Par Patrice Brun. L’essentiel: Les services de l’université Bordeaux 3 ont étudié le phénomène du décrochage dans le domaine des Arts, Langues, Lettres et Sciences humaines et sociales, au début de l’année universitaire 2011-2012, à partir des chiffres de l’année passée. La présente note analyse les résultats de cette étude.
Chiffres clés: 15% en moyenne des étudiants inscrits en première année n’ont suivi aucun enseignement. Sur 39 étudiants de la filière LEA ayant validé un bac professionnel, aucun n’a été reçu à la première année de Licence. Télécharger le fichier pdf. Décrocheurs et non-accrocheurs, Patrice Brun, ancien Président de l’Université Bordeaux 3 D'un secteur disciplinaire à l’autre, l’ampleur du phénomène des « étudiants décrocheurs » varie, mais son existence n’est niée par personne, au point que, en 2009, est né un dispositif censé régler ou à tout le moins atténuer ce problème.
Le « Plan Réussite en Licence », pour lequel le MESR (Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche) de Valérie Pécresse a investi des sommes non négligeables au service des universités, avait effectivement pour objectif de mieux encadrer les premières années d’études universitaires. La plupart des établissements avaient déjà, de manière individuelle et peut-être désordonnée, cherché à répondre à ce défi de l’échec en première année de licence: groupes allégés ou ciblés, « semestres rebonds », professeurs volontaires, beaucoup de voies ont été empruntées avec un succès somme toute mitigé. Le projet de 2009, pour volontaire qu’il fût, refusant de toucher au dogme idéologique du non-recrutement de fonctionnaires, s’est limité pour l’essentiel à un coup de pinceau sur un mur délabré. Pouvait-il en être autrement?
Derrière le terme de « décrocheur » se cache une palette très complexe de cas qu’il serait erroné de vouloir placer dans un seul et même tiroir. Je souhaiterais ici faire part d’une situation étudiée par les services de l’Université Bordeaux 3, spécialisée dans le domaine des « Arts, Langues, Lettres, Sciences Humaines et Sociales », au début de l’année universitaire 2011-2012, à partir des chiffres de l’année passée. Par « décrocheur », on a entendu tout étudiant qui, régulièrement inscrit à l’université, ne s’est pas présenté à la session d’examen terminal. Certes, cette définition est imparfaite : elle dissimule mal le fait que rien n’interdit à un étudiant décrocheur
de venir à ses examens pour diverses raisons (pression familiale, situation
de boursier…). Elle inclut des situations qui dépassent le strict « décrochage »,
puisqu’elle englobe des étudiants qui ont cessé ou suspendu leurs études pour
des raisons autres que celles qui président à l’idée que l’on se fait du décrochement
d’études : maladie et accident, orientation vers un autre cursus, l’étudiant
s’étant inscrit en préalable dans plusieurs établissements, inscription
« de confort ». L’inscription de jeunes préférant se déclarer « étudiants » plutôt
que chômeurs, en n’ayant nulle intention de poursuivre des études, est bel et
bien une réalité. Ainsi, des pointages réalisés lors des deux premières semaines
en Travaux Dirigés montrent que 15% en moyenne des étudiants inscrits en première
année n’ont suivi aucun enseignement – avec des différences considérables
selon les filières (cf infra). Ils ne peuvent donc être placés dans la catégorie des
« décrocheurs » puisqu’ils n’ont jamais « accroché ». D’où des difficultés réelles
pour définir le « véritable » décrocheur…
Aux examens terminaux du premier semestre 2010-2011, 76,6% des étudiants inscrits se sont présentés; au second semestre, 65,1% (les chiffres, non encore fiabilisés, de l’année 2011-2012, donnent des résultats similaires: 73,7% de présents pour le premier semestre, 65,8% pour le second). On note donc déjà que 11,5% des inscrits – et présents au premier semestre – se sont découragés entre janvier et mai. Pour la L1, le pourcentage s’abaisse respectivement à 67,3 et 57,2%, de huit à neuf points inférieur donc à la moyenne générale de l’université. Cela dit, on ne peut de manière trop rigoureuse considérer que 42,8% (si l’on considère le chiffre de présents aux examens terminaux à la seconde session de la première année) ressortissent à la catégorie des décrocheurs. Tout d’abord, parce que ce chiffre est inexact: il doit être corrigé à la baisse puisqu’il faut en soustraire ceux qui ne sont jamais venu suivre le moindre cours à l’université. Il n’empêche: il reste considérable.
Sans surprise aucune, on constate que les filières dites sélectives, à capacité limitée (Arts du Spectacle, Arts Plastiques, Communication), affichent des taux de présence aux examens supérieurs à 90%, tandis que d’autres frisent ou passent sous la barre des 50%: Langues étrangères appliquées, Anglais-Espagnol (53%) ou Anglais-Arabe (35% !).
Une enquête parallèle informelle à laquelle un tiers environ des enseignants intervenant en première année ont répondu conclut, sans surprise là encore, à un faible niveau moyen des étudiants de première année sur les notions fondamentales (chronologie pour les historiens, style et orthographe pour les littéraires, compréhension de la langue parlée pour les linguistes…) et, pour tous, l’incapacité chronique à prendre des notes. Certes, on prendra ces conclusions avec quelque recul et on évitera de s’attarder sur des anecdotes individuelles et les inévitables « perles » relevées avec gourmandise par les enseignants-correcteurs, supposées démontrer la faiblesse générale du niveau: les professeurs de lycée se plaignent du niveau de leurs élèves qui arrivent en seconde, les professeurs de collège de celui de leurs élèves de sixième, inférieur à ce qu’il était il y a dix, vingt ou trente ans selon l’âge des professeurs en question. Éternelle litanie du niveau qui baisse… Néanmoins, on ne peut non plus entièrement rejeter cette idée: le niveau académique des étudiants entrants ne semble pas être celui attendu, les pré-requis apparaissent insuffisants au regard des études qui s’annoncent.
L’enquête a donc été menée plus avant: parmi ces décrocheurs, combien avaient demandé l’université en première intention? De ce point de vue, le résultat est décevant, car il n’existe pas de réponse claire: les étudiants qui ont inscrit l’université en deuxième ou troisième intention ne sont pas plus « décrocheurs » que ceux qui n’avaient formulé qu’un seul voeu – celui de l’université Bordeaux 3 - sur l’Application Post-Bac. En revanche, une donnée est éclairante: sur les 15% environ qui ne sont jamais venus suivre le moindre TD, une nette majorité est formée par des inscrits qui n’avaient exprimé qu’un seul voeu, celui de l’université. En d’autres termes, parmi ces primo-entrants inscrits mais défaillants dès le début (et non pas au moment des examens), beaucoup n’avaient aucune solution de repli: c’est donc sciemment qu’ils se sont inscrits et n’ont jamais suivi le moindre cours ou TD. Inutile de dire que l’institution n’a aucun moyen de connaître le devenir de ces jeunes adultes, non plus que leurs motivations profondes. Certains se réinscrivent l’année suivante mais ne viennent pas davantage.
L’intérêt majeur de cette étude s’est cristallisé sur une catégorie spécifique: celle des étudiants présents aux premiers cours et TD mais absents aux examens, ceux qui sont véritablement « décrocheurs ». Parmi eux, on note de façon tout à fait significative, une surreprésentation de ceux qui ont placé l’université en deuxième ou troisième voeu. Autrement dit, ils sont entrés à l’université à reculons. On ne sera pas surpris de voir que, pour l’essentiel, ils avaient placé des filières sélectives en priorité dans leurs listes de voeux: BTS, IUT, Sciences-Po, classes préparatoires, filières spécialisées (en nombre plus réduit, cependant).
Une catégorie se démarque nettement: les bacheliers technologiques et professionnels, avec des chiffres éloquents. Sur 39 étudiants inscrits dans la filière LEA venant de valider dans l’année 0 un baccalauréat professionnel, deux seulement avaient inscrit Bordeaux 3 en voeu n°1. Sur ces 39, 31 étaient présents à la rentrée universitaire 2010, 11 étaient présents aux deux sessions d’examens, aucun d’entre eux n’a été reçu à la première année de licence. La tendance est la même dans les autres filières (Histoire, Lettres Modernes, Anglais, Espagnol). Elle est similaire, bien que légèrement moins dramatique, pour les bacheliers technologiques. En tout, plus du quart des étudiants primo-entrants à Bordeaux 3 n’étaient pas titulaires d’un baccalauréat général. Et leur pourcentage parmi les « décrocheurs » est très sensiblement supérieur à la moyenne (plus des deux tiers – 68,5% - abandonnent avant la fin de la première session d’examens, contre moins de 43% pour l’ensemble des bacheliers et 37% pour les bacheliers généraux). L’écart est considérable. Cette situation n’est pas neuve: identifiée il y a quinze ans, elle avait donné naissance à une expérience de groupes de TD spécifiques réservés à ces étudiants, tentée sur trois ans, et abandonnée en raison de résultats très décevants.
Porte ouverte? Sans doute, même si on a eu l’occasion de chiffrer cette réalité. Cette étude permet d’isoler une spécificité de ces bacheliers professionnels et technologiques qui décrochent beaucoup plus que les bacheliers généraux. Bacheliers qui n’avaient pas demandé en priorité une université « SHS » comme celle de Bordeaux 3 et qui s’y sont retrouvés parce qu’ils n’avaient pas obtenu l’orientation de leur choix. Le cas le plus net est celui des bacheliers professionnels, nombreux à ne pas avoir été acceptés en BTS, qui ont été doublés à l’entrée de ces classes par des bacheliers généraux, souvent issus de la filière « S » ou « ES ». En d’autres termes, l’attractivité de ces filières courtes (le cas est identique pour l’IUT – Bordeaux 3) est devenue telle que ceux pour lesquelles elles sont a priori faites ne peuvent majoritairement y prétendre devant la préférence accordée par les jurys d’admission à des élèves plus généralistes et supposés être de meilleur niveau.
De concert avec le rectorat de l’académie de Bordeaux, il a été proposé aux jurys d’admission en BTS et en IUT pour la rentrée 2012, une attention toute particulière en faveur des bacheliers professionnels et technologiques pour favoriser leur entrée dans des filières pour lesquelles ils disposent des bases fondamentales.
En guise de conclusion, nous retiendrons, au-delà de l’extrême variété des situations de décrochage, la situation singulière des bacheliers technologiques et professionnels, qui arrivent dans une université sans posséder les pré-requis indispensables, mais aussi, le dilemme devant lequel l’institution est placée: faut-il encourager les dispositions en amont qui visent à tarir l’arrivée de ces étudiants dont on voit qu’ils sont pour ainsi dire voués à l’échec ou bien l’établissement doit-il faire un effort pour que, quels que soient les moyens à déployer, ces étudiants aient des chances raisonnables de réussite?
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Patrice Brun. Η κατώτατη γραμμή: Οι υπηρεσίες του Πανεπιστημίου Μπορντό 3 μελέτησαν το φαινόμενο εγκατάλειψης στον τομέα των Τεχνών, Γλώσσες, Ανθρωπιστικές και Κοινωνικές Επιστήμες, στις αρχές του ακαδημαϊκού 2011-2012 χρόνο, με βάση τα στοιχεία από το πέρυσι. Η εργασία αυτή αναλύει τα αποτελέσματα αυτής της μελέτης.
Βασικά στοιχεία: κατά μέσο όρο το 15% των φοιτητών που εγγράφονται κατά το πρώτο έτος έχουν λάβει καμία εκπαίδευση. Από 39 μαθητές της ΛΕΑ που έχουν ολοκληρώσει μια επαγγελματική απολυτηρίου, κανένας δεν έχει ληφθεί κατά το πρώτο έτος της άδειας. Κατεβάστε το αρχείο pdf.
Κενά και μη ελκυστικό, Patrice Brown, πρώην Πρόεδρος του Πανεπιστημίου Μπορντό 3. Περισσότερα...