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Formation Continue du Supérieur
3 avril 2014

Le système universitaire français : un système unique en son genre ?

Sénat - Un site au service des citoyensACTES du Colloque « La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs en France : enjeux et perspectives ». Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).
Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? »
Modérateur : M. André Gattolin, Sénateur des Hauts-de-Seine
Intervenants :
- Mme Emmanuelle Picard, Maître de Conférence à l’ENS Lyon
- M. Emmanuel Salmon, Attaché scientifique et universitaire à l’ambassade de Suède
- M. Jean Cordier, Président de la CP-CNECA.
André Gattolin
Merci Esther de ton intervention qui a déjà posé un certain nombre d’éléments du débat qui va venir, avec ton regard et ton expérience riche sur le sujet. Je me présente rapidement, je suis André Gattolin, Sénateur des Hauts-de-Seine, membre également de la Commission de la Culture, de l’Education et de la Communication. Corinne Bouchoux et Marie Blandin m’ont demandé d’être le modérateur de cette table ronde, ce que je fais bien volontiers auprès de vous et je vous remercie pour votre attention continue depuis ce matin. Le cadre de cette deuxième table ronde est : « Le système universitaire français, un système unique en son genre ? » Le sujet a déjà été évoqué par Esther Benbassa dans son intervention et il est vrai que cette coexistence pour les enseignants chercheurs français à la fois d’un système de qualification nationale, qui confère un statut de fonctionnaire d’Etat aux enseignants chercheurs et leur offre la garantie de l’existence et de l’appartenance à un corps national, et en même temps l’évolution de la gestion des universités depuis la loi LRU, l’autonomie et les marges de manoeuvre de plus en plus grandes données aux universités dans ce cadre permettent d’évoluer vers un système mixte qui distingue le système universitaire français. D’où l’intérêt aujourd’hui d’évoquer cette question avec ce qui est traditionnel en sociologie ou en sciences humaines, une approche comparative sur les systèmes qui sont mis en place et opérés dans d’autres pays. Nous avons à ce titre-là plusieurs intervenants, universitaires, spécialistes, connaisseurs à la fois du système français et d’autres systèmes étrangers pour les avoir pratiqués eux-mêmes.
D’abord je vais vous demander d’excuser très sincèrement Christine Musselin, Directrice Scientifique de l’IEP de Paris qui devait intervenir aujourd’hui sur les systèmes nord-américains et en particulier sur le modèle états-unien. Elle a été, pour des raisons totalement involontaires, empêchée d’être là parmi nous. Elle nous a demandé de l’excuser car le sujet l’intéresse très fortement. Nous avons néanmoins trois autres intervenants de grande valeur. Tout d’abord Emmanuelle Picard qui est maître de conférences à l’Ecole Normale Supérieure de Lyon en Histoire contemporaine, qui travaille beaucoup sur la profession universitaire et sur les dispositifs d’évaluation. Elle connaît bien les systèmes suisses et hollandais mais elle nous fera une évocation des spécificités du système français notamment en termes de carrières au regard de ces exemples intra-européens. Je passerai la parole ensuite à Emmanuel Salmon qui est attaché à la coopération scientifique et universitaire à l’Ambassade de France en Suède. Il connaît donc extrêmement bien le système suédois et il a eu les mêmes fonctions en Finlande. Enfin, nous aurons l’intervention de Jean Cordier, qui va nous parler d’un système tout à fait particulier, celui qui régit le recrutement et la gestion des carrières attachées à l’enseignement agricole et agronomique auprès du Ministère de l’Agriculture et qui s’appelle la CNECA. Vous nous en parlerez car il n’est pas toujours connu, il s’agit d’une sorte de pendant du CNU qui a fonctionnement tout à fait particulier. Jean Cordier a accepté de suppléer à l’absence de Madame Musselin et nous parlera du système américain car vous avez fait votre doctorat à l’Université de l’Illinois, vous avez été professeur invité, vous avez beaucoup travaillé dans le cadre universitaire américain donc cela nous permettra de compléter ce point de vue.
On fera ensuite un système d’interactions. Peut-être qu’à la fin de chaque intervention les différents intervenants et Esther Benbassa voudront réagir et poser des questions, et puis on se tournera vers la salle pour entendre vos réflexions, vos points de vue et vos questions.
Je passe tout d’abord la parole à Emmanuelle Picard.
Emmanuelle Picard
Je vous remercie pour cette invitation au Sénat pour discuter de ce sujet sur lequel je travaille plutôt avec une perspective historique. Je parle donc en tant de chercheuse et non pas en tant que représentante d’un quelconque point de vue. Je me suis attachée à essayer de souligner quelles étaient selon moi, au regard des systèmes étrangers, les grandes caractéristiques qui permettent d’expliquer et de comprendre la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui, c’est-à-dire une situation de tension très forte entre la tentative de mise en place d’un modèle proche de celui nord-américain avec des universités autonomes, et l’existence d’un corps national géré de façon réglementaire.
Si nous en sommes là aujourd’hui, c’est historiquement grâce à Napoléon puisque les universités françaises ont connu une rupture essentielle et originelle qui a été leur disparition en 1793 et leur refondation par Napoléon en 1808. On a tendance à penser que ce n’est pas un hiatus mais c’en est un très fort. En effet, les universités créées par Napoléon en 1808 n’ont absolument rien à voir avec les autres universités européennes. Ce sont en fait des lycées. Elles sont intégrées dans un système que l’on appelle l’université impériale et qui ne distingue pas l’enseignement secondaire de l’enseignement supérieur. Il est très important de garder cela en tête car il y a bien aujourd’hui encore une question sur la distinction et la coupure entre l’enseignement supérieur et l’enseignement secondaire en termes de service public, de maillage du territoire, de corps national enseignant, de diplômes nationaux. Ce sont des réalités qui pour nous sont toutes très naturelles et qui sont absolument incompréhensibles pour la plupart des pays étrangers ayant un fonctionnement dual dans lesquels on ne forme pas les professeurs d’université de la même façon qu’on formerait les professeurs du secondaire comme en Allemagne par exemple. En France il n’y a pas de rupture, ce sont les mêmes individus qui potentiellement pourraient prétendre à la poursuite d’une carrière. Ce sur quoi je veux insister dans cette introduction est que nous sommes les héritiers d’une tradition biséculaire qui est constitutive de la façon dont fonctionne le système d’enseignement supérieur. Il faut en être extrêmement conscient, connaître ce que cela implique et quels sont les choix qui en résultent si on veut penser à le réformer. Je suis frappée de voir, dans les débats sur les réformes depuis une dizaine d’années, comment les exemples étrangers sont systématiquement utilisés sans qu’ils soient ramenés à leur spécificité. Cela ne signifie pas qu’il faille continuer la tradition, cela signifie simplement que si l’on veut réformer il faut penser ce que nous sommes, ce que nous voudrions être et pourquoi les autres ne sont pas comme nous, fondamentalement et historiquement. Peut-être qu’alors nous pourrons trouver des solutions.
Dans le système français la vraie fracture est 2007. La loi LRU crée une situation sans précédent : les universités disposent de leur autonomie et en particulier de leur autonomie en termes de gestion de leur masse salariale, en termes de ressources humaines. C’est une rupture absolue et je dirais même une rupture extrêmement forte puisqu’elle va à l’encontre de l’existence d’un corps national. Il existe une antinomie entre les deux qu’il va falloir résoudre. Cet effet de centralité s’est incarné et s’incarne dans le CNU, une institution totalement atypique. Effectivement les italiens nous l’envieraient ou nous copieraient, mais nous pourrions discuter également du système italien qui est encore plus ossifié que le nôtre. En revanche, si l’on parle du CNU à tout autre universitaire de tout autre pays, il est aussi difficile de lui expliquer ce que c’est que de lui expliquer ce qu’est l’agrégation ou l’Ecole Normale Supérieure, qui sont pour lui des réalités qui n’existent pas. On peut trouver uniquement des paraphrases. Lorsque j’écris des articles en anglais il faut que j’explique ce dont je parle et je vous assure que c’est extrêmement compliqué pour mes traducteurs. Nous discutons pendant des heures sur les paraphrases qui vont restituer la réalité d’un dispositif qui n’existe nulle part.
Revenons au CNU qui est vraiment l’objet de mes recherches. J’avais lancé une enquête auprès de mes collègues pour savoir de quand datait selon eux le CNU et aucun n’a trouvé la bonne réponse. Je daterais le CNU d’un texte de 1890. Evidemment il ne s’appelait pas CNU mais c’est le texte de 1890 qui met en place des listes d’aptitudes aux qualifications et aux fonctions de maître de conférences. On ne va pas rentrer dans les détails mais le procédé qui consiste à considérer qu’il y a la nécessité de déterminer, dans une instance centralisée, ceux qui sont aptes et ceux qui ne sont pas aptes à occuper des fonctions d’enseignement dans les universités date des années 1890. Evidemment le système s’est complexifié mais, en tant qu’historienne, je crois qu’il a contribué à créer de grands cadres très spécifiques à l’organisation française et sur lesquels il faut réfléchir. Ce sont sur quatre grandes questions que je vous propose de réfléchir.
La première de ces questions est la question des disciplines. Tous les gens qui font de l’histoire des sciences, qui travaillent sur les sciences de l’enseignement, savent que ce sont des éléments structurants. Ce ne sont pas seulement des principes déclaratifs mais bien des principes organisationnels. Les travaux des historiens des sciences sont souvent axés sur la notion d’institutionnalisation d’une discipline, sur la façon dont une discipline lutte pour obtenir sa représentativité au sein des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, et il y a de nombreux procédés pour obtenir cette institutionnalisation. La France, est différente des autres pays dans lesquels les procédés sont des procédés de régulation qui évoluent avec le temps et qui sont assez plastiques d’une certaine façon. Il y a une institution qui permet la reconnaissance institutionnelle et qui s’appelle le CNU. Cela crée un rapport au savoir et à l’organisation des sciences très intéressant parce que l’on part de quatre sections en 1890, Lettres, Sciences, Droit et Médecine, et on arrive à environ 70 sections par un mécanisme de division cellulaire avec différentes périodes de crise pendant lesquelles on discute très férocement pour savoir si l’on va pouvoir diviser la philosophie en philosophie et sociologie par exemple - c’est le débat des années 1960 - ou si l’on va créer la biologie moléculaire.
Cette logique de division est de plus en plus fine avec en plus un procédé très intéressant à partir de 1970. On gouverne cette division des sciences par arrêté et non plus par décret pour pouvoir être très rapide, plus efficace et avoir moins de difficultés à le mettre en oeuvre. Ce n’est pas un simple effet d’organisation et cela crée ce que j’appellerai, en reprenant les travaux de Christine Musselin qui avait commencé à travailler là dessus, des logiques de silo disciplinaire. On a plusieurs silos comme les historiens, les minéralogistes, les physiciens des particules. On se sent soi-même appartenir à un silo et non pas à une institution qui serait par exemple l’université de rattachement pour des raisons très simples. Ce silo disciplinaire détermine la totalité de votre carrière puisque vous êtes docteur d’une discipline, qualifié dans cette discipline, vous êtes recruté dans un poste de cette discipline, évalué par le CNU de la section de cette discipline, donc pouvant atteindre la classe exceptionnelle au sein de cette même section. Vous restez parmi cette section, c’est votre univers mental. Votre fidélité est là et non pas à l’université qui peut finalement peu pour vous. Ces silos ont, pour moi, un effet extrêmement perturbateur sur le mode de fonctionnement scientifique car ils rendent très problématique toute possibilité d’interdisciplinarité. C’est pour cela que j’aime beaucoup quand Mme Benbassa rappelle l’institution dont elle est membre. Pourquoi y a t’il l’EHESS et le CNRS ? C’est bien parce qu’il était impossible au sein de l’université de créer un certain nombre de nouvelles disciplines du fait de cette gestion. On met en place l’EPHE en 1968 et la qualification n’est pas nécessaire. On met en place le CNRS en 1939 et là encore la qualification n’est pas nécessaire. On crée à ce moment là des lieux où la pluridisciplinarité devient possible. L’étude du genre par exemple, les gender studies, qui ont mis si longtemps à s’imposer en France, où se sont-elles développées ? A l’EHESS, parce que c’est un lieu où l’on reconnaissait cette approche disciplinaire. Le CNRS a été un lieu où se sont développées énormément de disciplines frontalières car il n’y a pas ce problème de découpage et de développement des carrières à l’intérieur d’un silo. Il y a des effets épistémologiques à l’existence d’une institution de la nature du CNU et c’est donc le premier point sur lequel il faut réfléchir.
L’autre problème à mon sens est le problème de la responsabilité. Qui est responsable de l’avenir de la communauté universitaire et à quel niveau, à quelle échelle se joue l’idée qu’on puisse avoir une opération de prospective, d’anticipation, de gestion des besoins ? Je ne parle pas des questions de politiques nationales, je parle véritablement d’une logique de gestion des universitaires, de l’offre d’enseignement et du développement de recherches qui sont concurrentes. La logique en silo est problématique car elle crée une opposition irréductible entre un fonctionnement vertical et un fonctionnement horizontal qui serait celui au niveau des établissements. Dans les autres pays, la logique de rattachement et la responsabilité de l’universitaire est vis-à-vis de son établissement. Elle est d’abord vis-à-vis de son département, puis de la faculté, puis vis-à-vis de l’établissement dans son ensemble. Il n’est pas anodin qu’aux Etats-Unis, en Suisse ou en Hollande par exemple les membres du département soient ceux qui recrutent leurs futurs collègues. La question des extérieurs ne se pose pas. Elle n’est pas pertinente. Des personnalités extérieures peuvent être sollicitées parfois mais cela se fait très en amont du dispositif lorsque l’on veut un avis sur la qualité scientifique de quelqu’un qui travaille sur des spécialités qu’on ne connaît pas. Néanmoins tout le processus de recrutement sera géré intégralement par les membres du département impliquant également des étudiants. En Hollande un représentant des étudiants est présent dans les comités de sélection et peut mettre son veto au recrutement d’un candidat. Pourquoi ? Parce que dans toutes ces universités il y a des comptes à rendre vis-à-vis de son dean, de son doyen, et de son Président d’université. L’allocation des moyens sera fonction des résultats du département et de son attractivité. Si vous faites de mauvais recrutements, vous n’aurez donc pas d’argent. Apparaît donc une responsabilité commune à faire des choix qui soient de bons choix. Cela ne se fit pas seulement dans une logique mercantile parce qu’on voit dans de grandes universités de la Ivy League - qui en sciences humaines ne sont pas plus tournées vers la production d’un savoir appliqué que nous - des pratiques identiques. C’est une idée d’attractivité au sens où il faut produire des gens qui sont de bons chercheurs et de bons enseignants et qui vont pouvoir permettre de faire vivre un département. En France il n’y a aucune construction de ce type. Les conseils UFR ne sont pas dotés d’une personnalité qui leur permettrait d’arbitrer par exemple sur la prospective des postes. On ne dit pas quels sont les réels besoins ni comment on les articule. Chaque discipline lutte pour obtenir son poste. C’est pour cela que j’ai trouvé extraordinaire ce qu’a dit Gilles Denis ce matin lorsqu’il a dit qu’il fallait gérer le recrutement au niveau des disciplines. Monsieur Denis vous dites en résumé que le CNU est la science et que les universités sont l’administration. Moi je dis que c’est aux universités de s’emparer de la dimension scientifique. Pourquoi la dimension scientifique serait-elle uniquement gérée au niveau national ? Elle doit l’être au moins à deux niveaux.
Concernant le processus en lui-même, je pense que mes collègues vont en parler plus en détail et j’en ai déjà dit quelques mots. Je voudrais souligner tout de même que le processus français est un processus qui déresponsabilise. Je suis très frappée, et quelqu’un le soulignait ce matin, par notre schizophrénie. Pourquoi serait-on de bons évaluateurs au CNU et de mauvais évaluateurs dans les comités de sélection ? Je refuse de penser que ma parole serait une parole d’une objectivité scientifique très grande lorsque je suis dans une instance centrale et que je recruterais que sur d’autres critères. Cela voudrait dire que je suis schizophrène, ce que je ne souhaite pas être. Vous aurez bien compris que personnellement je ne soutiens pas la qualification parce qu’elle entraîne une déresponsabilisation. On a beaucoup parlé de la question du doctorat et là aussi ne soyons pas schizophrènes. Si nous faisons soutenir des doctorats c’est que nous pensons qu’ils peuvent être reconnus comme tels. Ils n’ont pas besoin d’être qualifiés ailleurs. C’est aux membres des comités de sélection de savoir si ces doctorats là les intéressent et leur plaisent. Cessons de penser là aussi qu’on fait bien au CNU et mal dans les jurys de thèse. C’est peut-être le cas mais c’est alors grave, cela signifie qu’on n’est pas responsable. Cela déresponsabilise également le comité de sélection qui fait confiance au CNU qui a qualifié le candidat. Madame Benbassa nous a donné des chiffres. En vérité c’est bien plus fort que cela. La section de droit public qualifie 22% des dossiers, la section optique en qualifie 86% et ce n’est pas parce qu’il y a trois candidats dans un cas et cent dans l’autre. On a des pratiques qui sont très hétérogènes.
Enfin, cela pose la question du droit public. Cette section qualifie à 22% et décide de fonctionner comme un jury. Or, dans l’histoire du CNU, l’une des grandes luttes obtenues par les syndicats au début des années 1980 est justement qu’il y ait une déconnection entre le processus de qualification et le nombre de postes attribués. Jusqu’aux années 1980, le CNU avait la charge de qualifier le nombre de gens en fonction des postes disponibles. Le CNU faisait donc office de jury national de recrutement. Les syndicats ont voulu lutter contre cette prérogative et ont obtenu qu’en 1987 les listes de qualification soient progressivement complètement libérées de ces obligations. La question est maintenant de savoir pourquoi certaines sections du CNU continuent de s’arroger le droit de faire office de jury national quand d’autres ne vont pas intervenir dans le processus de choix. Cela crée une hétérogénéité qui est un vrai problème. Pourquoi pas une procédure de recrutement nationale des enseignants chercheurs ? Si le CNU doit servir à quelque chose c’est à recruter les enseignants-chercheurs.
André Gattolin
Merci beaucoup pour cette intervention très dynamique et très vivifiante et qui met beaucoup de choses en perspectives. Je me tourne vers Emmanuel Salmon. D’autres aspects dans les pays nordiques sont mis en place. Vous connaissez bien le système français pour avoir été chercheur au CNAM. Je vous donne la parole.
Emmanuel Salmon
Merci Monsieur le Sénateur. Merci à Mesdames les Sénatrices de me donner l’occasion de ce petit voyage express où je repars tout à l’heure. Je m’excuse par avance de ne pouvoir suivre la prochaine table ronde mais mon avion ne m’attendra pas. Je fais partie de ces gens qui ont passé un doctorat il y a vingt ans et qui n’ont pas choisi la voie royale, la voie de maître de conférences mais je suis quand même fonctionnaire de ce formidable Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche dans la branche des IGR. Je connais moins bien le système français puisque je ne suis pas passé par les affres de la qualification à l’époque et je pense que je n’aurais pas été qualifié puisque j’ai fait une thèse en contrat CIFRE, avec une société extrêmement à cheval sur la propriété industrielle, la réputation du milieu la disait la deuxième en France la plus secrète après cette grande entreprise proche de Saint-Etienne que tout le monde connaît. Donc je n’ai rien publié pendant toute ma thèse, je n’ai pu faire aucune communication à un congrès et ensuite le brevet qui a été déposé l’a été au nom de mon chef bien sûr et non le mien. Si j’avais dû faire valoir mes mérites pour être qualifié je pense que je ne l’aurais jamais été. Je n’étais probablement pas le meilleur chercheur du monde, je ne suis d’ailleurs plus chercheur mais j’espère que je n’étais pas le plus mauvais non plus. Une autre voie s’est ouverte. Ça ne m’a pas empêché de faire de la recherche mais du côté des ingénieurs de recherche et d’être depuis cinq ans dans ce qui s’appelle le réseau extérieur de la France, comme attaché scientifique d’abord en Finlande entre 2008 et 2012 et depuis plus d’un an en Suède à Stockholm. On m’avait contacté pour que je parle de la Suède, ce que je vais faire, mais pour le même prix je vais vous parler un peu de la Finlande parce qu’il y a des similitudes.
Je vais être très technique. Je suis content de revenir en France parce qu’un nordique sans powerpoint ça n’existe pas, et ici je vois que je suis le seul à avoir fait un semblant de powerpoint. Vous en excuserez le caractère spartiate. Il y a peu de choses, il vous donnera des éléments de contexte. Un petit élément de contexte sur le paysage universitaire pour vous rappeler qu’on parle d’un petit pays, ils le disent eux-mêmes, même si les Suédois le disent moins que les Finlandais. On est un peu plus de 9 millions d’habitants en Suède, un peu plus de 5 millions en Finlande. Ces pays ont quand même un peu plus d’une cinquantaine d’établissements d’enseignement supérieur dans le cas de la Suède et un peu plus d’une quarantaine dans le cas de la Finlande dont seize universités en Suède et huit qui sont des « grandes écoles » selon la traduction littérale. Elles fonctionnent comme des universités mais n’en ont pas le titre. Le titre d’université a longtemps été réservé aux établissements qui avaient le droit de délivrer le doctorat. Depuis quelques années maintenant, les grandes écoles, l’autre partie du corps universitaire, a le droit de demander l’autorisation au gouvernement de délivrer des doctorats dans certaines disciplines. Si ces grandes écoles se spécialisent dans une problématique particulière, dans une discipline dans laquelle elles acquièrent au niveau national voire international une reconnaissance, elles peuvent demander l’autorisation de délivrer le doctorat. C’est le cas de huit d’entre elles, ce qui fait qu’on peut presque considérer qu’on a 24 universités. Sur ces 24 nous en avons trois qui ont un statut privé et en tout, sur la cinquantaine d’établissements, 13 ont un statut privé. On peut avoir des universités privées en Suède et en Finlande. Le paysage finlandais est un peu différent au sens où il est très nettement coupé en deux branches, une branche universitaire et une branche qui s’appelle « les AMK », je vous épargne le nom en finnois. C’est la branche dédiée aux formations appliquées au niveau professionnel. Vous avez 14 universités actuellement en Finlande, il y en avait 20 quand je suis arrivé en 2008. On réduit par fusion avec une pression assez forte du gouvernement qui veut un nombre limité d’universités profilées, c’est le mot à la mode. Il faut se profiler et se spécialiser pour obtenir une certaine visibilité dans des champs disciplinaires. Il y a une réforme en cours sur les 25 AMK actuels et l’objectif clairement affiché du gouvernement est de les passer en dessous de 20 à l’issue de cette réforme qui devrait se terminer à la fin 2014. C’est un paysage relativement simple.
Vous parliez tout à l’heure de la difficulté d’expliquer ce qu’est le CNU. Une partie de mon travail est d’expliquer aux étudiants nordiques et de les inciter à venir étudier en France en leur montrant comme c’est formidable. Je peux vous dire que ce n’est pas gagné d’avance. C’est d’autant moins gagné d’avance quand il faut leur expliquer ce qu’est une Grande Ecole, ce qu’est un IUT. Ils savent très bien ce qu’est une université, le reste est complètement différent. Il y a pas mal d’étudiants nordiques qui viennent étudier ici donc cela montre qu’il y en a qui comprennent le système, qui comprennent l’intérêt de venir étudier dans un pays comme la France malgré les stéréotypes par forcément très positifs qu’on peut avoir dans ces pays-là. On n’est pas en pays conquis, loin de là. Il faut aller dans les pays du nord pour entendre que la France est un pays du sud. On est dans le même sac que les Italiens, les Grecs, les Espagnols avec tout ce que ça entraîne comme association, y compris au niveau de la qualité de l’enseignement supérieur et de la qualité de la recherche. Ceux qui connaissent un peu mieux savent qu’on a des domaines d’excellence et on trouve d’excellentes équipes mais pour le commun des mortels on se demande pourquoi aller faire des études en France dans un pays du sud alors qu’on peut aller en Grande-Bretagne par exemple. Le système, c’est à peu près Bologne. J’ai noté de façon provocatrice « Bologne avec retard pour la Suède et avec spécificités pour les deux pays ». Avec retard, parce que les Suédois ont pas mal traîné les pieds pour instaurer Bologne. Ils ont encore quelques diplômes à des niveaux intermédiaires par rapport au bac+3, bac+5, bac+8. Une des spécificités de ces deux pays et des pays nordiques en général, c’est d’avoir un diplôme intermédiaire entre le master et le doctorat qui s’appelle le « licenciat ». Je vous ai mis à chaque fois les noms en suédois et en finnois. Ils ont aussi un doctorat qui est en quatre ans. Cela pose des problèmes quand on veut faire des cotutelles mais cela répond à un des points qui a été évoqué ce matin. Dans ce doctorat en quatre ans les étudiants ont obligatoirement 60 ECTS, c’est-à-dire une année complète de formation sous forme d’ECTS, et parmi eux ils ont obligatoirement des ECTS de pédagogie. Et un doctorant dans une université nordique donne obligatoirement des cours. Ils ont donc une formation pédagogique au cours de leur formation de doctorat qui fait qu’après l’obtention de leur doctorat on considère qu’ils ont déjà une certaine expérience pédagogique acquise, validée par des ECTS. Ce n’est pas négligeable.
Comparaison n’est pas raison, on est d’accord. On a toujours des visites de parlementaires notamment, mais pas seulement, qui voudraient toujours trouver des solutions chez nous mais on ne peut pas forcément les importer. On ne peut pas notamment car on parle là d’établissements très autonomes. Depuis les années 1990 cette autonomie s’est mise en place et est allée assez loin parce que la dernière réforme universitaire en Finlande par exemple a entièrement transféré les personnels qui étaient des fonctionnaires de l’Etat sous statut de droit privé avec un contrat avec leur université. Ce sont des pays où il ne reste pas beaucoup de fonctionnaires contrairement à l’idée qu’on se fait peut-être ici. Ce sont ici des agents publics certes mais ce ne sont pas des fonctionnaires. Donc il y a une forte autonomie et une attente forte, à la fois des gouvernements et de la société, d’une stratégie pour les établissements. On leur demande d’établir une stratégie dont ils pourront se prévaloir lorsqu’ils recevront leurs moyens pour essayer de la mettre en oeuvre. Il faut aussi savoir que les relations de travail sont entièrement différentes. On fonctionne beaucoup avec des systèmes d’accords centraux entre les représentants des universités qui sont organisés en syndicats. Imaginez la CPU comme un « syndicat » d’université. Vous avez en face d’eux un syndicat au niveau national qui représente les personnels académiques, et tout ça se décline au niveau de l’établissement avec des accords locaux et avec l’individu dans une sorte de contrat individuel où on va notamment décider de la répartition du temps d’enseignement, du temps de recherche, du temps administratif obligatoirement. On ne nie pas l’existence de ces tâches administratives, cela fait partie du travail d’un enseignant. Ils ont ce qu’ils appellent la troisième mission, qui est la mission de rayonnement et de diffusion vers la société que ce soit par les relations extérieures ou par le transfert de la recherche. Ces trois missions sont essentielles, de même que la partie administrative. La place des syndicats et la place des étudiants, vous l’avez dit Emmanuelle Picard, est absolument essentielle. Il n’y a pas un organe dans lequel il n’y a pas de représentant étudiant. Y compris lorsqu’il va s’agir de mettre sur pieds une commission de recrutement pour recruter un professeur. Vous avez obligatoirement au moins un représentant étudiant.
Si on part donc de cette autonomie qui les caractérise, comment se passe grosso modo le processus de recrutement ? Il y a une décision de recrutement qui est prise par l’université sur proposition de la faculté, c’est-à-dire que c’est au département, compte tenu de ses besoins, de ses ressources, de ses moyens et de sa stratégie de développement, d’estimer qu’il y a besoin par exemple d’un nouveau maître de conférences. Là-bas cela s’appelle des lecteurs d’université pour être plus précis. Si le département arrive à convaincre son université, le poste est ouvert au recrutement. C’est un recrutement pour lequel une publication très large est faite, interne et externe, parce que la publication d’un poste peut aussi servir à la promotion interne. Si on ouvre un poste de professeur, peuvent candidater les maîtres de conférences sur place pour devenir professeur. Même s’ils ont d’autres moyens de promotion, c’en est un également. Je veux juste vous montrer le journal de la semaine dernière, l’équivalent du Monde local. Dans les pages « recrutement » on pouvait voir des annonces de l’Université de Luleå. C’est à 900km au nord de Stockholm, tout près de la frontière avec la Finlande, on est quasiment aux confins du cercle arctique. C’est une université plutôt technologique, qui s’est spécialisée dans ces domaines-là, et notamment, sans surprise, dans tout ce qui touche aux mines et à l’extraction du minerai, compte tenu de l’activité du nord de la Suède. Il y avait quatre doubles pages comme celles-ci de recrutements. Il y a des docteurs, des professeurs, des maîtres de conférences. On recrute les docteurs et les post-doctorants de la même façon, en faisant une très large publicité. Ensuite on remplit son dossier en ligne. On est dans des pays dans lesquels tout est dématérialisé. Vous avez un guide qui vous donne tous les éléments à fournir. Vous devez justifier de votre doctorat par exemple, mais vous avez la possibilité, si vous n’avez pas de doctorat, de faire valoir que vous avez quand même des compétences qui vous permettraient d’occuper le poste. Vous avez en même temps le modèle des conditions générales de l’accord de l’université qui régissent la façon dont vous allez être examiné, selon quels critères, sachant qu’on insiste fortement sur le fait qu’on évalue aussi bien l’aspect pédagogique que les capacités scientifiques et toutes vos autres activités. Une activité très prisée des nordiques est l’activité syndicale, d’association, dans un parti politique. Ça rentre dans ce qui peut vous donner des points parce que ça montre votre intégration dans la société. Tout à l’heure vous avez parlé du fait que justement c’était le département qui recrutait les futurs membres du département, comme une question d’attractivité. C’est aussi vu comme une question de collégialité. Vous allez travailler avec eux et ils vont travailler avec vous. Ils ont envie de savoir qui vous êtes et de vous évaluer car vous allez former un collectif. Ce sont des pays dans lesquels le collectif est quelque chose de très important. On fait une short-list pour déterminer ceux qui passeront les entretiens et puis vous avez une mise en situation. Vous avez des leçons qui sont ouvertes à tous les étudiants de l’université où vous allez avoir trois fois, quatre fois, cinq fois, pendant trente à cinquante minutes, quelqu’un qui va venir vous faire un faux cours. Il va donner les prérequis nécessaires, il va faire le cours, poser des questions. Dans la salle il y a aussi bien le public que les membres du jury, y compris des étudiants, et c’est un élément de votre dossier de candidature. Bien entendu, on ne néglige pas non plus les conditions de diplôme. Il y a ce qui serait l’équivalent du mot de qualification en suédois ou en finnois qui est la notion de compétence. Pour pouvoir être professeur ou maître de conférences vous devez être déclaré, qualifié comme compétent. Les ECTS en pédagogie je vous les ai mentionnées. La parité est obligatoire. Pour recruter un professeur par exemple, il est obligatoire d’aller chercher les avis dans au moins deux ou trois universités autres auprès d’experts du domaine auxquels on va demander de faire une sorte de review sur la personne en question. Si vous demandez cet avis à plus d’une personne, vous devez obligatoirement avoir autant d’hommes que de femmes. Même chose pour la composition de l’ensemble des comités de sélection. Les Suédois en particulier sont extrêmement à cheval sur les questions de parité et c’est donc assez différent par rapport à nous.
Je vais juste terminer par un point qui m’est venu ce matin lors de la première table ronde. On a parlé de confiance et on a entendu que le CNU était notamment une façon d’éviter le localisme, le népotisme etc. Je pense que c’est une différence de mentalité extrêmement forte entre les pays nordiques et nous, c’est que nous fonctionnons beaucoup sur une société très défiante et l’Etat est là pour faire en sorte qu’on ne se conduise pas mal. Le niveau national est là pour qu’on évite les dérives du niveau local. Les systèmes nordiques fonctionnent globalement beaucoup sur la confiance, et c’est sans doute une des différences culturelles qui fait que les systèmes nordiques ne seront pas facilement importables dans nos problématiques françaises. Je suis à votre disposition pour en discuter.
André Gattolin
Merci beaucoup pour cette intervention qui nous élargit là encore le panorama. Je note cette chose qui est l’importance accordée aux étudiants dans la sélection. Je le dis car c’est vrai qu’on a une certaine conception, et je vais peut-être en choquer certains, dans tout ce qui relève du service public, d’une copropriété entre l’Etat et une représentation légitime, je ne mets pas ça en cause, des syndicats, des organisations professionnelles, des gens qui travaillent. Mais les usagers sont systématiquement oubliés. Je dis ça parce qu’avec ma collègue Isabelle Attard et le soutien de mon groupe, nous sommes arrivés, dans la loi sur l’audiovisuel public, pour la première fois, à faire introduire dans les conseils d’administration des sociétés de programme nationales, publiques, les représentants des usagers. Ça fait trente ans qu’on le réclame et à chaque fois on nous disait que c’était impossible. On a trouvé un système compliqué mais qui permet, à travers des associations de consommateurs reconnus, d’avoir des gens qui sont finalement aussi des payeurs, des utilisateurs, des usagers, des citoyens, qui ont leur mot à dire dans l’organisation des structures publiques. Je trouve qu’en France on est passé longtemps dans un système géré par l’Etat avec un contre-pouvoir en la personne des représentants syndicaux, et il est nécessaire qu’ils soient là, avec au fur et à mesure du temps l’Etat déléguant au privé, au marché, dans tous les domaines du bien commun et ça pose un certain nombre de questions, en oubliant complètement qu’il y a des usagers et ces usagers sont souvent aussi ceux qui sont souvent à la base du financement qui existe puisque c’est un financement public. Je souligne ça parce que dans vos interventions précédentes vous nous avez donné des cas, que ce soit la Hollande ou ici la Suède, où cette reconnaissance, y compris dans le processus de sélection des enseignants, est essentielle.
Je passe la parole à Jean Cordier qui va avoir la triple nationalité, française, agricole et américaine, pour nous élargir encore ce panorama comparatif.
Jean Cordier
Merci de votre invitation à participer à cette table ronde, je suis très honoré. Je vais plutôt parler en tant que praticien du recrutement et de la promotion. Je ne suis pas la personne qui a pris le recul historique sur « d’où venons nous et où allons nous », mais j’ai été très intéressé par un certain nombre de remarques qui ont été faites par ma voisine de gauche et sur ce qui se passe dans les pays nordiques de l’Europe.
Très rapidement, personnellement je suis professeur de gestion dans une grande école d’agronomie qu’on appelle Agrocampus Ouest, mais pour tout vous dire j’ai commencé ma carrière comme cadre d’une entreprise privée. Je suis venu à la carrière académique sur le tard. Sur le tard ça veut dire que j’ai été amené à faire un doctorat dans l’Université de l’Illinois fondée par Abraham Lincoln. Il a pris son crayon pour dire « je la mets entre Springfield et Chicago », au milieu de nulle part, c’est la grande plaine, il n’y a rien. J’ai cette expérience d’avoir fait ma thèse aux Etats-Unis et j’ai beaucoup d’amis qui sont restés aux Etats-Unis comme universitaires et qui sont devenus des Full Professors des professeurs réputés, audités par le Sénat américain sur les sujets sur lesquels ils travaillent. J’ai donc pu observer la carrière d’amis. J’ai même participé à des recrutements aux Etats-Unis quand j’étais à l’université. En rentrant des Etats-Unis j’ai travaillé à l’ESSEC, une école privée. C’est l’ESSEC qui a financé mon doctorat. Enfin ce n’est pas l’ESSEC si je veux être précis, c’est la Johnson Wax, une entreprise privée dont le siège est à Chicago. C’est la relation entre les Grandes Ecoles et les entreprises qui a financé mes études aux Etats-Unis. En rentrant j’ai donc travaillé treize ans à l’ESSEC avant, comme je suis breton d’origine, de trouver un poste dans la fonction publique dans une école d’agronomie, et j’ai pu observer les systèmes de promotion dans les écoles de commerce parisiennes et dans le milieu public de l’agriculture. Je suis fonctionnaire du Ministère de l’Agriculture.
En poursuivant ma carrière, j’ai aussi été élu à la CNECA qui est la Commission Nationale des Enseignants-Chercheurs de l’Agriculture. C’est un petit CNU puisque nous sommes 1000 enseignants chercheurs à peu près dans cet organisme. J’ai été élu président de la section 9, c’est à dire tout ce qui est Sciences Humaines. Ça va de l’économie, la gestion, jusqu’à la sociologie et les sciences de l’éducation, les géographes humains. J’ai été élu Président de cette section il y a quelques années et, depuis deux ans, je suis Président de la Commission Permanente des dix sections qui est chargée de l’harmonisation des règles de fonctionnement et des usages. Chaque section avait pris ses habitudes et il fallait chercher à harmoniser le mode de fonctionnement des recrutements et des promotions entre sections.
Je vais témoigner du fonctionnement de la CNECA. La CNECA fonctionne par sections. En termes de recrutement nous observons les postes qui ont été ouverts dans les différentes écoles du Ministère de l’Agriculture. Il y en a 23 je crois. Chaque établissement décide de ses postes et nous les étudions, les recevons et nous donnons un avis sur les jurys de concours. Il n’y a pas de qualification dans notre système. Les concours sont ouverts à la demande des établissements dans le cadre d’une confrontation des différents départements qui avancent leurs stratégies et leurs besoins. C’est une période chaude annuelle, c’est le moment d’ailleurs où le conseil enseignant est au grand complet car c’est très important. Les ressources humaines sont très importantes, presque plus importantes que les ressources financières. C’est le grand moment de l’école qui décide des postes qui vont être demandés pour l’année suivant. La CNECA reçoit les postes ouverts et nous avons un avis à donner sur la composition des jurys. Les jurys étant constitués à 2/3 de personnes locales, 1/3 d’enseignants de même grade, maître de conférences ou professeur selon le type de poste, et un 1/3 de gens issus de centres de recherche comme l’INRA ou l’INSERM. J’ai oublié de dire que nous avons les sections d’agronomie mais aussi deux sections de vétérinaires. Nous donnons donc un avis sur les jurys de concours, avec un point non négligeable c’est l’équilibre des genres. Nous avons une demande officielle d’équilibre homme/femme dans les jurys de concours. J’ai été retoqué il n’y a pas très longtemps, il y a deux ans, sur un jury que je proposais. On m’a dit que j’avais mis autant d’hommes que de femmes sauf qu’il y a plus de titulaires dans le jury homme que dans le jury femme. Donc vous voyez qu’on peut avoir l’équilibre et être critiqué. J’avais bien fait mon jury mais il a fallu que je fasse des changements. C’est important mais j’en souris un peu car je commence à avoir des demandes d’exemption de jurys qui sont constitués de plus de femmes que d’hommes. La profession se féminisant à toute vitesse, je pense que je vais défendre l’équilibre parce que ça nous sauvera dans quelques années (rires). On donne donc un avis sur la qualité des gens et on donne aussi des autorisations à concourir. Nous avons des règles de diplômes requis, qui sont administratives, des thèses pour les maîtres de conférences, des HDR pour les professeurs. Nous avons les candidats étrangers qui connaissent la thèse mais pas la HDR, et chez les vétérinaires c’est encore plus compliqué. Nous pouvons donc donner des autorisations à concourir en fonction des éléments qu’on peut trouver dans le dossier, en particulier pour les étrangers. On a cette latitude.
Question
Excusez moi, y a t’il beaucoup de recrutements étrangers ?
Jean Cordier
Quelques-uns, oui. Nous avons des enseignants canadiens, européens qui viennent. Je ferai tout de suite une remarque. Lors de ces recrutements, parce que nous avons des établissements qui ont des réputations graduées, il peut y avoir une gradation de qualité des candidats qui peuvent avoir un intérêt pour telle école par rapport à une autre, pour Paris par rapport à la province, ça joue un petit peu. Ce que je voulais dire c’est que parfois, ayant participé à de nombreux jurys de concours, il y a de la sélection adverse. Le jury va se préoccuper de la durée de vie de l’enseignant chercheur dans l’établissement. Et moi je critique toujours les gens qui ont une vue longue car on n’est pas recruté dans un établissement pour y rester. La richesse vient du mouvement, de l’évolution, et quelqu’un qui me dirait qu’il fera sa carrière ici, je ne le prendrai surtout pas. C’est rédhibitoire, je ne veux pas de quelqu’un qui met des pieds dans les chaussons et qui pense qu’il restera toujours là. C’est la circulation dans différents établissements en France et à l’étranger qui donne la richesse et la qualité d’un bon enseignant chercheur à mon avis. J’aperçois que dans les établissements on a cette vision de recruter quelqu’un pour trente ans. Quelle horreur ! Il faut recruter quelqu’un pour le temps qu’il jugera bon d’apporter. Ce sont des expressions pratiques que j’évoque là.
Ensuite le concours a lieu. Je change de casquette. J’ai participé à un bon nombre de concours parce qu’il fut un temps, mais il est révolu, où il fallait absolument un membre de la CNECA de la discipline dans le jury de concours. C’était obligatoire. Cette obligation a disparu il y a quatre ans. Je suis donc beaucoup moins sollicité. Je ne suis plus sollicité comme membre de la CNECA mais comme spécialiste d’une discipline. J’ai participé à de nombreux concours, et je dirais que les épreuves varient entre les maîtres de conférences et les professeurs. En résumé, il y a l’étude du dossier par le jury sur place. Il l’a étudié avant mais il l’étudie sur place après l’expression du candidat. Ensuite, il y a la leçon qui a vocation pédagogique. Elle a vocation pédagogique mais je vous le dis tout de suite, elle ne l’est pas du tout. C’est totalement artificiel et elle ne permet pas de répondre à la question de savoir si le candidat a des qualités pédagogiques réelles ou pas. C’est une leçon devant un public. Il peut y avoir des gens, si je puis dire. Il y a beaucoup de personnes du département dans lequel le candidat va être recruté et je peux vous dire que les dossiers sont étudiés avant par l’ensemble du département qui recrute et que j’écho du département remonte au jury. Ce n’est pas officiel mais on a des impressions qui remontent du jury et je m’aperçois de plus en plus que les candidats ont été invités à se présenter, avant le concours, à des séminaires de recherche. De plus en plus on me dit ce qu’on a pensé quand le candidat est passé. Il y a des mesures informelles mais de plus en plus pratiquées et encouragées. J’encourage les séminaires où l’on a le temps de parler de recherche et où on voit les qualités d’expression, de présentation dans un temps limité d’une thèse qui n’est pas toujours exactement dans le profil du poste. La leçon qui est dans les textes se fait sans question, sans intervention, dure une heure maximum. Il y a une préparation de 24h en plus. C’est, je dirais, un bizutage. Je me souviens que je suis rentré directement sur un poste de professeur, j’ai eu cette leçon. Le degré de concurrence, à ce niveau de poste, n’est pas très élevé. Je parle là pour la CNECA, qui est un petit milieu et qui n’est pas trop mal en pratique, légale et informelle, mais qui souffre de la petite taille du groupe avec lequel on travaille. On est 100 par section en moyenne, c’est minuscule.
Nos établissements sont également petits et quand on ouvre un poste de professeur il y a un doute sur le fait de savoir si c’est destiné à une promotion ou au recrutement de quelqu’un de nouveau. Il y a doute et je pense qu’il y a aussi là de la sélection adverse. Si on sait qu’un maitre de conférences va postuler sur ce poste de professeur, je pense qu’un certain nombre de candidats potentiels ne vont pas postuler. Quand vous êtes de la maison vous avez été préparé, vous êtes soutenu par le milieu car si le poste a été ouvert c’est que le milieu soutient votre candidature. Il peut y avoir une sélection adverse. Ce sont les limites locales. En revanche les postes de maitre de conférences sont très ouverts. Il y a environ huit à dix candidats par poste sachant qu’on ne peut pas refuser de recevoir des candidats même si on n’en veut pas. J’ai vu parfois des candidats dans six ou sept concours, les mêmes personnes qui rament pour rentrer dans le système alors qu’elles n’y rentreront jamais. On ne peut pas les refuser, ce qui pollue un peu le concours. C’est une perte de temps manifeste. Le jury peut accepter de classer les candidats et dire que le concours est fini au bout de deux épreuves. S’il est incapable de le faire, il y a une dernière épreuve qui peut être mise en oeuvre. Je l’ai pratiquée une seule fois dans ma vie. J’étais opposé au directeur de l’établissement. Il y avait quelqu’un qui avait préparé sa leçon avec une équipe que je connaissais et avait un peu floué le jury par ses connaissances, il y avait peut être un autre candidat qui pouvait être compétent. In fine, mon expérience me fait dire que l’avis du tiers des enseignants chercheurs présents dans les jurys de concours est prédominant. En fait, je crois que je ne suis rarement allé contre l’avis des personnes locales parce qu’il y a toujours un feeling pour dire qu’on a envie de travailler avec une personne. Ça existe, c’est la collégialité. Un jury complètement extérieur qui dirait qu’un candidat est excellent sur ce qu’on sait compter, le nombre d’article etc., je n’y crois pas.
Je vais vous dire un point qui est important aussi dans les jurys de concours en recrutement chez nous, c’est que je m’aperçois de plus en plus qu’on a de bons candidats, on est heureux du concours, lorsque l’équipe qui va recevoir ce maître de conférences a une bonne réputation, en particulier en recherche. Lorsque l’UMR disciplinaire est bonne, on aura d’excellents candidats. Si l’équipe dans laquelle va travailler le recruté n’a pas de réputation, on aura de mauvais candidats. Tout simplement, pour faire carrière, il faut être dans les bons endroits. Les gens qui vont dans les mauvais endroits sont ceux qui ne sont pas adéquats. Tout à l’heure on parlait de l’évolution du système supérieur français, ayant moi-même été formé dans une grande école, ayant travaillé dans une grande école, ayant vu l’université américaine, je pense que nos grandes écoles vont évoluer et peut-être même plus vite qu’on ne le pense. En particulier je pense à un point sur lequel je vais insister. C’est que nous recrutons de plus en plus des gens dans des équipes de recherche. C’est sur ces thèmes là qu’on recrute et non sur la partie pédagogique. C’est certain. Nos grandes écoles, qui ont donc des vocations universelles, qui veulent tout faire, embrasser large, n’ont pas les moyens de tout bien faire. La science va tellement vite qu’il faut, par exemple en génétique, des moyens importants. On va donc concentrer tout ça, il faut des moyens d’université. Les recrutements qu’on fait sont de plus en plus des recrutements disciplinaires, de recherche, et de moins en moins sur la pédagogie. Et ça va faire évoluer les grandes écoles de façon très rapide en les rapprochant de l’université.
Sur les Etats-Unis un mot simplement qui n’a pas été évoqué mais qui est fondamental : tenure. Quand on est recruté on est assistant professor et l’université vous regarde sous toutes les coutures pendant six ans. Vous ne rentrez à l’université que lorsqu’on a pu vous observer en termes de recherche, d’enseignement, de capacité d’aller chercher de l’argent à l’extérieur. Je suis toujours surpris de voir sur les CV de mes collègues américains qu’ils ont indiqué avoir ramené 600 000 dollars de l’extérieur, ça fait partie de leurs qualités. Le fund-raising est absolument indispensable. En France on met très peu les sommes, mêmes si ça commence à se faire. Tout a été dit sur le recrutement local de l’université, sur le département qui recrute, sur le fait qu’il y a une responsabilité commune au recrutement et sur le temps passé pour dire d’une personne que c’est quelqu’un de bien. Nous on recrute quelqu’un en quelques heures sur du papier. C’est sans doute quelque chose qui est perfectible.
André Gattolin
Merci beaucoup. On a pris un peu de retard au début après le déjeuner donc, à part si les autres intervenants ont quelque chose à dire, je pense qu’on va passer directement au jeu des questions réponses. Merci de vous présenter.
Christophe Sauty
Bonjour, je suis Christophe Sauty, je suis Président de la section 34 Astronomie et Astrophysique, et j’aurais plusieurs remarques à faire. Il y a eu depuis ce matin beaucoup de portes ouvertes enfoncées, je suis désolé de vous le dire. On a l’impression qu’on a une grande méconnaissance du système français, de la façon dont ça fonctionne. On s’extasie sur un certain nombre de capacités à l’étranger sur des choses qu’on fait chez nous depuis longtemps. Je ne veux pas mettre en défaut mes collègues de la CP-CNU des autres sections, mais j’ai quand même regardé les intervenants qu’il y avait depuis ce matin, et il y a un certain nombre de sections, dont la mienne, qui sont complètement absentes. Est ce que c’est un fait du hasard ? J’ai entendu beaucoup de choses sur le CNRS. Toutes les sections de physique et de géophysiques fonctionnent très bien avec le CNRS, on n’a pas ce genre de problème. La qualification est perçue par l’ensemble de notre communauté comme tout à fait normale.
Je vais prendre d’autres caquettes. En particulier, la qualification a quand même pour rôle non seulement d’éviter le localisme mais aussi de définir le champ disciplinaire des personnes. On a, depuis toujours, regardé les multiples compétences. C’est un faut débat de dire qu’on ne regarde que l’enseignement ou la recherche, on sait très bien qu’il y a des tâches administratives. Il y a une confusion depuis ce matin qui m’embête énormément, elle a été soulevée mais elle est quand même cruciale, c’est qu’il y a une qualification pour les maitres de conférences et une pour les professeurs et les critères ne sont pas les mêmes. C’est vrai que les disciplines que je viens de citer, dont je fais partie, qualifient très facilement en termes de maître de conférences parce qu’on veut laisser un maximum de chance à de brillants futurs chercheurs qui ne le sont pas forcément encore, et en général ils partent à l’étranger, et ce n’est pas la qualification qui recule le temps de recrutement. On voit aussi que c’est un bienfait, la mobilité. L’astronomie est peut-être particulière dans ce cas là mais ça fait des dizaines d’années que les gens partent à l’international sans aucun souci et qu’on ne recrute pas quelqu’un qui n’a pas une expérience internationale soit au niveau de la thèse soit après la thèse. Ce n’est donc pas vrai dans toutes les sections.
La dernière chose c’est qu’on parlait de l’étape de recrutement. C’est vrai qu’à l’heure actuelle, avec les comités de sélection locaux, le recrutement est extrêmement rapide. Heureusement qu’il y a la qualification qui laisse un peu plus de temps sur lequel on recrute. Je suis désolé de dire que je suis toujours attristé quand j’entends parler du nord et du sud. D’abord la France est un pays du sud, je suis désolé de vous l’apprendre mais on a des mentalités et des structures qui font qu’on est un pays du sud. Moi je collabore depuis longtemps avec la Grèce, l’Italie et le Portugal et je peux vous dire que les gens sont essentiellement formés aux Etats-Unis, ont une conception des recrutements plus proche des américains et ne font pas de moins bons enseignants-chercheurs que nous. Ils travaillent tout aussi bien, ils publient au moins autant que nous donc ce n’est pas une question de qualité. Ce qui leur fait défaut très souvent c’est une question de moyens. Pour le recrutement, je peux vous dire qu’au Portugal j’ai constaté que c’était bizarre, finalement ils recrutent localement, le comité est essentiellement national. Il y a des professeurs de tout le Portugal pour l’Université de Porto donc, en termes de localisme, ils sont très loin du compte. Ils ont une agrégation du supérieur pour les professeurs, donc ils ont un système de qualification en plus. Il ne faut pas croire qu’on est unique en France sur un certain nombre de points.
Dernière chose, ma section particulièrement, avec la 63, s’est mise en porte-à-faux avec d’autres sections puisqu’on a fait l’évaluation cette année, qui n’est pas une évaluation mais un suivi de carrière et qui est effectivement indispensable. On s’aperçoit en faisant le suivi de carrière que d’abord nos collègues travaillent très bien, c’est une chose, mais la deuxième chose c’est qu’on ne peut pas faire de suivi de carrière en dehors de la discipline car chaque discipline a ses méthodes de travail. On ne peut pas faire de suivi de carrière pour quelqu’un qu’on n’a pas qualifié. Si les gens ne sont pas qualifiés on ne peut pas faire de suivi de carrière.
Emmanuelle Picard
Je voudrais juste répondre à Christophe Sauty. Vous avez aussi un outil formidable que personne n’a, qui s’appelle l’INSU et les colloques prospectifs. Si les autres disciplines étaient organisées en communautés capables de construire des programmes à dix ans ou à vingt, capables d’avoir établi, comme nous l’a montré un jour très brillamment Yves Langevin, pour la gestion des carrières des chercheurs, des systèmes d’une très grande transparence et d’une très grande finesse, qui consistent à caractériser la carrière des astrophysiciens et à trouver les moyens de faire un suivi très fin, moi je suis tout à fait intéressée par ce type de pratiques. A ma connaissance il n’y a pas d’autres disciplines qui aient choisi ce système. Vous êtes effectivement très atypiques.
André Gattolin
Y a t’il d’autres réactions ? Non ? Nous allons donc prendre d’autres questions. On va essayer de faire des questions groupées si possible. Il peut y avoir une part d’intervention mais essayons surtout d’avoir une part problématique et d’interaction avec les intervenants. Merci.
Jocelyne Fernandez Vest
Je suis des quelques personnes en France dont la carrière a été partagée entre l’Université et le CNRS, donc je pense que je connais assez bien les deux. Je suis directrice émérite au CNRS. Par rapport à l’intervention de Madame Picard, je peux dire qu’au CNRS malheureusement l’interdisciplinarité n’a pas été toujours renforcée. J’ai été élue dans trois législatures au comité national et les premières années où j’y étais on faisait beaucoup d’efforts sur l’interdisciplinarité. Ce n’est plus comme ça. Les commissions interdisciplinaires qu’on avait lutté pour créer, ont même été supprimées ces dernières années.
Par ailleurs, j’ai été évidemment intéressée par l’intervention de Monsieur Salmon en particulier. Je ne vais pas m’extasier sur l’étranger mais il est vrai que j’ai toujours travaillé avec des universités étrangères et notamment les pays nordiques, parce que je suis scandinaviste. Il y a deux choses sur lesquelles vous avez insisté et sur lesquelles on devrait encore insister je pense, c’est que les universités nordiques sont au service des usagers autant qu’au service de ceux qui sont recrutés, des permanents ou autres. Et j’en veux pour preuve ce qui se passe en ce moment dans les conseils scientifiques. Très récemment j’ai été élue au conseil scientifique de l’université avec laquelle je travaille principalement, je ne dirai pas son nom, où les étudiants sont très peu représentés et quand ils sont là ils ont très peu la parole. J’enseigne dans les universités suédoises et surtout finlandaises depuis quelques années et ce n’est pas du tout comme ça. On leur donne un temps de parole presque aussi long que celui des enseignants.
Autres chose, je pense que le terme de confiance, qui suscite de la défiance souvent en France, est essentiel. J’ai été membre du bureau du collectif Sauvons la Recherche pendant cinq ans et chaque fois que je parlais de certaines choses qui se faisaient dans les systèmes nordiques ou non et que j’insistais sur le fait que ça repose sur la confiance, on me disait que la confiance ne veut rien dire. La confiance ne veut rien dire dans les lieux de pouvoir. Je me demande depuis longtemps si l’université est considérée principalement comme un lieu de pouvoir. Il existe en Finlande un association que j’ai essayé de promouvoir ici, en montrant ce qu’il s’y réalisait, et qui associe les politiques, les chercheurs et les enseignants. C’est assez unique parce qu’au Danemark il y a une petite association de ce type mais qui n’a pas la même importance. La première question qu’on m’a posé à la fois à l’université et au CNRS c’est : « mais ce sont des politiques de quel parti ? », j’ai dit que c’était pour tout ceux qui voulaient en être membre et donc que ça n’était pas réservé à un parti. On m’a dit que c’était impossible, qu’on ne pourrait jamais faire ça en France. Résultat, quand il y a des problèmes concernant les réformes dans les universités nordiques ou concernant la recherche, les hommes politiques, les députés en général, qui sont en bon nombre en discutent à l’avance lors de journées d’études. Il n’y a donc pas de grande surprise au moment où il faut voter mais il y a aussi une confiance. Ici, j’ai entendu dire qu’on ne trouvait plus rien de ce qui a été présenté lors des Assises de la Recherche et des Assises de l’Enseignement Supérieur. C’est dommage et il faut travailler là dessus à mon avis.
Ma question est celle-là : que faire pour renforcer la confiance dans tout ce dont il a été question ici, c’est-à-dire l’enseignement et la recherche ?
André Gattolin
Merci, on va prendre une autre question.
Heidi Charvin
Heidi Charvin, Université de Rouen, membre de la 16e section CP-CNU et co-responsable du secteur recherche au SNESUP. La première chose c’est une intervention par rapport aux propos d’Emmanuelle Picard. Je voudrais juste rappeler une chose c’est que je pense qu’il y a un petit glissement de pensée qui est fait, on dit pas qu’entre guillemets on estime que les comités de sélection des universités n’ont pas de compétences scientifiques. Ce qui est évoqué c’est que dans les comités de sélection il y a des motifs de recrutement qui sont notamment liés au réseau, réseau interpersonnel, courant de pensée etc. Ils font que justement une évaluation nationale a son importance.
D’autre part on sait que de par l’importance maintenant de faire soutenir des thèses sous trois ans, il y a des nécessités de post-doctorats pour que les étudiants montrent qu’ils peuvent faire leur recherche tout seuls. Nombre de publications sont faites en partenariat avec leur directeur, voire écrites par leur directeur. Donc on allonge aussi la durée des thèses et des recrutements puisque ce n’est pas à trois ans mais à cinq ans et plus. Je pense qu’il faut quand même réfléchir à ces questions là qui ne changent pas le problème. Je veux bien avoir votre avis sur cette question.
Concernant la spécificité française, je pense qu’il y a quelque chose qui n’a pas été évoqué. On est ici dans un principe de formation généraliste de haut niveau par rapport à d’autres pays qui ont une formation réduite, spécialiste, dès l’équivalent du lycée français. Sur ce plan là on reconnait à la France cette capacité d’analyse, de synthèse, de réflexion qui sont la base même des compétences de nos chercheurs et qu’on a donc une formation de masse, des universités de masse. Est-ce qu’on peut être vraiment dans le système privé comme aux Etats-Unis ? C’est une vraie question, surtout que dans notre pays nous avons de moins en moins d’emplois dans l’agriculture, dans l’industrie, et que nous nous défendons essentiellement les savoirs-faire de haute technologie qui demandent une formation de masse de haut niveau. C’est une vraie question, y compris entre régions parce que ça voudrait dire que maintenant on est en train de déverser seulement certaines régions, certaines universités, les autres sont en train de s’appauvrir en gelant des postes, y compris au détriment de la formation. Or, il faut quand même rappeler que l’industrie n’est que 23% des emplois, 27% du PIB de notre pays. Tout le reste, tourisme, littérature, tout ce que vous voulez, pourvoie le reste sur le plan économique et social de notre pays. Je pense qu’on peut effectivement discuter la présence des étudiants dans les comités de sélection et au CNU, après, de quelle façon, ça n’est pas forcément facile mais il y a une nécessité. Dans le cadre de la CP-CNU on a proposé d’intégrer les BIATSS qui soient aussi présents dans les universités. Par rapport à ce qui a été évoqué par Jean Cordier concernant les recrutements de titulaires après six ans, si on compare par exemple avec l’Italie, on a énormément de collègues italiens qui viennent en France parce qu’ils ne trouvent pas d’emploi statutaire avant 55 ans. Je voudrais rappeler que le nombre d’années universitaires c’est douze ans en moyenne, donc l’embauche c’est en moyenne à 32 ou 33 ans, que le nombre d’heures hebdomadaires est d’environ 80 heures, que si on ramène ça sur le salaire moyen qui est de 2300 euros, pour 35 heures nous travaillons moins que le SMIC.
Dans ces conditions peut-on appliquer le système américain dans lequel les universitaires n’ont pas les mêmes salaires, avec un certain nombre de collègues, notamment dans les SHS mais pas seulement, qui sont en burn-out et si vous leur dites qu’il faut continuer à travailler dans ces conditions et qu’on continue à durcir les conditions de travail ce n’est pas possible. On sait qu’actuellement le nombre de doctorants ne baisse pas car ce sont les doctorants étrangers qui ont augmenté. Si on n’a pas une réflexion de politique générale sur cette question là, on va droit dans le mur dans les vingt prochaines années.
André Gattolin
Le temps passe quand même très vite donc on va prendre encore quelques questions mais assez courtes sinon il n’y aura pas de réponse.
Question
Je vais faire une intervention très courte car je vais rebondir sur l’intervention précédente. On a des spécificités dans notre recrutement qui étaient qualifiées de « bizarrerie » dans l’amendement qui était proposé. Je préfèrerais qu’on l’étudie en se demandant s’il y a des avantages à être différents des autres. Ce qui est sous-jacent dans ce qui nous a été présenté c’est qu’il faudrait s’aligner sur les autres. Il faudrait regarder comment c’est fait à l’extérieur et éliminer cette bizarrerie. Or, cette bizarrerie nous permet d’avoir un recrutement qui ne soit pas si mal que ça, qui est relativement attractif avec des étrangers qui viennent chez nous, tout ça pour des salaires qui sont quand même assez faibles. Ce qu’il faudrait se demander c’est : quel est l’intérêt pour nous de s’aligner sur d’autres pays alors que je pense qu’on n’a pas les moyens financiers, pour les salaires et les conditions de travail, de bien d’autres pays ?
Carole Chapin
Je voudrais seulement faire une remarque qui est liée à toutes les interventions que l’on vient d’entendre. Je suis assez surprise que personne n’ait mentionné l’existence de deux documents très importants, deux documents européens qui sont la Charte Européenne de recrutement des chercheurs et le Code du chercheur, que la France a adoptés au nom de l’Union Européenne, et dans lesquels il y a un certain nombre de bonnes pratiques qui sont précisées et notamment sur le fait de la confiance que l’on peut accorder aux futurs enseignants-chercheurs que l’on peut recruter. On en a beaucoup parlé et dans cette confiance il y a aussi le fait d’accepter le fait qu’un docteur, qui a donc complété un doctorat, a déjà des compétences de chercheur. Cette charte prend notamment en compte une étape de la carrière du chercheur qui s’appelle « chercheur en début de carrière » et cette étape inclut les doctorants, les docteurs et les docteurs en poste non permanents comme les post-doctorats. Elle les considère comme des chercheurs à part entière, en début de carrière certes, qui n’ont pas encore évolué dans leur carrière autant qu’un chercheur confirmé c’est évident, mais qui ont cette compétence là. Quand j’entends beaucoup parler des étudiants pour signifier les doctorants et aussi qu’il faut vérifier qu’ils soient capables de mener des recherches seuls. Je crois qu’on manque un peu de confiance envers les docteurs qui ont déjà démontré par l’obtention de leur doctorat qu’ils en étaient parfaitement capables.
Esther Benbassa
Puisque mon collègue doit partir est ce qu’il y a encore deux questions ? On arrêtera là et après chaque intervenant prendra la parole pour répondre.
Samir Bouzbouz
Bonjour, Samir Bouzbouz, chargé de recherche au CNRS, détenteur de la HDR. La question c’est quoi ? Le système français : un système unique en son genre ? Oui, il est unique en son genre. Pourquoi ? Si on commence par le bas de l’échelle, un lycéen arrive au bac. Après son bac il a deux choix. Il va soit à l’université, soit dans une école d’ingénieur selon ses notes. On a ces deux systèmes qui sont une richesse pour la France. Il faut qu’ils cohabitent tous les deux. L’étudiant va partir en école. Les écoles ont su faire leur révolution dans le sens où elles essaient d’être autonomes au niveau financier. Elles font des partenariats avec des grands groupes industriels, il y a des pédagogies qui changent. Il n’y a pas par exemple plus le mode de pédagogie classique mais une pédagogie par projet, par problème, qui est enseignée dans les grandes universités américaines. Les écoles arrivent à faire leur révolution. L’étudiant, à la fin, n’a pas de problème au niveau de l’embauche. Prenons l’autre filière, l’université. Il arrive en master et il arrive pas à pas au doctorat. J’ai été auditionné comme secrétaire national du SNIR, affilié à la CGC, à l’Assemblée Nationale sur l’avenir des doctorants. De ça, il sort pas mal de points. A la fin du doctorat, il y a des problèmes d’embauches pour ceux qui n’ont pas eu de bourse CIFRE. Les universités doivent maintenant chercher des sources de financement indépendantes, avoir des chaires industrielles au sein des troisièmes cycles comme cela se fait au sein des systèmes anglophones.
Deuxième point, par rapport au devenir des doctorants, il y a des crédits impôts recherche qui sont donnés aux PME. Pourquoi ne pas faire un système de crédit impôt recherche pour l’employabilité des PME pour les doctorants ? On demande aux PME de justifier leur recherche, donc un doctorant qui est embauché est à même de leur rapporter ce savoir-faire. Ce sont des pistes à court terme à explorer pour le devenir de l’université française.
Esther Benbassa
Merci beaucoup Monsieur. Question suivante.
Guillemin Rodary
Bonjour, je suis Guillemin Rodary, membre de Sauvons la Recherche. Je voudrais réagir à ce qui a été dit à cette table ronde. Il a été beaucoup fait l’éloge finalement du recrutement local dans les différents pays. L’UFR recrute localement et ça peut faire de très bons enseignants-chercheurs. Moi, ce que je vois, c’est que si on recrute au nord de la Suède sur des activités liées aux mines, on ne va pas avoir de mobilité pour pouvoir un jour se déplacer et aller autre part. Tous les exemples donnés, en Suisse et en Hollande, sont des exemples où finalement ce ne sont pas des recrutements nationaux et ça va être une cause d’inégalité de territoires, d’inégalité de personnes. Il y a des choses qu’il ne faut pas qu’on oublie, comme la mobilité des enseignants chercheurs qui sont recrutés. Au CNRS par exemple vous avez parlé du fait qu’il n’y avait pas de qualification. Mais justement, c’est un recrutement qui n’est pas local et on peut donc avoir une mobilité quand on n’est pas au CNRS.
Finalement cette question est très importante mais est ce qu’on n’est pas en train de regarder par le bout de la lorgnette ? La question de la qualification est une petite question. Est ce que vraiment ce dont on discute va avoir un jour un impact ?
Esther Benbassa
Une très bonne remarque. On ne connaît pas non plus le résultat des lois votées. C’est le long terme qui montre si les réflexions aboutissent. On ouvre le débat pour réfléchir, et vous êtes là, vous en faites partie, ce n’est pas le petit bout de la lorgnette. Il y a des centaines de personnes qui attendent un travail dans la recherche, pour eux ce n’est pas le petit bout de la lorgnette.
Emmanuelle Picard
J’aurais juste une remarque très rapide sur cette question du local. Je crois qu’il y a une incompréhension à deux niveaux. J’appelais à la responsabilité du groupe local mais je ne dis pas qu’il faut recruter localement. Il faut cesser de penser que le recrutement est forcément local parce que c’est au niveau de l’université. La seconde chose que je tenais à dire est qu’il faut s’interroger sur qui on recrute et pourquoi. Certains recrutements sont dits « locaux » et correspondent à des besoins réels et à des logiques réelles. D’autres recrutements n’y correspondent pas. C’est là qu’il faut réfléchir.
Lorsque je parle de prospective et que je disais que les astrophysiciens sont plus forts que les autres communautés je voulais insister sur le fait qu’ils ont construit une logique de prospective. De quoi a t’on besoin ? Qu’est ce que notre discipline ? Comment veut-on qu’elle contribue à s’organiser ? Cela devient du coup beaucoup plus clair. Si on ne réfléchit pas collectivement on joue le jeu de tous les intérêts contradictoires. Personnellement je ne pense pas que le CNU soit forcément le seul lieu où une discipline peut décider de son avenir.
Intervention sans micro dans la salle
Esther Benbassa
Il est vrai que le débat est complexe et qu’il y a des dérives possibles. Nous avons pris des pays trop grands, comme les Etats-Unis par exemple. On ne peut pas comparer la France aux Etats Unis parce que le problème est aussi qu’il y a une centralisation. C’est dans le périmètre du 5e et 6e arrondissements que les décisions de recrutement ou de qualification sont prises. Au Etats-Unis en revanche, lorsque l’on appuie la candidature de quelqu’un, les lettres viennent de différents pays et de différents professeurs. Regardez la HDR. Quand vous devenez full professor vous avez besoin de vingt lettres. Vous pouvez avoir cinq copains, mais vingt copains ça en fait trop. C’est aussi une question de géographie parce qu’en France le CNU, malgré ses grands défauts, remplace le localisme. Il y a des dérives à l’intérieur aussi, je suis d’accord, on en a tous connues. Mais le débat est ouvert et nous sommes tous là pour réfléchir sur ces questions.
Je remercie les intervenants et les intervenantes ainsi que tous les présents et présentes parce que c’est ainsi qu’on enrichit le débat. Le temps est très court, nous passons à la deuxième table ronde. J’appelle Madame Attard ainsi que les prochains intervenants. Merci aux organisatrices et merci à tout le monde.
Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).

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