Par Jocelyne Gacel-Ávila, Université de Guadalajara, Mexique. Le processus de Bologne et sa dimension extérieure Au cours des deux dernières décennies, l’une des tendances fortes en matière éducative a été le développement d’initiatives pour la construction d’espaces communs d’éducation supérieure à travers l’harmonisation et la convergence des systèmes d’éducation tertiaire. Ces projets tentent de répondre aux nouvelles exigences éducatives imposées par la mondialisation et la société de la connaissance, et se concentrent principalement dans le domaine de l’enseignement supérieur, la production de connaissances et l’internationalisation (OCDE, 2009). Le meilleur exemple de ce phénomène est la mise en place du processus de Bologne et de l’espace européen de l’Enseignement supérieur (EEES) par les Européens. Étant le premier du genre, ce processus a donné lieu à de nombreux débats, plus particulièrement sur la faisabilité et la pertinence de reproduire ce modèle dans d’autres régions du monde.
La question suivante est au centre du débat : dans quelle mesure un modèle unique d’harmonisation de l’éducation supérieure tel que celui de Bologne serait pertinent dans les circonstances et le contexte d’autres régions du monde ?
Parmi les initiatives régionales d’harmonisation qui ont surgi sous l’impulsion de Bologne, nous pouvons citer la Communauté d’Afrique de l’Est, la région de l’Afrique du Nord (Union africaine, 2007), l’Association des nations du Sud- Est Asiatique (ASEAN) et la Région de l’Asie-Pacifique, faisant suite au Communiqué de Brisbane. Ces initiatives sont encore au stade de la planification et des accords de principe. Les débats générés ont donné lieu à différentes publications en Asie du Sud Est et en Afrique ; aux États-Unis d’Amérique5; au Canada et en Amérique latine.
Différents arguments ont été développés qui concluent que le processus de Bologne ne convient pas comme modèle unique d’harmonisation et d’intégration régionale.
Brièvement, ces arguments soulignent, d’une part, que ce processus impliquerait l’harmonisation des systèmes d’Enseignement supérieur (SES) et par conséquent sa standardisation ; d’autre part, que l’impossibilité de le reproduire dans d’autres régions du monde serait due à l’absence d’un processus macro d’intégration régionale, telle que celui de l’Union européenne (UE), auquel viennent s’ajouter les différences inter-régionales en termes de niveaux de développement social, économique, politique et éducatif, et aux différences qui existent au sein même des SES en termes de taille, modes de financement, structures des diplômes, approches et pratiques pédagogiques.
Harmonisation = standardisation ?
Les prises de position contre l’implantation d’un processus d’harmonisation des systèmes d’Enseignement supérieur dans d’autres régions du monde concluent que la mise en place du modèle de Bologne impliquerait la standardisation des SES à la fois entre les régions et l’UE et à l’intérieur même des régions. Le processus de standardisation inter-régionale mettrait en péril la diversité culturelle et les identités nationales, ce qui est contraire au paradigme de l’UNESCO en faveur de la diversité et l’identité locale. La standardisation intra-régionale limiterait la différenciation, l’équité et la pertinence des SES.
Ces deux arguments mèneraient à la conclusion qu’il n’est pas approprié de répliquer le modèle de Bologne dans d’autres régions du monde. On trouve pourtant l’argumentation contraire à cette conclusion chez certains chercheurs qui démontrent que l’objectif de l’harmonisation des SES qui participent au processus de Bologne n’est pas la standardisation, mais plutôt la convergence dans tous ses aspects et dans le plus grand respect des particularités nationales et de la diversité et la différenciation des SES. Afin de mieux illustrer cette argumentation, nous mentionnerons ci-dessous les grandes lignes de leurs études.
Diversité et convergence dans le processus de Bologne
Les recherches entreprises sur ce thème réaffirment d’entrée la diversité des SES comme l’un des facteurs ayant un impact déterminant sur la qualité, la pertinence et l’équité. La diversité et la différenciation entre les SES permettent d’élargir l’accès aux étudiants provenant de différentes conditions sociales et éducatives. La différenciation est aussi un moyen de spécialisation qui permet de préparer des diplômés avec un profil plus proche des nécessités sociales, ce qui s’avère être un facteur déterminant pour la productivité et la compétitivité9. En établissant les différentes catégories du concept de diversité (diversités interne et externe, systémique, programmatique, horizontale et verticale), les Européens ont entrepris des recherches qui démontrent que, dès son origine, Bologne n’a jamais été conçu comme un processus de standardisation.
La Déclaration de la Sorbonne déclare ainsi que l’objectif poursuivi est « l’harmonisation de l’architecture du système européen d’enseignement supérieur », dans le but de « promouvoir un cadre de référence commun visant à améliorer la reconnaissance des études et diplômes, afin de faciliter la mobilité des étudiants et l’employabilité (...) et où les identités nationales et les intérêts communs peuvent interagir et se renforcer mutuellement » (Déclaration de la Sorbonne, 1998). Les concepts de convergence et de divergence explicitement mentionnés pour la première fois dans « Tendances des structures de l’enseignement supérieur » de Haug & Kirstein ont servi de base au Forum de Bologne. Ce rapport a identifié «... les grandes aires de convergence et de divergence existant entre la structure des différents systèmes et sous-systèmes d’enseignement supérieur européens, dans le but de trouver les chemins possibles vers une plus grande convergence et efficacité des SES ».
Par conséquent, l’objectif fondamental du processus d’harmonisation est formulé en terme de « convergence » (comprise comme un processus dynamique), sans ignorer toutefois la tension que celle-ci provoque avec les particularités nationales et la diversité.
La Déclaration de Bologne souligne également que le but est de « créer l’espace commun de l’enseignement supérieur européen comme une clé pour la mobilité et l’employabilité de ses citoyens et le plein développement du continent (…) afin d’arriver à une plus grande compatibilité et comparabilité des SES [et] que ceux-ci puissent atteindre leurs objectifs (...) dans le plein respect de la diversité des cultures, des langues, des systèmes nationaux d’éducation et l’autonomie des universités » (Déclaration de Bologne, 1999).
Le processus de Bologne est donc un processus d’harmonisation qui a été conçu comme un cadre de référence commun, dans la recherche d’un état de convergence entre tous les SES participants, permettant la compatibilité et la comparabilité des différentes variantes nationales. Plusieurs études mettent d’ailleurs en valeur que la convergence est compatible avec différents degrés de diversité et niveaux de différentiation des SES et que la diversité n’est pas en soi un obstacle à un processus d’intégration régionale.
Loin d’être un modèle rigide, le processus de Bologne est au contraire un processus de convergence flexible qui permet l’adaptation à un grand nombre de variantes au sein d’un cadre commun.
Cette argumentation réfute l’hypothèse que l’implantation d’un processus d’harmonisation tel que Bologne dans des régions où les SES présentent de hauts niveaux de diversité et de différenciation impliquerait leur homogénéisation et standardisation.
L’impossibilité de répliquer un processus de Bologne en Amérique latine ?
Le deuxième argument utilisé contre l’implantation d’un processus d’intégration tel que Bologne dans d’autres régions du monde s’appuie sur l’existence de différences inter- et intra-régionales en comparaison avec l’Union européenne. À notre avis, cette objection n’est pas généralisable à toutes les régions du monde et a besoin d’être validée par une analyse détaillée de chaque cas particulier. À cet effet, nous analyserons dans les paragraphes suivants la validité de ces arguments dans le cas de l’Amérique latine, en présentant un résumé des principales différences inter-régionales existantes entre l’UE et l’Amérique latine, ainsi que les différences intra-régionales existantes dans la région latino-américaine. Suite...
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