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Formation Continue du Supérieur
10 mai 2014

Fondements et philosophie de l'éducation des adultes en Afrique

Par Abdel Rahamane BABA-MOUSSA, Laouali Malam MOUSSA & José RAKOTOZAFY. Fondements et philosophie de l’éducation des adultes en Afrique (Collection APAL-African Perspectives on Adult Learning)
4. De l’ancrage universitaire de la formation des éducateurs d’adultes
L’ancrage universitaire de la formation des éducateurs d’adultes et de leurs formateurs constitue une condition essentielle de la professionnalisation du secteur de l’éducation des adultes, dans la mesure où cela participe de la construction des savoirs rationnels qui doivent sous-tendre les activités. Cela suppose cependant que soit clairement déterminée, comme cela est proposé dans les prochains développements, la contribution des universités aussi bien à la formation des éducateurs d’adultes qu’à la production de savoirs scientifiques à travers la recherche scientifique.
4.1 Rôle des universités et institutions d’enseignement supérieur dans la professionnalisation des formateurs d’adultes
L’intérêt de la professionnalisation des savoirs est de constituer les bases scientifiques de l’activité du professionnel. Les savoirs professionnels se définissent essentiellement en termes de compétences et, si l’on se réfère aux travaux de Gauthier (1997) sur la professionnalisation des enseignants, ils correspondent pour les éducateurs d’adultes à « l’ensemble de savoirs, de connaissances, d’habiletés et d’attitudes nécessaires pour prendre en charge la formation de façon efficace dans diverses situations. » (cité par Bourdoncle, 2000, p. 123). En effet, face à la complexité de l’adulte et de ses besoins en matière d’éducation, la formation des éducateurs d’adultes est appelée, comme toutes les formations d’enseignants, à s’appuyer sur les connaissances produites par la recherche en sciences de l’éducation, non pas pour se complaire dans de vagues théorisations, mais au contraire pour articuler solidement les théories scientifiques aux réalités de la pratique professionnelle.
Le stage pratique, ordinairement organisé dans le cadre d’une formation en alternance doit, d’une part, constituer l’occasion pour les futurs professionnels de réaliser cette mise en relation et, d’autre part, servir de point de départ aux programmes de recherche en éducation des adultes. Dans cette perspective, l’ancrage universitaire de la formation des éducateurs d’adultes apparaît comme une nécessité pour produire, par la recherche, les savoirs nécessaires à la rationalisation des pratiques, mais aussi pour permettre leur transmission aux futurs éducateurs dans les meilleures conditions.
Cependant, il faut avoir à l’esprit que si la professionnalisation de la formation participe à la socialisation professionnelle et en constitue le socle, on note qu’en dehors de l’étape de la formation initiale, le reste de la socialisation professionnelle postule une « auto-prise en charge » du débutant sur le terrain professionnel. Il est donc nécessaire que les formations soient dispensées en parfaite synergie par des structures universitaires dépositaires de la validité scientifique des savoirs, et par des professionnels chevronnés garants de leur ancrage dans les réalités du terrain professionnel ; d’où l’intérêt des formations en alternance (université/milieu professionnel) et l’organisation des dernières années de formation sous des formes permettant au futur professionnel de « prendre une distance réflexive par rapport à sa pratique, l’analyser, la confronter avec d’autres », sous la responsabilité d’un accompagnateur ou tuteur susceptible de l’aider à trouver des solutions (cf. Altet, 2001). Le rôle de l’université dans la formation des éducateurs d’adultes doit donc viser à assurer à la fois la transmission des connaissances scientifiques nécessaires à la mise en œuvre de pratiques professionnelles rationnelles, et le lien avec le terrain en tenant compte des spécificités socioculturelles de l’Afrique.
Enfin, il importe que la formation des professionnels de l’éducation des adultes en Afrique s’affranchisse du risque de l’élitisme, qui peut conduire à l’enfermement dans les intérêts de certaines classes d’individus par le biais de filtres, tels que l’exigence de hauts diplômes à l’entrée. Ces pratiques conduisent malheureusement soit à privilégier les cadres de haut niveau (troisième catégorie citée antérieurement) au détriment des intervenants de terrain, soit à exclure des savoirs professionnels les savoirs endogènes en leur substituant des « savoirs savants ». Or, les savoirs endogènes constituent, comme on l’a montré au début du présent ouvrage, le socle des cultures africaines.
4.2 Expériences des universités anglophones et francophones
Différentes études réalisées sur l’éducation des adultes en Afrique (Afrik, 2000 ; Belloncle, 1983 ; Akinpelu, 1979) mettent en évidence des différences significatives dans le domaine de la formation des éducateurs d’adultes entre pays anglophones et pays francophones. Les premiers « disposent de toutes les formations au niveau national, et délivrent aussi bien des certificats que des diplômes académiques dans le domaine des sciences de l’éducation des adultes. » (Nikiéma, 2008, p. 7). De même, dans ces pays, le processus d’élaboration de curricula est inscrit dans une longue tradition, qui concerne aussi bien l’éducation formelle que l’éducation non formelle. Ainsi, dans ce cadre, de nombreux matériels didactiques et différents supports pédagogiques (syllabaires, affiches, manuels d’auto-apprentissage, etc.) sont produits en vue de la mise en œuvre des programmes d’alphabétisation et d’éducation des adultes. À l’opposé, dans les pays francophones, selon Beloncle, « ce qui a été frappant au cours des 20 dernières années, c’est l’absence quasi-totale d’un intérêt quelconque de la part des universités (francophones) pour ce type d’expérience éducationnelle, c’est- à-dire l’éducation non formelle. En effet, que ce soit dans les pays du Nord ou du Sud, les universités francophones sont restées totalement coupées des courants de pensée et des formes alternatives d’éducation non formelle qui se sont développées en Amérique du Nord, en Grande-Bretagne et dans les pays anglophones d’Afrique. » (Nikiéma, 2008, p. 7)
Certes, ces remarques datent des années 1980, mais depuis, la situation n’a guère évolué. L’Afrique francophone demeure encore une partie du monde dépourvue de tradition de formation des éducateurs d’adultes. On peut toutefois citer la création du programme de développement de l’éducation des adultes (DEDA) à la faculté des lettres et des sciences sociales de l’université de Ouagadougou au Burkina Faso, et quelques années auparavant, l’ouverture d’un niveau supérieur à l’ancien centre de formation des cadres de l’alphabétisation (actuellement Institut de formation en alphabétisation et éducation non formelle, IFAENF), en collaboration avec l’ex-faculté de pédagogie de l’Université Abdou Moumouni de Niamey au Niger, (actuellement École normale supérieure). Au Bénin, c’est l’Institut national de la jeunesse, de l’éducation physique et du sport de Porto-Novo qui a ouvert une filière de formation d’andragogues dans le département de Sciences et techniques des activités socio-éducatives (STASE).
Afin de pallier les insuffisances observées dans les pays francophones, il est indispensable qu’à l’instar de leurs homologues anglophones, ces pays prennent un certain nombre de mesures, parmi lesquelles on peut citer :
- la rupture avec le mimétisme des diplômes et formations français, avec pour but essentiel la facilitation des procédures de reconnaissance ;
- l’instauration de procédures permettant aux adultes (en l’occurrence - les éducateurs d’adultes) ne disposant pas de diplômes académiques de valider leurs acquis professionnels ou leur expérience, pour accéder aux formations universitaires dans le cadre d’un processus d’éducation et de formation tout au long de la vie ;
- la création de passerelles entre éducation non formelle et éducation - formelle, pour permettre l’implication des universités et autres établissements d’enseignement supérieur dans la formation des éducateurs d’adultes.
Ces mesures essentielles constitueront un gage de professionnalisation des éducateurs d’adultes en Afrique francophone.
4.3 Recherche scientifique et professionnalisation des éducateurs d’adultes
Selon le comité éditorial de la revue Savoirs, spécialisée dans les publications relatives à l’éducation des adultes, « on entend par recherches en éducation et formation des adultes des travaux qui analysent, du point de vue d’un ensemble conceptuel cohérent, les faits et les phénomènes de l’éducation et de la formation des adultes. Font également partie des recherches, les faits et les phénomènes de l’éducation et de la formation des adultes. Font également partie des recherches, les travaux qui contribuent à la compréhension et à la transformation des pratiques et des systèmes de formation, et qui constituent alors, ce qui est souvent appelé ‘‘recherche-développement’’. »
De façon générale, les lieux de pratique de la recherche en éducation et formation des adultes sont assez diversifiés et vont des centres de recherche des universités aux structures de recherche rattachées aux conservatoires des arts et métiers, en passant par les dispositifs de recherche-action des établissements de formation professionnelle.
Cependant, en Afrique, Aitchison et Alidou relèvent que « [...] l’apprentissage et l’éducation des adultes sont des parents pauvres de la recherche [...], même si un certain nombre de pays évoquent des besoins de recherche considérables, seuls un ou deux peuvent lister les recherches effectivement prévues. » (2009, p. 58)
Selon les mêmes auteurs, les thèmes abordés par les rares recherches existantes concernent essentiellement la description et l’évaluation des programmes et très peu les politiques d’alphabétisation et d’éducation des adultes ou les questions relatives aux apprentissages. Par ailleurs, l’impact de ces recherches sur les politiques et la professionnalisation dans le domaine de l’éducation des adultes est par conséquent très faible (Aitchison et Alidou, 2009, p. 58).
On note cependant, encore une fois, une différence entre pays francophones et anglophones : les rares études notables proviennent des pays anglophones. À ce propos, on peut citer, l’enquête nationale sur l’alphabétisation des adultes réalisée au Kenya en 2006, qui a influencé de façon significative la mise en œuvre de la politique d’EA dans ce pays (Aitchison et Alidou, 2009, p. 59). Les auteurs ont affirmé, à l’issue de leur analyse, que « la construction (ou la reconstitution) des capacités et des réseaux de recherche en Afrique est une priorité absolue dans un domaine si ouvertement abandonné par les chercheurs. » (Aitchison et Alidou, 2009, p. 60). La professionnalisation des éducateurs d’adultes est fortement dépendante de cette action. En effet, celle- ci permettrait d’identifier la pertinence des critères de professionnalisation par rapport aux contextes africains et, ensuite, de les traduire, lorsqu’ils sont jugés adéquats, dans des principes de mise en œuvre ou des procédures qui tiennent véritablement compte des réalités africaines. Télécharger Fondements et philosophie de l’éducation des adultes en Afrique.

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