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Formation Continue du Supérieur
3 avril 2014

La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs en France, Ouverture de l’après-midi par Esther Benbassa

Sénat - Un site au service des citoyensACTES du Colloque « La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs en France : enjeux et perspectives ». Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).
Ouverture de l’après-midi
Esther Benbassa
Chers collègues, chère Marie Blandin et chère Corinne Bouchoux, je vous remercie d’avoir bien voulu m’inviter à votre colloque même si je n’étais pas d’accord avec vous sur l’amendement ayant induit la suppression du Conseil national des universités (CNU), lequel a été par la suite réinstauré en Commission mixte paritaire (CMP). Connaissant votre profond dévouement à la culture et à l’enseignement, je sais qu’avec cet amendement vous souhaitiez seulement ouvrir le débat sur le fonctionnement du CNU. Déjà proposé auparavant à l’Assemblée Nationale par le groupe écologiste sans aboutir, il s'agissait donc de votre part d'un amendement d'appel, et ce débat, vous l’avez ouvert, je vous en félicite. Il faut parfois forcer un peu les choses pour lancer une réflexion. Cette intention était plus qu’honorable car il est temps, nous le savons tous, de réformer le CNU sans laisser le champ libre au bon vouloir et au paternalisme de certains, susceptibles d’être fort mauvais conseillers dans le processus du recrutement. Nous sommes tous et toutes d’accord là-dessus me semble-t-il. Je vous remercie également de m’avoir permis, grâce à cette brève intervention, de porter ma casquette première, et toujours valide, de professeure d'université.
Chers collègues, présidents d'université, syndicalistes, vous tous et toutes ici présents, je ne vous en salue pas moins en tant que sénatrice et vous souhaite la bienvenue dans cette auguste maison habituée aux débats contradictoires, sa grande spécialité, et qui prend ordinairement tout son temps pour s’y livrer. Nous discutons plus qu’à l’Assemblée et nous en sommes fiers.
Chères Marie et Corinne, vous me demandez d’ouvrir cette après-midi qui sera consacrée au système universitaire français et aux pistes de réflexion pour un recrutement de qualité. Lourde charge car, même si je vous étonne, je dois dire que notre système fonctionne globalement bien et un recrutement de qualité y est assuré pour l’essentiel. Il n’en est pas moins urgent de le revoir en profondeur et de ne pas seulement mettre en avant les questions budgétaires, certes très importantes et même primordiales, mais qui n’expliquent pas toujours les failles de ce système. Le budget voué à la recherche et à l’enseignement supérieur est de 25,77 milliards d’euros hors salaires et de 31,11 milliards si on inclut le programme des investissements d’avenir. Cette somme peut paraître considérable si on ne rappelle pas que nos universités sont gratuites pour nos étudiantes et étudiants. C’est une somme bien modeste si on la compare à la situation des grandes universités américaines comme Harvard, Stanford ou Yale qui, elles, sont payantes. Ce budget est stable si on prend en considération l’augmentation de 0,5% en cette période de récession. Notre ministre Madame Geneviève Fioraso promet 1 000 créations de postes dans les universités sur le quinquennat, ce qui est peu mais constitue tout de même un effort encourageant, montrant que l’enseignement supérieur dans notre pays reste une priorité.
Pour répondre très brièvement à la question du premier panel sur l’unicité de notre système, étant donné mes séjours de longue durée dans les universités et centres de recherche nord-américains, hongrois ou hollandais, je me mettrai sans peine à la place de nos collègues étrangers qui éprouvent le même étonnement que Rica et Usbek (Cf. Montesquieu, Les Lettres Persanes) lorsqu’ils arrivent à Paris aux XVIIIe siècle. Nos collègues universitaires ou chercheurs étrangers ne comprennent pas tout simplement notre système universitaire constitué d’une multitude d’universités, centres de recherche, grandes écoles, etc. Et nos concours, ils les comprennent encore moins. Le manque d’unité, d’homogénéité de notre système nuit à sa visibilité à l’extérieur. Et aussi à l’intérieur d’ailleurs. Ne négligeons pas cet étonnement qui devrait se transformer pour nous tous en questionnement.
Aux Etats-Unis, il y a des universités privées et des universités publiques qui sont plutôt des universités fédérales, gratuites pour les habitants de l’Etat fédéral. Notre système complexe milite pour l’élitisme, renforçant la reproduction des élites à partir de modèles convenus et exclusifs ne permettant pas une production diversifiée et hétérogène, source de créativité, d’énergie et de dynamisme. Ainsi laisse-il les plus défavorisés dans l’incapacité de s’y introduire malgré la gratuité des études supérieures. Je parle bien sûr de l’incapacité de s’introduire dans les élites, même lorsqu’ils sont objectivement au niveau de ces élites.
Le fonctionnement des universités a été aussi perturbé par le passage à l’autonomie, créant des inégalités entre les universités et des dysfonctionnements relativement graves. Là-dessus, je dirai que le système américain est habitué au mécénat privé et au fund-raising qui lui permet d’avoir des crédits proches des budgets de certains Etats africains. Voici quelques considérations tirées d'un rapport d’information sur l’université et sur l’autonomie: « Le principal défi a consisté pour les universités à trouver l’équilibre optimal dans la définition de leurs orientations stratégiques entre d’une part la nécessité d’affirmer leur identité propre et ce qui fait leur valeur ajoutée ». Lorsqu'on lit le rapport, on n'est pas moins impressionné de la différence entre les universités. Par exemple l’Université d’Avignon, avec 7000 étudiants, a su utiliser son autonomie stratégique pour tirer son épingle du jeu. Elle a développé des niches de spécialisation en rapport direct avec les atouts et traditions du territoire qui font une sorte d’orchidée universitaire dans les domaines du patrimoine, de la culture et de l’agroalimentaire. De même, Strasbourg, avec 43 000 étudiants était nécessairement différente. Compte tenu de son assise sur le territoire, elle est en mesure d’assurer une pluridisciplinarité à tous les niveaux, tout en développant des niches de spécialisation. En revanche, la situation semble plus compliquée pour des universités de rang intermédiaire, partagées entre les exigences immédiates d’un environnement socio-économique complexe, parfois défavorisé, et une ambition de rayonnement national et international.
On s'aperçoit que la loi LRU a également favorisé l’ouverture des universités sur le monde économique même si les collaborations sont encore bien sûr à ce stade balbutiantes. Le grand problème a été cette inégalité et notre incapacité à apprendre à faire du fund-raising, à savoir à collecter de l’argent à l’extérieur des universités. On ne rend pas autonomes les universités sans leur donner les moyens de le devenir réellement, notamment en sachant lever des fonds. D’ailleurs, le bilan de ces cinq ans d’autonomie, à lire le rapport, peut être résumé dans cette phrase : « une abrogation pure et simple de la loi LRU serait perçue comme une perturbation de plus et un frein à la modernisation des pratiques expérimentées jusqu’ici ». Nous pouvons discuter là-dessus longtemps, en tout cas la perturbation a eu lieu, ce qui n’arrange pas le système ni ne comble ses failles. L’apprentissage du fund-raising, qui est une constante dans les universités américaines, sera une nécessité en France pour combler l’inégalité qui, avec le temps, creusera les écarts en créant des universités pauvres et des universités riches. Même les universités fédérales, en Amérique, qui sont gratuites pour les habitants de l’Etat, s’ouvrent vers le privé. En cela l'université Berkeley, publique, est un exemple. Moins de bureaucratie, une plus grande démocratie en passant par la gestion collective, une unification du système par divers moyens dont le jumelage entre les grandes écoles et les universités en créant un système de vases communicants seraient quelques orientations sur lesquelles on pourrait réfléchir. Je ne préconise pas la suppression des grandes écoles. Ce serait suicidaire de se mettre à supprimer ce qui marche. On peut faire également des jumelages entre les universités isolées et les grandes universités des régions en constituant des ilots et en laissant à chacune son autonomie. Comme vous le voyez, le chantier est vaste et nous avons ici des techniciens de l’université qui sauraient mieux que moi dessiner les grandes pistes à suivre.
Quant au recrutement de qualité, la sélection est-elle rude au CNU ou reflète-t-elle la mauvaise qualité des doctorats soutenus ? Voilà la question que je vous pose en me référant au deuxième panel de cet après-midi. En 2011, 12 675 candidats postulaient à la qualification dans une ou plusieurs sections. Au total, 21 409 candidatures ont été envoyées dont 17 705 ont été jugées recevables. Ainsi, 10 718 qualifications ont été délivrées à 8 031 candidats. Si on fait le pourcentage, on arrive à 63,4% de candidats qualifiés et à 60,5% de demandes de qualification satisfaites. En outre, le taux varie selon les disciplines, puisque le taux de qualification est de 50% en lettres, de 40% en droit et de 65% dans les disciplines scientifiques.
Ces chiffres sont parlants et ils démontrent la facilité avec laquelle les doctorats sont attribués. J’ai l’honneur de n’être enseignante qu’en doctorat et d’être directrice d’études à l’Ecole Pratique de Hautes Etudes (EPHE). Je ne défends pas ma chapelle parce que j’ai été recrutée sans passer par la qualification : l'élection, interne, des candidats à l’EPHE est validée ensuite par l’Institut de France, le CNU n’intervenant pas. En revanche, j’enseigne en doctorat et il y a de vrais problèmes, qui ne relèvent pas du CNU. Avant de réformer ce dernier, il faudrait peut-être réformer le doctorat en le rendant plus sélectif et plus rigoureux. Nos classes regorgent de doctorants qui ne sont pas à leur place. On peut aussi remonter plus haut et parler des masters qui manquent également de rigueur dans le recrutement des étudiants. Lorsqu'on compare un doctorat américain et un doctorat français, on peut être étonné par certains décalages, dont l’absence trop fréquente de recherche à partir de sources premières et le peu de suivi par les enseignants du travail accompli. Parfois, il arrive que certains de nos collègues fassent tout simplement de l’abattage en inscrivant sous leur nom le plus grand nombre possible d'étudiants.
Même la qualification devrait être revue. Il serait opportun de voir combien de qualifiés échappent vraiment au réseautage. Ouvrir le CNU à des personnalités du monde du travail, à des enseignants et chercheurs de l'étranger, revoir les critères de sélection, neutraliser le réseautage par affinités universitaires, décentraliser le CNU, prendre en résidence au moins trois jours le futur candidat à un poste pour mieux le connaître et voir si ses qualités intellectuelles sont adaptées à l’université, mesurer sa sociabilité, lui faire donner une leçon devant des étudiants pour juger de ses qualités pédagogiques, voilà quelques suggestions tirées de mon expérience d’enseignante et de visiting professor à l’étranger. Il est temps de s'atteler à un audit extérieur du CNU, pour vérifier si la démocratie y fonctionne encore. La réflexion est ouverte. Malgré ses grands défauts, le CNU pare (en principe) au localisme. Poursuivant notre réflexion, tâchons de le réformer de l'intérieur pour le rendre plus efficace et moins clientéliste. Sans tomber dans le piège de sa dissolution.
Nous sommes un pays influencé par sa tradition révolutionnaire. Au lieu de réformer ce qui existe, nous créons de nouvelles instances, ce qui explique d’ailleurs le côté hétérogène, mille-feuilles de notre système universitaire. Si Rica et Usbek venaient des Etats-Unis, ils auraient probablement été étonnés de notre penchant à casser dans l’idée que la nouveauté nous empêchera de garder nos mauvaises habitudes, notamment de copinage pour le recrutement…
Télécharger la partie 1 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Programme, Ouverture et introduction, Table ronde 1 : « Six ans après la LRU, quel statut pour les enseignants-chercheurs ? », Ouverture de l’après-midi) et la partie 2 des Actes du Colloque "La procédure de recrutement des enseignants-chercheurs, enjeux et perspectives (Table ronde 2 : « Le système universitaire français : un système unique en son genre ? », Table ronde 3 : « Quelles pistes de réflexion à privilégier pour un recrutement de qualité au sein de l’université française ? », Conclusion, Index).

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