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Formation Continue du Supérieur
3 avril 2014

La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs en France - Ouverture et introduction

Sénat - Un site au service des citoyensACTES du Colloque « La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs en France : enjeux et perspectives ». Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).
Ouverture et introduction
Marie-Christine Blandin
Mesdames et Messieurs j’ai le plaisir de vous accueillir pour cette journée de travail intitulée « la procédure de recrutement des enseignants chercheurs en France : enjeux et perspectives ».
Tout d’abord je vous dois de vous donner un très bref résumé des circonstances qui ont amené à ce colloque. Il est le fruit d’une promesse. Lors du débat sur la loi ESR, à l’Assemblée Nationale puis au Sénat, a été promue une batterie d’amendements au sein desquels se trouvaient un amendement qui visait à enlever cette mission de procédure de qualification par le CNU et un autre qui proposait une autre méthode pour travailler. Dans un hémicycle quasi désert d’une assemblée fatiguée après la loi « Refondation de l’école », le premier amendement qui supprimait la procédure de qualification est passé et le second, qui offrait des possibilités alternatives n’est pas passé. Nous étions donc dans une impasse législative que la rencontre des sept députés et sept sénateurs mandatés pour faire une commission mixte paritaire allait résoudre.
Entre le moment où le Sénat a sorti son texte de loi, différent du texte de l’Assemblée, et l’installation de la CMP a démarré une vague de colère contre cette suppression qui a donné lieu à une énorme pétition. Dans un deuxième temps, sachez que nous avons aussi été destinataires d’une vague de protestation contre le maintien en l’état de la procédure de qualification, et j’ai été très frappée par les propos enflammés d’un côté comme de l’autre. Chacun rivalisait de signatures, d’arguments, d’arguments très développés de fond ou alors de slogans très populistes. Nous avons donc fait une promesse, nous allions réfléchir ensemble de façon plus apaisée. C’est pour ça que nous sommes là, c’est pour ça que vous êtes là et je vous en remercie.
Comme à chaque colloque que nous ouvrons ici je vous précise que vous êtes dans un colloque organisé par des sénateurs sans sponsor. C’est utile car sachez que le Palais du Luxembourg loue des salles ou les prête gracieusement mais parfois avec l’aide de sponsors. Certains colloques, sur la santé par exemple, sont bien aidés par l’industrie pharmaceutique etc. Nous travaillons avec transparence et nous tenons à préciser à chaque colloque que ceci se fait sur nos propres fonds avec nos propres moyens et nous sommes fières de pouvoir vous le dire.
Je vous remercie. Ma collègue, Corinne Bouchoux, membre de la Commission de la Culture, de l’Education et de la Communication, qui a été très active sur cette loi, va vous livrer un propos introductif.
Corinne Bouchoux
Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénateurs, Mesdames, Messieurs, bonjour. Merci d’avoir répondu à notre invitation. Les circonstances un peu particulières de la démarche vous ont été rappelées. Ce que nous souhaitons pour aujourd’hui est d’avoir un débat posé, serein, qui pose les vraies questions, les vrais enjeux, et qui puisse être un jalon pour une réflexion ultérieure dans le cadre ou non d’un travail législatif sur l’évolution et le statut des enseignants chercheurs. Nous avons préparé ce colloque pendant deux mois et je voudrais remercier même si elle n’est pas ici, Anaïs Le Bouffant Dubreucq, qui a rencontré un grand nombre d’entre vous, qui a été entendre la parole de colère que nous avons entendue, prise à sa juste valeur.
Je veux juste vous livrer un certain nombre de questions, les questions que nous nous sommes posées. Elles sont modestes, peut-être incomplètes et vous pourrez les compléter. Elles sont un peu la trame de cette journée qui s’est vraiment voulue une discussion sereine, argument contre argument pour essayer d’avancer sur ce dossier que nous savons crucial et sensible. La première question qui nous a été posée est venue des jeunes docteurs et d’un certain nombre de doctorants. Je vais simplement lister quelques questions avant de pouvoir accueillir nos premiers hôtes avant la première table ronde.
La première question qui nous a été posée est de savoir si la procédure telle qu’elle existe actuellement, n’est pas perçue par certains, à tort ou à raison, comme un nouveau jury de thèse où les critères pour le coup seraient plus implicites qu’explicites et donc peut-être inégalitaires, c’est une question.
Deuxième question, comment se fait la prise en compte des dossiers de candidature ? Nous avons étudié tous les comptes rendus depuis cinq ans de toutes les sections, rencontré un grand nombre d’acteur pour mieux comprendre le mode d’emploi de cette « boîte noire » qui est extrêmement complexe, où il y a beaucoup de travail mais aussi de complexité, qui peut-être gagnerait à être explicitée. L’autre question qui est venue mais qui n’était pas posée en amont est la question de la qualification pour les professeurs des universités. Nous avons travaillé dans un premier temps uniquement sur l’entrée dans le métier. Est-ce que cette qualification a vraiment des raisons d’exister, qu’est ce qui marche bien, qu’est ce qui ne marche pas ? Nous avons aussi entendu un certain nombre de vos réponses. L’autre sujet qui nous a préoccupé, c’est la question du taux d’évaporation. Nous avons observé sur les cinq dernières années ce que sont devenus les qualifiés et nous avons simplement pu noter qu’il y avait là aussi une part mystérieuse. Pour les profanes, puisque tout le monde n’est pas spécialiste voici les données : en 2007, 30,9% des qualifiés n’ont pas candidaté à un recrutement au poste d’enseignant chercheur, en 2012 on arrivait à 41,5%. Que veut dire ce taux d’évaporation ? Même si le suivi d’une cohorte sur une année peut montrer certaines tendances, là aussi c’est plus complexe. On peut postuler la deuxième année mais pas la première année pour des raisons de stratégie personnelle par exemple. Donc cela nous a aussi intrigués.
Troisième question qui nous a permis de travailler aussi : que se passe-t-il pour les personnes qui ne rentrent pas dans les cases ? C’est une préoccupation pour nous écologistes. Que se passe t’il quand on n’est pas dans la bonne boîte, dans la bonne section, quand on est dans la lisière de deux sections, comment fonctionne actuellement l’intersection, est ce que ça marche plutôt bien, est ce que c’est bien compris des candidats et éventuellement qu’est-ce qu’on peut améliorer ? Autre question que nous nous sommes posée, et là aussi nous avons reçu un volume de courrier intéressant, quid des candidats étrangers, ceux qui ont fait leur thèse en France et qui ont peut-être une bonne connaissance du système, et de ceux qui n’ont pas fait leur thèse en France et qui veulent postuler ? On s’est aperçu qu’il y avait peut-être pour certains un manque de clarté, et donc cela a posé la question de l’attractivité du système français puisque, vous le savez comme moi, en 2011-2012 42,2% des doctorants étaient des étudiants nés à l’étranger, alors que dix ans plus tôt 22% des doctorants étaient nés à l’étranger. C’est quelque chose qui nous semble particulièrement important et à encourager. Pour éviter les « pas entendus » ou les « malentendus » vis-à-vis des étudiants étrangers, comment mieux communiquer sur le système français qui, je le répète, n’est pas compris par tous ?
Enfin dernière question, et là nous ne pouvons l’éviter, le débat qui s’est posé selon nous est dû aussi au contexte de la LRU qui a été acceptée par les uns, farouchement combattue par les autres, acceptée avec résignation par certains. Le contexte évidemment de la LRU pose avec une acuité particulière cette tension entre le souhait très fort que nous avons ressenti dans la pétition d’un statut national, de garantie forte d’une vision politique et scientifique pour une recherche de qualité, et d’un autre côté les aléas de la LRU sur le terrain qui peuvent ne pas donner toujours l’impression que les moyens sont au rendez-vous. Donc cette question des moyens est revenue énormément dans vos communications, dans vos questions et dans les messages qui nous ont été envoyés.
Dans un premier temps nous allons ce matin entendre ceux qui « sont avec les pilotes dans l’avion ». J’appelle à la tribune Monsieur Jacques Fontanille, Directeur de cabinet de Madame Geneviève Fioraso, Ministre de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, et par ailleurs Madame Simone Bonnafous, Directrice Générale pour l’Enseignement Supérieur et l’insertion professionnelle. Je vais les inviter à nous rejoindre. Dans un second temps nous aurons un certain nombre de tables rondes où vous aurez la parole. Mon rôle sera de limiter le temps de parole des personnes en tribune pour permettre un dialogue, je le répète approfondi, serein avec la salle. Les actes de cette journée seront faits et nous espérons que, pour la prochaine discussion d’un texte portant sur l’avenir des enseignants chercheurs, nous serons au plus près de l’idée que nous avions d’une évolution nécessaire et des attentes sur le terrain qui peuvent, nous l’avons senti, être différentes. Nous voulons être au plus près de vos questions à tous.
Je vous remercie donc de venir à la tribune, Monsieur Jacques Fontanille et Madame Simone Bonnafous.
Jacques Fontanille
Je vous remercie, je remercie la Commission Culture du Sénat, je remercie Madame Blandin et Madame Bouchoux, pour cette occasion qui nous est donnée d’évoquer un sujet essentiel concernant l’avenir de l’enseignement supérieur et de la recherche, et des universités en particulier.
Je voudrais commencer par rappeler que cette question épineuse des modalités de recrutement des enseignants-chercheurs, qui a été soulevée au cours des débats parlementaires et dont Madame Bouchoux s’est faite l’écho tout à l’heure, n’a pas été soulevée par le gouvernement, par notre ministère et qu’elle est apparue au cours des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, assez vigoureusement exprimée. Le motif qui était invoqué était très précis. Ce n’était pas une mise en cause des modalités de recrutement en général, ce n’était pas une mise en cause de la procédure de qualification en particulier. Cela procédait d’une réflexion sur le temps de latence, d’autres disent de galère et d’indécision, qui sépare l’obtention de la thèse et l’entrée dans le métier. C’était sur la base de cette réflexion, je crois, que les participants des Assises considéraient qu’il y avait un certain nombre de dispositifs dans notre système d’accès à l’emploi scientifique et à l’emploi dans les universités qui retardait cette entrée, et que la qualification pouvait être considérée comme un des dispositifs qui participait de ce retard. Ce n’est pas le seul. Je voulais rappeler cette situation. Ensuite bien sûr la question a été reprise sous la forme d’un amendement et je ne referai pas l’histoire, elle a été rapidement esquissée tout à l’heure.
Je voudrais plus généralement rappeler quel est pour nous, pour Madame la Ministre en quelque sorte, que je représente ici avec Simone Bonnafous, l’enjeu de la question du recrutement des enseignants-chercheurs et peut-être plus largement des modalités de leur choix et de leur formation. Pour nous, cela forme un tout par rapport aux objectifs que nous assignons à notre action et qui se sont traduits en particulier dans la loi du 22 juillet.
Le premier objectif, vous le savez déjà mais je le rappelle très fortement, c’est la réussite étudiante, la réussite de tous les étudiants, la réussite depuis le choix de la filière de formation jusqu’à la qualité de l’insertion professionnelle en passant bien entendu par ce qui est, dans la représentation la plus ordinaire, la réussite par excellence c’est-à-dire la réussite dans l’obtention des diplômes au sein même du cursus. Mais c’est toute la chaine qui nous intéresse. En matière de choix et de formation des enseignants-chercheurs, cela implique d’abord que nos enseignants-chercheurs aient des compétences, ou acquièrent des compétences, pour garantir la diversité et la qualité dans la diversité des méthodes pédagogiques. On a beaucoup dit au cours des Assises qu’il fallait en finir avec les grands amphis et les cours magistraux. Je ne suis pas convaincu qu’il faille en finir avec ce type d’activité pédagogique et nous croyons beaucoup plus à la diversification des méthodes, à la diversification des supports, à la diversification des approches, des contenus et des savoir-faire, de façon à ce que cette diversité puisse être un facteur de meilleure adaptation à la diversité des profils des publics, que nous espérons renforcer. Il faut bien entendu que ces enseignants-chercheurs puissent s’approprier les outils qui servent de support à cette diversification, cela va de soi.
Quand on parle, comme facteur de réussite, de la spécialisation progressive en licence, on entend que la palette des enseignements offerts aux étudiants en licence doit être plus large au début qu’à la fin. Excusez-moi de cette lapalissade, mais cela implique d’une certaine manière que les enseignants-chercheurs eux-mêmes aient une culture disciplinaire suffisamment large et approfondie pour pouvoir contribuer à cette spécialisation progressive dans la meilleure connaissance qu’ils auraient ainsi de chacune des spécialités qui sont combinées dans la spécialisation progressive.
Quand on parle de réussite par l’insertion professionnelle, cela suppose aussi que les équipes pédagogiques, pas forcément chacun des enseignants-chercheurs, mais que les équipes pédagogiques aient une capacité à anticiper l’insertion professionnelle dans toute sa diversité. Il y a déjà une capacité à anticiper l’insertion professionnelle et à l’intégrer dans les cursus, dans les méthodes, dans les exercices académiques qui sont proposés mais souvent d’une manière qui est très mono-disciplinaire, mono-métier, mono-professionnelle. Je pense qu’il est très important que dans chaque filière les enseignants aient une vision de toute la diversité, de la palette entière des débouchés professionnels de leurs étudiants et qu’ils en tiennent compte, qu’ils soient en mesure d’en tenir compte dans la manière dont ils conduisent leurs enseignements.
On rappelle par exemple que sur une centaine d’étudiants en psychologie moins de 10 deviendront psychologues professionnels. Les autres feront beaucoup de choses fort intéressantes et utiles pour la société mais ils sont tous préparés à devenir psychologues professionnels même s’ils ne le deviendront pas. De même, dans des filières d’humanité, sur une centaine d’étudiants qui sont dans une filière d’histoire il y en aura une dizaine qui seront professeurs d’Histoire. On peut espérer que ce nombre augmente avec le nouvel attrait des métiers de l’enseignement, mais il y en aura toujours suffisamment qui ne seront jamais historiens professionnels pour qu’on s’inquiète de leur sort si je puis dire, et ceci avant qu’ils trouvent eux-mêmes la diversité des débouchés qui s’offrent à eux. Je pense que ce type de questionnement doit faire partie des compétences des enseignants-chercheurs. Par conséquent, de ce point de vue-là, nous avons le devoir d’encourager la motivation pour l’engagement pédagogique dans la diversité que je viens d’évoquer très rapidement.
L’autre grande priorité de notre action c’est bien sûr l’excellence en recherche mais une excellence en recherche qui soit capable de répondre aux grands défis du XXIe siècle à travers d’abord la recherche fondamentale, mise en perspective dans la réponse aux grands défis sociétaux, et bien sûr toutes les autres formes qui vont permettre de répondre à ces grandes questions. Pour parvenir dans le monde de la recherche du XXIe siècle à ce type d’objectif, il faut avoir des enseignants-chercheurs qui soient capables d’animer des équipes, de construire des équipes mobiles, de travailler en mode projet sur des propositions de recherche. Bien entendu, les enseignants chercheurs sont capables de conduire une haute qualité de publication mais, dans certaines disciplines, il faudra bien que nous les soutenions et que nous les accompagnions pour internationaliser leurs publications, pour les aider à percer dans les grandes revues internationales et en particulier en Sciences Humaines et Sociales. Je pense aussi que cela suppose d’anticiper les retombées sociales ou sociétales, c’est-à-dire être en mesure de mettre en perspective les recherches les plus spécialisées, les plus fondamentales, par rapport à ces horizons d’attente que nos concitoyens portent. Et là aussi il faut que nous soyons en mesure d’encourager la motivation des enseignants-chercheurs pour cette dimension de leur métier qui peut se traduire, par exemple, par l’encouragement à la pratique du transfert et de la recherche appliquée, mais bien au-delà, par cette mise en perspective permanente en mode projet vers la réponse aux défis sociétaux, qui ne relève pas spécifiquement du transfert et de l’application en soi.
Dans un dernier temps, je voudrais rappeler brièvement quelles sont les différentes mesures dans la loi du 22 juillet qui touchent directement ou indirectement à ces questions et aux enseignants-chercheurs. D’abord, rappelons que l’essentiel ne peut pas être dans la loi, n’a pas de raison d’être dans la loi, puisque la plupart des mesures sont de nature réglementaire et touchent le décret statutaire qui est en cours de concertation et de discussion. Dans la loi que trouve-t-on ? On trouve que la loi a transféré au conseil académique, en formation restreinte, c’est à l’article 50, tous les actes relatifs aux questions individuelles et en particulier celles touchant aux carrières des enseignants-chercheurs, le recrutement, l’affectation etc. C’est d’ailleurs cet élément de la loi qui impose que soit révisé le décret statutaire. Je rappelle que le conseil académique est constitué par la réunion d’une commission spécialisée dans la recherche et d’un autre spécialisé dans la formation, que ces deux commissions sont constituées par élection parallèlement, séparément, et qu’il en résulte que désormais, toutes les décisions, mesures, délibérations, qui seront prises à titre individuel seront prises par un ensemble en formation restreinte qui aura à la fois la balance recherche et la balance formation, à la fois la préoccupation de l’excellence en recherche et la préoccupation des compétences pédagogiques.
Deuxième modification qui touche au recrutement mais qui n’a pas nécessairement d’incidence sur les orientations dont je parlais tout à l’heure : la loi supprime le droit de veto des présidents sur le recrutement des enseignants-chercheurs et le transfère à la formation restreinte du conseil d’administration. C’est une mesure qui était attendue, une mesure qui touche à des questions de principe, qui touche à une certaine conception de la vie démocratique et de la collégialité dans les universités. Cela ne change pas grand-chose sur l’orientation des choix en matière de profil d’enseignant-chercheur.
Autre point, et je pense que ce colloque est dans cette perspective, il est prévu à l’article 74 que le gouvernement devra remettre un rapport au Parlement pour formuler des propositions en vue d’améliorer le recrutement, la formation, le déroulement de carrière des enseignants-chercheurs. Il a été rappelé tout à l’heure que c’était quelque chose qui était apparu au moment où la suppression de la qualification avait été elle-même supprimée, mais nous sommes dans le cadre, je pense, de la préparation de ce rapport. Il y a une disposition qui va toujours dans le même sens évoqué tout à l’heure, celui de nos grandes orientations, le Haut Conseil de l’évaluation, clairement, c’est mentionné dans la loi, doit s’assurer que dans les évaluations des enseignants-chercheurs soient prises en compte toutes leurs missions. C’est à l’article 90. Ce n’est pas formulé de la même manière mais c’est exactement l’esprit.
Concernant la formation, ce n’est pas dans la loi du 22 juillet 2013 mais dans la loi de refondation de l’école. Il est très clairement prévu que les écoles supérieures du professorat et de l’enseignement sont destinées à la formation de tous les professeurs, y compris ceux de l’enseignement supérieur et que leur installation, soit dans les universités soit dans les regroupements d’université, doit s’accompagner de projets de formation des enseignants -chercheurs. On pense par exemple, dans ce qui se discute le plus souvent actuellement, à la formation à l’utilisation de l’enseignement numérique, mais ce n’est évidemment pas le seul niveau d’intervention que l’on souhaite pour les ESPE en matière de formation ou d’accompagnement de la pratique pédagogique des enseignants-chercheurs. Donc le décret statutaire qui est en cours de discussion est destiné en quelque sorte à rassembler les quelques sujets qui viennent de la loi pour les traiter en termes réglementaires. C’est le cas de la disposition sur le rôle du conseil académique mais c’est aussi le cas de quelques autres mesures.
Autrement dit la révision du décret statutaire ne remet pas en cause les équilibres dans le statut des enseignants chercheurs. L’avenir des orientations que j’évoquais tout à l’heure est un avenir à travers des actions, à travers des mesures concrètes, des dispositifs contractuels et pas à travers des mesures réglementaires. Le texte qui est en cours de discussion, je le signale, prévoit, et c’est une discussion qui est loin d’être achevée, la possibilité d’introduire, lors de la procédure d’audition des candidats, une mise en situation professionnelle, pédagogique, puisque déjà c’est une mise en situation professionnelle que d’exposer ses recherches comme c’est le cas actuellement. Et on peut penser que c’est un des leviers au moment du recrutement qui permettrait de s’assurer ou d’améliorer la préparation des candidats au poste d’enseignant-chercheur dans le domaine de la pédagogie. Je vous remercie.
Corinne Bouchoux
Merci, je donne la parole à Madame Bonnafous.
Simone Bonnafous
Je vous remercie, Mesdames les Sénatrices, de nous accueillir dans cette belle salle du Palais du Luxembourg. Je tiens d’abord à vous exprimer ma satisfaction, en tant que Directrice pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle, de voir que le Sénat s’empare à nouveau de la question de la procédure de recrutement des enseignants-chercheurs. J’ai eu l’occasion à de multiples reprises dans ma carrière, et en particulier lors de la Conférence des Présidents que j’animais à une époque avec Jacques Fontanille et Lionel Collet, d’apprécier le travail de fond que mène le Sénat sur un certain nombre de sujets. C’est la diversité et l’écoute des points de vue exprimés en Commission qui enrichit la réflexion sur les sujets d’intérêt commun et profite à tous, décideurs et citoyens.
Je suis personnellement d’autant plus heureuse de cette occasion que la loi n°2013-660 du 22 juillet 2013 nous impose l’obligation d’élaborer en un an – donc au cours de l’année 2014 –la Stratégie nationale d’enseignement supérieur. Vous savez qu’existe depuis une dizaine d’années une stratégie nationale de la recherche et de l’innovation, la SNRI, élaborée dans sa dernière version entre le Ministère et les alliances, qui elles-mêmes représentaient toutes les composantes de la recherche française, aussi bien la Conférence des Présidents que tous les organismes de recherche. La SNRI a été donc très articulée au programme européen 2020 pour définir les grandes lignes de l’action de la France dans le domaine de la recherche pour les années à venir. Mais la France ne disposait pas jusqu’ici d’un document équivalent dans le domaine de l’enseignement supérieur, ce qui en dit long sur notre vision des priorités nationales. Je suis donc personnellement très heureuse que le Parlement ait inscrit l’idée d’une part d’un document interministériel, car si notre Ministère est chef de file, la réflexion, portant sur l’enseignement supérieur français et ses objectifs à moyen et long termes, sera interministérielle, et d’autre part de rassembler les deux stratégies dans un livre blanc qui sera présenté au Parlement tous les deux ans afin d’en rediscuter les grandes orientations.
Nous sommes engagés dans un processus long mais qui va rencontrer de façon très heureuse le travail que vous allez entreprendre sur le recrutement des enseignants-chercheurs. Quelle stratégie et avec qui ? Quels doivent être les personnels de l’enseignement supérieur ? Quelle contribution selon les institutions concernées ? La Direction générale pour l’enseignement supérieur et l’insertion professionnelle a la charge des Universités et des Ecoles supérieures. Comment peut-on lier les objectifs que la France se donne dans le domaine de l’enseignement supérieur et la façon dont on voit l’évolution du personnel de l’enseignement supérieur, à commencer par les enseignants-chercheurs et en aval du recrutement ? Il est clair que la question du recrutement, que vous posez en tant que telle aujourd’hui, n’est que l’aboutissement d’une autre question : quel type de personnel souhaite-t-on dans les établissements d’enseignement supérieur, les écoles, les universités, les organismes de recherche, et pour quel métier ?
Je voudrais tout d’abord dire quelques mots du rapport de la Cour des Comptes sur la gestion des enseignants des universités dans un contexte d’autonomie. Le chapitre sur le recrutement se termine par « la Cour recommande au MESR de veiller à l’application de l’arrêté du 7 août 2006 relatif à la formation doctorale quant à la limitation du nombre de doctorants pouvant être encadrés par un directeur de thèse, de poursuivre la limitation drastique via les contrats quinquennaux des endo-recrutements, de mettre en place dans chaque université une procédure d’audition plus approfondie des candidats au recrutement. Ces conditions étant remplies, il est probable qu’avec l’expérience acquise les universités seront d’ici quelques années en mesure d’assurer et de garantir une procédure de recrutement qui ne soit pas sujette à critiques. Cela devrait alors permettre de réapprécier ce besoin de disposer de cette étape particulière de pré-recrutement que constitue la procédure de qualification, aujourd’hui confirmée par la loi ESR, justifiée principalement aujourd’hui par la volonté, via un système d’admissibilité à l’échelle nationale dans la procédure de recrutement des enseignants chercheurs, de conforter leur appartenance à la fonction publique d’Etat ».
Un certain nombre d’évolutions sont déjà engagées depuis plusieurs années, notamment sur la question de la réduction du nombre de thèses encadrées par un seul enseignant qui a à voir avec la question de la qualité de l’encadrement doctoral et j’ai vu de près comme universitaire l’évolution de ces quinze dernières années. Si des nuances s’imposent et si des marges de progression demeurent - la charte des thèses n’est pas forcément aussi bien appliquée qu’on le voudrait - , il faut reconnaître le chemin parcouru qui, même s’il en reste à parcourir, est considérable. La création des écoles doctorales et leur organisation ont beaucoup participé à ces changements. Concernant la limitation des endo-recrutements, je pense qu’il faut s’entendre précisément sur ce point : quelles définitions en donne-t-on ? Parle-t-on de ceux qui ont fait leur thèse, des ATER, des maîtres de conférences, des professeurs, de Paris 7 ou de Besançon ? Il faut être clair là-dessus sans quoi on prend le risque d’un discours incohérent. L’objectivité et le réalisme s’imposent sur ces sujets et il ne faut pas fixer les mêmes objectifs à toutes les situations. Ce qui compte fondamentalement c’est que les personnels qu’on recrute correspondent aux missions qu’on attend d’eux, qu’ils le fassent bien pour l’institution, pour les usagers et pour eux-mêmes.. La question connexe de ce qu’on appelle les « TGV Professeurs » est aussi à considérer dans un certain nombre de cas et il convient vraiment de mesurer ce phénomène de l’endo- ou de l’exo-recrutement de façon différenciée sur le territoire, même si les objectifs doivent rester des objectifs généraux. La Direction Générale est tout à fait disposée à consolider cela dans les contrats d’établissement, qui en tiennent compte d’ores et déjà, mais on sait très bien que Pau, Besançon et Paris ne sont pas dans la même situation.
Par ailleurs, dans le décret statutaire des enseignants-chercheurs figurent aussi des avancées en ce qui concerne l’ouverture de notre milieu. On a souvent dit que la France n’était pas, dans son mode de recrutement, ouverte sur l’extérieur. Or, on peut constater de grandes avancées sur ce point. Je tiens à signaler qu’on a aujourd’hui 15% de recrutement de MCF étrangers chaque année. Vers quoi doit-on tendre idéalement ? Est-il pertinent de se fixer un objectif ? Cette interrogation fait partie des discussions relatives à la stratégie nationale. Considère-t-on que l’enseignement supérieur est un secteur où la mobilité dans les deux sens, le fait de faire une partie de sa carrière à l’étranger et d’accueillir un grand nombre d’enseignants étrangers est un sujet important ? On observe que, d’année en année, le pourcentage d’enseignants chercheurs étrangers recrutés augmente, ce qui est plutôt intéressant et positif, et qui pose la question de savoir ce qui attire nos collègues étrangers. Il serait pertinent de mener une enquête sur les enseignants étrangers dans nos universités et d’analyser pourquoi des enseignants chercheurs étrangers choisissent la France, où les salaires ne sont pas ceux de l’Allemagne ou de la Suisse par exemple.
Un autre élément d’ouverture présent dans le décret, bien que très lent à mettre en place, est l’obligation de la parité dans les comités de sélection. Certes, il ne s’agit pas de l’obligation de parité de recrutement mais on peut espérer que progressivement cette disposition fasse évoluer le milieu universitaire. Car notre milieu n’est pas plus représentatif de la diversité de la France que d’autres et l’on compte donc effectivement peu de femmes aux postes les plus élevés.
Un autre problème se pose, c’est le faible effectif de personnes en situation de handicap, et vous savez que les universités vont bientôt « être mises à l’amende » pour cela. La fonction publique, pour que ses discours de principe soient entendus par le privé et que sa position prescriptive soit légitime, doit être exemplaire dans ce domaine. Les entreprises sont depuis longtemps assujetties à payer une taxe lorsqu’elles n’ont pas assez de personnel en situation de handicap. Et si le MESR y a échappé jusqu’à une date récente, ce ne sera plus possible et il est désormais indispensable de trouver des solutions. Le décret prévoit entre autres un mode de recrutement spécifique, ce qui signifie qu’il donne des éléments pour qu’on ait progressivement un corps universitaire qui soit plus représentatif de la diversité de notre société.
Pour le reste, je ne vais pas lancer le débat ici, je pense que les questions sont très ouvertes. La question en particulier de pouvoir concilier un attachement à des formes statutaires nationales tout en préservant la diversité des missions réelles des enseignants-chercheurs, des missions vécues, qui évoluent, est une question de première importance. On est encore au milieu du gué. Dans le cadre de votre réflexion, il semble nécessaire de mener un travail d’enquête, d’auditions, dans la mesure où tout se joue sur le terrain. Aujourd’hui, enseignement et recherche sont loin d’épuiser le temps de travail des enseignants-chercheurs et en particulier tout ce qui est de l’ordre de l’animation, de la responsabilité de filière est extrêmement important. Or, à ma connaissance, les universitaires n’ont pas l’intention de les déléguer à des administratifs, ni pour les directions d’UFR, ni pour les Présidences ou directions d’établissement de les déléguer à des énarques. Il faut donc en tirer les conséquences et clarifier notre discours. On continue encore trop à faire (dans le discours) comme s’il y avait seulement l’enseignement et la recherche. Ce discours est hypocrite, tout le monde sait que le fonctionnement réel n’est pas celui-là, et cet état des choses n’est pas sain pour l’équilibre des personnes en situation professionnelle. Ce milieu n’échappera pas à une réflexion sur les questions de fond, sur la façon de travailler dans le temps et selon les institutions, ou sur les risques psycho-sociaux. Je pense en effet que s’exerce une vraie pression culpabilisante sur les enseignants-chercheurs, due à la multiplicité des tâches qui ne sont ni affichées, ni reconnues sur le plan symbolique dans la mesure où l’on ne valorise que l’enseignement et la recherche. Ça n’a peut-être pas été compris et bien présenté, mais la « fameuse » modulation de service ne devrait pas concerner que le partage entre enseignement et recherche. On peut, à un moment donné, vouloir continuer à enseigner mais se consacrer aussi à l’internationalisation de son université ou au développement de sa stratégie numérique et non plus à la recherche. Ce débat n’est jamais posé de manière approfondie parce que tout le monde reste sur des positions assez formelles et les meilleurs défenseurs de l’égalité entre recherche et formation sont souvent ceux qui ne font plus de recherche parce qu’ils ont des activités, y compris publiques, très importantes et chronophages. Il est essentiel, selon moi, d’avoir une vraie réflexion à ce sujet.
Une autre question qui va prendre de l’importance est le rapport entre le public et le privé. 1/5 des étudiants du supérieur sont dans le privé. Cet état de fait pose un réel problème dans certains domaines comme la gestion parce que les facs de gestion, les IAE, sont en concurrence avec les écoles qui ont de toutes autres règles de gestion et où il est tout à fait acceptable de travailler deux jours par semaine à l’extérieur de l’établissement. On reconnaît le travail à l’extérieur, alors que c’est encore une question occultée à l’université où une bonne partie des activités libérales ou de consultance (en particulier en droit, en gestion, etc.) restent non dites. Il faut sortir là aussi de cette hypocrisie et reconnaître que des activités extérieures à l’université peuvent aussi contribuer à la qualité de la prestation enseignante ou à valoriser la recherche (sans parler de l’aspect « rémunération »). La distance des sénateurs à l’univers de l’enseignement supérieur et de la recherche permettra de poser quelques vrais sujets, pas forcément pour les résoudre dans l’immédiat mais pour leur réserver un traitement ultérieur à plus ou moins long terme. Je n’ai pas parlé du recrutement lui-même parce que je pense qu’il est l’aboutissement de cette réflexion mais mon souhait de directrice générale est qu’on traite les sujets de fond.
En ce qui concerne le doctorat, pour réagir à ce qu’en dit la Cour des Comptes, le vrai problème est que le doctorat n’est effectivement pas aujourd’hui, comme dans d’autres pays, le diplôme de la qualification maximum de l’enseignement supérieur. C’est en ces termes que doit se poser le problème. J’ai été déjà interrogée par les députés fin août, aussitôt la loi votée, et j’ai donc pu constater que l’Assemblée Nationale considère ce sujet comme primordial. Je me réjouis de voir qu’une réflexion s’engage sur le sujet, car il est capital de travailler sur le doctorat. La première question est celle de l’emploi des doctorants : il faut que l’on recrute des docteurs aux fonctions d’encadrement supérieur : la fonction publique doit encore une fois donner l’exemple et nous devons par ailleurs ouvrir la négociation avec les branches. La seconde question est celle de la diversification des formes du doctorat : nous sommes toujours plus fréquemment interpellés par différents milieux, dans les domaines de l’architecture, de l’art par exemple, sur ce point. Pour finir je voudrais indiquer que l’ENA se pose la question de l’accession des Enarques au doctorat. La directrice de l’ENA me faisait remarquer qu’il y avait un problème de débouchés des Enarques à l’international en partie dû au fait qu’ils sont considérés comme ayant un master.
Tout cela va dans le bon sens et je me réjouis de la tenue de votre colloque, qui contribuera à faire évoluer positivement ces thématiques. Bon travaux à vous.
Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).

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