Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Formation Continue du Supérieur
31 mars 2013

De la précarité dans les professions intellectuelles

Par Cyprien Tasset, Thomas Amossé, Mathieu Grégoire. Télécharger le rapport de recherche n°82: Libres ou prolétarisés? Les travailleurs intellectuels précaires en Île-de-France.
Ce rapport, issu d'une recherche menée en 2011, en convention avec la Fonda, porte sur les travailleurs intellectuels précaires. Une notion qui pointe vers une zone de l'espace social où les catégories instituées jouent et pourraient se reconfigurer en des formes nouvelles.
Télécharger Les travailleurs intellectuels précaires en Île-de-France.
CONCLUSION GENERALE
DE LA PRÉCARITÉ DANS LES PROFESSIONS INTELLECTUELLES

Au terme de l’étude et de ses trois volets, on peut mettre en avant certains traits saillants de la précarité chez les travailleurs intellectuels. Indépendamment des débats sur l’existence du groupe, sur sa nature et sur ses contours, certaines caractéristiques peuvent être mises en avant.
Avant tout, le caractère vocationnel de l’activité et l’idéal d’un travail-oeuvre apparaissent comme des moteurs d’un engagement dans le travail souvent total. Du moins, c’est cet idéal qui justifie subjectivement un certain nombre de sacrifices. En particulier, le caractère souvent instable de l’emploi n’est pas unilatéralement vécu comme subi. L’intermittence peut être un choix. A minima, celle-ci permet de ne pas renoncer à plein temps à l’activité vocationnelle. La pluri-activité, conjuguant un emploi « alimentaire » à l’activité de vocation constitue ainsi un modus operandi fort commun parmi ces travailleurs intellectuels précaires. Plus généralement, c’est la nécessité d’un double revenu qui permet à la grande masse de ces travailleurs de se maintenir sur le marché du travail et d’y vivre ou d’y survivre.
Dire que l’intermittence et l’instabilité de l’emploi ne sont pas subies de manière univoque ne doit pas pour autant gommer les difficultés professionnelles liées à la labilité du marché. Trouver du travail, en permanence, est une injonction continue d’une économie de « coups » fondée sur des projets. La frontière entre l’alimentaire et le vocationnel, les moyens et les fins n’est d’ailleurs pas toujours très claire. Il convient, pour entretenir le réseau qui peut-être permettra plus tard un travail intéressant, de le ménager et d’accepter des engagements parfois sans grand intérêt. De même, l’instabilité de cette condition sociale s’accompagne d’une série de dommages collatéraux que les concernés ont parfois tendance à minorer: l’anxiété, les problèmes de santé, le stress qui occasionne burn-out et dépression. De fait, c’est tout un rapport au temps et au travail qui se trouve décalé par rapport à la norme de l’emploi salarié, tel qu’il s’est constitué au XXe siècle. Là où l’emploi stable se fonde sur une adéquation précise et stricte des temps de travail et des temps d’emploi, et désigne une frontière claire entre ces temps et les temps de « loisirs » voués au hors-travail, le temps des travailleurs intellectuels précaires n’est que transgression de ces structures binaires.
Le travail déborde l’emploi de toute part. Et, en premier lieu, d’un point de vue temporel. Le travail s’accumule, s’étend dans le temps, au-delà de l’emploi, mais aussi parfois au-delà de ce que le travailleur considère comme raisonnable. Le travail déborde l’emploi aussi d’autres points de vue: en particulier, en termes de rémunération (lorsque la conscience professionnelle et l’attachement au produit poussent à approfondir, à améliorer de manière illimitée, alors que la rémunération est fixée, elle, longtemps à l’avance), mais aussi en termes de reconnaissance. Le travail accompli n’a parfois guère d’autre mode de reconnaissance que « symbolique ». Il ne paie pas. Bien sûr, pour beaucoup ce n’est pas une reconnaissance classique de temps de travail conjugué à une qualification et un salaire horaire qui est recherché. Mais les alternatives (droits de propriétés intellectuelles, tarifs…) n’apparaissent guère plus satisfaisantes. Dans ce contexte de fatigue de « l’économie de coups » et parfois d’asservissement volontaire, le statut des intermittents du spectacle, ou d’autres modes de revenu garanti et inconditionnel, peuvent apparaître comme des horizons d’émancipation crédibles. De fait, l’idée de délier radicalement ressources et emploi, d'assurer la continuité de l’un malgré la discontinuité de l’autre constitue un idéal souvent partagé. Du moins, si les voies d’amélioration de leur condition sont confuses, il est remarquable de constater que le CDI n’est pas toujours, loin de là, l’idéal poursuivi par chacun de ces travailleurs. De ce point de vue, nous avons pu constater une grande diversité: pour certains, la précarité n’est qu’une étape (obligée) dans un parcours dont on espère qu’il aboutira à l’emploi stable.
Mais cet objectif est loin d’être généralisé. Pour beaucoup, l’intermittence de l’activité est consentie comme le prix d’une autonomie jalousement protégée. La mobilité peut être lue comme une forme de critique du travail, comme un rapport libertaire au marché du travail et à l’entreprise. Il s’agit de ne pas être asservi à un patron, de rester maître des moyens et des fins de la production, de la définition même des produits. De même, l’ascétisme et les « sacrifices » matériels consentis par de nombreux travailleurs intellectuels peuvent constituer un moyen de tenir le monde de l’entreprise à distance (pour le dire avec pudeur). Les conséquences d’un tel engagement dans le travail, en termes de confort économique, de reconnaissance sociale, en termes de vie familiale, amoureuse, de santé, se conjuguent dans une vie de sacrifices consentis au prix fort.
LES « INTELLOS PRÉCAIRES », PROMOTION POLITIQUE D’UNE IDENTITÉ ET DE SOLIDARITÉS IMPOSSIBLES?

De ces caractéristiques, de ces traits saillants, il est tentant de faire une nouvelle figure simple, cohérente, transparente du travailleur d’aujourd’hui ou de demain. L’analyse de la littérature autour des « intellos précaires », des industries créatives, etc. montre que la tentation de réifier cette figure est forte: on aurait là, en suivant, P-M. Menger « une incarnation possible du travailleur du futur, avec la figure du professionnel inventif, mobile, indocile aux hiérarchies, intrinsèquement motivé, pris dans une économie de l'incertain, et plus exposé aux risques de concurrence interindividuelle et aux nouvelles insécurités des trajectoires professionnelles. » (Menger, 2002, 9). On aurait là aussi le ferment d’un nouveau groupe social partageant 1/ une même condition sociale, 2/ une même identité, voire une même culture, 3/ des intérêts économiques communs et une position commune dans l’appareil productif post-taylorien fondé sur le « cognitariat ». Sur cette base, on pourrait même imaginer des statuts, des droits et des solidarités nouvelles.
À l’issue de notre travail de recherche empirique, il apparaît assez clairement que si ces perspectives sont stimulantes et non dénuées de quelques fondements empiriques, elles relèvent malgré tout d’un prolongement théorique de traits empiriques qui demeurent plus disparates et complexes, et d’une mise en cohérence dans un même portrait-robot de traits qu’on retrouve rarement incarnés simultanément dans les mêmes individus et les mêmes groupes. Le volet statistique de l’étude tout autant que son volet qualitatif montre que, malgré des éléments parfois convergents dans la condition sociale des populations considérées, l’hétérogénéité l’emporte. La statistique a mis en lumière un espace contrasté. Et le moins que l'on puisse dire est que les entretiens ne nous ont pas permis d'apercevoir une unité culturelle ou d'attitude parmi les interviewés puisés en différents points de l'espace statistique, ni non plus une configuration unique de l'activité professionnelle. « Quoi de commun entre un(e)… et un(e)…? », demandait déjà un rapport « Mouvements de chômeurs et de précaires en France, la revendication d’un revenu garanti » (Baudouin, Chopart, Collin et Guillotteau, 1989). L’hétérogénéité des figures possibles est assez aisément repérable dans le corpus d’entretiens. Quoi de commun entre une docteure en économie de 40 ans, enchaînant depuis près de dix ans des CDD d'un ou deux ans dans un grand établissement de finances publiques, et disposant d'un salaire de plus de 5 000 euros, et un jeune pigiste sans pige de 30 ans, sans revenu au moment de l'entretien? Quoi de commun entre une enseignante vacataire d'anglais dans l'enseignement supérieur, embauchée en CDI, titulaire d'un master d'anglais et proche de la quarantaine, et une jeune femme qui, multipliant les projets artistiques et les emplois périphériques, présente une identité professionnelle peu saisissable…? Un des résultats de notre recherche est la grande hétérogénéité de la zone observée tant avec un regard et des méthodes statistiques qu’avec un regard et des méthodes qualitatives.
Cette hétérogénéité, qui plus est, se décline sur plusieurs niveaux. Si on tente de la caractériser, on peut mettre en avant la pluralité des précarités, la pluralité et la confusion des cultures et des identités, la pluralité et la confusion des intérêts économiques.
• Pluralité des précarités, car le degré d’exposition à l’aléa économique est fort variable et parce que, derrière le terme de « précarité », le risque est toujours présent de rassembler artificiellement des situations de natures fort différentes. En effet, il ne s'agit pas toujours de « quelque chose de négatif et de préjudiciable » (Nicole-Drancourt, 1992, p. 58), ou du moins, force est de constater que les préjudices en question diffèrent. Ainsi, le statut juridique de l’emploi et le décalage par rapport à l’emploi stable, prennent des significations extrêmement variables: pour certains, les CDD peuvent s’enchaîner dans une relative stabilité et être associés à des revenus plus que confortables. Pour d’autres, les précarités se conjuguent: faiblesse des revenus, absence de revenu secondaire sur lequel s’appuyer (revenus de la rente, soutien familial, emploi alimentaire satisfaisant, système d’indemnisation-chômage…), difficulté de logement, fuite en avant en matière de santé, de vie familiale, fatigue et anxiété face à l’incertitude radicale du lendemain. Entre ces deux pôles extrêmes, on trouve un continuum de situations diverses.
• Pluralité et confusion des cultures et des identités. Un des résultats de l’étude est que, finalement, peu des personnes interrogées se satisfont d’une identité « d’intellos précaires ». Certes, pour certains (en particulier, dans les milieux des pigistes) le terme « parle » et permet de relier entre elles des situations et des personnes que l’intuition rapproche. Mais, très souvent, des identités concurrentes (et divergentes entre elles) ou la confusion identitaire l’emportent. Certains se rattachent clairement à une identité professionnelle forte, d’autres à un « statut » de salarié, d’auteur, d’intermittent, etc. Enfin, pour beaucoup, c’est davantage la confusion identitaire qui domine: suis-je salarié? Suis-je auteur? À laquelle de mes activité dois-je m’identifier?
• Pluralité et confusion des intérêts économiques. La pluralité des cultures et des identités n’est pas sans lien avec la difficulté à identifier et à défendre des intérêts économiques propres à cette population. Rien de très cohérent n’émerge de ce point de vue. La stabilisation de l’emploi n’est clairement pas un objectif poursuivi par tous. La défense, la protection et la valorisation de droits de propriété intellectuelle fait débat. Les ressources économiques mobilisées relèvent aussi de financement considérés comme des pis-aller (soutien familial, rente, travail alimentaire, assistance) et qui, de ce fait, ne peuvent constituer des idéaux à poursuivre. Reste le système d’indemnisation des intermittents et/ou des systèmes de revenu garanti qui sont susceptibles de constituer des mobiles de convergence pour la partie la plus critique vis-à-vis du modèle de l’emploi stable.
LA DIFFICILE ÉMERGENCE D’UNE IDENTITÉ ET DE SOLIDARITÉS DES TRAVAILLEURS INTELLECTUELS PRÉCAIRES: L’HISTOIRE SOCIALE NE S’ÉCRIT PAS SUR UNE TABLE RASE

Comment naissent et se structurent les groupes sociaux? La sociologie, depuis ses origines, s’intéresse à la façon dont des identités et des solidarités structurent des groupes ou des « classes sociales ». Dans une lignée marxiste, on s’est en particulier interrogé sur les liens entre les dimensions économiques, les convergences d’intérêts de groupes partageant une même position dans le système productif. Dans un vocabulaire aujourd’hui quelque peu suranné, on parlait de « classe en soi » et on pouvait identifier ces groupes en fonction du type de revenu qu’ils percevaient. Un ouvrier ne vivant que de son travail touchait un salaire, un patron les fruits du capital investi dans la production, un rentier ceux de sa propriété. Les « classes en soi » pouvaient devenir des « classes pour soi » à condition de prendre conscience de ses intérêts propres et de devenir un véritable acteur de l’histoire en les défendant activement contre des intérêts antagonistes.
La sociologie s’est considérablement enrichie de nombreuses approches qui ont profondément amendé le modèle proposé par Marx. Pourtant, pour l’essentiel, une question demeure et permet de comprendre la difficulté (voire peut-être l’impossibilité) de l’émergence d’une identité et de solidarités des travailleurs intellectuels précaires.
De fait, les différentes tentatives de promotion d’un nouveau groupe social et, au premier chef, celle d’une identité « d’intello précaire », relèvent de la volonté politique de cristalliser une « conscience de classe », de faire advenir comme acteur de l’histoire des « intellos précaires » qui défendraient leur intérêt propre, pourraient mettre en avant des revendications communes contre un ou des adversaires- interlocuteurs communs. Autrement dit, il s’agit avant tout de créer, dans le vieux vocabulaire marxiste, une « classe pour soi », c’est-à-dire une représentation au double sens du terme. Représentation sociale d’abord: le groupe doit se représenter lui-même comme partageant un sort historique commun, une condition sociale commune et des intérêts communs. Il doit en outre faire en sorte d’être reconnu dans cette identité par le reste du corps social. Représentation politique ensuite: il convient de cristalliser des revendications communes en se posant en acteur politique de l’histoire (par la mise en place d’organisations syndicales, politiques ou d’autres formes plus contemporaines de représentation). Or, pour faire la promotion d’une « classe en soi », de ces représentations sociales et politiques du groupe, il convient de faire la démonstration qu’il existe effectivement des intérêts objectivement partagés entre les individus de la catégorie qui entend cristalliser le groupe. Les ouvrages de prophéties qu’on a analysés cherchent tous, d’une manière ou d’une autre, à trouver la justification d’un « commun » et à faire la preuve qu’il existe, entre les travailleurs intellectuels précaires, des intérêts communs dans le système productif. De ce point de vue, le courant le plus abouti est celui dit du « capitalisme cognitif » (Moulier-Boutang, 2007) qui prétend fonder le substrat des identités et des solidarités nouvelles sur une condition économique commune de ces travailleurs : celle d’être des travailleurs de l’immatériel. Au fond, l’idée de ces analyses néomarxistes est de considérer que le système productif industriel est dépassé et que le post-fordisme se caractérise par une production de biens immatériels et s’accompagne d’une profonde transformation des rapports sociaux. Le déclin du salariat industriel correspondrait à l’émergence d’une classe de travailleur de l’immatériel. Dans ce schéma, il « suffirait » que ces travailleurs prennent conscience d’eux-mêmes et de leur intérêt commun pour qu’advienne un nouveau groupe. Dans une variante moins savante, c’est la même dynamique qui est sous-jacente dans les ouvrages des Rambach.
C’est aussi sur ce dernier point que les évolutions de la sociologie – et des sociétés – depuis Marx incitent à être sceptique sur la possibilité d’émergence d’une identité et de solidarités des travailleurs intellectuels précaires. En effet, si, au temps de Marx, analyser le système productif d’un point de vue technologique et du point de vue des statuts et des revenus revenait sans doute à peu près à la même chose, il n’en est certainement plus de même cent cinquante ans plus tard. Le prolétaire du XIXe siècle est celui qui ne possède que sa force de travail. Le salarié du début du XXIe siècle ne se réduit pas à cela. Il porte, avec lui, une histoire longue qui a modelé son statut social, des droits sociaux étendus, et par conséquent ses intérêts. De ce point de vue, tenter de fonder une identité et des solidarités des travailleurs intellectuels sur l’immatérialité du travail semble un peu court. Cela semble, précisément, faire peu de cas d’une histoire sociale longue qui a modelé, aux marges du salariat, des statuts professionnels extrêmement divers… Historiquement, les professions intellectuelles ont emprunté des parcours d’institutionnalisation et ont conçu des horizons d’émancipation qui les ont éloignées les unes des autres. Certaines ont privilégié la constitution de professions fermées à l’extérieur du salariat (comme c’est le cas des architectes) ; d’autres ont tenté de s’intégrer au salariat tout en tenant l’emploi stable plus ou moins à distance (comme les intermittents du spectacle ou les pigistes) ; d’autres encore ont défendu leur intégration à la Fonction publique (comme les travailleurs scientifiques) ; d’autres enfin ont privilégié des horizons spécifiquement intellectuels (comme les gens de lettres, les plasticiens et autres artistes-auteurs). Il en résulte aujourd’hui des intérêts profondément divergents entre ces groupes. À la limite, l’histoire d’un groupe social des travailleurs intellectuels aurait pu s’écrire dans le contexte beaucoup plus ouvert de l’entre-deuxguerres (les statuts de « salarié », de « cadre », etc. demeuraient alors largement indéterminés et susceptibles de nombreuses trajectoires historiques…). L’expérience de la Confédération des travailleurs intellectuels (la CTI) pendant l’entre-deux-guerres en constitue l’exemple le plus significatif: l’ambition de la CTI n’était rien moins que d’être aux travailleurs intellectuels ce que la CGT était au salariat, d’être le ferment de la constitution d’une nouvelle classe sociale, de promouvoir l’émergence de droits spécifiques.
De ce point de vue, les tentatives de fédération des intérêts des « intellos précaires », les mouvements embryonnaires de « travailleurs du cognitariat » font face à l’inertie historique d’intérêts puissamment structurés qui n’ont rien avoir avec la relative « table rase » sociale de l’entre-deuxguerres. Le champ des possibles sociaux s’est considérablement réduit avec l’institutionnalisation de ces intérêts divergents. La difficulté à cristalliser un intérêt commun apparaît ainsi dans toute son ampleur lorsqu’on fait la liste des sources de revenus possibles des travailleurs intellectuels précaires. Si l’on s’en tient à ce que nous avons pu observer dans le volet qualitatif de l’étude, on peut identifier les sources suivantes : un salaire issu d’un CDI dans un métier alimentaire, un salaire issu d’un CDD ou autre contrat « atypique » dans un métier alimentaire, un salaire issu d’un CDD ou autre contrat « atypique » dans l’activité vocationnelle, les ressources issues de l’économie informelle et du travail au noir, les revenus issus de la socialisation du salaire (indemnités-chômage, RMI/RSA), les ressources provenant de l’assistance, la rente et l’héritage, les revenus du capital ou des honoraires pour les indépendants, les droits de propriété intellectuels, les ressources domestiques et la solidarité familiales… Accepter certaines formes de misère et d’ascétisme peut aussi constituer des moyens économiques de maintien sur le marché et d’exercice autonome d’une activité vocationnelle. Quoi qu’il en soit, la pluralité de ces modes d’accès à la ressource, et parfois leur caractère contradictoire (entre par exemple celui qui se maintient sur le marché grâce à une rente et celui qui s’en trouve évincé par le poids économique que représente un loyer parisien dans un budget étroit), explique qu’il soit difficile de lier ces sous-groupes dans des perspectives revendicatrices communes. La pluralité des horizons d’émancipation possibles (revendiquer des droits de propriétés intellectuelles, s’orienter vers des revendications salariales classiques, promouvoir une socialisation du salaire à l’instar des intermittents du spectacle, etc.) constitue un frein à la constitution d’un « commun ». De fait, pour beaucoup, les horizons collectifs sont éclipsés par l'urgence de mener sa propre entreprise personnelle (au sens littéral ou métaphorique), porteuse de ressources, de possibilités et de contraintes incommensurables. Qui plus est, cette diversité des sources de revenus, instituée dans des statuts différents, ne fonde pas seulement une opposition entre des groupes différents; elle peut aussi s’incarner dans un seul et même individu partagé entre plusieurs intérêts différents. Il en résulte une grande confusion identitaire et une difficulté accrue à identifier une direction à emprunter. Si une chose est souvent commune entre ces travailleurs intellectuels précaires c’est la confusion identitaire et la difficulté à penser un horizon d’émancipation commun. Sur cette confusion des intérêts individuels et cette balkanisation des intérêts collectifs, ne peuvent se développer pour l’essentiel que des stratégies individuelles et une concurrence dure, éventuellement tempérée par des réseaux de solidarité. Dans ce contexte, désigner un groupe ne suffit pas à lui donner corps. Quoique non dénuée d’une potentielle efficacité, la parole des prophètes sociaux promouvant l’émergence d’un groupe social des travailleurs intellectuels précaires ne suffit pas à réaliser performativement ce qu'elle désigne. Bruno Latour affirme: « Il n'y a pas de monde commun; il faut le composer » (Latour, 2011). De même, notre recherche invite d'éventuels entrepreneurs de regroupement social à reprendre le travail de composition, en prenant acte de la diversité empirique que nous avons mise en lumière. Télécharger le rapport de recherche n°82: Libres ou prolétarisés? Les travailleurs intellectuels précaires en Île-de-France.

De réir Cyprien Tasset, Amossé Thomas, Matthew Gregory. Íoslódáil Tuarascáil Taighde Uimh 82: saor in aisce nó proletarianized? Oibrithe intleachtúil neamhbhuana i Ile-de-France.
An tuarascáil seo, bunaithe ar thaighde a rinneadh i 2011, i gcomhaontú leis an bhFondúireacht, díríonn sé ar na hoibrithe neamhbhuana intleachtúil. A coincheap a dhíríonn ar limistéar spás ina aicmí sóisialta ar bun agus a d'fhéadfadh a athchumrú i bhfoirmeacha nua. Íosluchtaigh oibrithe intleachtúil neamhbhuana Île-de-France. Níos mó...

Commentaires
Newsletter
49 abonnés
Visiteurs
Depuis la création 2 783 885
Formation Continue du Supérieur
Archives