Par Fanny Guinochet. La France est l’un des rares pays de l’OCDE où les études supérieures restent quasiment gratuites. Un système coûteux pour l'Etat qui profite en fait à une minorité choyée.
Au Royaume-Uni, au Mexique, au Québec, en Italie… On a assisté au printemps dernier à une vague de mouvements protestataires dans les universités. La raison ? La hausse des frais de scolarité et la dégradation de l’enseignement. Si la France a été épargnée, c’est parce que l’augmentation des droits d’inscription – le principal facteur déclenchant – n’est pas à l’ordre du jour. Le sujet est trop sensible. Explosif.
Et pourtant ! L’université française est confrontée aux mêmes difficultés avec des facultés sous-financées, qui peinent à boucler leur budget et restent à la traîne dans les enquêtes internationales. Ainsi, dans le dernier classement de Shanghai qui recense les meilleures facultés du monde, paru en août, seuls trois établissements de l’Hexagone sont dans le Top-100, contre 53 pour les américains, neuf pour les britanniques, et cinq pour les allemands.
D'importantes disparités entre les filières
En France, l’Etat assure encore 90 % de l’effort financier de l’enseignement supérieur, alors qu’au Royaume-Uni et au Japon cette part ne dépasse pas 40 %. Malgré la crise, le gouvernement n’a pas coupé dans les budgets. Sous le quinquennat Sarkozy, un effort a même été consenti. Grâce au grand emprunt, près de 2 milliards d’euros ont été injectés. La France a partiellement rattrapé son retard. Avec 14 100 dollars dépensés en moyenne par jeune dans l’enseignement supérieur, elle est revenue dans la moyenne de l’OCDE. En tête du classement, les Etats-Unis dépensent près de 30 000 dollars par étudiant, quand l’Allemagne ou le Royaume-Uni y consacrent 15 300 dollars.
En dépit de ces chiffres, l’université française est en réalité loin du compte. "Cette moyenne masque d’importants écarts entre les filières, mais aussi entre les diplômes", prévient Geneviève Fioraso, la ministre de l’Enseignement supérieur, qui promet de rétablir l’équilibre. Exemple : un étudiant en première année d’université de sciences humaines coûte environ 3 600 euros par an à la collectivité, contre plus de 10.000 euros pour un élève de grande école.
"La particularité de la France est de mettre le paquet sur ses élites", s’insurge la sociologue et professeur à Sciences-Po Marie Duru-Bellat, qui estime "qu’un étudiant de Polytechnique coûte en réalité quinze fois plus cher au système qu’un jeune inscrit en fac de lettres". Car, dans ces structures publiques d’excellence, la facture est alourdie par les indemnités versées aux étudiants. Heureux en effet sont les normaliens qui perçoivent, pendant leur scolarité, près de 1.500 euros net par mois, tandis que les polytechniciens, eux, reçoivent près de 800 euros. "Pourquoi concentrer autant d’efforts sur des élèves si bien traités durant leur cursus, et qui ont le moins de mal à s’insérer sur le marché du travail ?" poursuit Marie Duru-Bellat.
Des jeunes bien trop nombreux dans les cursus sans débouchés
A côté de cette minorité choyée, la plupart des premiers cycles universitaires, qui accueillent le gros du bataillon d’étudiants, eux, sont confrontés à une véritable pénurie. "Les deux premières années de fac, il y a un vrai gaspillage économique et humain, affirme Philippe Aghion, professeur d’économie à Harvard. La collectivité maintient des jeunes dans des cursus sans débouchés… C’est absurde." Auteur en 2010 d’un rapport sur les pistes de réforme de l’université, il dénonce un système d’orientation défaillant, une inflation de spécialisations dans lesquelles les bacheliers se perdent, un manque évident de passerelles entre les filières…
La grande faiblesse du système français est d’être de plus en plus inégalitaire. Entre 2006 et 2010, la part des enfants issus des milieux populaires dans l’enseignement supérieur est tombée de 35 à 31 %, quand celle des étudiants des classes aisées a progressé de 32 à 36 %. Dans les grandes écoles, les fils d’ouvriers ne sont plus que 10%.
Le système des bourses sur critères sociaux a fait long feu. En France, près de 26 % des étudiants en perçoivent une. Le montant peut s’élever jusqu’à 4 700 euros par an. "Mais ce que l’on sait peu, c’est que c’est un des plus bas taux des pays occidentaux", précise Eric Charbonnier, expert de l’éducation à l’OCDE.
Un système d'aides coûteux et inadapté
Pour l’Etat, ce poste représente pourtant 1,8 milliard d’euros par an. Et tel qu’il est organisé, le système profite surtout aux plus aisés. Ainsi, dans une étude de 2011, demandée par la Conférence des présidents d’université, l’Insee a révélé que si les étudiants les plus pauvres reçoivent la majorité des bourses, en revanche, les plus aisés bénéficient des avantages fiscaux les plus conséquents. Et pour cause, la règle veut qu’en matière d’impôts les enfants soient à la charge de leurs parents jusqu’à leurs 21 ans. Cette limite peut être repous-sée à 25 ans lorsque le jeune poursuit des études. Les foyers aisés peuvent donc bénéficier, sans plafond de revenus, d’une demi-part fiscale supplémentaire. Manque à gagner de cet avantage pour l’Etat: 880 millions d’euros par an.
A cela s’ajoute un autre dispositif, très contesté: l’aide au logement. Cette indemnité – qui au total coûte plus de 1,5 milliard d’euros à l’Etat chaque année – est versée à tout étudiant qui prend un logement dans le privé. Sans condition de ressources. Le 24 juillet, l’inspection générale des Affaires sociales (Igas) a pointé "l’incohérence" de cette mesure: l’aide est attribuée "quel que soit le niveau de revenu des familles", alors qu’elle devrait être destinée aux ménages les plus pauvres. "Un étudiant peut toucher l’aide pour son logement parisien… même si son père est un milliardaire habitant à Paris !" déplore Olivier Veber, l’un des auteurs du rapport.
En 2010, l’allocation logement étudiant avait déjà fait l’objet d’une polémique. La précédente majorité avait envisagé d’imposer aux familles de choisir entre le bénéfice de l’aide au logement et celui de la demi-part fiscale. Mais sous la pression des syndicats d’étudiants et des associations familiales, l’idée avait été abandonnée. A l’occasion de sa grande réforme fiscale de la rentrée, François Hollande osera-t-il s’y attaquer ? "Rien n’est moins sûr. La question est sensible", répond mezza voce un conseiller de l’Elysée.
Un quart des facs en difficulté
Pourtant, il y a urgence à trouver de l’argent. Gels des postes, manque de trésorerie, travaux ajournés… Les universités françaises sont dans le rouge. Selon le ministère, un quart des 80 établissements serait au bord de la faillite. Si la réforme dite « loi LRU » menée en 2007 a donné plus d’autonomie budgétaire et managériale aux établissements, elle a aussi grevé leurs comptes. L’Etat leur a transféré la masse salariale sans que soient réellement estimées les dépenses de personnel. Conséquence : les facs se sont parfois retrouvées avec des budgets multipliés par trois ou quatre.
La précédente équipe ministérielle de Laurent Wauquiez avait mis les établissements les plus en difficulté sous tutelle. Geneviève Fioraso, elle, promet, plus de souplesse : "Des aides, des conseils, de l’accompagnement, notamment pour le contrôle de gestion vont être proposés… " La ministre ne pourra guère aller plus loin. Impossible, par exemple, d’injecter des fonds. Dans un rapport du 2 juillet, la Cour des comptes a en effet estimé qu’il manquait déjà 120 millions d’euros dans le budget 2012 de l’Enseignement supérieur. En cause, entre autres, 88 millions "oubliés" par la précédente équipe pour verser le dixième mois de bourses aux étudiants.
Toutes les grandes économies sont confrontées au même problème de financement de l’enseignement supérieur. Nombre de pays occidentaux ont choisi de reporter l’effort sur les familles. Au Royaume-Uni, David Cameron a triplé les frais de scolarité. Même option au Québec, où le gouvernement libéral a acté en 2011 une hausse de 75 % des frais sur cinq ans. La colère des étudiants ne s’est pas fait attendre.
Il faudrait tripler les frais de scolarité
Au vu de ces exemples, il y a peu de chances que la France s’aventure sur ce terrain glissant. "L’état déplorable de nos universités nous empêche de le faire, répond l’entourage de la ministre. Ce ne serait possible qu’avec l’instauration de nouvelles disciplines. Or les facs n’en ont pas les moyens." Surtout, en France, le sujet est tabou. La quasi-gratuité des facs est perçue comme un droit. Aujourd’hui, une inscription en licence coûte environ 180 euros, et 250 euros en master. Dès 2011, Terra Nova, un think tank proche du PS, plaidait pour une refonte importante des frais de scolarité, en préconisant un triplement des tarifs en licence, un quadruplement en master et en doctorat, sur cinq ans – avec une exonération des droits pour les plus modestes.
Dans les faits, certaines facs n’ont pas attendu le feu vert de l’Etat pour revoir leur politique tarifaire. L’université Paris-Dauphine a ainsi passé ses masters à plus de 4.000 euros, sans faire baisser le nombre de postulants. Dès 2003, Richard Descoings modulait les frais d’inscription à l’IEP de Paris en fonction des revenus des parents. Plutôt que faire payer 1.000 euros par an à tous, le barème s’étale désormais de zéro à plus de 9.000 euros. Cette politique a permis à Sciences-Po de quintupler ses ressources.
L’autre piste de financement est l’instauration de prêts gratuits aux étudiants. En Australie ou au Royaume-Uni, où le système est très développé, le remboursement ne se déclenche qu’au moment où les revenus du jeune ont atteint un certain seuil. L’idée fait son chemin en France, mais pas question de généraliser les crédits bancaires privés, comme aux Etats-Unis, où les étudiants sont écrasés par le poids de leur dette.
Comment divsersifier les ressources des établissements?
En attendant, les établissements tentent tant bien que mal de renflouer les caisses. Prenant modèle sur les écoles privées, beaucoup misent sur la formation continue. A l’EM Lyon, un tiers du budget est fourni par la formation continue, dont la part augmente chaque année de 15%. "Aujourd’hui, notre école de management compte 5 000 étudiants professionnels en MBA, contre 3.000 inscrits en formation initiale", explique Patrice Houdayer, le directeur général délégué.
A l’instar de ce qui se pratique aux Etats-Unis, les établissements font aussi de plus en plus appel à la générosité de leurs anciens élèves. Depuis 2008, Polytechnique se targue d’avoir reçu près de 35 millions de dons. Enfin, le fund-raising est en pleine expansion. A l’Essec, par exemple, chaque année, une à deux chaires sont lancées en partenariat avec des entreprises ou des fédérations professionnelles. Coût moyen d’une chaire: 330.000 euros par an pendant quatre ans. Cette manne permet à la prestigieuse école d’accueillir des élèves moins favorisés, n’ayant pas les moyens de payer les 10.000 euros par an.
A l’avenir, les entreprises devraient être de plus en plus sollicitées. Puisqu’elles sont les premières utilisatrices des jeunes diplômés, ne devraient-elles pas participer davantage à leur formation? Quelques personnalités, comme Daniel Cohn-Bendit, proposent même que celles qui recrutent un étudiant qualifié, formé dans une structure publique, acquittent un écot à l’Etat. François Hollande a promis qu’une nouvelle loi sur l’enseignement supérieur verrait le jour début 2013. Parmi les nombreuses pistes, l’idée de faire participer les sociétés pourrait bien faire son chemin.
By Fanny Guinochet. France is one of the few OECD countries where higher education are virtually free. An expensive system for the state that benefits actually a pampered minority.
In the United Kingdom, Mexico, Quebec, Italy ... We attended last spring in a wave of protest movements in universities. The reason? Rising tuition and degradation of education. If France was spared, it is because the increase in fees - the main trigger - is not on the agenda. The subject is too sensitive. Explosif. Explosive. More...