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Formation Continue du Supérieur
17 novembre 2019

Vers une laïcité nordique ? École, signes religieux et vie publique

Accueil - Vie PubliqueSi, en 1975, le Danemark fait figure de pionnier en déconfessionnalisant son système scolaire, il faut attendre plus de trente ans pour que le Norvège fasse un pas dans cette direction, sous la pression de la Cour européenne des droits de l’homme qui la condamne pour non-respect des droits fondamentaux. Oslo refonde alors son enseignement des religions et remplace un article du dispositif législatif scolaire particulièrement incriminé (“L’école élémentaire doit, en accord et en collaboration avec les familles, contribuer à une éducation morale et chrétienne”) par une formulation plus consensuelle : “L’apprentissage doit se baser sur les valeurs fondamentales héritées des traditions et de l’héritage chrétien et humaniste, comme le respect de l’humanité et de la nature, la liberté de pensée, l’amour du prochain, le pardon, l’égalité et la solidarité, des valeurs qui sont également exprimées par d’autres religions et d’autres options philosophiques et qui sont ancrées dans les droits de l’homme.”
La déconfessionnalisation partielle des écoles publiques remet la Norvège au rythme de ses voisins scandinaves. Les écoles nordiques se laïcisent en ce qu’elles deviennent neutres sur le plan confessionnel : l’enseignement n’a pas vocation à être prosélyte et il inclut un module sur les religions qui portent sur l’histoire, les principes fondamentaux, et comprend l’éthique séculière. Cela ne résulte cependant pas d’un processus linéaire ayant la neutralité totale comme horizon indépassable. En Norvège, par exemple, la part réservée à l’enseignement du christianisme a ainsi été augmentée après l’arrivée d’une coalition de droite et de droite populiste soutenue par le parti chrétien, à partir de l’argument selon lequel la tradition chrétienne a eu une importance supérieure dans la construction nationale.
Ce sont particulièrement les signes religieux qui, dans le Nord comme ailleurs, cristallisent les débats. La Suède, qui défend le modèle sociétal le plus libéral, met en avant la liberté individuelle et encourage la représentation de la diversité sociale dans les institutions publiques. À ce titre, le pays autorise le port du voile dans la police ou à l’école et soutient les communautés religieuses qui prennent en charge des services publics de la société de bien-être comme l’accueil des réfugiés ou l’enseignement du suédois aux immigrants.
La Norvège interdit, pour sa part, le port des signes religieux couvrant le visage dans les institutions scolaires. Le niqab et la burka sont particulièrement visés. Le Parti du progrès (Fremskrittspartiet), formation de droite populiste à l’origine du projet de loi, espère une interdiction plus large du hijab à l’école. Si ces propositions sont rejetées par une majorité de la classe politique, 65% de la population se déclare favorable à une telle interdiction (Integreringsbarometeret, 2018) et laisse penser que de telles décisions, adoptées à l’échelle communale en Norvège, pourront passer à l’avenir. Le Danemark, plus régulateur que ses voisins scandinaves sur ces questions, interdit, quant à lui, le port des signes religieux couvrant le visage dans tout l’espace public, au risque d’une amende de mille couronnes danoises.
Ces questions rythment les débats nordiques depuis plusieurs années déjà. Les discussions voient souvent les mêmes arguments s’affronter entre ceux qui réclament le respect de la liberté de religion, droit fondamental, et ceux qui prônent une régulation des expressions religieuses. Plus...
17 novembre 2019

Vers une laïcité nordique ? Église luthérienne recherche pasteur croyant

Accueil - Vie PubliqueAlors qu’ils comptent parmi les peuples les plus sécularisés au monde, les Scandinaves manifestent un attachement profond à leur Église (les Églises nordiques ont longtemps été des Églises d’État, imposant la religion évangélique-luthérienne comme religion officielle de l’État). 74,7% de la population danoise est encore membre de l’Église danoise (Folkekirken) en 2019, bien que cet indicateur baisse continuellement depuis 1990 (-14%). Un même déclin est observable en Norvège et en Suède, où la pratique religieuse, peu vigoureuse, est contrebalancée par une pratique culturelle et sociale importante (mariage, baptême, confirmation ou enterrement). De façon générale, la tendance est au déclin des religions “traditionnelles” et le nombre de personnes se déclarant agnostiques ou athées augmente. En parallèle, des communautés religieuses se développent, comme le catholicisme ou l’islam, et d’autres plus anciennes, à l’instar des missions intérieures ou des protestantismes non luthériens, se “convictionnalisent” en se resserrant autour d’un noyau de croyants convaincus, et contestent l’autorité et le statut des Églises nationales.
Dans un tel contexte, le statut des Églises nationales a dû être repensé. Avec les lois de 2000 en Suède et 2012 en Norvège, les anciennes Églises d’État sont devenues des entités autonomes. L’Islande et la Finlande ont également fait évoluer leurs systèmes respectifs, pour plus d’équité entre les communautés religieuses, dans un souci commun de refléter plus fidèlement l’évolution des populations. Pour autant, on ne peut parler d’une véritable séparation, ni d’une totale mise à égalité. Les Églises nationales conservent un statut privilégié, par exemple en Norvège où la Constitution précise que “l’Église de Norvège, évangélique-luthérienne, reste l’Église du peuple norvégien et bénéficie en tant que telle du soutien de l'État”. Les Constitutions nordiques régissent la confession de l’Église, sa territorialité et imposent au roi d’être luthérien. Plus qu’un véritable divorce entre Église et État, il s’agit donc plutôt de redéfinir les termes du mariage. Ces Églises conservent, par ailleurs, le soutien financier des États mais elles ont incontestablement perdu en autorité morale et pratique sur les questions sociétales.
Le Danemark fait figure d’exception : à la différence de ses voisins nordiques, l’Église du peuple (Folkekirken) y est restée Église d'État. Elle est, selon la Constitution danoise, l’Église établie du Danemark et doit donc bénéficier du soutien de l’État. L’exception danoise a des racines profondes : l’Église est refondée dans un esprit de tolérance en 1849, alors que le Danemark abandonne l’absolutisme et modernise conséquemment son système politique. Conçue pour être ouverte et inclusive, l’Église n’a ni de synode ni d’archevêque. C’est le Parlement qui adopte les lois-cadres qui sont appliquées par le ministère de l’Église et par son ministre. Les paroisses sont libres de choisir leur pasteur ou leur orientation théologique. Cette Église du peuple est conçue pour le peuple. Alors que le XIXe siècle voit la Scandinavie se diversifier sur le plan religieux, le Danemark arrive, pas ce biais, à éviter les dissensions. Par conséquence, le paysage religieux danois reste plus homogène que dans les autres pays nordiques. Ce système a perduré malgré les écueils que l’on peut y voir aujourd’hui. Certains ironisent sur sa malléabilité, prédisant avec humour qu’elle ordonnera bientôt des imams ; d’autres s’irritent de son évolution, comme cette paroisse en quête de pasteur qui précise dans son annonce que le candidat doit être “croyant”.
Malgré ses critiques, force est de constater que l’ouverture et la flexibilité de l’Église danoise lui ont permis de perdurer en maintenant une unité collective et en se fondant dans un récit national populaire, libéral et progressiste, malgré une religiosité nationale parmi les plus faibles du monde.
Alors que toutes les Constitutions nordiques accordent un statut particulier aux Églises nationales, les autres communautés religieuses relèvent du droit commun. Pour autant, on ne peut nier les efforts – notamment financiers – en faveur des dernières. Elles jouissent de droits juridiques et économiques dès lors qu’elles sont officiellement “autorisées” par les autorités publiques. Elles peuvent par exemple célébrer des mariages qui seront automatiquement reconnus par les autorités. Chrétiens non luthériens, juifs, musulmans, agnostiques et athées de l'Association humaniste éthique de Norvège (Human-Etisk Forbund) ou adeptes de l’ancienne religion nordique peuvent recevoir une subvention de l’État calculée au prorata des adhérents et financée par l’impôt. Le Danemark, où l’hégémonie luthérienne a été plus visible et les revendications des non luthériens moins nombreuses, mène en la matière la politique la moins généreuse. Il ne permet qu’une déduction fiscale de 33% maximum sur les dons et exempte les lieux de culte et les cimetières d’impôts locaux et de taxes foncières.
La fin des Églises d’État en Norvège et en Suède marque ainsi une étape dans la neutralisation confessionnelle, même inaboutie, des institutions. Elle traduit la nécessité sans cesse renouvelée de trouver un cadre commun à la vie collective pour trouver un équilibre entre la liberté de chacun et la recherche d’un modèle collectif. Cela nécessite des ajustements permanents et une réinvention de la communauté nationale qui ne peuvent se soustraire aux débats contemporains. Plus...
17 novembre 2019

Vers une laïcité nordique ? Un modèle commun de sécularisation

Accueil - Vie PubliqueLes pays scandinaves ont en commun la Réforme, un processus d’émancipation nationale qui s’appuie sur l’étatisation d’Églises désacralisées et territoriales. Au XIXe siècle, la sécularisation et l’influence des Réveils (ces mouvements inspirés du piétisme et dont l’objectif était de “réveiller” la foi des individus) modifient le visage des Églises, et annoncent la modernisation du religieux dans ces pays, l’acceptation de communautés religieuses nouvelles puis de la non-croyance, et l’étiolement très progressif du monopole luthérien.
Peut-on cependant parler d’une “laïcité nordique” ? L’hypothèse est tentante. La sécularisation précoce des pays nordiques s’est doublée d’une laïcisation tardive de leurs institutions. En 1948, la Déclaration universelle des droits de l’homme reconnaît la liberté de religion comme un droit fondamental. L’évolution sociologique des pratiques et le désir d’égalité vont amener les États nordiques à se “déconfessionnaliser” lentement. L’hégémonie des Églises luthériennes commence à être remise en question et les droits des autres religions vont être étendus. Sans prendre la voie d’une laïcité “à la française” (souvent traduite par “sekularisme”, la laïcité est parfois perçue comme une idéologie antireligieuse dans les pays nordiques), les pays scandinaves engagent donc un processus institutionnel de laïcisation à partir des années 1960. En Norvège par exemple, la loi sur la liberté religieuse est adoptée en 1964 et les discriminations envers les non-luthériens dans l’enseignement et la fonction publique sont abolies en 1969. Mais le processus est progressif et reste, sur plusieurs aspects, inabouti, dans un contexte où les revendications identitaires, idéologiques ou particularistes rendent les questions relatives aux religions particulièrement brûlantes et appellent des réponses parfois différentes. Plus...
17 novembre 2019

Vers une laïcité nordique ?

Accueil - Vie PubliqueL’accélération de la laïcisation dans les pays nordiques s’accompagne de débats passionnés. De la Norvège au Danemark, en passant par la Suède et l’Islande, la sécularisation précoce de la population s’est accompagnée d’une laïcisation tardive des institutions.

Aujourd’hui, ce “modèle” est interrogé, sous la pression de diverses revendications, notamment identitaires. Les réponses proposées par ces pays ne sont pas univoques. Elles révèlent la complexité de sociétés qui, confrontées à de nouveaux questionnements, ont changé et elles mettent en lumière les dangers d’une politisation de ce débat.
Le 1er janvier 2000 s’opère une révolution tranquille dans le royaume suédois : après quatre siècles d’union, l’Église se sépare de l’État. Quatre ans plus tard, l’atmosphère commence à se tendre dans la péninsule scandinave. L’affaire du foulard, qui a fait grand bruit en France, s’étend à la Norvège. Ce sont les violentes réactions à la publication des caricatures de Mahomet qui ébranlent un Danemark incrédule. La Cour européenne des droits de l’homme condamne la Norvège pour le non-respect de l’égalité des religions dans le système scolaire. Le 8 mars 2009, la polémiste syro-norvégienne Sara Mats Azmeh Rasmussen brûle un hijab à Oslo lors de la Journée internationale des droits de la femme et, en 2012, l’Église norvégienne se sépare de l’État. En 2018, le Danemark interdit les vêtements couvrant le visage, alors que la Norvège interdit le niqab et la burka dans les écoles.
Cet inventaire non exhaustif témoigne de l’intensification des débats sur la religion dans les pays nordiques. L’accélération de la laïcisation, qui se traduit notamment par la “déconfessionalisation” des institutions publiques (à savoir l’abandon progressif des références religieuses), révèle des changements importants dans ces sociétés hautement sécularisées qui, au-delà d’évidentes similitudes, adoptent des solutions diverses. Si les signes religieux sont par exemple autorisés dans la police suédoise, ils ont été récemment interdits chez leur équivalente norvégienne ; si le Danemark et l’Islande ont conservé leur Église d’État, la Norvège et la Suède ont, pour leur part, préféré les séparer. Plus...
17 novembre 2019

Laïcité - La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme

Accueil - Vie PubliqueLa Cour européenne des droits de l’homme n’écarte pas, en tant que tel, le modèle multiculturaliste mis en œuvre par plusieurs États membres du Conseil de l’Europe. Elle ne donne par exemple aucune définition de la religion, et tend à qualifier comme telle tout mouvement qui revendique la liberté de culte. Elle applique ce libéralisme non seulement aux anciennes religions mais aussi à d’autres mouvements plus récents. Ainsi de l’Aumisme du Mandarom, de l’Église de l’unification du révérend Moon, de l’Église de Jésus-Christ des saints des derniers jours ou mormonisme, voire du mouvement raëlien qui prépare ses adeptes à accueillir les extraterrestres.
La Cour européenne se rapproche alors du système américain, qui reconnaît comme religieux tout groupement qui le demande et qui peut ainsi bénéficier des avantages liés à une telle qualification, notamment sur les plans de la liberté de culte et de la fiscalité. C’est sur ce dernier point que le droit français a été sanctionné par la Cour pour avoir refusé le statut fiscal accordé aux associations cultuelles, d’abord aux Témoins de Jéhovah en 2011 puis au Mandarom en 2013.
La Cour européenne refuse cependant de mener à son terme cette logique communautaire. Les différentes confessions, même extrêmement minoritaires, sont certes largement encouragées à se constituer en groupements religieux. Mais les règles qu’elles imposent à leurs membres ne sauraient aller à l’encontre de l’ordre public, tel qu’il est défini par l’État et contrôlé par la Cour.
Dans sa jurisprudence (affaire Serife Yigit c. Turquie de 2010 et affaire Z.H. et R.H. c. Suisse de 2015), la Cour ne rejette pas entièrement le modèle communautaire. Elle évite néanmoins d’avoir à se prononcer sur des questions de principe. Car sa jurisprudence ne témoigne plus seulement d’une opposition entre le modèle français de laïcité qui protège l’État contre les ingérences religieuses et le modèle séculariste qui protège les religions contre l’État. Elle s’engage désormais, il est vrai de manière très ponctuelle, dans une troisième voie qui accepte la soumission des États aux exigences religieuses. Il ne s’agit plus alors d’ingérence mais bien davantage d’intégration des religions dans le fonctionnement de l’État, dans le but de garantir une certaine tranquillité, une sorte de paix civile.
L’absence de standard européen en matière de laïcité ne doit pas surprendre. La Cour veut en effet respecter la souveraineté des États dans un domaine qui relève de leur propre conception du "vivre ensemble". Il est clair que cette perception est marquée par l’histoire, la sensibilité de chaque société, et ne fait pas l’objet d’un consensus européen. Mais s’il appartient aux États de définir eux-mêmes leur rapport à la religion, cette autonomie ne peut exister que dans le respect de certains principes fondateurs.
Or, toute la jurisprudence européenne consiste à juger au cas par cas, en s’interdisant de se prononcer sur le principe de séparation des Églises et de l’État. Le caractère "impressionniste" de la jurisprudence risque donc, dans un avenir proche, de conduire à donner à la notion même de liberté religieuse un contenu radicalement différent selon les États.
Surtout, cette incertitude conduit à mettre la liberté religieuse au centre d’un conflit d’intelligence juridique entre le "modèle français de laïcité" et le système inspiré du premier amendement américain, revendiqué par les partisans du multiculturalisme. Certains appellent déjà de leurs vœux une unification du droit autour de cette vision anglo-américaine des rapports entre l’État et les religions. L’enjeu dépasse alors largement le cadre du principe de laïcité pour poser la question de la mondialisation du droit au profit du système américain. Plus...
17 novembre 2019

Laïcité - Le multiculturalisme contre l’ordre public

Accueil - Vie PubliqueLe conflit se développe aussi sur un plan plus étroitement terminologique. Les partisans européens du système américain ne définissent pas la laïcité comme un principe unique, une valeur en tant que telle constituant le ciment d’une société. Ils préfèrent lui ajouter des adjectifs. Et la laïcité devient ainsi "inclusive", "ouverte", "tolérante", etc. Ces formulations en apparence généreuses laissent cependant penser que la laïcité "sans adjectif", que l’on pourrait seulement qualifier de républicaine par référence à l’article 1er de la Constitution de 1958, est exclusive, fermée et intolérante. La fonction pacificatrice du principe de laïcité est alors volontairement occultée. Celui-ci se trouve stigmatisé comme obstacle à l’expression libre des religions.
L’enjeu du débat dépasse largement la simple question terminologique. Derrière la laïcité "plurielle" apparaît le choix du multiculturalisme, les différentes confessions étant considérées comme autant de communautés, dont il convient de respecter les mœurs et les règles, quelles qu’elles soient. Chaque confession se voit ainsi traitée selon une logique séparatiste qui risque de conduire à la création de véritables ghettos religieux. Plus...
17 novembre 2019

Laïcité - L’égalité contre la non-discrimination

Accueil - Vie PubliqueLe modèle français de laïcité repose sur la liberté de conscience : chacun a le droit d’avoir une religion ou de ne pas en avoir, d’être agnostique ou athée. Le principe de laïcité et la neutralité qu’il impose sont alors perçus comme le moyen d’assurer l’égalité devant la loi et de garantir le respect de toutes les convictions. Le modèle américain de sécularisme, quant à lui, ne concerne que la liberté de religion et s’applique, de manière plus institutionnelle, aux relations entre les Églises et l’État.
De cette première distinction en découle une seconde. Alors que le système français privilégie l’égalité devant la loi quelles que soient les convictions religieuses de chacun, le système américain s’appuie sur le principe de non-discrimination, invoqué lorsque les autorités publiques sont accusées de manquer de bienveillance à l’encontre d’un culte déterminé.
L’influence du système américain en Europe est telle que le principe de non-discrimination est désormais invoqué à l’encontre de la laïcité. La "neutralité indifférente" et l’État areligieux chers à Aristide Briand sont dénoncés comme autant d’atteintes à la liberté religieuse.
Prenons comme exemple la question des femmes : on constate que certaines associations féministes, voire certaines institutions chargées d’observer le système juridique et de promouvoir le respect de la laïcité, ont repris à leur compte cette analyse. La neutralité, en interdisant par exemple le port de certains vêtements, est présentée comme une atteinte à la liberté religieuse, perçue comme comportant le droit d’afficher ses convictions religieuses. Certaines pratiques, destinées à affirmer l’infériorité des femmes, pratiques vestimentaires mais aussi interdiction de se déplacer seules, voire de serrer la main d’un homme, se trouvent ainsi légitimées puisque leur prohibition est présentée comme une discrimination.
Traduits en termes juridiques, ces arguments constituent le fondement des procédures engagées contre la France devant la Cour européenne des droits de l’homme et destinées à faire prévaloir le principe de non-discrimination (arrêt S.A.S. c. France de 2014). La Cour a toutefois rejeté cette analyse pour consacrer au contraire l’existence d’un "modèle français de laïcité", dans lequel la neutralité repose sur le principe d’égalité. Il n’en demeure pas moins que les attaques contre la législation française ne désarment pas. Toutes les contraintes liées au respect de la laïcité continuent d’être systématiquement contestées devant la Cour européenne des droits de l’homme. Plus...
17 novembre 2019

La laïcité contre le sécularisme - En France

Accueil - Vie PubliqueLe principe de laïcité est incarné dans la célèbre loi du 9 décembre 1905 dite de séparation des Églises et de l’État. Il repose sur l’idée suivante : l’État respecte toutes les croyances et n’en reconnaît officiellement aucune. Il est illustré par la formule d’Aristide Briand : "L’État n’est ni religieux ni antireligieux ; il est areligieux."
La loi de séparation a d’abord pour objet d’établir la paix civile dans un pays marqué par de nombreux conflits religieux. Indissociable de l’idée républicaine, elle s’efforce de mettre les institutions et les services publics (notamment l’éducation) à l’abri des ingérences religieuses. Ce principe a été réaffirmé avec force dans l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958(nouvelle fenêtre) : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale."
L’instrument juridique de mise en œuvre de la laïcité est la neutralité. Ce principe constitue une spécificité du "modèle français". La neutralité interdit que le service public soit assuré de manière différenciée en fonction des convictions religieuses de son personnel ou de ses usagers. On a longtemps évoqué la seule "neutralité du service public", considérée comme intrinsèquement liée au principe d’égalité : c’est parce qu’ils sont égaux devant la loi que les usagers doivent être traités de manière identique, quelles que soient leurs convictions religieuses et celles de ceux qui assurent le service.
Mais récemment, dans une décision du 21 février 2013, le Conseil constitutionnel a opéré un glissement de la "neutralité du service public" à la "neutralité de l’État". Cette évolution autorise un élargissement de la neutralité hors de la sphère purement publique : par exemple, pour imposer l’interdiction du port de signes religieux aux employés d’une crèche associative ; ou aux salariés du secteur privé, si l’entreprise est dotée d’un règlement intérieur imposant la neutralité et si cette décision est motivée par des considérations liées à la sécurité ou aux nécessités du "vivre ensemble".
Cette utilisation du principe de neutralité comme bras armé de la laïcité est certes une construction juridique française. Mais elle a aujourd'hui tendance à s’exporter. En octobre 2017, le Québec s’est doté d’une loi "favorisant le respect de la neutralité religieuse", qui oblige les personnels des services publics à présenter un visage découvert dans l’exercice de leurs fonctions. La loi québécoise se réfère directement à la "neutralité de l’État". Elle ne fait pas référence à la laïcité et n’exclut pas la possibilité de négocier des "accommodements pour motifs religieux", dès lors qu’ils respectent l’égalité entre les femmes et les hommes et le principe de non-discrimination.
Le Québec se situe donc au cœur du conflit entre les deux modèles. Car si la neutralité de l’État s’inspire du système français, la notion d’accommodements pour motifs religieux se rapproche du sécularisme américain. Plus...
17 novembre 2019

Laïcité - Des conceptions différentes en Europe

Accueil - Vie PubliqueAu niveau européen, le terme "modèle de laïcité" a été employé, à propos du modèle français, par la Cour européenne des droits de l’homme(nouvelle fenêtre) (CEDH). Il existe en effet plusieurs modèles. La distinction traditionnellement faite entre l’Europe protestante du Nord et l’Europe catholique du Sud-Est est, à l’évidence, trop schématique. D’autres clivages existent : dans l’imprégnation religieuse d’abord, car le catholicisme s’est imposé dans certains États dès la fin de l’Empire romain alors que certains espaces de l’Est européen n’ont été conquis qu’au XVIIe siècle ; dans le traitement juridique du fait religieux aussi, car certains États ont privilégié une religion d’État alors que d’autres s’efforçaient d’organiser un statut des cultes en garantissant les droits des religions minoritaires.
Si l’on réduit le champ de l’étude aux seuls États qui revendiquent une séparation entre les Églises et l’État, de solides divergences subsistent aussi. On peut néanmoins identifier un clivage essentiel portant sur la finalité de cette séparation. Le "modèle français de laïcité", au sens où l’entend la Cour européenne des droits de l’homme, a pour objet de protéger l’État contre les religions. Le modèle américain, qui tend à se répandre en Europe, se propose quant à lui de protéger les religions contre l’État.
Les deux modèles de laïcité reposent sur :

  • des principes différents : la laïcité d’un côté, le sécularisme de l’autre ;
  • des modes de garantie distincts : l’égalité devant la loi d’un côté, la non-discrimination de l’autre ;
  • et, enfin, sur un rapport différent au fait religieux : l’intégration dans la notion d’ordre public pour l’un, le multiculturalisme et les "accommodements raisonnables" pour l’autre.

Entre ces deux manières d’appréhender les rapports entre l’État et les religions, la Cour européenne des droits de l’homme est à la fois un espace d’arbitrage et de confrontation. Plus...

17 novembre 2019

Modèle français ou américain : les conceptions de la laïcité divergent en Europe

Accueil - Vie PubliqueDeux modèles de laïcité s’affrontent en Europe. Une première approche, inspirée du droit américain, considère que la laïcité a pour objet de protéger les religions contre les États. Dans la seconde approche, qualifiée de "modèle français", la laïcité doit empêcher toute ingérence religieuse dans l’organisation et le fonctionnement de l’État.
Le rapport entre l’État et la religion est perçu dans le monde de manière très différente selon les systèmes juridiques. Certains pays ignorent toute idée de séparation entre l’État et la religion. C’est ainsi le cas dans le monde musulman, même si cette notion englobante ne rend pas compte de la grande diversité des interprétations de l’islam. La plupart de ces systèmes conçoivent toutefois le principe de laïcité comme un produit d’importation, qui fut imposé par une ancienne puissance coloniale
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