Dans un régime bicaméral, par opposition à la chambre basse élue directement par le peuple et qui peut être dissoute,
la chambre haute a une fonction de gardien de la Constitution et d’enrichissement du travail législatif.Hormis la IIe République et les régimes transitoires – assemblée unique de Bordeaux puis de Versailles de 1871 à 1875, assemblée consultative provisoire puis assemblées constituantes de 1943 à 1946 – la France a toujours vécu sous le signe du
bicamérisme. Les projets de suppression du Sénat (1946) ou d’affaiblissement de ce dernier (1969) ont ainsi été écartés par les Français consultés par référendum.
La première chambre haute a été créée par le Directoire (1795). Composé de 250 membres élus âgés de plus de 40 ans, le Conseil des Anciens a alors le pouvoir d’adopter ou de rejeter en bloc les lois adoptées par le Conseil des Cinq cents : selon Boissy d'Anglas, "Les Cinq cents sont l’imagination de la République. Les Anciens en sont la raison".
Le Consulat (1799) crée le premier Sénat, composé de 80 membres, âgés de plus de 40 ans, nommés à vie et inamovibles.
Il est le premier à siéger au Palais du Luxembourg. Toutes les autres chambres hautes conserveront ce siège, à l’exception du Sénat de la IIIe République jusqu'en 1879, date du transfert des pouvoirs publics de Versailles à Paris.
Gardien de la Constitution, le Sénat du Consulat, dit "Sénat conservateur", peut annuler les actes transmis par le Tribunat ou le gouvernement, dissoudre le Tribunat et le Corps législatif (qui sont les deux organes législatifs) et réformer les décisions de justice contraires à la sûreté de l’État. À partir de 1802, il peut prendre des sénatus-consultes sur tous les sujets non réglés par la Constitution.
Le Sénat du Ier Empire reprend ces attributions. Y siègent les maréchaux, les princes d’Empire et les citoyens nommés à cet effet par l’Empereur. Créé pour défendre le régime, le Sénat le sabordera en votant, en mai 1814, la déchéance de l’Empereur.
La Restauration bourbonienne (1814-1815) garde le principe du bicamérisme. La chambre des pairs, composée de pairs héréditaires ou à vie, nommés par le roi en nombre illimité, représente l’aristocratie. Elle partage le pouvoir législatif avec la Chambre des députés, même si les parlementaires sont dépourvus de l’initiative des lois. La Chambre des pairs peut seule juger les ministres. Malgré cette prédominance de la Chambre des pairs, la chambre basse va progressivement prendre la première place en parvenant à faire émerger l’idée de responsabilité du gouvernement devant elle, idée qui ne disparaîtra plus.
La Monarchie de Juillet donne aux deux chambres l’initiative des lois. La Chambre des pairs est semblable à celle de la Restauration, mais l’hérédité est supprimée en 1831. Les séances, jusqu'alors secrètes, deviennent publiques.
Alors que la République de 1848 avait supprimé la chambre haute,
le Second Empire (1852) rétablit le Sénat. Composé de dignitaires et de membres nommés à vie, entre 80 et 150, il a pour rôle la défense de la Constitution et des libertés publiques. Il assure donc le contrôle de constitutionnalité des lois adoptées par le Corps législatif, ainsi que des actes qui lui sont transmis par le gouvernement ou les citoyens. Il a le droit de combler les lacunes de la Constitution par le biais de sénatus-consultes, peut prendre l’initiative d’une révision constitutionnelle et assume le pouvoir législatif en cas de dissolution du Corps législatif. Les réformes constitutionnelles de l’Empire libéral (de 1860 à 1870) élargissent les compétences du Sénat, partagent le pouvoir législatif entre les assemblées et créent la navette.
Les lois constitutionnelles de 1875 mettent en place un bicamérisme égalitaire avec un Sénat doté de pouvoirs équivalents à ceux de la Chambre des députés : mise en jeu de la responsabilité du gouvernement, pouvoir législatif égalitaire – sauf pour les textes financiers soumis en premier lieu aux députés – sans procédure de concertation, révision constitutionnelle, élection du président de la République, etc. À la différence de la Chambre, cependant, le Sénat ne peut être dissout (il doit d’ailleurs autoriser la dissolution de celle-ci), et assume la fonction de juge du chef de l’État et des membres du gouvernement.
Le Sénat de 1875 comprenait 300 membres âgés de plus de 40 ans : 225 élus au suffrage universel indirect pour neuf ans et renouvelables par tiers ; 75 inamovibles élus par l’Assemblée nationale (réunion des deux chambres) pour les premiers, par le Sénat ensuite pour les renouveler en cas de décès. Les sénateurs inamovibles furent supprimés en 1884, ceux en place étant remplacés par des sénateurs élus au fur et à mesure de leur décès. Fortement critiqué par les républicains aux débuts du régime, le Sénat s’ancre peu à peu dans les institutions et l’esprit des Français. Ayant renversé dix gouvernements, dont celui de Léon Blum en 1937, et bloqué plusieurs projets de réformes,
le Sénat garde cependant l’image d’une assemblée certes républicaine mais très conservatrice.Après l’échec de la Constitution monocamérale de 1946, la
IVe République conserve une chambre haute, mais en la diminuant singulièrement par rapport au Sénat de 1875 :
le bicamérisme devient inégalitaire. Le Conseil de la République composé de conseillers de la République (le terme de sénateurs étant rétabli en 1948) élus pour six ans (aux 5/6e au suffrage universel indirect, et par l’Assemblée nationale pour le dernier 1/6e jusqu'en 1948, en totalité au scrutin indirect ensuite) perd le pouvoir de faire la loi (votée par la seule Assemblée nationale). La navette disparaît et le Conseil de la République se contente de donner un avis lors d’une seule lecture. Le Conseil de la République partage le pouvoir de révision de la Constitution, participe à l’élection du président de la République, et son président peut saisir le comité constitutionnel.
En 1954, le Conseil de la République regagne l’intégralité de son pouvoir législatif perdu, l’Assemblée ayant le dernier mot au terme d’un délai variable selon l’urgence des textes. Conçue à l’origine contre la chambre haute, la Constitution de 1946 lui redonne ainsi sa place.
Le Sénat de 1958, fondé sur un "bicamérisme équilibré" (J.-L. Hérin), apparaît au total comme une synthèse des chambres hautes qu’a connues la France au cours de son histoire.
Plus...