La course aux regroupements des universités de Province: le prix à payer

La dispersion universitaire représente aussi un coût pour l'Etat. Ici se situe la raison inavouée de la politique de regroupement. Réduire le nombre d'universités réduit le nombre d'évaluations, le nombre de dotations budgétaires, simplifie la gestion du personnel, etc. L'Etat se désengage au profit de structures ayant la taille critique pour prendre le relai. C'est sans surprise une logique libérale. C'est pourquoi, dans le cadre d'une politique moins contraignante qu'incitative, le ministère de l'enseignement supérieur pousse au regroupement. Rien n'est imposé. Tout a été suggéré fortement. L'opération Campus en 2008, puis initiative d'excellence en 2010 ont porté le processus. La règle du jeu était simple: impossible d'être lauréat, si les initiatives d'un même site n'étaient pas communes. Alors la course au regroupement a commencé. Les rapprochements universitaires sont donc moins voulus que subis.
La carte universitaire française évolue sous nos yeux par la formation de quelques universités géantes. En face, vont survivre des petites universités. Entre les deux : point de modèle intermédiaire. La coupure entre la première division et la deuxième division universitaire est en marche. Dans ce mouvement, l'université de Strasbourg créée en 2008 a fait jurisprudence. Mais une sorte de jurisprudence négative. Il est de bon ton de dire: oui au regroupement, mais surtout pas comme Strasbourg. La critique récurrente dénonce un modèle insuffisamment intégré laissant survivre un nombre de composantes trop élevé. L'union ne serait que de façade et laisse survivre des divisions plus marquées peut être qu'avant.
En réaction au précédent strasbourgeois, deux modèles prospèrent pour regrouper l'université en province:
- le Strasbourg "soft" : Aix-Marseille,
- la remise à plat: Université de Lorraine et probablement l'Université de Bordeaux.
Les statuts de l'Université d'Aix-Marseille mettent en place un établissement universitaire de facture fort classique conforme au code de l'éducation, assurant la coexistence d'UFR et d'écoles et d'instituts. Le changement dans la continuité. C'est une révolution douce, qui passe par l'effacement des universités existantes pour créer une ligne directe entre leurs ex composantes et le nouvel établissement unique. La réforme ne redistribue pas les cartes. La logique "aixo-marseillaise" n'est pas fusionnelle, plutôt unioniste. Il en va différemment de l'autre modèle de regroupement incarné par l'université de Lorraine et la future université de Bordeaux.
L'université de Lorraine (UdL) a elle été créée sur la base d'un statut juridique diffèrent: le grand établissement. Cette université n'est donc juridiquement pas une université!… La sélection des étudiants à l'entrée et la variation des droits d'inscription deviennent en conséquence possible… le recul dans la participation des étudiants dans la vie de l'établissement aussi…. En revanche plus de personnalités extérieures participeront aux décisions…. Ce choix s'explique d'abord par la volonté de préserver les spécificités de l'Institut polytechnique, membre fondateur et aussi par la volonté d'innover dans le fonctionnement du grand ensemble, par la création de nouvelles créatures universitaires: les "collégiums" et les pôles scientifiques. Les premiers piloteront la formation et les seconds la recherche. Ce sont des structures intermédiaires inédites qui exerceront une tutelle sur les UFR et sur les laboratoires de recherche en séparant nettement le management de la recherche et de la pédagogie.
L'Université de Bordeaux entend aller plus loin encore. Ce qui permet d'imaginer que seul pourra répondre à ses ambitions le statut de grand établissement (aux mêmes causes les mêmes effets). Tout cela doit se mettre en place le 1er janvier 2014. Les premières bases sont là : trois universités s'effacent pour laisser place à des collèges en ce qui concerne la formation et des départements et des pôles pour la recherche. La jurisprudence lorraine de la dissociation est appropriée. Mais la mise en œuvre du schéma est biaisée. D'abord les deux écoles (Science po et l'IPB) ne se fondent pas dans le schéma général. La quatrième université (Bordeaux 3) n'est pas entrée dans le processus.
Tout un ensemble de questions subsistent en termes de gouvernance. Car tel est bien ici le cœur du problème. L'option choisie pousse au redéploiement des forces de formation d'une part et de recherche d'autre part. Mais les grandes options scientifiques peuvent-elles raisonnablement être arrêtées en méconnaissance de celles relatives à la pédagogie? Dans des domaines où les étudiants sont peu nombreux certainement. Mais dans des disciplines, tel le droit, où la population étudiante ne cesse d'augmenter c'est beaucoup plus contestable.
Autre élément de complication: alors que Nancy limite les collèges aux grands secteurs de formation, et ne joue pas à saucissonner la recherche entre des départements et des pôles, Bordeaux est tentée d'aller bien au-delà.
Dernier problème, les décideurs universitaires locaux croient pouvoir gérer ces grands ensembles dans une unité de règles alors qu'ils seront le produit de cultures universitaires fort différentes. Comment ces nouvelles unités peuvent-elles gérer la diversité autrement qu'en créant des règles diverses?
Et puis, finalement ces machines à simplifier la carte universitaire française ne sont-elles pas en train de compliquer le fonctionnement des universités? Bordeaux: à la place des trois universités vont cohabiter un nombre indéterminé de collèges, de pôles et de départements dont il va falloir de surcroît coordonner l'action. Simplifier la tâche de l'Etat en matière d'enseignement supérieur aura pour prix la bureaucratisation du fonctionnement des universités, qui finira par échapper aux universitaires, pour revenir à des administrateurs ou mieux ou pire à des managers!
