Le DIF - la maturité modeste
Par Renaud Descamps. Avec un taux d’accès de 6,5% en 2010, le droit individuel à la formation (DIF) n’a pas remporté le succès escompté. De plus, la durée moyenne des formations stagne autour d’une vingtaine d’heures. Le manque d’information et d’accompagnement des salariés peut expliquer son faible développement. En effet, l’existence d’un droit individuel ne suffit pas à en susciter l’usage; le contexte, qui détermine les conditions favorables ou non de son application, reste décisif.
Proposition du Céreq
Favoriser les politiques d’entreprises susceptibles d’assurer l’essor du DIF ou transférer le DIF sur le congé individuel de formation.
Innovation majeure de la réforme de la formation professionnelle de 2003 et 2004, le DIF, droit individuel à la formation, a maintenant plus de huit ans. Aujourd’hui, le recul permet de dépasser les conjectures et les hypothèses de départ, qui mélangeaient à l’époque l’espérance d’un accès à la formation pour tous, et les inquiétudes quant à son financement. Or le constat est quelque peu décevant.
Destiné à permettre aux salariés d’être acteurs de leurs parcours professionnels, le DIF n’a pas atteint un volume à la hauteur de cet enjeu. L’engagement dans un parcours professionnel qui intègre de la formation semble rester fortement dépendant du contexte de l’entreprise du salarié, et notamment de sa poltique de gestion des ressources humaines.
L’espérance
« Le nouveau DIF (droit individuel à la formation) […] permet la mise en oeuvre d’une assurance-formation à son bénéficiaire. » (François Fillon, débat public sur le texte au Sénat, février 2004). Les propos des acteurs de la formation, relevés dans des dépêches de l’Agence emploi formation (AEF) en 2003, sont encourageants. Il « devrait faciliter les reconversions » (Danielle Kaisergruber, présidente du directoire de Bernard Brunhes Consultant); pour Dominique de Calan, négociateur de l’UIMM: « [avec le DIF] nous offrons aux salariés qui le souhaitent, le moyen de maintenir leur employabilité. » Pour Jean-Claude Quentin (négociateur CGT-FO), « Un calcul simple montre que si seulement 30% des 15 millions de salariés utilisaient leur DIF, il faudrait dispenser pas moins de 100 millions d’heures de formation. » (table ronde organisée par le Sénat le 22 janvier 2004). L’accueil réservé au nouveau dispositif était pour le moins enthousiaste.
En écho à cette expansion prévue de la formation, d’autres anticipaient une explosion des coûts: « Le DIF pourrait porter le volume des dépenses de formation d’une entreprise à 4,6% de sa masse salariale. » (consultants de Training Orchestra). J.-P. Willems estimait pour sa part que « L’utilisation effective de 20 heures de formation par salarié et par an représente un coût supérieur au 1,6%. » Entreprise et Carrières s’interrogeait: « Les chefs d’entreprise doivent-ils prévoir dans leur comptabilité, d’accumuler des provisions pour financer les futurs DIF? » Et Chef d’entreprise Magazine titrait, en 2007: « Le DIF, une bombe à retardement pour les PME? »
Dans le même temps les organismes de formation y voient de belles perspectives pour leur chiffre d’affaires. Pour Anne Rosain, du syndicat des indépendants consultants et formateurs (SICFOR): « Les nouveaux dispositifs (DIF, périodes de professionnalisation...) apparaissent comme de "nouvelles opportunités" pour les consultants et formateurs indépendants. » Certains organismes élaborent des catalogues de formation spécial DIF.
Le Céreq, dans le Bref n°207 d’avril 2004, est également optimiste pour l’avenir du dispositif: « Le droit individuel à la formation, [...] pourrait devenir un objet de négociation individuelle encadrée collectivement. Ce faisant, il pourrait [...] rendre la formation plus habituelle au sein de toutes les entreprises et pour tous les salariés.»
Moins euphorique, le conseil national de la comptabilité, pour sa part, considérait finalement que la dépense pour le DIF restait « potentielle pour l’entreprise car le salarié pourra ne jamais la demander et l’entreprise pourra refuser l’action de formation choisie ». Seul « l’accord écrit de l’employeur et du salarié » transforme le droit potentiel en réalité tangible, et donc la dépense potentielle en dépense effective. Depuis 2010, les droits acquis ont atteint le maximum réglementaire pour bon nombre de salariés.
Les années qui passent correspondent maintenant à des pertes de droit, car le cumul ne peut se faire au-delà de six ans. Alors que l’on parle déjà d’une énième réforme de la formation professionnelle continue, quel bilan peut-on tirer de cet élément majeur de la réforme de 2003?
Le Dif en chiffres
Les chiffres actuels ont des allures de douche froide: 6% des salariés ont suivi une formation dans le cadre du DIF en 2009 (données définitives) et 6,5% en 2010 (chiffres provisoires). La durée moyenne de ces formations était de 23 heures en 2009 et de 22 heures en 2010. Au final, le poids du DIF dans l’ensemble des dispositifs de formation destinés aux salariés est des plus modestes. Le décollage des chiffres du DIF était attendu, mais il n’était jusqu’alors pas possible de proposer une mesure raisonnable du dispositif. D’une part, un nouveau dispositif requiert un temps d’appropriation par les acteurs. Les plus optimistes trouveront ce temps encore insuffisant. D’autre part, une des spécificités du dispositif, à savoir la capitalisation possible sur six ans, autorise plusieurs modes de consommation. Certains salariés, en concertation avec leur employeur, peuvent privilégier un usage fréquent mais peu important, tandis que d’autres peuvent préférer utiliser au maximum la capitalisation et attendre de disposer de 120 heures. Avant le sixième anniversaire du DIF, il était donc toujours possible d’invoquer l’accumulation de droits pour expliquer le retard à l’allumage du dispositif. Passée cette période, nous devrions atteindre, s’il n’y a pas de perte de droits due au plafonnement du cumul, un régime de croisière de « pleine charge », soit 20 heures en moyenne par salarié et par an.
De ce point de vue, le fait que la durée moyenne des formations stagne autour de 22 heures sur toute la période (cf. graphique haut de page) n’accrédite pas l’option de l’accumulation maximum de droits pour un usage plus massif. L’ampleur des formations ne vient donc en rien compenser leur rareté. En outre, la durée des actions, assez courte, évoque davantage des formations du type de celles mises en oeuvre dans le cadre d’un plan de formation.
Le nombre d’entreprises qui mobilisent le dispositif semble avoir atteint un point d’équilibre. La proportion d’entreprises concernées reste certes encore en légère croissance. De même, lorsque l’on observe le comportement
des entreprises d’une année sur l’autre, on constate qu’une proportion conséquente d’entre elles (entre 8 et 10% ces quatre dernières années) déclare réaliser au moins un DIF alors qu’elles n’en avaient pas déclaré l’année précédente (cf. graphique ci-dessous).
Mais cette proportion d’entreprises « nouvellement converties » est de plus en plus compensée par celles qui, au contraire, ont déclaré au moins un DIF l’année précédente, mais aucun l’année en cours (7% de « déçues » en 2009). Ce reflux du dispositif là où il a été testé semble bien indiquer que nous ne sommes plus en phase de décollage mais en phase de maturité… Maturité plutôt décevante avec 28% d’entreprises concernées en 2010. D’autre part, l’utilisation du DIF respecte les écarts habituels relatifs à la taille des entreprises: le taux d’utilisation est de 2,2% dans les entreprises de 10 à 19 salariés contre 9,0% dans les entreprises de plus de 2 000 salariés. Il semblerait donc que le DIF n’ait pas frappé assez fort pour modifier sensiblement le paysage de la formation continue en France: les taux d’accès sont faibles, les durées courtes et les ouvriers des petites entreprises nettement moins concernés que les cadres des grands groupes. On est donc loin des effets escomptés pour un dispositif majeur de la réforme.
Un enthousiasme initial compréhensible
Les espoirs suscités par la création du DIF étaient pourtant en partie fondés. Son caractère novateur et le nombre d’heures potentiellement mobilisables pour la formation pouvaient en effet laisser espérer un réel développement.
Le système français de formation continue est, depuis 1971, structuré par l’obligation de financement qui pèse sur l’entreprise. Or le DIF crée un droit au niveau de l’individu. Il induit sinon une obligation, il ne s’agit que d’un « droit à », du moins une possibilité de répartition plus équitable de l’effort de formation puisque chacun est en droit d’en demander un minimum égal pour tous. Sachant que 64% des salariés ne s’étaient pas formés en 2003, il y avait donc potentiellement un important réservoir de salariés bénéficiaires.
La philosophie du DIF le situe entre le congé individuel de formation, à l’initiative du salarié, et le plan de formation à l’initiative de l’employeur. Appuyée par un entretien individuel (comme le prévoit l’article 1 de la réforme), cette voie alternative était de nature à générer un débat social dans l’entreprise autour de la formation et des parcours professionnels.
L’absence de besoin est la raison la plus fréquemment avancée, tant du côté du salarié que de son employeur, pour expliquer l’absence de formation. On pouvait dès lors espérer une prise de conscience de besoins latents. Mais si le DIF peut stimuler le dialogue employeur/salarié, ce dialogue est aussi, à l’inverse, une condition a priori nécessaire pour l’adoption du dispositif. Finalement, le DIF a pu s’implanter de manière privilégiée dans les entreprises où ce dialogue préexistait. En ce sens, il apparait bien complémentaire des entretiens professionnels instaurés également par l’ANI. Mais le dialogue et la négociation ne s’instaurent pas en décrétant un moment, fut-il privilégié, pour cela.
La moyenne de 20 heures par salarié et par an, si le dispositif était utilisé à pleine charge, est à mettre en rapport avec les 11,5 heures par salarié en usage en 2003. Nonobstant un effet de substitution avec des formations déjà dispensées (qui ne pouvait pas être systématique), c’est à un doublement voire un triplement des heures dispensées auquel on pouvait s’attendre.
Enfin, l’accord de 2003 prévoyait une indemnisation (équivalente à un demi-salaire net) pour la formation en dehors du temps de travail. Cette possibilité n’a guère été utilisée. Seuls 1,3% des salariés ont été concernés par ce « co-investissement » en 2009. La France reste ainsi le pays d’Europe où les adultes en emploi se forment le moins en dehors de leur temps de travail.
Ce qui freine encore ?
Si le DIF peut être interprété comme une façon d’équiper l’individu afin qu’il affronte le marché du travail, la démarche soulève quelques interrogations.
En premier lieu, ce droit est soumis à l’accord de l’employeur. L’introduction du dispositif n’est donc pas de nature à modifier sensiblement le rapport hiérarchique, plus ou moins marqué selon les entreprises et les catégories de salariés. La priorité accordée à la demande de CIF en cas de refus ne s’avère pas constituer une menace crédible susceptible d’engager le dialogue employeur/salarié en cas de mauvaise volonté. Ce qui fait dire à certains (Thierry Le Paon, de la CGT, dans le Quotidien de la formation) que le DIF n’est pas un droit opposable.
En second lieu, les entreprises sont des construits sociaux dans lesquelles les styles de management intègrent plus ou moins l’information des salariés, la négociation, l’entretien professionnel... Or, ce sont autant de facteurs qui favorisent la capacité des salariés à discuter de leur formation et qui facilitent la greffe d’un dispositif comme le DIF. Si certaines conditions sont réunies, il peut devenir plus qu’un droit formel. Dans d’autres cas, l’existence du dispositif ne modifie pas fondamentalement les relations professionnelles. Il est alors possible qu’un manque partagé d’appétence, tant de la part du salarié que de celle de l’employeur, conduise à délaisser la formation.
Il n’en demeure pas moins que le DIF, dans sa construction théorique et juridique, est un outil intéressant. Dans les entreprises qui en font usage, il semble contribuer à une réduction des inégalités d’accès à la formation.
In fine, le principal défaut du dispositif est sans doute de ne pas avoir encore pénétré les entreprises dans lesquelles il serait le plus nécessaire, c’est-à-dire les moins formatrices. Comme si les causes qui conduisaient à ne pas former étaient les mêmes que celles qui empêchaient l’adoption du DIF. À cet égard, le préambule de l’accord de 2003 prévoyait de donner aux instances représentatives du personnel et au personnel d’encadrement de l’entreprise un rôle essentiel pour assurer le développement de la formation professionnelle. Cela passait par l’information des salariés sur les dispositifs de formation et leur accompagnement dans l’élaboration et la mise en oeuvre de leur projet professionnel. Ces intentions n’ont été suivies d’effet que dans de rares entreprises. Il conviendrait donc que les politiques d’entreprise permettent aujourd’hui aux salariés d’être capables de négocier l’évolution de leurs compétences.
Le droit individuel à la formation
Le droit individuel à la formation a été conçu par les partenaires sociaux au cours des négociations qui ont abouti à l’Accord national interprofessionnel (ANI) de septembre 2003. Il a ensuite été entériné par la loi du 4 mai 2004 qui en reprend les grandes lignes.
Chaque année le salarié dispose donc d’un droit à la formation de 20 heures, cumulables à hauteur de 120 heures. L’objectif est de développer l’accès des salariés à des actions de formation professionnelle conduites tout au long de leur vie professionnelle.
Une de ses originalités tient au fait qu’il se positionne entre les actions du plan de formation à l’initiative de l’employeur et le congé individuel de formation (CIF) à l’initiative du salarié: si l’initiative appartient au salarié, l’employeur, par ailleurs financeur, peut refuser. Après deux refus, le salarié se voit reconnaître une priorité d’accès au CIF (sous réserve que sa demande corresponde aux priorités et aux critères définis par le FONGECIF).
Voir aussi Un nouveau bilan du DIF.
By Renaud Descamps. With an access rate of 6.5% in 2010, the individual right to training (DIF) was not as successful. Moreover, the average duration of training has stagnated at around twenty hours. Lack of information and support to employees can explain its low development. Indeed, the existence of an individual right does not suffice to stimulate the use and the context that determines whether or not the conditions of its application, remains crucial. More...