recrutement…
Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).

3 avril 2014

Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ?

Sénat - Un site au service des citoyensACTES du Colloque « La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs en France : enjeux et perspectives ». Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).
Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? »
Modératrice : Mme Corinne Bouchoux, Sénatrice de Maine-et-Loire
Intervenants :
- M. Gilles Denis, Vice-Président du CP-CNU, section 72, Maître de Conférence en histoire et épistémologie des sciences du vivant à l’Université de Lille 1
- M. Jean-Luc Vayssière, Président de l’Université de Versailles Saint-Quentin
- Mme Carole Chapin, Présidente de la Confédération des Jeunes Chercheurs
- M. Antonio Freitas, Représentant du SNESUP, Maître de Conférence en Informatique à l’Université d’Auvergne
- Mme Florence Jany-Catrice, Économiste, Professeure à l’Université Lille 1, membre de l’AFEP
- Mme Isabelle This Saint-Jean, Vice-présidente du Conseil régional d’Ile-de-France chargée de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Corinne Bouchoux
Je vous remercie l’un et l’autre pour ces propos liminaires. Je vais introduire la table numéro une, « 6 ans après la LRU, quel statut pour les enseignants chercheurs ? ». Je vais appeler Monsieur Gilles Denis, Vice Président de la CP-CNU section 72, Monsieur Jean-Luc Vayssière, Président de l’Université de Versailles Saint-Quentin, Madame Carole Chapin, Présidente de la Confédération des jeunes chercheurs, Monsieur Antonio Freitas, représentant du SNESUP et enseignant chercheur à l’Université d’Auvergne, Madame Florence Jany-Catrice, Professeure à Lille, membre de l’AFEP et Madame Isabelle This Saint-Jean, Vice Présidente du Conseil Général d’Ile-de-France chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche. Merci beaucoup.
Le temps que nos invités montent à la tribune j’allais faire une plaisanterie que je pense sincèrement. Nous avons deux difficultés en France, outre le contexte politique, l’ENA et l’interministériel et je le dis très posément. Ce sont deux de nos problèmes majeurs.
Pour que nous ayons un temps d’échange avec la salle je vous donnerai la parole 10 minutes. Comme ce sont tous des professionnels de l’enseignement, des cours et des colloques ils n’auront aucune peine à tenir les délais. Monsieur Denis vous avez la parole.
Gille Denis
Bonjour. Tout d’abord nous tenons à remercier Mesdames les Sénatrices Marie-Christine Blandin et Corinne Bouchoux ainsi que les organisateurs de cette journée qui nous permet d’échanger nos points de vue et expériences sur la procédure de recrutement des enseignants chercheurs et en particulier sur l’étape de la qualification par les sections du CNU. Nous allons essayer de vous présenter en quelques mots une position que sans doute beaucoup d’entre vous connaissent et qui nous semble largement partagée par les disciplines et les universitaires que nous représentons et qui explique leur très vive et unanime opposition à l’amendement qui a été abordé par les intervenants précédents.
Le premier argument en faveur du maintien de la qualification est d’ordre général. La politique universitaire ne peut pas se réduire à une simple politique d’établissement et doit aussi prendre en compte une logique de discipline scientifique qui a, elle aussi, ses exigences. Par exemple il peut y avoir conflit dans le besoin de postes d’enseignants entre les besoins des établissements et les besoins des disciplines pour le développement de la discipline. C’est un besoin tout aussi légitime et respectable si l’on souhaite une université de qualité. La loi LRU, de même que la nouvelle loi ESR, privilégie d’une manière certainement quelque peu outrée la politique d’établissement aux dépens de la prise en compte de la nécessité aussi d’une politique de discipline et donc in fine de la prise en compte de la qualité scientifique. Il y a clairement un besoin de rééquilibrage entre la logique de discipline et d’établissement, entre une vision nationale et locale, entre la dimension scientifique et administrative. Supprimer la qualification, s’appuyant par exemple sur un renforcement du rôle de la soutenance de thèse et/ou celui du processus local de recrutement, n’irait pas dans le sens de ce rééquilibrage, tout au contraire, sauf à totalement revoir ces deux processus en les mettant, au moins pour une part importante, sous la responsabilité du CNU.
Pour entrer ensuite dans le détail, la thèse n’a pas pour vocation à reconnaître la qualification à être enseignant chercheur d’une discipline donnée. Elle ouvre à toutes sortes de métiers. Le jury de thèse évalue la qualité d'un travail de recherche universitaire. La qualification porte sur la capacité à être enseignant chercheur, à enseigner à l'université et sur la capacité à enseigner une discipline précise donnée. Les objectifs de la qualification diffèrent ainsi de ceux de la thèse.
La qualification, lorsqu’elle est accordée, apporte au candidat une reconnaissance par les pairs, indiquant que son profil lui permet d’être accueilli dans une discipline particulière, même si sa thèse n’avait pas cet objectif à l’origine et qu’elle ne s’inscrit pas dans cette discipline. Un doctorant ayant fait par exemple une thèse de littérature portant sur la représentation de la médecine dans la littérature italienne du XVIe siècle peut chercher à s’orienter en cours de route vers une carrière d’enseignant chercheur en histoire de la médecine. Nous avons chaque année des exemples de ce type. Ce candidat peut alors demander la qualification en Histoire des Sciences et des Techniques. Sa thèse est évaluée par son jury de thèse sur un certain nombre de
critères scientifiques de la discipline « littérature italienne ». Elle sera évaluée pour la qualification en Histoire des Sciences sur d’autres critères appartenant à cette autre discipline et aussi en prenant en considération que cette qualification ouvre la voie au métier d’enseignant en Histoire des Sciences, toutes choses qui ne sont pas évaluée par le jury de thèse. De même - un autre exemple - une thèse de logique mathématique peut intégrer une part de philosophie analytique dont le doctorant peut vouloir faire reconnaître la qualité en demandant une qualification auprès de la section de Philosophie à des fins éventuellement de carrière universitaire spécialisée dans ce domaine, ou même de carrière de chercheur. Cette qualification renforce et précise son CV en indiquant une qualification particulière qui s’ajoute à son diplôme de thèse. Elle donne éventuellement ensuite aux comités de sélection locaux des indications lui permettant d’apprécier le dossier de candidature. Ce point est d’autant plus important dans le cas de disciplines très peu représentées au niveau local ou de disciplines à faible effectif au niveau national. Nous pourrions prendre ainsi de nombreux exemples similaires tant dans les SHS, qui est plutôt mon domaine, que dans les disciplines des sciences exactes.
Autre argument : le jury de thèse peut correspondre à une approche très locale - les universités et les écoles doctorales ne sont pas homogènes dans leur expertise, leurs critères, la qualité du suivi par le directeur de thèse (nous le savons tous) leur exigence dans la constitutions des jurys de thèse, etc. De même parfois dans leur attitude vis-à-vis des doctorants, entre complaisance et sévérité, il y a une très grande diversité - alors que le CNU apporte une évaluation nationale homogène par des pairs reconnus d’une discipline. Dans certains cas aujourd’hui les candidats déposent un dossier de qualification dans le but premier d’obtenir simplement cette reconnaissance disciplinaire et nationale. Cela est sans doute d'autant plus important pour un doctorant issu d'une école doctorale ayant une moindre renommée. Dans certains pays, avoir la qualification du CNU français a valeur d’une certaine manière de diplôme international, comme certains collègues italiens nous en ont fait part.
L’autre argument bien connu est celui du poids, disons le, vous le savez tous, du localisme, reconnu comme particulièrement présent dans le système français. Sans qualification, nous pourrions avoir un processus entièrement localisé dans le même établissement depuis le début de la thèse jusqu’au recrutement au poste de maître de conférences dans cette même université, si ce n'est même depuis la première année d'université, sachant que le comité de sélection ne comporte généralement qu’une moitié d’extérieurs et choisis par l’université. Jusqu’à récemment l’avis de ce comité pouvait même ne pas être suivi par le Président ou le CA qui garde encore néanmoins un droit de veto même si c’est une amélioration réelle. En supprimant la qualification nous aurions un processus fortement local déposé entre les mains de quelques personnes, soumis aux contraintes et influences internes à l’établissement, que nous connaissons tous, qui ne sont pas toutes de nature scientifique. Le CNU est en revanche un lieu qui fonctionne selon le principe de la collégialité comme une instance scientifique où l’analyse et l’argumentation scientifique sont prépondérantes, où les représentants sont essentiellement élus par l’ensemble d’une communauté rattachée aux disciplines des sections. La suppression de la qualification renforcerait sûrement le localisme et la part des facteurs extrascientifiques dans les processus de recrutement, sauf une fois encore à revoir l’ensemble du processus du recrutement en le mettant pour une part importante sous la responsabilité du CNU, instance scientifique nationale.
 Le système français, comme d’autres, a donc sa cohérence. Dans des pays comparables existent différents types de systèmes mais qui prennent tous en considération, dans le recrutement, la prépondérance de la dimension scientifique apportée par les disciplines académiques. Aux USA, au moins pour les SHS que je connais assez bien, par exemple ce sont les disciplines organisées fédéralement qui sont chargées par les universités de recruter leurs
universitaires selon un cahier des charges défini par ces universités. Cela ne nuit ni à l’autonomie des universités américaines, ni à la possibilité d’une politique de recherche locale d’Etat à côté d’une politique fédérale. Je rappellerai que le système français vient d’être choisi comme modèle en Italie en mettant en place un système d’évaluation nationale collégiale par les pairs afin de combattre explicitement le localisme et le clientélisme mandarinal.
Le CNU a aussi l’avantage d’être une instance pérenne de réflexion et de proposition regroupant l’ensemble des disciplines. Il porte une expérience et une expertise. Le CNU s’est ainsi doté lui même de règles déontologiques rigoureuses qui ont fournies la matière à un texte législatif. Il a choisi la plus grande transparence sur lui-même, ses processus, mettant sur la place publique les CV de ses membres, les critères et les mots clés de ses sections, les résultats de ses appréciations. Les candidats ont la possibilité de s’adresser directement au Président de section. Ils ont la possibilité de faire appel auprès du groupe concerné du CNU. Les sections se doivent de déposer chaque année un rapport d’activité qui est public. Les comptes-rendus de toutes les réunions de la CP-CNU, qui rassemble les bureaux des sections du CNU, sont aussi publics. Le CNU a mené une enquête approfondie, avec l’aide des services statistiques du ministère, sur l’autopromotion de ses membres pour vérifier la pertinence de certaines critiques à ce sujet et pour éventuellement y apporter une réponse. Il vient de commencer depuis quelques mois un travail sur la question du plagiat et un autre sur la question de l’interdisciplinarité dont on a parlé tout à l’heure, à savoir la question des dossiers situés aux frontières de plusieurs sections. Nous sommes ainsi en train d’étudier un certain nombre de réponses à cette question par la définition de processus nouveaux qui permettraient d’évaluer ce type de dossiers situés aux frontières des disciplines et des sections. Le CNU mène une réflexion avec la CPU et les ministères sur la question des disciplines à faible effectif. L’ensemble des activités de ces différents groupes de travail, notamment sur la question de l’auto-promotion, du plagiat, des petites disciplines, de l’interdisciplinarité, comme d’autres, font l’objet de rapports réguliers qui sont publics. Une telle exigence et rigueur dans la transparence n’existe pas pour l’instant dans les établissements.
Pour terminer j’aborderai plusieurs critiques dont la qualification par le CNU a fait l’objet. Celles-ci sont parfois contradictoires. On reproche ainsi, quelques fois, une part trop importante donnée à l’enseignement dans ses évaluations, et d'autres fois c’est l’oubli de l’enseignement et une part trop importante aux seules activités de recherche qui sont reprochés. On déplore parfois que les dossiers rédigés en anglais soient acceptés et d'autres fois on reproche qu'ils soient rejetés. Diverses critiques qui oublient que la souplesse d'attitude des sections du CNU est encadrée par les textes.
Il a été aussi reproché le coût qui serait trop élevé de la qualification. Or, tout au contraire, nous pouvons affirmer qu’elle induit des économies substantielles en organisant des présélections nationales. L’étude en a été faite, la CP-CNU la tient à votre disposition. Elle évite un engorgement au niveau local par un trop grand nombre de dossiers de candidatures. Nous rappelons que le budget du CNU est d'environ 4 millions d’euros qu’il faut comparer au budget de l’AERES, qui est passé de 5 à 15 millions en cinq ans. Nous ajoutons que le montant du crédit impôt recherche est de 6 milliards. In fine, le nombre de candidats recrutés avec ou sans qualification sera évidemment le même puisqu’il répond à la demande de l’établissement. Mais l’un des processus, au contraire de l’autre, comporte une estimation nationale par les pairs et est basée sur une logique essentiellement scientifique avec un fonctionnement collégial pour un coût inférieur. Merci.
Corinne Bouchoux
Merci et bravo d’avoir tenu les délais. Je donne la parole à Jean-Luc Vayssière, Président de l’Université de Versailles Saint-Quentin pour nous exposer son point de vue en dix minutes.
Jean-Luc Vayssière
Merci. Je pense avoir été invité pour m’être exprimé dans un sens un peu différent de mon collègue. Je voudrais élargir et mettre en perspective la problématique qui est liée à cette question du recrutement et à la qualification. Je m’exprime en position de Président d’université, avec ses obligations, ses difficultés, ses espoirs. Qui plus est je suis Président de l’Université de Versailles Saint-Quentin, université en banlieue, qui est dans un environnement très concurrentiel, l’Ile-de-France, avec de très grandes et anciennes universités très bien dotées, avec des grandes Ecoles, avec des organismes de recherche et des laboratoires propres. Néanmoins, je suis, avec la communauté, très soucieux de la qualité du recrutement de nos enseignants-chercheurs et des personnels, des enseignants. Nous sommes très soucieux de la qualité des recrutements, de pouvoir faire venir des jeunes maîtres de conférence mais aussi les garder, ou éviter que les professeurs aillent vers Paris 1, Paris 2 en SHS ou Paris 6 en sciences et technologie. J’en ai même qui vont à Polytechnique. Vous voyez, quelque part ça veut dire que nous avons de bons enseignants chercheurs à l’UVSQ.
Au-delà de la question de l‘attractivité de mon université il y a la question de l’attractivité du métier d’enseignant chercheur. Je dirais, si j’élargis encore un peu plus, qu’il y a la question de l’attractivité du doctorat en France. Ce sont des points qui ont déjà été évoqués un peu précédemment. En effet, si on se penche sur ce qu’est le métier d’enseignant-chercheur, et je dirais plus particulièrement celui de maître de conférences car quand on est professeur on a un peu plus de souplesse et de liberté. Qu’est ce que le métier de maître de conférences ? C’est un métier qui est mal payé, au regard d’autres emplois qui demandent le même nombre d’années d’études, un métier qui n’est pas vraiment valorisé, ça fait bien de dire qu’on est historien, c’est un peu moins bien de dire qu’on est chimiste. C’est un métier où, en tant qu’enseignant, on n’a pas forcément les étudiants les plus enthousiastes, notamment en licence et vous comprenez qu’il y a une pression très forte des autorités pour que les universités se concentrent sur la licence, fassent réussir tout le monde et accueille des bacs professionnels. Egalement, et Madame Bonnafous l’a évoqué, le maitre de conférences est pris par de l’enseignement, de l’administration au sens très large du terme. L’enseignement veut dire être devant des étudiants mais aussi préparer les cours, préparer les sujets d’examen, les corriger, préparer des réunions pédagogiques. Il faut également, quand on prépare un nouveau contrat pluriannuel, revoir les maquettes et se réunir, il faut beaucoup de temps autour de l’enseignement et les actions administratives, il reste un peu de temps après pour la recherche. J’ai eu une conversation hier avec un jeune collègue, brillant historien médiéviste, qui a réussi à avoir une délégation CNRS pour préparer son HDR - qui est une nouvelle thèse en mille pages parce que le CNU exige des choses importantes. Il me dit : « je passe à peu près 20% de mon temps à la recherche ». Evidemment son temps n’est pas 35 ou 37h, vous l’avez compris, c’est beaucoup plus. Je dresse un portrait un peu sombre. Evidemment la situation n’est pas toujours la même dans toutes les universités. Certaines sont mieux dotées que d’autres en personnels enseignant-chercheur mais aussi en personnels administratifs. Quand vous avez « abondance » de personnels administratifs, ça allège un petit peu les tâches administratives qui sont souvent faites par les enseignants chercheurs. Je vous le dis, il y a bien sûr des universités où il y a nombre d’enseignants chercheurs, il suffit de se pencher sur le rapport qui a été fait par l’Assemblée Nationale et qui a été publié tout récemment. Vous pouvez avoir des décharges plus facilement sur les trois premières années par exemple. On n’aime bien parler de la France Républicaine, de la régulation nationale, de l’égalité, mais là encore, vous le comprenez, comme ailleurs dans le secteur de l’Education Nationale, l’égalité est un voeu pieu, une ambition, un objectif à long terme.
L’autre point, si on sort de l’université, c’est que l’université est en concurrence avec les Ecoles et avec les organismes de recherche. Vous avez des Ecoles, les plus grandes et les moins grandes, et les organismes de recherche comme le CNRS, l’INRIA. Nous avons là une nouvelle famille de concurrents pour les universités et notamment pour la mienne. Combien de fois à l’issue du processus de recrutement, les premiers de la liste s’en vont au CNRS ou à l’INRIA ? Pour ce que vous comprenez bien, neuf fois sur dix, lorsque le candidat a le choix, il va au CNRS ou l’INRIA, voire au CEA. Cela il faut bien l’avoir en tête dans notre réflexion et notre discussion. Nous sommes donc avec des armes différentes, ce qui met en lumière l’image qui est donnée de l’enseignement dans l’université puisqu’on a une fuite de l’enseignement vers la seule recherche.
Quelles sont les conséquences de cette situation ? Vous voyez la situation inégalitaire au delà du processus de régulation nationale. Je pense que les enseignants chercheurs sont dans un état d’abattement. Je ne sais pas si vous avez vu le rapport secret des préfets sur l’état de la France qui a été mis sur la place publique. J’y retrouve un petit peu cette impression, une certaine résignation, une certaine apathie. On n’est pas encore dans le désengagement mais il en manque peu. Néanmoins on observe une hypersensibilité sur certains points notamment lorsqu’on touche au statut de l’enseignant-chercheur. On a alors une explosion, une explosion pacifique. Comme vous l’avez cité tout à l’heure Madame la Sénatrice, vous avez été abreuvée de courriers, vous avez vu une réaction très vive des enseignants chercheurs lorsque les élus d’EELV ont proposé deux amendements. Il y a eu une petite astuce, si j’ai bien compris puisqu’il n’y en a qu’un qui a été mis sur la place publique et adopté avant d’être retiré, sur la question de la qualification. J’ai du mal à comprendre. C’est le problème d’être toujours à chaud chez les enseignants-chercheurs, de sentir qu’on a essayé de toucher à leur statut national de fonctionnaire. Sinon je ne comprends pas cette réaction très violente par rapport à la question de la qualification, je ne comprends pas les arguments qui sont donnés en faveur de la qualification par le CNU où j’ai l’impression qu’il y a une schizophrénie des collègues qui se prévalent à juste titre d’une intelligence certaine, d’un sens de l’autonomie et de l’indépendance. Comment alors ne seraient-ils pas capables de gérer dans leurs établissements le recrutement de leurs collègues ? Quel serait l’intérêt pour eux de recruter des mauvais enseignants-chercheurs ? En préliminaire j’ai expliqué la problématique que nous avons. Quand je dis ça je ne veux pas dire seulement moi, Président d’Université, mais également mes collègues en mathématiques, en histoire ou en médecine. J’ai encore du mal aujourd’hui à comprendre cette hypercristallisation sur la qualification si ce n’est ce sentiment d’angoisse des collègues d’autant qu’on remet sur le tapis un nouveau statut des enseignants chercheurs. Je ne pense pas qu’on puisse aller très loin en raison des moyens publics dont on dispose, au regard de ce que j’ai pu décrire de la situation des enseignants-chercheurs, des jeunes maîtres de conférences, on voit bien quel serait le remède : revenir à un système antérieur à celui de 1984 en termes de volume d’enseignement par exemple, également avoir des dotations plus importantes en personnels administratifs pour soulager et accompagner l’enseignant pour qu’il se consacre à ses deux missions en temps à peu près équivalent, c’est-à-dire l’enseignement et la recherche. Je ne pense pas que les choses évoluent profondément, surtout dans une situation où il n’y a pas de moyens financiers.
Corinne Bouchoux
Merci. Nous allons passer à l’éclairage suivant, celui d’une catégorie qui nous a extrêmement sensibilisés avant le vote de la loi. Je dois dire que proportionnellement nous avons reçu beaucoup d’emails de doctorants, d’associations de docteurs et très peu d’enseignants-chercheurs. L’enquête n’a pas du tout de prétention scientifique mais je dois vous avouer, et c’est peut-être la pétition qui a fait parler de la loi, que la moitié des enseignants du secondaire ne savaient pas qu’une loi les concernant et concernant la recherche était en vote au Sénat. C’est l’information que je voulais vous donner et on en tire les conclusions que l’on veut. Je vais donner la parole à Carole Chapin, Présidente de la Confédération des Jeunes Chercheurs qui va d’abord essayer de la présenter pour ceux qui ne la connaitraient pas et ensuite de dire comment les jeunes chercheurs voient ce débat, voient la qualification et se positionnent.
Carole Chapin
Merci. Je tiens tout d’abord à remercier Mesdames les Sénatrices Marie-Christine Blandin et Corinne Bouchoux d’avoir organisé ce colloque, cette réflexion et d’avoir permis aux jeunes chercheurs d’y présenter leurs opinions et leurs expertises. Effectivement en quelques mots la CJC regroupe une quarantaine d’associations de doctorants et de jeunes docteurs qui sont des associations impliquées dans la reconnaissance du doctorat et notamment la reconnaissance du doctorat comme une expérience professionnelle de recherche pour des candidats qui se destinent ensuite à des carrières diverses liées à leurs compétences de chercheur.
Maintenant je peux peut-être rebondir sur les derniers mots de Monsieur Vayssière sur cette hypersensibilité des enseignants chercheurs sur le sujet de la qualification. C’est vrai que j’avais prévu de commencer là-dessus parce qu’en étant dans une table ronde sur les conséquences de la LRU, il me semble qu’effectivement toutes les inquiétudes qui ont été réaffirmées en juin, au moment de la réflexion sur la suppression ou non de la qualification, sont liées à des inquiétudes des dérives possibles d’une trop grande autonomie du cadre de recrutement des enseignants-chercheurs. En effet, les principaux avantages de la qualification qui ont été soulevés à ce moment-là ont été rappelés par Monsieur Denis à l’instant. Il s’agit du fait de garantir un recrutement national transparent et d’assurer un rempart contre l’accès à des postes pour des candidats ayant fait une thèse dont la qualité scientifique pourrait être remise en cause.
Mais pour clarifier le débat, mes premiers mots seraient de rappeler qu’on peut tout à fait remettre en cause la procédure de qualification et/ou son format actuel sans pour autant, et c’est la position de la CJC, remettre en cause la dimension nationale du recrutement par l’intervention du CNU. Au contraire, nous réaffirmons l’intérêt et l’importance de ce caractère national et transparent. Par une réflexion sur la remise en cause peut-être de la procédure de qualification actuelle, nous pensons qu’il serait nécessaire plutôt de l’améliorer et de s’affranchir d’un certain nombre de conséquences de la procédure actuelle dont la plus grave est à notre sens la dévalorisation du doctorat au sens large. De fait, le but officiel de la qualification tel qu’il est affiché, c’est-à-dire valider la compétence propre au métier d’enseignant-chercheur et sans reconsidérer la valeur du doctorat en tant que tel, est essentiel dans les recrutements. Est ce qu’on peut s’estimer aujourd’hui satisfait de la façon dont cet objectif est rempli, dont il est utilisé ? En réalité la plupart des jeunes chercheurs auraient tendance à dire que non car, trop souvent, la qualification est détournée comme un filtre pour filtrer les mauvais doctorats. La conséquence la plus grave est évidemment la dévalorisation du doctorat en général, y compris en dehors du monde académique car cette méfiance est transmise au secteur privé. Alors pourquoi dans l’état actuel des choses, dans la façon détournée dont la qualification est utilisée aujourd’hui, y-a-t-il une dévalorisation du doctorat ? C’est très simple. C’est parce que toute couche supplémentaire, évidemment quand il ne s’agit pas d’évaluer je le rappelle une compétence ciblée et précise comme l’évaluation des compétences d’enseignement, nuit à la valorisation du doctorat puisqu’elle suppose que le grade de docteur en lui-même n’est pas suffisant pour garantir un certain nombre de compétences scientifiques. Alors peut-être est-ce lié aux conséquences de la loi LRU, peut-être est-ce pour cela qu’il y a autant de méfiance pour les jurys locaux, peut-être que cela existait déjà avant et c’est sans doute le cas, en fait le monde académique se méfie des thèses dites « de complaisance » et cette méfiance se propage à l’ensemble de la société et vient ternir l’image du doctorat. Attention mon propos doit être évidemment nuancé par un certain nombre de différences de pratiques entre les sections, entre les procédures, mais le simple fait qu’il y ait une telle hétérogénéité entre les sections démontre bien qu’il y a des lacunes dans la procédure actuelle. Donc oui le véritable problème est effectivement la délivrance de doctorats qui ne valent pas ce que doit valoir le doctorat et qui poussent la qualification à se détourner de ses fonctions premières. Est-ce que la qualification est un bon rempart ? Peut-être pas, peut-être même qu’elle devient un rempart moyen mais quand même acceptable. Ça nous dispense de considérer sérieusement les moyens de lutte contre les mauvaises pratiques. Peut-être aussi et surtout que cette utilisation, qui encore une fois n’est pas la bonne mais qui existe en pratique, a fini par établir une hiérarchie entre les doctorats, par distinguer des « bonnes » et des « moins bonnes » thèses alors que la qualification devrait être uniquement le signe d’un choix de carrière spécifique. Les débouchés des docteurs sont multiples, il y en a un qui est d’être enseignant-chercheur et c’est là que la qualification doit intervenir, sauf qu’aujourd’hui les employeurs privés vont aller regarder si la qualification a été attribuée pour vérifier la qualité d’une thèse. Vous m’apprenez également qu’aujourd’hui certains pays la considèrent aussi comme une garantie de qualité et de compétences.
En définitive quelle image est propagée à ce stade ? C’est que le doctorat n’est pas un grade qui établit strictement un niveau de compétences à lui seul, et on voit des labels qui apparaissent de plus en plus. Combien de couches faudra-t-il avant que le doctorat ait cette valeur ? On voit aussi que les candidats non qualifiés peuvent être parfois considérés comme des candidats qui ne sont pas de qualité, sans prendre en compte qu’ils n’ont peut-être seulement pas souhaité être qualifiés et sans prendre en compte que peut-être ils avaient des profils variés, pluridisciplinaires. Cela peut avoir aussi comme conséquence négative d’orienter les doctorants à rechercher avant la fin de leur thèse la qualification, à orienter leurs recherches de manière biaisée non en fonction des exigences scientifiques de leur travail mais en vue de l’obtention de la qualification dans une section précise. Vous avez dit qu’il y avait une réflexion en ce moment sur ce sujet et c’est une très bonne chose car les recherches transversales pluridisciplinaires sont évidemment un levier pour l’innovation scientifique. On voit donc toutes les conséquences négatives de ces emplois détournés de la qualification et il est nécessaire de trouver un moyen de garantir le recrutement des enseignants chercheurs contre ces emplois abusifs. La prise en compte des dérives possibles du recrutement local ne doit pas empêcher de revoir la procédure de qualification tout en conservant son caractère national, transparent, objectif.
Quelles sont les pistes possibles ? Monsieur Denis les a évoquées tout à l’heure. On peut imaginer faire intervenir le CNU à un autre moment de la procédure de recrutement, par sa participation à la sélection des dossiers de candidats pour un poste, par sa présence au sein du comité de recrutement dans les établissements en gardant exclusivement des membres du CNU extérieurs à l’établissement concerné pour garantir cette dimension nationale. On peut garantir l’objectivité des interventions des membres du CNU par le fait que les chercheurs et les enseignants chercheurs, qui vont observer les compétences d’enseignement et de recherche des candidats, soient tous élus et non nommés comme cela peut aujourd’hui être le cas. Pour permettre une diffusion plus large auprès des candidats qui sont les premiers concernés, ceux qui souhaitent accéder à ces postes, les jeunes chercheurs, nous pourrions les voir assister en tant qu’observateurs aux sections du CNU pour savoir, comprendre et essayer pourquoi pas d’apporter des idées et des expertises. Je pense que toutes ces pistes vont être explorées dans les débats d’aujourd’hui. Je vous remercie.
Corinne Bouchoux
Merci beaucoup, je donne la parole à Monsieur Antonio Freitas, représentant du SNESUP, maître de conférences en informatique à l’Université d’Auvergne.
Antonio Freitas
Merci. Je suis là au nom du SNESUP. Le SNESUP estime que la LRU et les RCE ont confirmé dans la loi un changement de cap qui s’est opéré dans les universités françaises au début des années 2000 avec le processus de Bologne et qui s’est poursuivi avec la formule célèbre : « l’économie de la connaissance ». Nous estimons que l’ensemble des textes réglementaires pour la dernière décade de l’enseignement et de la recherche affecte de façon négative le service public, le statut de fonctionnaire d’État ainsi que les missions d’enseignement et de recherche. Nous considérons que l’éducation, le savoir, la création et la transmission des connaissances ne sont pas des marchandises qu’on présente sur un étalage. Nous devons nous placer dans une relation collective au savoir et non individuelle. Cela doit être un service public, chaque usager doit pouvoir y accéder sans barrière de coût et/ou sociale. C’est le principe d’égalité. Nous estimons que le développement et la défense du service public confirment et contribuent à la consolidation d’un modèle de société plus égalitaire où des espaces fondamentaux ne sont pas sous la pression marchande.
Depuis la LRU, le maillage universitaire sur l’ensemble du territoire est mis à mal en consacrant quelques pôles dits d’excellence. Un ensemble de dispositifs avec des suffixes en –ex, Labex, Equipex, Idex, participent à une opération de vases communiquant, concentrant des moyens importants sur quelques pôles et paupérisant quelques autres. Quand je fus recruté en 1997, c’était plutôt des considérations géographiques ou météorologiques qui pouvaient orienter mon choix vers une université de Paris, de Marseille ou de Clermont-Ferrand. Je pensais que chacune d’elles allaient pouvoir m’offrir les mêmes conditions pour mener à bien mes missions d’enseignement et de recherche. Je pense que ce n’est plus le cas et la nouvelle loi, qui s’appuie sur la régionalisation des universités, ne va pas corriger le phénomène puisque les considérations économiques vont aboutir à une refonte discriminante des formations et des activités de recherche.
Deuxième point impacté, la fonction publique d’Etat et l’enseignant-chercheur comme fonctionnaire public d’Etat. La RCE et l’autonomie budgétaire, dispositif sur lesquels prospère aujourd’hui l’austérité, font que le statut de fonctionnaire, l’égalité de traitement et l’indépendance des chercheurs sont menacés. Une part de plus en plus importante de la rémunération est liée à des primes qui ne correspondent pas à une activité supplémentaire. Par exemple, la PES qui distingue l’excellence scientifique, dont le montant est variable d’une université à l’autre, est prétendument liée à une valeur scientifique mais décidée par des experts désignés par les établissements. La PDER était elle une rémunération liée à une activité soutenue d’encadrement doctoral. Autre exemple, certaines universités mettent en avant des primes de recrutement pour attirer les meilleurs. Ce genre de « mercato » entraîne un classement des universités qui pour le coup n’est pas fait sur des valeurs scientifiques. Nous jugeons ces dispositifs indemnitaires discriminants. De bons résultats de recherche et de formation sont le fruit d’un travail collectif et collaboratif. Focaliser sur l’individualisation de la prime au résultat est, et sera, contre productif. Nous pouvons ajouter la procédure de recrutement locale avec des comités de sélection qui remettent en question la notion même de concours puisque bien trop souvent ces comités sont constitués en fonction du candidat choisi préalablement. L’indépendance sur les orientations de recherche nécessaire à la création scientifique est mise à mal par la faiblesse des financements récurrents et le financement massif par projet. Croire que l’on peut piloter la recherche est une erreur. La seule conséquence est une activité très portée par l’ingénierie pour une valorisation immédiate contre-productive à moyen terme. Et la nouvelle loi de l’enseignement supérieur nous pousse un peu plus vers le transfert et la valorisation. Le CNU est vu par le SNESUP comme un outil de régulation national pour le recrutement et la gestion des carrières des enseignants chercheurs. C’est un dispositif démocratique composé majoritairement d’élus. Les nommés sont choisis dans un objectif d’équilibrage disciplinaire et géographique. Nous sommes loin de l’idéologie néolibérale que certains veulent appliquer à l’université. Quelle entreprise recrute et promeut sur la base d’un consensus démocratique ?
Troisième point impacté, les missions d’enseignement et de recherche. Enseignant-chercheur est un métier qui ne doit pas se confondre avec le métier de chercheur dans les organismes de recherche ou d’enseignant dit du second degré. Le lien entre enseignement et recherche est fondamental à l’université. L’enseignant-chercheur fait le lien entre la recherche et la formation des étudiants. La valorisation pour nous est là. Demander aux agents de migrer vers l’une ou l’autre de ces missions est, et sera, contre-productif. La modulation du service d’enseignement apparaît comme une punition d’une activité de recherche qui n’est pas reconnue comme excellente. C’est avant tout une mesure comptable immédiate permettant une rémunération identique pour un service alourdi évitant au passage la création de postes d’enseignants-chercheurs et des autres personnels d‘université. Nous constatons que l’investissement dans une activité de recherche de l’agent est donc considéré comme improductif. De plus, les charges de travail au quotidien se sont accumulées. Par l’octroi de nouvelles missions mais aussi par le glissement vers des fonctions purement administratives pour compenser le manque de personnel. Une autre conséquence est la valse des contractuels qui ne permet pas d’assurer la continuité du service. La plupart des agents en poste sont obligés de palier l’inconvénient. Autre tâche chronophage en recherche, les appels à projet qui demandent un temps de rédaction qui n’est en aucun cas en rapport avec le taux d’occupation du financement. Il faut donc un plan pluriannuel ambitieux de création d’emplois. La gestion pédagogique des formations nécessite une expérience forte du métier. Il faut institutionnaliser la formation à l’enseignement des doctorants et la formation continue des enseignants chercheurs en poste, qui n’existe actuellement pas du tout.
La qualification est dont une étape importante, déterminante, dans la reconnaissance de l’activité d’enseignement et de recherche. Toute dérogation à ce principe participera à une stigmatisation du CNU. Une majorité des collègues estime que le CNU représente une garantie face aux dérives du localisme et aux cooptations possibles. Les agents sont donc attachés à un service public d’enseignement supérieur, défendront un statut de fonctionnaire d’Etat dans toute sa dimension et veulent une Université française qui leur permette de mener à bien leur activité de recherche et de la valoriser dans la formation de nos étudiants. Merci.
Corinne Bouchoux
Merci beaucoup pour la clarté de vos propos et pour avoir tenu les délais. Je vais donner la parole à Madame Florence Jany-Catrice, économiste, professeure à Lille 1 et membre de l’AFEP. Peut-être pouvez-vous nous présenter l’AFEP pour ceux qui ne la connaissent pas et nous donner votre éclairage sur le statut des enseignants-chercheurs six ans après la LRU.
Florence Jany-Catrice
Merci. Je tiens tout d’abord à vous remercier et à remercier Marie-Christine Blandin pour cette initiative qui est tout à fait salutaire. Je ne viens pas ici en mon nom mais je suis là pour représenter l’Association Française d’Economie Politique qui a été créée en 2009, je vais y revenir. Mon propos sera sans doute quelque peu disciplinaire mais il se voudra indiscipliné. A l’aune de ce que je viens d’entendre, je pense qu’il sera assez heuristique pour un certain nombre d’autres sections, que la section 05 dont je parlerai ici.
Nous avons vécu en 2007-2008 une crise, une crise économique et financière qui était aussi une crise de société, et qui, pour un certain nombre d’économistes, était considérée pas seulement comme une crise économique mais aussi comme une crise de la discipline « Economie ». Le propos n’est pas corporatiste: la crise économique n’impacte pas seulement les traders, elle impacte l’ensemble des citoyens. Elle doit alors resurgir sur la manière dont nous nous emparons de ces questions. La science économique en tant que discipline est particulièrement concernée parce qu’elle entretient un lien étroit depuis des décennies avec le pouvoir ; elle est un proche conseiller du prince. Ce n’est pas propre à cette discipline, mais celle-ci est bien concernée par ce rapport de proximité au pouvoir. Elle nourrit les politiques économiques et de très nombreux experts sont convoqués en tant qu’économistes, y compris pour aborder un certain nombre de sujets qui ne relèvent pas directement de l’économie, comme les sciences de l’éducation, les problèmes de banlieue ou autres. C’est donc une vieille tradition, mais ce qui s’est aggravé est que les conseillers du prince sont de plus en plus caractérisés par une pensée unique. Dans les propos liminaires qui nous ont été présentés ce matin, la question de la diversité a été soulignée. Or cette diversité intellectuelle est en passe de disparaitre en économie.
La pensée unique est le fruit direct du jeu des institutions de l’académisme aujourd’hui. C’est ce dont je voudrais parler maintenant. Cette pensée est légitimée par la discipline et ses dispositifs d’évaluation, qui fait progressivement mourir le pluralisme. Le « pluralisme » est le fruit d’une vieille tradition de l’économie politique des XVIIIe et XIXe siècles et dont la France était très fière dans les années 1950 à 1980. Cette accélération de la mort du pluralisme s’est accélérée dans les années 1990 et est aujourd’hui reprise par un ensemble de politiques autour de « there is no alternative ». Cela est véritablement un drame pour nos démocraties. L’AFEP, créée en 2009, c’est à dire au plus grand moment de la crise, regroupe aujourd’hui 600 adhérents ce qui représente une part non négligeable des enseignants en poste aujourd’hui. Elle porte depuis trois ans un diagnostic extrêmement précis des institutions et des dispositifs dans ces institutions qui justement produisent et sont de véritables verrous pour le renouvellement du pluralisme de la pensée en économie.
Parmi ces institutions, la section 05 du CNU oeuvre comme un frein. Depuis plusieurs décennies en effet, et en particulier depuis deux décennies, elle s’arc-boute sur l’idée que pour faire de la science économique il faut être issu du mainstream de la théorie néoclassique ou développer des travaux méthodologiquement très sophistiqués, notamment en matière économétrique. Dans le fond c’est une posture qui est devenue scientiste. Nous avons perdu progressivement l’idée que pour faire de la science économique on pouvait aussi travailler sur des débats théoriques fondamentaux : qu’est ce que la richesse, qu’est ce qui fait valeur dans une société, comment se construisent les prix, peut-on tout marchandiser ? Ce sont évidemment des questions que les économistes n’ont plus vraiment le droit de se poser, en tout cas sous cet angle d’économie politique.
Cette fin du pluralisme et cette posture scientiste sont produites par un certain nombre de dispositifs qui verrouillent ce pluralisme. Parmi ces dispositifs j’en distingue au moins deux. Le premier est l’agrégation du supérieur qui est une véritable anomalie dans six des sections du CNU. Ce sont les sections qui sont justement les plus proches du pouvoir comme la science politique, le droit, la gestion et l’économie. L’agrégation du supérieur produit des logiques de cooptation, de consanguinité. On est loin du pluralisme évoqué par Monsieur Fontanille tout à l’heure. Elle produit des professeurs qui ont à peine trente ans et qui n’ont jamais tenu aucune responsabilité, aucune thèse et qui n’ont jamais été engagés dans des collectifs de travail. Elle produit à peu près les deux tiers des professeurs dans les universités en France. Or, nous savons que les professeurs d’université, ceux-là même qui sont à l’origine de ce verrouillage institutionnel que constitue l’agrégation, sont ceux qui sont légitimes pour tenir les écoles doctorales, pour présider les universités, pour tenir les masters, pour présider les jurys de thèse. Au fond il suffit de verrouiller l’accès au rang de professeur pour verrouiller le pluralisme d’une pensée. Ce que l’on voit se produire c’est la production d’intellectuels très monocolores, très « confirmationnistes » si je peux m’exprimer ainsi, et qui ne préparent sans doute pas aux défis économiques que nous pose le XXIe siècle. La suppression de l’agrégation est donc une urgence, une urgence forte que porte l’AFEP mais elle est de notre point de vue insuffisante puisqu’il y a d’autres verrous au sein du CNU 05.
Le deuxième verrou est l’évaluation, déjà été évoquée par Monsieur Freitas, mais je vais la reprendre de notre point de vue. Nos sociétés sont malades de l’évaluation. Pas seulement nos universités, mêmes si elles se plient, elles aussi, à l’évaluation aigue. Le caractère quasi-juvénile dans le rapport obsessionnel que nous entretenons avec le benchmarking, avec le classement de Shanghai en particulier, mais aussi, j’y reviendrai, avec le classement des revues, est tout à fait étonnant, pour ce qui constitue la plus haute instance intellectuelle dans notre pays. Nos sociétés sont malades de la performance, et le pluralisme en économie, était bien plus vivant avec des dispositifs de coopération fondés sur la confiance. Nous avons absolument besoin de restaurer la confiance dans la recherche. Or, pour faire de la recherche authentique, nous ne pouvons pas toujours donner des gages de ce que nous allons trouver avant même d’avoir commencé nos recherches. Le temps de reporting et le temps de réponse à des appels d’offre réduisent durablement la performance individuelle et collective de nos institutions. La pensée unique s’est donc développée concomitamment à ce que l’on appelle la bibliométrie, très exacerbée dans le champ de l’économie. La mission de l’enseignant-chercheur est devenue aujourd’hui, en économie et particulièrement chez les professeurs, de produire des « publiants » (de rangs A). Cela est différent que de produire des « chercheurs ». Exit toutes les autres missions qui ont été amplement argumentées antérieurement, et qui sont particulièrement importantes. En économie, il s’agit aussi de savoir produire des étudiants qui vont ensuite entrer sur le « marché » du travail et non pas de devenir des citoyens éclairés sur la chose économique. Il faut aussi qu’on tienne compte des missions d’animation de filière et de direction de revue. Cela n’est plus le cas. Le verrouillage est aussi lié au fait que les bonnes revues sont seulement les revues anglo-saxonnes. Je n’ai rien contre l’internationalisme lorsqu’il sait raison garder. Nous avons aussi besoin de produire des communautés francophones, et il est important de ne pas lâcher sur cette position. Il faut aussi tenir compte de la diversité des langues, légitimer les langues hispaniques etc.
Les évaluateurs, du fait de cette bibliométrie, n’étudient plus les dossiers, ne lisent plus les articles, ne s’intéressent plus au contenu de ce que nous produisons, ils tendent à compter les étoiles des publications. On peut donc quasiment déléguer l’évaluation à des techniciens. Sur ce point-là, nous revendiquons a minima la publication de listes plates, ce qui est l’essentiel des sciences humaines et sociales. Je plaide aussi pour que les sciences humaines et sociales ne soient pas séduites par la hiérarchie des revues et qu’elles restent fermes sur l’idée de listes plates.
Dernier point et non des moindres, tout cela a des conséquences sur l’enseignement, qui est l’une de nos grandes missions. La fin du pluralisme en recherche sonne le glas du pluralisme dans l’enseignement. Le jour où nous n’aurons plus de chercheurs relevant des traditions de l’économie politique, du post-keynesiannisme, de la socio-économie, de l’institutionnalisme etc. il n’y aura plus de diversité dans les méthodes, dans les objets, telle que suggérée par Monsieur Fontanille. Cette déception produit des mouvements tels que PEPS dans l’enseignement supérieur, ce dont je me réjouis. On offre à nos étudiants des premiers cycles extrêmement formalisés, on fait d’eux des techniciens et non plus des citoyens cultivés capables de raisonner sur le monde qui les entoure. Ils doivent être capables d’employabilité bien sûr, mais aussi capables d’émancipation. .
L’urgence est là. Nous l’avons quantifiée à l’AFEP. Ainsi, entre 2000 et 2011, sur les 120 recrutements de Professeur des Universités, seuls six relevaient de l’économie politique hétérodoxe, soit 5%. Nous réclamons donc la création d’une nouvelle section, c’est une urgence. Nous considérons que l’économie est une science sociale et non une science exacte. Comme les autres, elle n’a aucune visée hégémonique. Nous voulons une section qui relèverait du droit commun parce que le CNU, lorsqu’il n’est pas verrouillé par un certain nombre d’instances, est une bonne instance.
Trois-cents enseignants chercheurs ont déjà affiché courageusement qu’ils seraient prêts à rejoindre cette nouvelle section, si celle-ci était créée. La création d’une nouvelle section pour 300 chercheurs (c’est-à-dire plus que l’ensemble de la section de science politique réunie aujourd’hui), c’est une section déjà importante. Ça serait une section peu coûteuse ; elle nécessiterait juste un peu de courage, et de soutien politique à sa création. On renouerait alors avec la diversité que réclamait Monsieur Fontanille. Je vous remercie.
Corinne Bouchoux
Merci beaucoup Florence Jany-Catrice. Je vais donner la parole maintenant, avant d’avoir un temps de débat partagé dont je vous donnerai les règles, à Madame Isabelle This Saint-Jean, vice-Présidente du Conseil régional d’Ile-de-France chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche, dont elle pourra nous préciser le volume mais qui doit être énorme à l’échelle du pays, et qui est toujours enseignante à l’Université Paris 13. Vous avez la parole pour dix minutes.
Isabelle This Saint-Jean
Merci, je voudrais également vous remercier pour avoir pris cette initiative et je remercie Marie-Christine Blandin également. Avant de prendre au sérieux l’intitulé de la table ronde sur le statut des enseignants chercheurs je vais prendre un peu de recul et essayer d’identifier les grands objectifs politiques qu’on doit poursuivre quand on se pose ces questions là. Quand on essaye de réfléchir, on se dit que les objectifs qu’on doit atteindre sont d’amener un plus grand nombre possible de jeunes à un niveau de qualification et de faire en sorte que le processus de démocratisation de l’enseignement supérieur se remette en marche. On est dans un moment de recul de la démocratisation de l’enseignement supérieur. On doit permettre la réussite du plus grand nombre parce que notre pays en a besoin, parce que notre avenir s’inscrira si on est en capacité d’amener le plus grand nombre de jeunes à un niveau de qualification. A côté de ça il faut qu’on sorte de la chape de plomb qui nous est tombée dessus, qui s’est accentuée ces dernières années et qui est une société complètement reproductrice et coincée par un certain nombre de considérations, j’y reviendrai, et en particulier cette dualité entre Ecole et Université. Je ne dis pas Grande Ecole à dessein. A l’intérieur des Ecoles la question des Grandes Ecoles se pose également mais il y a une dualité. C’est le premier grand objectif, la réussite et la réussite des jeunes issus de milieux défavorisés.
Deuxième objectif, la recherche et la capacité de notre pays à rester un immense pays de recherche, parce que nous sommes un immense pays de recherche. Nous avons un potentiel scientifique absolument extraordinaire qui a été insulté par Nicolas Sarkozy en 2009, ce qui a aidé au mouvement de ras-le-bol généralisé qu’il y a eu dans les universités. Au moment de ses voeux il expliquait que les Prix Nobel étaient les arbres qui cachaient la médiocrité de la science française, que les gens étaient dans les laboratoires et les amphithéâtres parce qu’il y avait de la lumière et du chauffage. On a tous été atterrés et ça a participé à cet incendie qu’il y a eu dans les universités et les laboratoires. La recherche et la connaissance ont valeur en elles-mêmes, et ça il faut le rappeler en permanence. Le savoir et la connaissance sont des valeurs émancipatrices qu’il nous faut poursuivre et mettre au coeur de nos politiques. Il faut que ce savoir sorte des laboratoires, qu’il diffuse dans la société, qu’il diffuse dans l’économie. Je n’ai pas peur de parler de valorisation de la recherche, je n’entends pas par valorisation uniquement la valorisation économique de la recherche mais j’entends aussi valorisation économique parce que la valorisation est la condition de mise en place d’un nouveau modèle de développement économique créateur d’emplois qui soit plus durable. Je crois que beaucoup d’entre vous ici souhaitent cela et en tout cas je le souhaite personnellement. Nos grands objectifs vont aussi avec une volonté de faire en sorte que la France devienne à nouveau ce secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche rayonnant et ouvert, que les échanges, qui sont au coeur de la recherche et de l’enseignement supérieur, puissent se redévelopper, qu’on soit en capacité d’envoyer nos chercheurs et nos étudiants et de recevoir des chercheurs et étudiants venus de la planète entière et en particulier de l’Europe. Pour construire l’Europe, l’Europe du savoir et de la connaissance sera un élément déterminant. Voilà nos grands objectifs.
Quand on a ça et qu’on regarde la situation de l’enseignement et de la recherche publique française on voit une chose formidable, je l’ai dit tout à l’heure, c’est ce potentiel scientifique et le prestige de ses institutions, de certaines de ses institutions. Et puis on voit une autre chose formidable, l’engagement des personnels de la recherche et de l’enseignement supérieur dans leur métier. C’est quelque chose d’absolument précieux et qu’il nous faut préserver. C’est probablement là où on a la principale difficulté aujourd’hui. Toute une série de raisons font qu’on a un épuisement de ce milieu. Je suis assez en accord avec ce que disait Jean-Luc Vayssière, on a un épuisement de la société française. Mais en particulier, dans le milieu de l’enseignement et de la recherche, on atteint une limite inquiétante. Vous avez des gens qui travaillent comme des fous. On est extrêmement loin des 35h. Vous avez des gens qui ont choisi ce métier par passion, et c’est bien de ça dont il s’agit. Pour un décideur public, pour un homme ou une femme politique, c’est quelque chose d’extraordinaire, d’être en capacité d’avoir des gens dans les services publics qui sont là par passion et qui sont prêts à y passer leurs soirées, leurs week-ends et leurs vacances, dans un engagement fort. C’est quelque chose d’absolument précieux et qu’il nous faut préserver, retrouver.
Le deuxième élément qu’il nous faut maintenir, c’est l’avenir de ce secteur. C’est là que la question de l’attractivité auprès des jeunes devient majeure. Nous avons en ce moment une situation de perte d’attractivité accélérée des carrières pour plusieurs raisons. La première est une question d’attractivité financière effectivement. Etre enseignant-chercheur aujourd’hui, c’est être à bac+8, pour faire vite. La réalité est beaucoup plus compliquée car dans beaucoup de disciplines l’âge d’entrée est de 32 ans en moyenne. Vous rentrez à 32 ans avec des conditions de rémunération qui ne sont pas terribles, avec des conditions d’exercice qui sont hautement dégradées et particulièrement ces dernières années avec le passage de 150h à 192h. Vous avez du coup des enseignants qui ont beaucoup plus d’enseignement que dans d’autres pays. En plus, très souvent vous avez des heures complémentaires subies pour faire tourner les maquettes. Vous avez un pays où le taux de personnel administratif par enseignant chercheur est l’un des plus bas. On était il y a quelques années en 27e position alors qu’on est le 4e ou le 5e pays de recherche et d’enseignement supérieur. Vous voyez que ça pèse sur les enseignants chercheurs qui sont obligés de faire quantité de tâches administratives au détriment de la recherche, de la politique scientifique et de la science, voire de la diffusion de la connaissance. On a quelque chose de complètement inopérant. On a donc une dégradation des salaires, une dégradation des conditions d’exercice, et, pour les jeunes, une situation où ils ont été amenés en situation d’enchainer les post-docs parce que les robinets de l’emploi public ont été fermés.
Simone Bonnafous l’a souligné, et je suis complètement d’accord avec elle sur ce point, il y a un problème de reconnaissance du doctorat en France lié à cette dualité entre Ecole et Université. On a quelque chose d’atypique par rapport à ce qui se passe dans d’autres pays où les gens mettent « docteur des universités » sur leur carte d’invitation. En France, quand vous discutez avec les entreprises, le docteur est vu comme quelqu’un d’un peu trop spécialisé et un peu aigri parce qu’il n’a pas été embauché dans le public. Ça change mais ça reste encore vrai, notamment dans les PME. Cette vision existe alors que les docteurs sont des gens extrêmement bien formés et que les entreprises auraient absolument intérêt à embaucher ces jeunes pour travailler avec eux. Il y a un énorme problème parce que même si on arrive à emmener des jeunes dans le doctorat, s’ils ne sont pas pris dans l’emploi public alors ils sont dans une situation extrêmement préoccupante parce qu’ils n’arrivent pas à trouver la place qu’ils méritent dans le secteur privé. On a là un verrou qu’il faut absolument faire sauter. Il faut recréer l’emploi public, ce qui nécessite au passage, qu’on redonne une marge de manoeuvre aux universités parce que pour l’instant les universités n’arrivent pas à réellement créer des postes. Je me suis réjouie de l’annonce de création d’emploi, ce sont 4000 postes annoncés mais le problème c’est qu’ils ne sont pas complètement créés car il y a fongibilité asymétrique dans le budget des universités et que les budgets sont tels qu’elles ne créent pas de poste. C’est un vrai problème. On continue à ne pas créer d’emplois publics. Il faut vraiment qu’on crée de l’emploi public. Il faut qu’il y ait un effort financier fait sur la recherche et l’enseignement supérieur. On est aujourd’hui à 1,5% du PIB, c’est à dire qu’on est en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE. Ça n’est pas possible, nous ne pouvons pas continuer comme ça, nous devons augmenter. Il faut créer de l’emploi public, faire en sorte que l’emploi soit revalorisé. Une fois qu’on a ça on pourra donner à l’enseignant-chercheur la possibilité de travailler et que la question de son statut deviendra secondaire. Le statut doit être fonctionnaire, titulaire de la fonction public car nous sommes très attachés au service public de l’enseignement supérieur, c’est un fait majeur. Le jeu concurrentiel n’est pas nouveau. Lorsque j’ai été recrutée il y avait déjà des endroits où on avait plus envie d’aller qu’ailleurs, mais ça s’est très nettement dégradé. Il y a des risques de voir l’université française se dissoudre et se dissocier en plusieurs universités différentes. Ce n’est peut-être pas la problématique de la régionalisation mais en tout les cas c’est une problématique de dissociation et je pense qu’il faut lutter contre ça. C’est là que des procédures nationales sont importantes. Il faut qu’il y ait un moment où l’enseignant n’est pas recruté simplement localement mais que témoigne, dans son recrutement, le fait qu’il a une dimension nationale. Je pense que c’est quelque chose d’extrêmement important. A côté des problématiques de localisme, qui sont des problématiques réelles, il faut garder quelque chose qui ait une dimension nationale, il faut garder un autre principe. Je suis effectivement d’accord, les comités locaux se posent cette question qui est la problématique du principe électif. Le principe électif est le moins mauvais principe pour garder quelque chose qui est fondamental pour nous, dans le milieu de la recherche et de l’enseignement supérieur, pour son efficacité, c’est le principe de collégialité. Si vous voulez avoir de la collégialité en oeuvre vous ne pouvez pas échapper au principe électif. Le CNU est une instance fondée sur ce principe électif, c’est important, même si bien sûr il faut aussi de la désignation pour combler les endroits où, dans les disciplines, il y a des trous. Et certes il y a des disciplines où la désignation pose problème, comme en économie, où elle a une composante politique, et en sciences humaines et sociales également.
Voilà les quelques éléments que je voulais donner. J’ai peut-être été un peu loin, plus loin que la problématique de la qualification mais je pense qu’on ne peut la penser que si on la remet dans cet ensemble là. La problématique est de défendre le service public d’enseignement supérieur où les universités jouent un rôle fondamental, d’autant plus aujourd’hui qu’il y a une fragilisation liée à la montée des Ecoles, non pas des Grandes Ecoles. Le problème n’est plus Ecole ou Université, même s’il faut travailler à la convergence entre elles pour arrêter avec cette spécificité française qui nous freine en termes de reproduction des élites. Sur un milieu, 0,057% d’une classe d’âge est dans les cabinets ministériels ou dans les conseils d’administration des grands groupes, ça pose un problème au dynamisme français. Mais surtout, ce qu’on voit monter depuis dix ans d’une manière irrépressible sont les petites et moyennes écoles, où les parents issus des classes moyenne et supérieure dont les enfants n’ont pas été pris dans les écoles les plus sélectives, pour éviter l’université, l’endroit où l’on a les gens quand même les plus qualifiés, envoient leurs enfants. Et cela même si l’on n’a aucune garantie de qualité sur ces écoles. C’est avec ces grilles là qu’il faut ensuite reprendre les questions centrales de la qualification, du recrutement. Quand on dit les choses comme ça on voit que c’est essentiel pour les enseignants chercheurs mais on n’arrivera à se faire entendre que si on repolitise les choses et qu’on ne se crispe pas. Je pense que ça a été l’un des problèmes en 2009, on a défendu nos statuts et qu’on a été, au bout d‘un moment, inaudible à l’égard du grand public car on ne réaffirmait pas assez les grands objectifs et les grandes réclamations. On n’est pas dans une défense corporatiste. Quand on défend les conditions de travail dans notre milieu et la capacité à faire de la recherche, on défend la société française et on défend la France.
Corinne Bouchoux
Merci Isabelle This Saint-Jean. Concernant les règles du jeu, un micro vous sera proposé après que vous ayez levé la main. Je vous demande de faire des questions courtes, précises, si possible de décliner votre identité car nous aurons des actes de ce colloque. Merci également de signaler à qui s’adresse votre question. Je propose de donner la parole, j’avais vu tout à l’heure une main se lever.
Heidi Charvin
Heidi Charvin, Université de Rouen, en psychologie, je suis à la CP-CNU et également co-responsable du secteur recherche du SNESUP. Je pense qu’il y a beaucoup de choses qui ont été abordées et qui touchent un peu les trois tables rondes. Je vais essayer de rester sur la première qui concerne le statut.
Sur cette question du statut, il me semble qu’il y a un débat de fond qui a été évoqué par les différents intervenants mais qui n’est pas nommé, c’est le problème d’embauche par rapport au problème de la qualification. La qualification serait-elle vraiment un problème si on avait le niveau d’embauche nécessaire pour les doctorants ?
Le deuxième élément qui n’est pas abordé dans le cadre de l’embauche est si on est dans le cadre d’une embauche en tant qu’enseignant-chercheur ou d’une embauche de chercheur. Or, le problème majeur qui se pose actuellement par rapport aux critères d’évaluation est qu’on n’évalue plus les établissements que sur de la recherche, sur du quantitatif médiocre et non pas du qualitatif. Il est plus facile de comptabiliser que de mettre des déterminants beaucoup plus fins. Un certain nombre d’établissements sont en train de se transformer en agence bis de recherche au détriment de la formation, or, à ce moment là, la thèse suffit pour embaucher des chercheurs. Dans le texte de loi et dans les propositions qui sont faites sur le statut des enseignants-chercheurs, et qui est malheureusement problématique, il est question qu’un certain nombre de chercheurs de Grandes Ecoles etc. n’aient pas besoin de qualification pour être embauchés dans les universités. Ça veut donc dire que les universitaires sont la voie secondaire après le reste. Comment demander à de jeunes chercheurs d’être embauchés puisque, même en termes d’avancée de carrière, les postes de PU, seront pris par les chercheurs collègues des grands organismes?
Sur la question je pense donc qu’il faut maintenir la qualification et on n’a pas parlé de la HDR mais ça fait partie de ces éléments là. La HDR n’est pas la condition nécessaire et suffisante pour devenir professeur des universités, c’est la compétence à encadrer les docteurs, c’est avoir eu un travail d’analyse, de synthèse, de réflexion, qui permet d’encadrer à haut niveau.
Corinne Bouchoux
Merci, on va prendre encore quatre questions.
Florent Olivier
Bonjour, Florent Olivier. J’ai une question pour Monsieur Denis. Dans le cadre de l’objectif évoqué par Madame This Saint-Jean de démocratisation de l’enseignement supérieur, vous avez argumenté au nom de la CP-CNU autour de deux points, la protection contre le localisme, mais également et surtout pour moi la qualité pédagogique. J’aimerais vous suivre là-dessus sauf que je ne comprends pas du tout l’argument. J’aimerais comprendre comment vous pouvez être garant de la qualité pédagogique alors qu’il n’y a pas de formation initiale ni pour les doctorants, ni pour les maitres de conférences, ni encore de formation continue. Je ne vois vraiment pas sur quoi vous vous basez pour justifier cela.
Michel Gay
Bonjour, Michel Gay, Secrétaire général de Sup Autonome. Il faut replacer aussi les problèmes de recrutement des enseignants chercheurs par rapport à la condition de l’enseignant chercheur. Ces dernières années il y a eu des multiples réformes portées par des majorités différentes qui ont eu très peu de résultats mais qui ont toutes aggravé la condition des enseignants chercheurs. Ce qu’on voit aujourd’hui c’est que les enseignants chercheurs sont la variable d’ajustement des difficultés de l’enseignement supérieur et des universités.
Lorsqu’on fait des études sur un grand nombre d’universitaires il y a deux éléments particuliers qui reviennent. Le premier est le fait qu’ils sont complètement absorbés par les tâches administratives et le deuxième est le développement de la bureaucratie aggravé par la mise en place dans les établissements de théories du management héritées du XIXe siècle. Par rapport à ça, il y a une autre question c’est celle du financement des universités. Ce qui est sous-jacent c’est que s’il y a une multiplication des tâches c’est qu’il y a de moins en moins de financements correspondant à des missions qui sont affectées aux universités. La Ministre a déclaré il y a quelques temps, à l’Assemblée Nationale je crois, que les universitaires se déconsidéraient en demandant en permanence des financements. C’est une méconnaissance de la réalité des universités. Il suffit de venir voir sur le terrain pour voir que ça n’est vraiment pas le cas et que les universitaires n’ont pas les moyens pour assurer les missions qu’on leur demande, missions qui sont parfois contradictoires. Le mouton à cinq pattes n’existe que dans l’esprit de ceux qui y croient et dans l’université ça n’existe pas. Donc les universitaires c’est ça aussi. On parlait d’attractivité du métier mais c’est déjà un problème financier. La question du salaire a été évoquée mais la réalité de la manière dont les enseignants chercheurs peuvent faire leur mission, c’est le manque de moyen. Quel corps de fonctionnaires accepterait d’être traité de telle façon ? Les enseignants-chercheurs n’ont même pas d’ordinateur mis à leur disposition par les UFR pour remplir leurs missions, c’est inacceptable. Ce sont des considérations générales mais je m’étonnais d’entendre un certain nombre de participants s’étonner que les universitaires soient si sensibles à la suppression de la qualification. Ces dernières années on a touché à ce qu’ils aimaient, les établissements, leur discipline et leur statut. Il ne faut pas s’étonner aujourd’hui qu’ils n’aient plus confiance et qu’ils soient très attachés à des éléments qui ont un caractère national de défense de leur statut d’universitaire et de scientifique.
Laurent Audouin
Laurent Audouin, je suis délégué national EELV sur les questions d’enseignement supérieur et de recherche. Je ne rappellerai pas toutes les excellentes choses qui ont été dites sur la question des valeurs, l’attachement à un service public de l’éducation, la formation du plus grand nombre dans les meilleures conditions, tout cela a été très bien exposé par Isabelle This Saint-Jean et par Monsieur Freitas.
En revanche, j’ai plus de difficulté sur le cheminement logique notamment de Monsieur Denis qui conduit à une défense mordicus de la procédure de qualification, en particulier, sur la question du statut des enseignants-chercheurs et de son caractère national. Je vais vous faire un raisonnement par l’absurde extrêmement simple sur la base d’une hypothèse que j’abhorre, c’est à dire demain la privatisation des universités et le passage de l’ensemble des enseignants sous statut de droit privé. Vous pouvez garder le CNU, il n’y a pas de problème. Vous pouvez continuer à sélectionner les personnes autorisées à passer le recrutement local pour obtenir ces CDI de droit privé, le CNU ne protège en rien le caractère national des enseignants-chercheurs.
Ensuite, au niveau du localisme, on dit que le CNU est un rempart contre le localisme. Mais enfin, tout le monde aujourd’hui connaît des cas de recrutements locaux qui sont, on va dire, pour le moins borderline. Donc de fait, ce rempart contre le localisme ne donne pas toute satisfaction parce qu’au final la décision est bien purement locale. En particulier sur ce point là il faudrait souligner à quel point la réforme des comités de recrutement a été un recul considérable en termes aussi bien de collégialité que de transparence. La réforme Pécresse a en fait aggravé le mal et une solution serait certainement de remettre une véritable pluralité dans ces comités en introduisant une présence de doctorants qui offrent toujours un regard beaucoup plus neutre que simplement un échange entre collègues. Je regrette que l’amendement qui avait été déposé par les élus et les parlementaires écologistes n’ait pas été repris dans cette loi, ça sera peut-être le cas dans le futur. Pourquoi pas en proposant à des membres du CNU soit de nommer les extérieurs, soit d’être eux-mêmes les extérieurs du comité de recrutement ? Pour le coup on avancerait vers la voie d’une transparence, d’une pluralité et d’une collégialité réelle.
Et puis juste un mot sur le statut des enseignants-chercheurs. Moi j’aurais bien aimé qu’au lieu d’enfiler des généralités sur les travaux du Ministère, les représentants du Ministère développent leur travail sur la réforme du décret. De quoi peut-on parler si on n’a pas les éléments du débat en cours ? Or il semble qu’un certain nombre d’évolutions prévues sont inquiétantes voire franchement problématiques. Manque de chance je ne vois plus nos amis du Ministère donc on va rester dans un certain flou sur ce point là. Je le regrette et j’espère que les conclusions de cette journée ne serviront pas à caler une table de plus comme ça a été le cas du rapport Berger car quand je vois le résultat de la loi Fioraso je suis quelque peu sceptique sur son lien réel avec le rapport Berger. Merci.
Corinne Bouchoux
Je vais donner la parole a celui qui a été le plus interpellé par les questions. Juste une idée provisoire que je retiens de nos échanges de ce matin : et si la question que nous avons peut-être maladroitement posée était le symptôme de problèmes beaucoup plus profonds et dont nous avons dit le nom autrement que ce que vous souhaitiez? C’est une hypothèse. Monsieur Denis je vous donne la parole puisque vous avez été questionné deux fois.
Gilles Denis
Les deux questions mettent le doigt sur des choses auxquelles nous sommes sensibles. Pour la question de la protection contre le localisme vous n’avez pas posé la question, vous semblez être assez d’accord sur ce que nous avons dit ici.
Concernant les qualités pédagogiques, c’est vrai que c’est une question qui n’est pas simple et qui est abordée de façon assez différente selon les sections. Il y a des sections pour lesquelles c’est une part assez importante, pour d’autres cela l’est beaucoup moins. Moi quand je parlais de qualité pédagogique, je ne parlais pas vraiment de la qualité pédagogique au sens strict même si on essaie de l’évaluer. Je vais vous expliquer. Au sens strict on essaie d’abord de l’évaluer en s’appuyant par exemple sur le fait que le postulant a déjà un certain nombre de cours, que lors de sa thèse il a été associé à un cours. Ce sont des choses de ce genre mais ce n’est pas tout et ce n’est pas exactement ce à quoi je pensais. C’était plutôt la capacité à être enseignant dans une discipline donnée. J’ai pris l’exemple de la littérature tout à l’heure, je vais le reprendre. On avait une thèse en littérature et la personne avait travaillé sur la représentation de la médecine dans le cadre de cette approche là. La question qui se posait à nous, car c’était sérieux et solide, était si cette personne pouvait enseigner l’Histoire de la biologie et de la médecine. Ça nous était apparu insuffisant. Elle avait une très bonne connaissance de la représentation des maladies et de la médecine au XVIe siècle en Italie à travers cette littérature mais ça nous paraissait largement insuffisant pour parler par exemple de la façon dont la peste était représentée au XVIIIe siècle. Elle n’avait pas les armes pour faire un cours là dessus. Je me souviens vaguement, c’était il y a trois ou quatre ans. C’est ça que j’ai voulu dire, la capacité d’enseigner sur une chose précise. Même si cette chose là est abordée par un certain biais, est ce que cette façon de l’aborder est suffisante pour donner un véritable cours d’Histoire de la biologie ou d’histoire de la médecine ? C’est dans ce sens là que je l’entendais.
Sinon il est vrai que nous n’avons pas assez d’éléments pour évaluer les compétences pédagogiques au sens strict. Il y a des appréciations qui varient entre les sections mais aussi par rapport au type de candidat qu’on reçoit. Quand on a un dossier qui vient d’un candidat qui vient de passer sa thèse on ne l’analyse pas exactement de la même manière qu’un candidat qui a passé sa thèse il y a trois ou quatre ans, où là l’aspect pédagogique et même l’aspect publication n’est pas aussi fortement étudié. On demande plus à quelqu’un qui a fait une thèse il y a quatre ans d’avoir publié, on étudie aussi ses conditions de vie, on tient compte de ce qu’il a fait depuis quatre ans, s’il a fait de l’enseignement, s’il a publié. Il y a donc des différences entre sections mais aussi entre les dossiers très divers que nous avons. Je pense que je n’ai pas répondu pleinement à votre question parce qu’il est vrai que la pédagogie est quelque chose de compliqué pour les qualifications. On y travaille.
Pour la question que vous souleviez tout à l’heure, c’est vrai. Je ne disais pas que le système actuel était génial, loin de là. J’ai des propositions à faire qui vont d’ailleurs dans le même sens que vous. Notre groupe de travail sur les disciplines a fait un document qui a été envoyé aux établissements dans lequel nous disons que le CNU est prêt à être une instance de conseil pour constituer les comités de sélection. Pour l’instant, avec la loi, nous ne pouvons pas aller plus loin. C’est déjà une proposition que nous avons faite. Je suis tout à fait d’accord avec vous, c’est insuffisant, le localisme existe toujours mais ce que je voulais simplement dire c’est que cette tendance que nous avons dans ce système là semble complètement oubliée dans les projets de loi actuels et même si on allait jusqu’à la suppression de la qualification on accentuerait ce travers. C’est ce que j’ai voulu dire. Si vous voulez qu’on change aussi le système en place je suis d’accord, en particulier sur cette question là.
Pierre Seppecher
Pierre Seppecher, vice-Président du conseil scientifique de l’Université de Toulon. J’ai une question sur toutes les interventions qui ont été très denses mais je vais me limiter à une question à propos de l’endo-recrutement et du localisme. Déjà on a des objectifs qu’on a mis dans notre contrat sur l’endo-recrutement mais on n’a pas de moyens règlementaires d’atteindre ces objectifs. C’est un véritable problème. On a le même problème vis-à-vis du handicap, on a le même problème si on veut avoir des objectifs de parité. On peut avoir des velléités mais ça s’arrête là.
D’autre part, on a de temps en temps des candidats maîtres de conférences qui font un excellent travail et pour lesquels une promotion sur place est nécessaire pour le maintien d’une activité ou parce qu’ils ont un niveau scientifique très important et qu’ils ne sont pas mobiles pour une raison ou pour une autre. Dans ces cas là on est très embêtés, on n’a pas de moyens autres que de détournement des procédures pour faire ce genre de choses. Je pense qu’au contraire il faudrait avoir une procédure nationale pour régler ce type de problème, je pense que cela fait partie du statut des enseignants chercheurs. Il faut trouver un moyen de promotion des maîtres de conférences sur le corps des professeurs qui nous enlève les problèmes de subjectivité locale, surtout dans les petits établissements. Nous avons besoin d’une aide de ce point de vue là et je pense que le CNU pourrait faire ce type de travail.
Gilles Denis
Oui, je suis d’accord.
Isabelle This Saint-Jean
Ça existe, il y a des procédures nationales de recrutement local, comme le 46.3. Mais là où je suis d’accord avec vous c’est qu’il faut vraiment dissocier la problématique du localisme pour la promotion entre maître de conférences et professeur et la problématique du localisme pour les primo-entrants, où là à mon avis le localisme est beaucoup plus problématique. Je pense en effet que les trajectoires où les gens partent de la licence, sont recrutés sur place et ne sortent jamais peuvent poser des problèmes. Ce n’est pas forcément le cas mais dans des entités plus petites ça peut poser problème et notamment dans le relationnel et la capacité de notre milieu à être parfois un peu mandarinal si vous me permettez de le dire. Je pense que c’est un problème beaucoup plus important pour les jeunes que pour le passage de maître de conférences à professeur.
Oui, Laurent, il y a du localisme et le CNU, avec la qualification, n’est pas une garantie absolue contre le localisme, mais posons nous la question dans l’autre sens. Si on supprime ce type de procédure, est-ce qu’on ne risque pas encore d’aggraver la situation ? C’est ce que je disais tout à l’heure en disant que c’est peut-être le moindre mal. Evidemment il faut le travailler, continuer à faire évoluer les choses et je me réjouis de voir que la CP-CNU fait des propositions dans ce sens. Il faut absolument faire en sorte que la partie enseignement puisse trouver sa place dans l’évaluation et c’est une responsabilité du milieu académique qui est que trop souvent on a négligé l’enseignement. On regarde toutes nos procédures en termes uniquement de recherche et pas assez de pédagogie. C’est compliqué parce qu’évaluer la pédagogie c’est compliqué mais, sans aller vers l’évaluation par les étudiants qui à mon avis pose un problème, il y a quand même un certain nombre de signes qui montrent que quelqu’un est un enseignant, la publication de manuels, l’animation d’équipes pédagogiques. On a plusieurs signes qu’on peut regarder. L’un des signes, et c’est là qu’on peut peut-être faire évoluer le CNU et la qualification, c’est sa capacité à l’oral. Un enseignant c’est quelqu’un qui est à un moment face à un auditoire et qui a la capacité soit de l’endormir et de le faire fuir, soit de l’accrocher et de faire en sorte qu’il vous écoute. Le CNU a ce défaut qui est de ne travailler que sur dossier et que ça on n’est pas en capacité de le tester. Evidemment je ne prône pas une agrégation nationale parce que quand je vois ce qui se passe dans la discipline 05 et les autres ça ne fait pas forcément envie, même si c’est un cas très particulier. On voit bien que ça pose des difficultés, mais c’est vrai que la procédure d’audition est quand même un moment très important pour juger de quelqu’un. On se prive avec le CNU de cette possibilité là et on la délègue à ces comités là. Quand on voit ce que sont les comités de recrutement effectivement ça pose des problèmes.
Antonio Freitas
Oui, effectivement il y a de nombreux collègues qui ont une activité pleine et entière en formation et recherche, beaucoup sont qualifiés HDR c’est à dire qu’ils ont une activité semblable à un poste de professeur mais qu’ils ne peuvent pas y accéder. Beaucoup de ces collègues sont des femmes qui, pour des raisons diverses et variées, ne souhaite pas ou n’ont pas la possibilité de changer d’endroit géographique pour postuler sur d’autres postes ailleurs. Ensuite il y a le phénomène que compte tenu des contraintes, même en local il n’y a pas d’issue. Certains collègues qui ont la quarantaine n’ont pas de perspectives de libération d’emploi sur des dizaines d’années, parfois même jusqu’à la retraite. Il y a une démotivation, fondamentalement, alors que les collègues font une activité semblable à un niveau de professeur. C’est un vrai problème, il faut se pencher sur la question. Il faudrait qu’ils puissent accéder, sur le même emploi, à un poste de professeur.
Geneviève Sellier
Geneviève Sellier, Professeure à l’Université Michel de Montaigne, Bordeaux 3. Je voudrais revenir sur la question du premier recrutement. Il y a vingt ou trente ans Pierre Bourdieu avait fait une tribune dans Le Monde demandant, pour lutter contre le localisme, à ce que les jeunes docteurs ne puissent pas être recrutés dans les universités dans lesquelles ils avaient fait leur thèse. Je ne comprends pas pourquoi cette mesure de salubrité publique n’a pas été adoptée depuis ce temps et pourquoi on tourne en rond. Dans la discipline dans laquelle j’enseigne, les études cinématographiques, les effets de ce localisme sont absolument calamiteux, y compris sur la qualité scientifique des thèses. Lorsqu’on fait sa thèse dans des universités dans laquelle on a fait tout son cursus, dans des universités éloignées de Paris, le centralisme joue aussi un rôle dans le niveau scientifique des étudiants malheureusement. Et y compris parce que, par exemple chez nous, les meilleurs étudiants partent à Paris après la licence parce qu’il y a le fantasme de la cinémathèque etc. Ces fantasmes qui ont des effets matériels. Le résultat est qu’actuellement seuls les doctorants ayant fait leur thèse dans une université parisienne ont une chance d’être recrutés dans une université de région et sont mobiles. Les docteurs issus des universités de région n’ont qu’un espoir, celui d’être recrutés dans leur université sinon ils n’auront jamais de postes. Cela entretient des ressentiments divers, un niveau scientifique très problématique souvent. Il me semble que si on revenait à ce principe très simple de ne pas pouvoir recruter les docteurs dans leur université d’origine, ça rendrait obligatoire la mobilité et ça relèverait la qualité scientifique des dossiers. Cela n’empêche pas la qualification nationale, mais la qualification sans cette mesure ne sert à rien.
Question
Je voudrais revenir sur le thème de ce matin qui est le statut des enseignants-chercheurs. Quand on a un statut de fonctionnaire on a en principe droit à la mutation. C’est même un droit reconnu alors que pour les enseignants-chercheurs, compte tenu de la montée du localisme, le droit à la mutation devient particulièrement réduit. Ceci est particulièrement vrai pour les maîtres de conférences, où avant on regardait en priorité les maîtres de conférences qui voulaient muter, ce qu’on ne fait plus. Le comité de sélection n’examine plus les dossiers. L’avantage d’un statut national c’est de pouvoir bénéficier des droits des fonctionnaires, on devrait réfléchir à l’affirmation de ce droit à mutation. Cela pourrait répondre aussi au problème de mutation. Le souci de la première embauche existe mais les gens qui veulent bien être embauchés ailleurs, qui tiennent à leur région, veulent partir pour acquérir une expérience qui est très formatrice mais veulent pouvoir revenir pour pouvoir sécuriser leur carrière et leur emploi.
Corinne Bouchoux
Je vous remercie tous de la qualité de vos propos et d’avoir tous tenu, avec une grande courtoisie, des propos assez clairs. Je vous donne rendez-vous cet après-midi pour la suite des discussions.
FIN DE LA MATINÉE
Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).

3 avril 2014

La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs en France - Ouverture et introduction

Sénat - Un site au service des citoyensACTES du Colloque « La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs en France : enjeux et perspectives ». Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).
Ouverture et introduction
Marie-Christine Blandin
Mesdames et Messieurs j’ai le plaisir de vous accueillir pour cette journée de travail intitulée « la procédure de recrutement des enseignants chercheurs en France : enjeux et perspectives ».
Tout d’abord je vous dois de vous donner un très bref résumé des circonstances qui ont amené à ce colloque. Il est le fruit d’une promesse. Lors du débat sur la loi ESR, à l’Assemblée Nationale puis au Sénat, a été promue une batterie d’amendements au sein desquels se trouvaient un amendement qui visait à enlever cette mission de procédure de qualification par le CNU et un autre qui proposait une autre méthode pour travailler. Dans un hémicycle quasi désert d’une assemblée fatiguée après la loi « Refondation de l’école », le premier amendement qui supprimait la procédure de qualification est passé et le second, qui offrait des possibilités alternatives n’est pas passé. Nous étions donc dans une impasse législative que la rencontre des sept députés et sept sénateurs mandatés pour faire une commission mixte paritaire allait résoudre.
Entre le moment où le Sénat a sorti son texte de loi, différent du texte de l’Assemblée, et l’installation de la CMP a démarré une vague de colère contre cette suppression qui a donné lieu à une énorme pétition. Dans un deuxième temps, sachez que nous avons aussi été destinataires d’une vague de protestation contre le maintien en l’état de la procédure de qualification, et j’ai été très frappée par les propos enflammés d’un côté comme de l’autre. Chacun rivalisait de signatures, d’arguments, d’arguments très développés de fond ou alors de slogans très populistes. Nous avons donc fait une promesse, nous allions réfléchir ensemble de façon plus apaisée. C’est pour ça que nous sommes là, c’est pour ça que vous êtes là et je vous en remercie.
Comme à chaque colloque que nous ouvrons ici je vous précise que vous êtes dans un colloque organisé par des sénateurs sans sponsor. C’est utile car sachez que le Palais du Luxembourg loue des salles ou les prête gracieusement mais parfois avec l’aide de sponsors. Certains colloques, sur la santé par exemple, sont bien aidés par l’industrie pharmaceutique etc. Nous travaillons avec transparence et nous tenons à préciser à chaque colloque que ceci se fait sur nos propres fonds avec nos propres moyens et nous sommes fières de pouvoir vous le dire.
Je vous remercie. Ma collègue, Corinne Bouchoux, membre de la Commission de la Culture, de l’Education et de la Communication, qui a été très active sur cette loi, va vous livrer un propos introductif.
Corinne Bouchoux
Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames, Messieurs, bonjour. Merci d’avoir répondu à notre invitation. Les circonstances un peu particulières de la démarche vous ont été rappelées. Ce que nous souhaitons pour aujourd’hui est d’avoir un débat posé, serein, qui pose les vraies questions, les vrais enjeux, et qui puisse être un jalon pour une réflexion ultérieure dans le cadre ou non d’un travail législatif sur l’évolution et le statut des enseignants chercheurs. Nous avons préparé ce colloque pendant deux mois et je voudrais remercier même si elle n’est pas ici, Anaïs Le Bouffant Dubreucq, qui a rencontré un grand nombre d’entre vous, qui a été entendre la parole de colère que nous avons entendue, prise à sa juste valeur.
Je veux juste vous livrer un certain nombre de questions, les questions que nous nous sommes posées. Elles sont modestes, peut-être incomplètes et vous pourrez les compléter. Elles sont un peu la trame de cette journée qui s’est vraiment voulue une discussion sereine, argument contre argument pour essayer d’avancer sur ce dossier que nous savons crucial et sensible. La première question qui nous a été posée est venue des jeunes docteurs et d’un certain nombre de doctorants. Je vais simplement lister quelques questions avant de pouvoir accueillir nos premiers hôtes avant la première table ronde.
La première question qui nous a été posée est de savoir si la procédure telle qu’elle existe actuellement, n’est pas perçue par certains, à tort ou à raison, comme un nouveau jury de thèse où les critères pour le coup seraient plus implicites qu’explicites et donc peut-être inégalitaires, c’est une question.
Deuxième question, comment se fait la prise en compte des dossiers de candidature ? Nous avons étudié tous les comptes rendus depuis cinq ans de toutes les sections, rencontré un grand nombre d’acteur pour mieux comprendre le mode d’emploi de cette « boîte noire » qui est extrêmement complexe, où il y a beaucoup de travail mais aussi de complexité, qui peut-être gagnerait à être explicitée. L’autre question qui est venue mais qui n’était pas posée en amont est la question de la qualification pour les professeurs des universités. Nous avons travaillé dans un premier temps uniquement sur l’entrée dans le métier. Est-ce que cette qualification a vraiment des raisons d’exister, qu’est ce qui marche bien, qu’est ce qui ne marche pas ? Nous avons aussi entendu un certain nombre de vos réponses. L’autre sujet qui nous a préoccupé, c’est la question du taux d’évaporation. Nous avons observé sur les cinq dernières années ce que sont devenus les qualifiés et nous avons simplement pu noter qu’il y avait là aussi une part mystérieuse. Pour les profanes, puisque tout le monde n’est pas spécialiste voici les données : en 2007, 30,9% des qualifiés n’ont pas candidaté à un recrutement au poste d’enseignant chercheur, en 2012 on arrivait à 41,5%. Que veut dire ce taux d’évaporation ? Même si le suivi d’une cohorte sur une année peut montrer certaines tendances, là aussi c’est plus complexe. On peut postuler la deuxième année mais pas la première année pour des raisons de stratégie personnelle par exemple. Donc cela nous a aussi intrigués.
Troisième question qui nous a permis de travailler aussi : que se passe-t-il pour les personnes qui ne rentrent pas dans les cases ? C’est une préoccupation pour nous écologistes. Que se passe t’il quand on n’est pas dans la bonne boîte, dans la bonne section, quand on est dans la lisière de deux sections, comment fonctionne actuellement l’intersection, est ce que ça marche plutôt bien, est ce que c’est bien compris des candidats et éventuellement qu’est-ce qu’on peut améliorer ? Autre question que nous nous sommes posée, et là aussi nous avons reçu un volume de courrier intéressant, quid des candidats étrangers, ceux qui ont fait leur thèse en France et qui ont peut-être une bonne connaissance du système, et de ceux qui n’ont pas fait leur thèse en France et qui veulent postuler ? On s’est aperçu qu’il y avait peut-être pour certains un manque de clarté, et donc cela a posé la question de l’attractivité du système français puisque, vous le savez comme moi, en 2011-2012 42,2% des doctorants étaient des étudiants nés à l’étranger, alors que dix ans plus tôt 22% des doctorants étaient nés à l’étranger. C’est quelque chose qui nous semble particulièrement important et à encourager. Pour éviter les « pas entendus » ou les « malentendus » vis-à-vis des étudiants étrangers, comment mieux communiquer sur le système français qui, je le répète, n’est pas compris par tous ?
Enfin dernière question, et là nous ne pouvons l’éviter, le débat qui s’est posé selon nous est dû aussi au contexte de la LRU qui a été acceptée par les uns, farouchement combattue par les autres, acceptée avec résignation par certains. Le contexte évidemment de la LRU pose avec une acuité particulière cette tension entre le souhait très fort que nous avons ressenti dans la pétition d’un statut national, de garantie forte d’une vision politique et scientifique pour une recherche de qualité, et d’un autre côté les aléas de la LRU sur le terrain qui peuvent ne pas donner toujours l’impression que les moyens sont au rendez-vous. Donc cette question des moyens est revenue énormément dans vos communications, dans vos questions et dans les messages qui nous ont été envoyés.
Dans un premier temps nous allons ce matin entendre ceux qui « sont avec les pilotes dans l’avion ». J’appelle à la tribune Monsieur Jacques Fontanille, Directeur de cabinet de Madame Geneviève Fioraso, Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, et par ailleurs Madame Simone Bonnafous, Directrice Générale pour l’Enseignement Supérieur et l’insertion professionnelle. Je vais les inviter à nous rejoindre. Dans un second temps nous aurons un certain nombre de tables rondes où vous aurez la parole. Mon rôle sera de limiter le temps de parole des personnes en tribune pour permettre un dialogue, je le répète approfondi, serein avec la salle. Les actes de cette journée seront faits et nous espérons que, pour la prochaine discussion d’un texte portant sur l’avenir des enseignants chercheurs, nous serons au plus près de l’idée que nous avions d’une évolution nécessaire et des attentes sur le terrain qui peuvent, nous l’avons senti, être différentes. Nous voulons être au plus près de vos questions à tous.
Je vous remercie donc de venir à la tribune, Monsieur Jacques Fontanille et Madame Simone Bonnafous.
Jacques Fontanille
Je vous remercie, je remercie la Commission Culture du Sénat, je remercie Madame Blandin et Madame Bouchoux, pour cette occasion qui nous est donnée d’évoquer un sujet essentiel concernant l’avenir de l’enseignement supérieur et de la recherche, et des universités en particulier.
Je voudrais commencer par rappeler que cette question épineuse des modalités de recrutement des enseignants-chercheurs, qui a été soulevée au cours des débats parlementaires et dont Madame Bouchoux s’est faite l’écho tout à l’heure, n’a pas été soulevée par le gouvernement, par notre ministère et qu’elle est apparue au cours des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, assez vigoureusement exprimée. Le motif qui était invoqué était très précis. Ce n’était pas une mise en cause des modalités de recrutement en général, ce n’était pas une mise en cause de la procédure de qualification en particulier. Cela procédait d’une réflexion sur le temps de latence, d’autres disent de galère et d’indécision, qui sépare l’obtention de la thèse et l’entrée dans le métier. C’était sur la base de cette réflexion, je crois, que les participants des Assises considéraient qu’il y avait un certain nombre de dispositifs dans notre système d’accès à l’emploi scientifique et à l’emploi dans les universités qui retardait cette entrée, et que la qualification pouvait être considérée comme un des dispositifs qui participait de ce retard. Ce n’est pas le seul. Je voulais rappeler cette situation. Ensuite bien sûr la question a été reprise sous la forme d’un amendement et je ne referai pas l’histoire, elle a été rapidement esquissée tout à l’heure.
Je voudrais plus généralement rappeler quel est pour nous, pour Madame la Ministre en quelque sorte, que je représente ici avec Simone Bonnafous, l’enjeu de la question du recrutement des enseignants-chercheurs et peut-être plus largement des modalités de leur choix et de leur formation. Pour nous, cela forme un tout par rapport aux objectifs que nous assignons à notre action et qui se sont traduits en particulier dans la loi du 22 juillet.
Le premier objectif, vous le savez déjà mais je le rappelle très fortement, c’est la réussite étudiante, la réussite de tous les étudiants, la réussite depuis le choix de la filière de formation jusqu’à la qualité de l’insertion professionnelle en passant bien entendu par ce qui est, dans la représentation la plus ordinaire, la réussite par excellence c’est-à-dire la réussite dans l’obtention des diplômes au sein même du cursus. Mais c’est toute la chaine qui nous intéresse. En matière de choix et de formation des enseignants-chercheurs, cela implique d’abord que nos enseignants-chercheurs aient des compétences, ou acquièrent des compétences, pour garantir la diversité et la qualité dans la diversité des méthodes pédagogiques. On a beaucoup dit au cours des Assises qu’il fallait en finir avec les grands amphis et les cours magistraux. Je ne suis pas convaincu qu’il faille en finir avec ce type d’activité pédagogique et nous croyons beaucoup plus à la diversification des méthodes, à la diversification des supports, à la diversification des approches, des contenus et des savoir-faire, de façon à ce que cette diversité puisse être un facteur de meilleure adaptation à la diversité des profils des publics, que nous espérons renforcer. Il faut bien entendu que ces enseignants-chercheurs puissent s’approprier les outils qui servent de support à cette diversification, cela va de soi.
Quand on parle, comme facteur de réussite, de la spécialisation progressive en licence, on entend que la palette des enseignements offerts aux étudiants en licence doit être plus large au début qu’à la fin. Excusez-moi de cette lapalissade, mais cela implique d’une certaine manière que les enseignants-chercheurs eux-mêmes aient une culture disciplinaire suffisamment large et approfondie pour pouvoir contribuer à cette spécialisation progressive dans la meilleure connaissance qu’ils auraient ainsi de chacune des spécialités qui sont combinées dans la spécialisation progressive.
Quand on parle de réussite par l’insertion professionnelle, cela suppose aussi que les équipes pédagogiques, pas forcément chacun des enseignants-chercheurs, mais que les équipes pédagogiques aient une capacité à anticiper l’insertion professionnelle dans toute sa diversité. Il y a déjà une capacité à anticiper l’insertion professionnelle et à l’intégrer dans les cursus, dans les méthodes, dans les exercices académiques qui sont proposés mais souvent d’une manière qui est très mono-disciplinaire, mono-métier, mono-professionnelle. Je pense qu’il est très important que dans chaque filière les enseignants aient une vision de toute la diversité, de la palette entière des débouchés professionnels de leurs étudiants et qu’ils en tiennent compte, qu’ils soient en mesure d’en tenir compte dans la manière dont ils conduisent leurs enseignements.
On rappelle par exemple que sur une centaine d’étudiants en psychologie moins de 10 deviendront psychologues professionnels. Les autres feront beaucoup de choses fort intéressantes et utiles pour la société mais ils sont tous préparés à devenir psychologues professionnels même s’ils ne le deviendront pas. De même, dans des filières d’humanité, sur une centaine d’étudiants qui sont dans une filière d’histoire il y en aura une dizaine qui seront professeurs d’Histoire. On peut espérer que ce nombre augmente avec le nouvel attrait des métiers de l’enseignement, mais il y en aura toujours suffisamment qui ne seront jamais historiens professionnels pour qu’on s’inquiète de leur sort si je puis dire, et ceci avant qu’ils trouvent eux-mêmes la diversité des débouchés qui s’offrent à eux. Je pense que ce type de questionnement doit faire partie des compétences des enseignants-chercheurs. Par conséquent, de ce point de vue-là, nous avons le devoir d’encourager la motivation pour l’engagement pédagogique dans la diversité que je viens d’évoquer très rapidement.
L’autre grande priorité de notre action c’est bien sûr l’excellence en recherche mais une excellence en recherche qui soit capable de répondre aux grands défis du XXIe siècle à travers d’abord la recherche fondamentale, mise en perspective dans la réponse aux grands défis sociétaux, et bien sûr toutes les autres formes qui vont permettre de répondre à ces grandes questions. Pour parvenir dans le monde de la recherche du XXIe siècle à ce type d’objectif, il faut avoir des enseignants-chercheurs qui soient capables d’animer des équipes, de construire des équipes mobiles, de travailler en mode projet sur des propositions de recherche. Bien entendu, les enseignants chercheurs sont capables de conduire une haute qualité de publication mais, dans certaines disciplines, il faudra bien que nous les soutenions et que nous les accompagnions pour internationaliser leurs publications, pour les aider à percer dans les grandes revues internationales et en particulier en Sciences Humaines et Sociales. Je pense aussi que cela suppose d’anticiper les retombées sociales ou sociétales, c’est-à-dire être en mesure de mettre en perspective les recherches les plus spécialisées, les plus fondamentales, par rapport à ces horizons d’attente que nos concitoyens portent. Et là aussi il faut que nous soyons en mesure d’encourager la motivation des enseignants-chercheurs pour cette dimension de leur métier qui peut se traduire, par exemple, par l’encouragement à la pratique du transfert et de la recherche appliquée, mais bien au-delà, par cette mise en perspective permanente en mode projet vers la réponse aux défis sociétaux, qui ne relève pas spécifiquement du transfert et de l’application en soi.
Dans un dernier temps, je voudrais rappeler brièvement quelles sont les différentes mesures dans la loi du 22 juillet qui touchent directement ou indirectement à ces questions et aux enseignants-chercheurs. D’abord, rappelons que l’essentiel ne peut pas être dans la loi, n’a pas de raison d’être dans la loi, puisque la plupart des mesures sont de nature réglementaire et touchent le décret statutaire qui est en cours de concertation et de discussion. Dans la loi que trouve-t-on ? On trouve que la loi a transféré au conseil académique, en formation restreinte, c’est à l’article 50, tous les actes relatifs aux questions individuelles et en particulier celles touchant aux carrières des enseignants-chercheurs, le recrutement, l’affectation etc. C’est d’ailleurs cet élément de la loi qui impose que soit révisé le décret statutaire. Je rappelle que le conseil académique est constitué par la réunion d’une commission spécialisée dans la recherche et d’un autre spécialisé dans la formation, que ces deux commissions sont constituées par élection parallèlement, séparément, et qu’il en résulte que désormais, toutes les décisions, mesures, délibérations, qui seront prises à titre individuel seront prises par un ensemble en formation restreinte qui aura à la fois la balance recherche et la balance formation, à la fois la préoccupation de l’excellence en recherche et la préoccupation des compétences pédagogiques.
Deuxième modification qui touche au recrutement mais qui n’a pas nécessairement d’incidence sur les orientations dont je parlais tout à l’heure : la loi supprime le droit de veto des présidents sur le recrutement des enseignants-chercheurs et le transfère à la formation restreinte du conseil d’administration. C’est une mesure qui était attendue, une mesure qui touche à des questions de principe, qui touche à une certaine conception de la vie démocratique et de la collégialité dans les universités. Cela ne change pas grand-chose sur l’orientation des choix en matière de profil d’enseignant-chercheur.
Autre point, et je pense que ce colloque est dans cette perspective, il est prévu à l’article 74 que le gouvernement devra remettre un rapport au Parlement pour formuler des propositions en vue d’améliorer le recrutement, la formation, le déroulement de carrière des enseignants-chercheurs. Il a été rappelé tout à l’heure que c’était quelque chose qui était apparu au moment où la suppression de la qualification avait été elle-même supprimée, mais nous sommes dans le cadre, je pense, de la préparation de ce rapport. Il y a une disposition qui va toujours dans le même sens évoqué tout à l’heure, celui de nos grandes orientations, le Haut Conseil de l’évaluation, clairement, c’est mentionné dans la loi, doit s’assurer que dans les évaluations des enseignants-chercheurs soient prises en compte toutes leurs missions. C’est à l’article 90. Ce n’est pas formulé de la même manière mais c’est exactement l’esprit.
Concernant la formation, ce n’est pas dans la loi du 22 juillet 2013 mais dans la loi de refondation de l’école. Il est très clairement prévu que les écoles supérieures du professorat et de l’enseignement sont destinées à la formation de tous les professeurs, y compris ceux de l’enseignement supérieur et que leur installation, soit dans les universités soit dans les regroupements d’université, doit s’accompagner de projets de formation des enseignants -chercheurs. On pense par exemple, dans ce qui se discute le plus souvent actuellement, à la formation à l’utilisation de l’enseignement numérique, mais ce n’est évidemment pas le seul niveau d’intervention que l’on souhaite pour les ESPE en matière de formation ou d’accompagnement de la pratique pédagogique des enseignants-chercheurs. Donc le décret statutaire qui est en cours de discussion est destiné en quelque sorte à rassembler les quelques sujets qui viennent de la loi pour les traiter en termes réglementaires. C’est le cas de la disposition sur le rôle du conseil académique mais c’est aussi le cas de quelques autres mesures.
Autrement dit la révision du décret statutaire ne remet pas en cause les équilibres dans le statut des enseignants chercheurs. L’avenir des orientations que j’évoquais tout à l’heure est un avenir à travers des actions, à travers des mesures concrètes, des dispositifs contractuels et pas à travers des mesures réglementaires. Le texte qui est en cours de discussion, je le signale, prévoit, et c’est une discussion qui est loin d’être achevée, la possibilité d’introduire, lors de la procédure d’audition des candidats, une mise en situation professionnelle, pédagogique, puisque déjà c’est une mise en situation professionnelle que d’exposer ses recherches comme c’est le cas actuellement. Et on peut penser que c’est un des leviers au moment du recrutement qui permettrait de s’assurer ou d’améliorer la préparation des candidats au poste d’enseignant-chercheur dans le domaine de la pédagogie. Je vous remercie.
Corinne Bouchoux
Merci, je donne la parole à Madame Bonnafous.
Simone Bonnafous
Je vous remercie, Mesdames les Sénatrices, de nous accueillir dans cette belle salle du Palais du Luxembourg. Je tiens d’abord à vous exprimer ma satisfaction, en tant que Directrice pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle, de voir que le Sénat s’empare à nouveau de la question de la procédure de recrutement des enseignants-chercheurs. J’ai eu l’occasion à de multiples reprises dans ma carrière, et en particulier lors de la Conférence des Présidents que j’animais à une époque avec Jacques Fontanille et Lionel Collet, d’apprécier le travail de fond que mène le Sénat sur un certain nombre de sujets. C’est la diversité et l’écoute des points de vue exprimés en Commission qui enrichit la réflexion sur les sujets d’intérêt commun et profite à tous, décideurs et citoyens.
Je suis personnellement d’autant plus heureuse de cette occasion que la loi n°2013-660 du 22 juillet 2013 nous impose l’obligation d’élaborer en un an – donc au cours de l’année 2014 –la Stratégie nationale d’enseignement supérieur. Vous savez qu’existe depuis une dizaine d’années une stratégie nationale de la recherche et de l’innovation, la SNRI, élaborée dans sa dernière version entre le Ministère et les alliances, qui elles-mêmes représentaient toutes les composantes de la recherche française, aussi bien la Conférence des Présidents que tous les organismes de recherche. La SNRI a été donc très articulée au programme européen 2020 pour définir les grandes lignes de l’action de la France dans le domaine de la recherche pour les années à venir. Mais la France ne disposait pas jusqu’ici d’un document équivalent dans le domaine de l’enseignement supérieur, ce qui en dit long sur notre vision des priorités nationales. Je suis donc personnellement très heureuse que le Parlement ait inscrit l’idée d’une part d’un document interministériel, car si notre Ministère est chef de file, la réflexion, portant sur l’enseignement supérieur français et ses objectifs à moyen et long termes, sera interministérielle, et d’autre part de rassembler les deux stratégies dans un livre blanc qui sera présenté au Parlement tous les deux ans afin d’en rediscuter les grandes orientations.
Nous sommes engagés dans un processus long mais qui va rencontrer de façon très heureuse le travail que vous allez entreprendre sur le recrutement des enseignants-chercheurs. Quelle stratégie et avec qui ? Quels doivent être les personnels de l’enseignement supérieur ? Quelle contribution selon les institutions concernées ? La Direction générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle a la charge des Universités et des Ecoles supérieures. Comment peut-on lier les objectifs que la France se donne dans le domaine de l’enseignement supérieur et la façon dont on voit l’évolution du personnel de l’enseignement supérieur, à commencer par les enseignants-chercheurs et en aval du recrutement ? Il est clair que la question du recrutement, que vous posez en tant que telle aujourd’hui, n’est que l’aboutissement d’une autre question : quel type de personnel souhaite-t-on dans les établissements d’enseignement supérieur, les écoles, les universités, les organismes de recherche, et pour quel métier ?
Je voudrais tout d’abord dire quelques mots du rapport de la Cour des Comptes sur la gestion des enseignants des universités dans un contexte d’autonomie. Le chapitre sur le recrutement se termine par « la Cour recommande au MESR de veiller à l’application de l’arrêté du 7 août 2006 relatif à la formation doctorale quant à la limitation du nombre de doctorants pouvant être encadrés par un directeur de thèse, de poursuivre la limitation drastique via les contrats quinquennaux des endo-recrutements, de mettre en place dans chaque université une procédure d’audition plus approfondie des candidats au recrutement. Ces conditions étant remplies, il est probable qu’avec l’expérience acquise les universités seront d’ici quelques années en mesure d’assurer et de garantir une procédure de recrutement qui ne soit pas sujette à critiques. Cela devrait alors permettre de réapprécier ce besoin de disposer de cette étape particulière de pré-recrutement que constitue la procédure de qualification, aujourd’hui confirmée par la loi ESR, justifiée principalement aujourd’hui par la volonté, via un système d’admissibilité à l’échelle nationale dans la procédure de recrutement des enseignants chercheurs, de conforter leur appartenance à la fonction publique d’Etat ».
Un certain nombre d’évolutions sont déjà engagées depuis plusieurs années, notamment sur la question de la réduction du nombre de thèses encadrées par un seul enseignant qui a à voir avec la question de la qualité de l’encadrement doctoral et j’ai vu de près comme universitaire l’évolution de ces quinze dernières années. Si des nuances s’imposent et si des marges de progression demeurent - la charte des thèses n’est pas forcément aussi bien appliquée qu’on le voudrait - , il faut reconnaître le chemin parcouru qui, même s’il en reste à parcourir, est considérable. La création des écoles doctorales et leur organisation ont beaucoup participé à ces changements. Concernant la limitation des endo-recrutements, je pense qu’il faut s’entendre précisément sur ce point : quelles définitions en donne-t-on ? Parle-t-on de ceux qui ont fait leur thèse, des ATER, des maîtres de conférences, des professeurs, de Paris 7 ou de Besançon ? Il faut être clair là-dessus sans quoi on prend le risque d’un discours incohérent. L’objectivité et le réalisme s’imposent sur ces sujets et il ne faut pas fixer les mêmes objectifs à toutes les situations. Ce qui compte fondamentalement c’est que les personnels qu’on recrute correspondent aux missions qu’on attend d’eux, qu’ils le fassent bien pour l’institution, pour les usagers et pour eux-mêmes.. La question connexe de ce qu’on appelle les « TGV Professeurs » est aussi à considérer dans un certain nombre de cas et il convient vraiment de mesurer ce phénomène de l’endo- ou de l’exo-recrutement de façon différenciée sur le territoire, même si les objectifs doivent rester des objectifs généraux. La Direction Générale est tout à fait disposée à consolider cela dans les contrats d’établissement, qui en tiennent compte d’ores et déjà, mais on sait très bien que Pau, Besançon et Paris ne sont pas dans la même situation.
Par ailleurs, dans le décret statutaire des enseignants-chercheurs figurent aussi des avancées en ce qui concerne l’ouverture de notre milieu. On a souvent dit que la France n’était pas, dans son mode de recrutement, ouverte sur l’extérieur. Or, on peut constater de grandes avancées sur ce point. Je tiens à signaler qu’on a aujourd’hui 15% de recrutement de MCF étrangers chaque année. Vers quoi doit-on tendre idéalement ? Est-il pertinent de se fixer un objectif ? Cette interrogation fait partie des discussions relatives à la stratégie nationale. Considère-t-on que l’enseignement supérieur est un secteur où la mobilité dans les deux sens, le fait de faire une partie de sa carrière à l’étranger et d’accueillir un grand nombre d’enseignants étrangers est un sujet important ? On observe que, d’année en année, le pourcentage d’enseignants chercheurs étrangers recrutés augmente, ce qui est plutôt intéressant et positif, et qui pose la question de savoir ce qui attire nos collègues étrangers. Il serait pertinent de mener une enquête sur les enseignants étrangers dans nos universités et d’analyser pourquoi des enseignants chercheurs étrangers choisissent la France, où les salaires ne sont pas ceux de l’Allemagne ou de la Suisse par exemple.
Un autre élément d’ouverture présent dans le décret, bien que très lent à mettre en place, est l’obligation de la parité dans les comités de sélection. Certes, il ne s’agit pas de l’obligation de parité de recrutement mais on peut espérer que progressivement cette disposition fasse évoluer le milieu universitaire. Car notre milieu n’est pas plus représentatif de la diversité de la France que d’autres et l’on compte donc effectivement peu de femmes aux postes les plus élevés.
Un autre problème se pose, c’est le faible effectif de personnes en situation de handicap, et vous savez que les universités vont bientôt « être mises à l’amende » pour cela. La fonction publique, pour que ses discours de principe soient entendus par le privé et que sa position prescriptive soit légitime, doit être exemplaire dans ce domaine. Les entreprises sont depuis longtemps assujetties à payer une taxe lorsqu’elles n’ont pas assez de personnel en situation de handicap. Et si le MESR y a échappé jusqu’à une date récente, ce ne sera plus possible et il est désormais indispensable de trouver des solutions. Le décret prévoit entre autres un mode de recrutement spécifique, ce qui signifie qu’il donne des éléments pour qu’on ait progressivement un corps universitaire qui soit plus représentatif de la diversité de notre société.
Pour le reste, je ne vais pas lancer le débat ici, je pense que les questions sont très ouvertes. La question en particulier de pouvoir concilier un attachement à des formes statutaires nationales tout en préservant la diversité des missions réelles des enseignants-chercheurs, des missions vécues, qui évoluent, est une question de première importance. On est encore au milieu du gué. Dans le cadre de votre réflexion, il semble nécessaire de mener un travail d’enquête, d’auditions, dans la mesure où tout se joue sur le terrain. Aujourd’hui, enseignement et recherche sont loin d’épuiser le temps de travail des enseignants-chercheurs et en particulier tout ce qui est de l’ordre de l’animation, de la responsabilité de filière est extrêmement important. Or, à ma connaissance, les universitaires n’ont pas l’intention de les déléguer à des administratifs, ni pour les directions d’UFR, ni pour les Présidences ou directions d’établissement de les déléguer à des énarques. Il faut donc en tirer les conséquences et clarifier notre discours. On continue encore trop à faire (dans le discours) comme s’il y avait seulement l’enseignement et la recherche. Ce discours est hypocrite, tout le monde sait que le fonctionnement réel n’est pas celui-là, et cet état des choses n’est pas sain pour l’équilibre des personnes en situation professionnelle. Ce milieu n’échappera pas à une réflexion sur les questions de fond, sur la façon de travailler dans le temps et selon les institutions, ou sur les risques psycho-sociaux. Je pense en effet que s’exerce une vraie pression culpabilisante sur les enseignants-chercheurs, due à la multiplicité des tâches qui ne sont ni affichées, ni reconnues sur le plan symbolique dans la mesure où l’on ne valorise que l’enseignement et la recherche. Ça n’a peut-être pas été compris et bien présenté, mais la « fameuse » modulation de service ne devrait pas concerner que le partage entre enseignement et recherche. On peut, à un moment donné, vouloir continuer à enseigner mais se consacrer aussi à l’internationalisation de son université ou au développement de sa stratégie numérique et non plus à la recherche. Ce débat n’est jamais posé de manière approfondie parce que tout le monde reste sur des positions assez formelles et les meilleurs défenseurs de l’égalité entre recherche et formation sont souvent ceux qui ne font plus de recherche parce qu’ils ont des activités, y compris publiques, très importantes et chronophages. Il est essentiel, selon moi, d’avoir une vraie réflexion à ce sujet.
Une autre question qui va prendre de l’importance est le rapport entre le public et le privé. 1/5 des étudiants du supérieur sont dans le privé. Cet état de fait pose un réel problème dans certains domaines comme la gestion parce que les facs de gestion, les IAE, sont en concurrence avec les écoles qui ont de toutes autres règles de gestion et où il est tout à fait acceptable de travailler deux jours par semaine à l’extérieur de l’établissement. On reconnaît le travail à l’extérieur, alors que c’est encore une question occultée à l’université où une bonne partie des activités libérales ou de consultance (en particulier en droit, en gestion, etc.) restent non dites. Il faut sortir là aussi de cette hypocrisie et reconnaître que des activités extérieures à l’université peuvent aussi contribuer à la qualité de la prestation enseignante ou à valoriser la recherche (sans parler de l’aspect « rémunération »). La distance des sénateurs à l’univers de l’enseignement supérieur et de la recherche permettra de poser quelques vrais sujets, pas forcément pour les résoudre dans l’immédiat mais pour leur réserver un traitement ultérieur à plus ou moins long terme. Je n’ai pas parlé du recrutement lui-même parce que je pense qu’il est l’aboutissement de cette réflexion mais mon souhait de directrice générale est qu’on traite les sujets de fond.
En ce qui concerne le doctorat, pour réagir à ce qu’en dit la Cour des Comptes, le vrai problème est que le doctorat n’est effectivement pas aujourd’hui, comme dans d’autres pays, le diplôme de la qualification maximum de l’enseignement supérieur. C’est en ces termes que doit se poser le problème. J’ai été déjà interrogée par les députés fin août, aussitôt la loi votée, et j’ai donc pu constater que l’Assemblée Nationale considère ce sujet comme primordial. Je me réjouis de voir qu’une réflexion s’engage sur le sujet, car il est capital de travailler sur le doctorat. La première question est celle de l’emploi des doctorants : il faut que l’on recrute des docteurs aux fonctions d’encadrement supérieur : la fonction publique doit encore une fois donner l’exemple et nous devons par ailleurs ouvrir la négociation avec les branches. La seconde question est celle de la diversification des formes du doctorat : nous sommes toujours plus fréquemment interpellés par différents milieux, dans les domaines de l’architecture, de l’art par exemple, sur ce point. Pour finir je voudrais indiquer que l’ENA se pose la question de l’accession des Enarques au doctorat. La directrice de l’ENA me faisait remarquer qu’il y avait un problème de débouchés des Enarques à l’international en partie dû au fait qu’ils sont considérés comme ayant un master.
Tout cela va dans le bon sens et je me réjouis de la tenue de votre colloque, qui contribuera à faire évoluer positivement ces thématiques. Bon travaux à vous.
Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).

3 avril 2014

Actes du colloque « La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs en France : enjeux et perspectives »

Sénat - Un site au service des citoyensACTES - « La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs en France : enjeux et perspectives », Colloque organisé par Marie-Christine Blandin, Présidente de la Commission de la Culture, de l’Education et de la Communication du Sénat et Sénatrice du Nord, et Corinne Bouchoux, membre de la Commission de la Culture, de l’Education et de la Communication du Sénat et Sénatrice de Maine-et-Loire, au Palais du Luxembourg, Salle Clemenceau – 15 rue de Vaugirard, le 8 novembre 2013 de 9h00 à 18h00.
Table des matières
Programme ........................................................................................................ 2
Ouverture et introduction .................................................................................. 4
Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? » ............... 14
Ouverture de l’après-midi ................................................................................ 36
Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? » ............................................. 39
Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? » ............. 58
Conclusion ........................................................................................................ 84
Index ................................................................................................................ 86.
Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).
Extraits
Programme
9h00-9h30 - Accueil des participants
9h30-9h45 - Discours d’accueil par Mme Marie-Christine Blandin, Sénatrice du Nord et Présidente de la Commission de la Culture, de l’Education et de la Communication du Sénat et Mme Corinne Bouchoux, Sénatrice de Maine-et-Loire
9h45-10h15 - Intervention de M. Jacques Fontanille, Directeur de cabinet de Mme Geneviève Fioraso, Ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche et Mme Simone Bonnafous, Directrice Générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle
10h15-12h00 - Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? »
Adoptée le 10 Août 2007, la LRU, Loi relative aux libertés et responsabilités des universités, a entrainé des évolutions au sein des établissements autonomes et a notamment engendré des changements dans la procédure de recrutement des enseignants-chercheurs. La loi E.S.R., parue au JO en juillet 2013, a fait apparaître de nouveaux débats sur le bien-fondé de l’existence de certaines étapes de ce processus comme la procédure de qualification, passage obligé du recrutement au poste de Maître de conférences et de Professeur. Cette première table ronde de la journée vise à établir un état des lieux de la situation depuis 2007 en adoptant plusieurs points de vue différents et complémentaires. Modératrice : Mme Corinne Bouchoux, Sénatrice de Maine-et-Loire. Intervenants : M. Gilles Denis, Vice-Président du CP-CNU, section 72, maître de conférences en Histoire et Epistémologie des sciences du vivant à l’Université de Lille 1, M. Jean-Luc Vayssière, Président de l’Université de Versailles-Saint Quentin, Mme Carole Chapin, Présidente de la Confédération des Jeunes Chercheurs, M. Antonio Freitas, Représentant du SNESUP, maître de conférences en Informatique à l’Université d’Auvergne, Mme Florence Jany-Catrice, Economiste, Professeure à l’Université Lille 1, membre de l’AFEP, Mme Isabelle This Saint-Jean, Vice-présidente du Conseil régional d’Ile-de-France chargée de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
12h00-14h00 - Pause déjeuner libre
14h00-14h15 - Ouverture de l’après-midi par Mme Esther Benbassa, Sénatrice du Val-de-Marne
14h15-15h45 - Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? »
Les enseignants chercheurs français sont partagés entre un statut de fonctionnaire d’état, qui leur offre la garantie de l’existence d’un corps national, et l’évolution de la gestion des universités qui tend vers toujours plus d’autonomie et donc vers une gestion de plus en plus locale. Cette dualité est parfois source de tension et semble être unique en son genre. L’étude comparative du système universitaire français classique et d’autres systèmes, français et étrangers, peut permettre de mettre en évidence les points communs mais surtout les différences qui peuvent exister entre eux et servir de départ à une réflexion plus ouverte sur les perspectives du recrutement dans les universités françaises. Modérateur : M. André Gattolin, Sénateur des Hauts-de-Seine. Intervenants : Mme Emmanuelle Picard, Maître de Conférences en Histoire à l’ENS Lyon, M. Emmanuel Salmon, Attaché scientifique et universitaire à l’Ambassade de France en Suède, M. Jean Cordier, Président de la CP-CNECA.
15h45-17h45 - Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour favoriser un recrutement de qualité au sein de l’université française? »
La conception de ce que peut être un recrutement de qualité fait souvent débat entre les différents acteurs de l’enseignement supérieur en France. Les prises de position qui ont été adoptées au moment du vote de la loi ESR l’ont bien mis en exergue. Néanmoins, nombreux sont ceux qui, malgré leur désaccord sur l’idéal à atteindre, insistent sur l’existence de nouvelles pistes de réflexions, innovantes ou importées d’autres modèles existants. Les différentes interventions de cette journée en ont posé les jalons, cette dernière table ronde se donne pour objectif de les exposer et de les ouvrir à la discussion. Modératrice : Mme Isabelle Attard, Députée du Calvados. Intervenants : M. Olivier Nay, Vice Président du CP-CNU et Président de la section 04 Sciences Politiques, M. Raphaël Romi, Professeur de droit à l’Université de Nantes, doyen honoraire de la faculté de droit de Nantes, M. François Garçon, Maître de Conférences en Histoire et Civilisation à Paris 1, M. Julien Hering, Membre du Collectif PAPERA, Mme Claire Guichet, Représentante de la FAGE au sein du CESE.
17h45 -18h00 - Conclusion par Mme Marie Christine Blandin, Présidente de la Commission de la Culture, de l’Education et de la Communication du Sénat et Sénatrice du Nord.
Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).

3 avril 2014

Tuteur Pro - Une formation en ligne pour intégrer, transmettre, sécuriser

{LLL:EXT:opcalia_base/locallang_db.xml:typoscript.ll_logo}Tuteur Pro est une formation à distance dédiée aux tuteurs chargés d'accueillir d'intégrer et d'accompagner le bénéficiaire d'un contrat de professionnalisation.

Cible

Entreprises adhérentes à Opcalia de la professionnalisation souhaitant former leur tuteur*
Interlocuteurs : Chef d’entreprises, DRH, Responsable formation
Bénéficiaires : Tuteur d’un salarié en contrat de professionnalisation devant justifier d’une formation de tuteur

Objectifs

  • Garantir une intégration optimale des bénéficiaires d'un contrat de professionnalisation dans l’entreprise ;
  • Apporter aux tuteurs les compétences pédagogiques et managériales nécessaires à la transmission des savoir-faire et des savoir-être en entreprise ;
  • Sécuriser le parcours professionnel du bénéficiaire d'un contrat de professionnalisation.

Programme

14 h de formation comprenant :

  • Des séquences de formation en ligne ;
  • Des exercices pratiques réalisables en ligne ou à retourner par mail au formateur ;
  • Des séances de formation en rendez-vous téléphonique.

Ces rendez-vous permettent de traiter les modules concernant :

  • Le cadre réglementaire du contrat de professionnalisation ;
  • Les fondamentaux de la fonction de tuteur ;
  • Les pratiques tutorales.

Démarche

  1. Inscription en ligne
  2. Test de positionnement en ligne du tuteur
  3. Entretien téléphonique entre le formateur et le tuteur pour déterminer les modalités de progression pédagogique
  4. Formation  en « blended learning » :
  • 10 heures à distance et
  • 4 heures d’accompagnement par le formateur. Suite...
3 avril 2014

Une Charte des bonnes pratiques pour les OPCA et les entreprises

{LLL:EXT:opcalia_base/locallang_db.xml:typoscript.ll_logo}Le FPSPP (Fonds paritaire de sécurisation des parcours professionnels) a mis en place une Charte des bonnes pratiques à l'intention des OPCA et des entreprises.

A travers cette Charte, les partenaires sociaux manifestent leur volonté de développer, en lien avec les OPCA et OPACIF et au service des entreprises et de leurs salariés :

  • des actions de formation qui répondent aux besoins des entreprises (en particulier les très petites, petites et moyennes entreprises) et des publics les plus en difficulté ;
  • la lisibilité, la transparence et l'optimisation du fonctionnement des OPCA et OPACIF ;
  • la qualité de l'offre de formation et son évaluation.

Cette Charte reste évolutive et pourra être aménagée et complétée avec les bonnes pratiques identifiées au sein des différents réseaux.

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