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Formation Continue du Supérieur
22 mars 2016

Rapport n° 2015-073 - Les enseignants-chercheurs : des fonctionnaires qui bénéficient d’une grande indépendance

Le rapport relatif au recrutement, au déroulement de carrière et à la formation des enseignants-chercheurs s’inscrit dans le cadre de l’article 74 de la loi du 22 juillet 2013 sur l’enseignement supérieur et la recherche qui  fait obligation au gouvernement de rendre compte de ces trois sujets au parlement. Il se situe dans un contexte de renforcement de l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur et de concurrence internationale très marquée. Recrutement, déroulement de carrière et formation des enseignants-chercheurs.
Les enseignants-chercheurs : des fonctionnaires qui bénéficient d’une grande indépendance 

  • Des fonctionnaires d’État

Les enseignants-chercheurs constituent deux corps, les maîtres de conférences (MCF) et les professeurs des universités (PR), relevant du statut général de la fonction publique : leur recrutement ainsi que leurs systèmes de rémunération et de progression de carrière sont régis par des dispositions nationales. Ils bénéficient de garanties liées à leur statut de fonctionnaire, dont le recrutement par concours et l’assurance de l’emploi à vie. Ils sont nommés par arrêté du ministre chargé de l’enseignement supérieur pour les MCF et par décret du Président de la république pour les PR.
La France n’est pas le seul pays où les universitaires ont un statut de fonctionnaire. C’est notamment le cas de plusieurs pays de l’Europe du sud (Espagne, Grèce, Italie), de la Turquie ainsi que de l’Allemagne pour les seuls professeurs. Mais, à échelle mondiale, cette situation ne concerne qu’une minorité d’universitaires et elle est en voie de régression. Plusieurs États ont, en effet, mis en extinction le statut de fonctionnaire de leurs enseignants-chercheurs. Parmi ces derniers, on trouve des pays issus de l’ex URSS (la Russie, la Lettonie et l’Estonie), la Slovénie, la Chine, et plus près de nous, la République tchèque, l’Autriche et la Suisse.
Au niveau international, la tendance est à la reconnaissance aux universités d’une liberté de recrutement qui les conduit à privilégier les formules contractuelles à durée déterminée (CDD), celles-ci pouvant cependant parfois aboutir à l’obtention de contrats à durée indéterminée (CDI).
Dans de nombreux États, une partie des enseignants-chercheurs bénéficie ainsi d’un dispositif proche de l’emploi à vie, la « tenure », à laquelle ils peuvent accéder après une période probatoire de plusieurs années : le « tenure track ».
Ce système s’est d’abord développé dans les universités publiques et privées de l’Amérique anglo-saxonne (États-Unis, Canada anglophone) et du Québec. Aux États-Unis, les professeurs « tenured » ont une stabilité d’emploi comparable à celle des enseignants-chercheurs en France. On n’y connaît pas précisément les parts respectives d’enseignants « tenured », en « tenure track » et hors système de la « tenure», celles-ci variant fortement d’une université à l’autre. À titre d’exemple, à l’université de Californie (comprenant les dix campus incluant en particulier Berkeley et l’université de Californie à los Angeles (UCLA)), la moitié des enseignants sont « tenured ».
Cependant, il semble que depuis la crise financière de 2008, les universités privées restreignent le nombre des postes permanents destinés au « tenure track ».
Le dispositif, progressivement adopté par un grand nombre d’universités européennes et asiatiques avec plus ou moins de variantes et de façon plus ou moins généralisée, semble aujourd’hui s’être imposé au niveau international y compris européen, notamment dans les universités membres de la ligue des universités de recherche européennes (LERU). Les universités membres de la LERU en Allemagne, Belgique, Finlande, Italie, Suède, Suisse et aux Pays-Bas ont toutes mis en place des dispositifs de « tenure track » au cours des années 2000 à 2010. La France, l’Espagne et le Royaume-Uni qui dispose d’une procédure contractuelle « maison » de probation (« probation on the job ») qui le satisfait, sont les seuls pays ayant des universités adhérentes de la Ligue à n’avoir pas du tout recours au dispositif.
En Asie, la Chine et l’Inde pratiquent également le système du « tenure track ». En France, de plus en plus de voix se font entendre pour recommander un recours ciblé à ce dispositif, le recrutement « à l’essai » étant considéré comme le meilleur moyen de tester les compétences et la sociabilité des candidats, contrepartie logique de la possibilité d’accéder au régime très protecteur du statut de fonctionnaire sans restriction de durée. L’Académie des sciences le préconise, en particulier pour le recrutement des plus brillants jeunes chercheurs dans un contexte concurrentiel : « Il est évident qu’il faut instaurer un parcours "tenure track" avec un "package"… et prendre la décision de stabilisation au bout de cinq ans. ».
Le recours à des enseignants-chercheurs contractuels pourrait également être envisagé comme une variable d’ajustement dans un système universitaire appelé à évoluer dans ses formations et ses domaines de recherche sachant qu’aujourd’hui la fermeture d’une formation laissant des enseignants-chercheurs sans charge d’enseignement crée un désajustement des moyens aux besoins, qui dans certains établissements ne se règle réellement qu’au moment du départ en retraite des enseignants concernés. En effet, s’il existe bien des instruments juridiques mobilisables24 pour traiter un potentiel d’enseignement statutaire trop important par rapport à la carte des formations, ces derniers sont généralement soumis à l’accord des enseignants-chercheurs, et sont en réalité très peu mis en oeuvre. La mission, constate d’ailleurs dans de nombreux établissements français le développement d’une pratique de recrutement finalement assez proche du « tenure track » (cf. 1.1.2).
Dans certains établissements étrangers, l’emploi à vie statutaire reste cependant exceptionnel. Ainsi, à l’université de Genève, le dispositif de la « tenure » ne s’applique qu’aux professeurs associés financés sur ressources propres, soit à une petite partie des enseignants-chercheurs. Dans cette université, depuis les années 1970, les professeurs ordinaires (le niveau le plus élevé) et la plus grande partie des professeurs associés, ne sont recrutés qu’en CDD, par un premier contrat de quatre ans puis par contrats successifs de sept ans.

  • … qui bénéficient de garanties d’indépendance étendues

Conformément aux dispositions du code de l’éducation :
« Les enseignants-chercheurs, les enseignants et les chercheurs jouissent d'une pleine indépendance et d'une entière liberté d'expression dans l'exercice de leurs fonctions d'enseignement et de leurs activités de recherche, sous les réserves que leur imposent, conformément aux traditions universitaires et aux dispositions du présent code, les principes de tolérance et d'objectivité ».
Cette situation a été consacrée par la décision du 20 janvier 1984 du Conseil constitutionnel qui a érigé l’indépendance des professeurs des universités en un principe fondamental des lois de la République, d’abord applicable aux seuls professeurs, puis étendu aux maîtres de conférences en 1993. Cette garantie d’indépendance emporte plusieurs conséquences sur la gestion des corps et des carrières des enseignants-chercheurs. Elle complique notamment l’exercice d’un pouvoir hiérarchique direct sur ces personnels. Ainsi, les enseignants-chercheurs ne sont pas soumis à des inspections comme c’est le cas pour les enseignants du second degré.

  • et de dérogations aux règles de la fonction publique…

Les dispositions législatives et réglementaires relatives aux enseignants-chercheurs, et notamment le décret du 6 juin 1984, prévoient un ensemble de dérogations aux règles de la fonction publique, leur permettant de profiter de dispositions particulièrement favorables. Ainsi, par exemple, ils bénéficient :
– d’un régime de positions spécifiques (délégation, CRCT en particulier) ;
– de modalités d’accès aux corps largement dérogatoires (notamment sur tous les dispositifs des concours « internes ») ;
– d’un régime d’inamovibilité particulier, grâce auquel ils ne peuvent être mutés que sur leur demande ;
– de la possibilité du maintien en activité en surnombre, ainsi que de l’éméritat qui jusqu’alors réservé aux PR, vient d’être étendu aux MCF par le décret du 2 septembre 2014 ;
– de règles de cumul dérogatoires qui leur donnent, notamment, la possibilité de devenir parlementaire sans cesser leurs fonctions ou d’exercer une profession libérale en lien avec leur enseignement. Ils ne sont pas non plus gérés par une commission administrative paritaire ministérielle à l’instar des autres corps de la fonction publique.
C’est une instance spécifique, le Conseil national des universités (CNU), qui « exerce notamment les compétences dévolues aux commissions administratives paritaires par la loi du 11 janvier 1984 ». Surtout, les enseignants-chercheurs sont essentiellement soumis au seul jugement de leurs pairs et en particulier des pairs de la même discipline.
Ce sont les pairs qui interviennent en matière de recrutement et d’attribution des promotions, des primes les plus importantes ou des congés de recherche et de conversion thématique, conformément aux dispositions du 2ème alinéa de l’article L. 952-6 du code de l’éducation, qui dispose :
« L'examen des questions individuelles relatives au recrutement, à l'affectation et à la carrière de ces personnels relève, dans chacun des organes compétents, des seuls représentants des enseignants-chercheurs et personnels assimilés d'un rang au moins égal à celui postulé par l'intéressé s'il s'agit de son recrutement et d'un rang au moins égal à celui détenu par l'intéressé s'il s'agit de son affectation ou du déroulement de sa carrière. »
Ainsi, comme le soulignait le sénateur Yves Fréville, le recrutement des enseignants-chercheurs « s’apparente par ses modalités à une cooptation » plus qu’à un concours classique de la fonction publique. Il ressort de ces différents éléments que « les enseignants-chercheurs constituent une profession à part, plus proche par certains aspects des professions libérales que des corps classiques de fonctionnaires de la fonction publique française ».

  • Ils sont représentés par le Conseil national des universités (CNU)

Le CNU, représentant des corps universitaires, est chargé de prérogatives importantes en matière de recrutement et de gestion de la carrière des enseignants-chercheurs.
Le CNU est une spécificité française que l’on ne retrouve qu’en Italie (sous une forme un peu éloignée avec un pouvoir de contrôle a posteriori), certains de ses détracteurs le considérant même comme « une aberration française ».
Présenté par la CP-CNU comme la « garantie de l’indépendance des enseignants-chercheurs et des libertés académiques », et effectivement reconnu comme tel par une partie de la communauté universitaire, le CNU fait cependant l’objet de critiques d’origines diverses, émanant y compris de certains de ses membres ou anciens membres, et mentionnées de façon récurrente dans les rapports successifs consacrés aux enseignants-chercheurs.
La légitimité de ses membres est fréquemment contestée, pour ce qui concerne les membres élus aux motifs d’un taux d’abstention élevé à l’élection et du mode de scrutin qui favorise le « scrutin syndical » et le risque de conditionnement idéologique, et pour ce qui concerne les membres nommés, en raison du soupçon du caractère politique de ces nominations qui, de plus, dans le cas fréquent d’élections à la majorité relative, peuvent conduire à des renversements de majorité au sein des sections.
Sont également dénoncées l’insuffisante qualité scientifique de certains membres qui n’ont pas été élus ou nommés sur un critère de compétence et qui, pourtant, sont chargés d’évaluer leurs collègues et amenés « à rapporter sur des dossiers qu’ils connaissent mal », ainsi que des affaires de manquements à l’éthique et à la déontologie, qui entachent la crédibilité de l’instance.
Les critiques portent également sur la nature disciplinaire du CNU, qui va de pair avec une autre particularité française que constitue l’organisation de notre dispositif d’enseignement supérieur en établissements faiblement pluridisciplinaires (malgré leur appellation), que le processus de fusion d’établissements vient cependant progressivement atténuer.
Une autre critique de fond tient au fait que le CNU ne travaille que sur dossiers, notamment sans auditionner les candidats. Au-delà de ces critiques sur tel ou tel point, c’est l’existence même de l’institution qui est remise en cause par ceux qui estiment que le CNU constitue une entrave à l’ouverture du système universitaire français sur des modes de développement qui se sont imposés au niveau international. Le CNU resterait ainsi « une singularité française, alors que l’une des finalités des réformes en cours depuis quelques années dans l’enseignement supérieur et la recherche était l’harmonisation internationale ».
La pérennisation du CNU reste cependant défendue par une partie des enseignants-chercheurs très attachés au caractère national de leur statut et satisfaits de pouvoir compter sur l’institution pour faire contrepoids au pouvoir politique central et à celui des présidents d’université. Cela explique qu’alors que la question de la pertinence du maintien du CNU avait été posée lors de la préparation de la loi LRU, le choix a été fait de maintenir l’institution à laquelle a été confiée en 2009, une mission d’évaluation des enseignants-chercheurs, et d’augmenter ses moyens de fonctionnement.
À court terme, il reste au CNU à faire la preuve de sa capacité à se réformer pour corriger les dérives mentionnées ci-dessus. À plus long terme, il convient de s’interroger sur la plus-value de l’institution au regard du risque que son maintien ne conduise notre système d’enseignement supérieur et de recherche à rester en marge du mouvement d’internationalisation qui connaît actuellement une accélération marquée. pp4-11. Voir l'article...

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