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Formation Continue du Supérieur
17 novembre 2019

Des difficultés qui ravivent l’opposition entre deux conceptions de la laïcité

Accueil - Vie PubliqueLa conception libérale met l’accent sur la liberté de conscience. Lors des débats parlementaires, le 26 juin 1905, l’agnostique Aristide Briand (1862-1932) soulignait que « le principe de la liberté de conscience et du libre exercice du culte domine toute la loi ». La neutralité se trouve alors subordonnée à la liberté de conscience. C’est la puissance publique, et non l’espace public, qui est neutre ; la religion est une affaire privée mais elle ne doit pas être maintenue dans l’espace privé. De nos jours, par exemple, l’historien de la laïcité Jean Baubérot défend cette perspective.
La conception concurrente fait primer la neutralité sur la liberté de conscience. Elle trouve sa source dans la philosophie de Ferdinand Buisson (1841-1932), créateur du mot « laïcité », adepte de la religion civile de Jean-Jacques Rousseau, et inspire, de nos jours, le philosophe Henri Pena-Ruiz comme l’ancien ministre de l’Éducation nationale Vincent Peillon.
Quelle est la conception dominante en France ? À première vue, la conception libérale s’est imposée en 1905 et est régulièrement confirmée par la jurisprudence du Conseil d’État. Elle justifie la pratique actuelle des « accommodements raisonnables ».
Pour autant, la France se singularise par l’accent mis sur le principe de neutralité, au point que l’on peut parler d’une « conception française » de la laïcité. D’abord, dans de nombreux pays, les agents publics (ou assimilés, comme les accompagnateurs scolaires) sont autorisés à porter des tenues ou signes religieux, ce qui n’est pas le cas en France. Ensuite et surtout, une conception plus intransigeante de la laïcité prévaut fréquemment dans le discours politique et s’est traduite par des lois qui imposent la neutralité religieuse à des personnes privées, ainsi :
  • la loi du 15 mars 2004, qui interdit « le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » (art. 1er), permit de passer outre l’avis du Conseil d’État qui, en 1989, conditionnait l’interdiction à un comportement perturbateur ;
  • la loi du 11 octobre 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public (visant essentiellement le port du niqab ou de la burqa). Cette loi, validée par le Conseil constitutionnel, est certes motivée par la « sécurité publique » mais aussi par « les exigences minimales de la vie en société » et le fait que « les femmes dissimulant leur visage, volontairement ou non, se trouvent dans une situation d’exclusion et d’infériorité manifestement incompatible avec les principes constitutionnels de liberté et d’égalité ». D’un point de vue libéral, seul le premier motif est acceptable, les deux autres relevant d’une forme d’imposition de « valeurs républicaines ».

Dans le même esprit, le bureau de l’Assemblée nationale a décidé le 24 janvier 2018 d’interdire aux députés le port de signes religieux « ostensibles » et il est parfois envisagé d’interdire le voile aux étudiantes (comme le demandait Manuel Valls en 2016).
Quoique non contraire à la liberté religieuse, cette conception tend clairement à la réduire. Doit-on y voir une « dérive vers une laïcisation de la société » ? Notons plutôt que le droit vient censurer des comportements, minoritaires mais très visibles, jusqu’alors inédits et risquons l’hypothèse suivante : jusqu’à l’émergence d’un islam radicalisé, les Français pouvaient être juridiquement libéraux parce que les croyants étaient socialement discrets. L’affirmation de l’islam oblige l’État à conformer le droit à la sensibilité d’une majorité de Français qui demeure défiante à l’égard des affirmations religieuses. Ainsi, le refus des signes religieux ostensibles à l’école traduit un attachement à celle-ci comme lieu neutre, où la religion n’a pas sa place. Cette exception française trouve peut-être sa source dans le fait que l’État, en France, a unifié et façonné la société et non l’inverse. Tout se passe comme si, dans l’esprit d’une partie des Français, l’exigence de neutralité propre à la puissance publique avait vocation à se diffuser dans l’espace public.

En conclusion, il convient de distinguer le principe de la laïcité et ses modalités d’application. L’idée même de laïcité, si elle est actuellement remise en question par l’islamisme, reste largement consensuelle. Depuis plus d’un siècle, la séparation institutionnelle de l’État et des religions est achevée. Mais la vigilance est de mise : la neutralité de l’État est un choix politique qui doit être soutenu par les citoyens pour continuer à s’imposer. Elle repose en effet sur une opinion selon laquelle le respect de la pluralité des idées et des croyances est préférable à l’imposition d’une vérité unique. Dès lors, elle est nécessairement combattue par ceux, chrétiens hier, musulmans aujourd’hui, qui estiment que la loi de Dieu doit prévaloir sur la loi de l’État chaque fois qu’elles entrent en conflit. Croyance qui rend possible l’expression de toutes les croyances, la laïcité les oblige à limiter leurs prétentions, ce qui ne leur est pas toujours naturel.
Les débats actuels portent plutôt sur le champ d’extension des libertés religieuses (et réciproquement, de la neutralité religieuse). Où placer le curseur ? Chaque cas concret, dans le contexte d’un retour du religieux, rouvre le débat entre une laïcité libérale (« laxiste », selon ses détracteurs) et une laïcité républicaine (« fermée »). En France, cette incessante réinterprétation du principe de laïcité s’effectue globalement dans le cadre libéral de la loi de 1905, même si une conception plus intransigeante et spécifiquement française de la laïcité s’exprime et tend à modifier le droit lorsque les comportements religieux se font trop visibles (cas emblématique du voile musulman). Plus...

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