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Formation Continue du Supérieur
25 avril 2015

L'apprentissage dans l'enseignement supérieur ou l'art d'une relation à trois

Centre d'études de l'emploiPar Solen Berhuet, Carole TuchszirerStéphanie Mignot-Gérard, Constance Perrin-Joly, François Sarfati, Nadège Vezinat. L’étude dont rend compte ce Connaissance de l’emploi éclaire les débats récents sur le développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur. Alors qu’une note du Conseil d’analyse économique [CAE] (Cahuc, Ferracci, 2014) propose de recentrer les moyens publics consacrés à l’apprentissage sur les jeunes peu qualifiés, les représentants des centres de formation d’apprentis (CFA) du supérieur dénoncent une vision archaïque de l’apprentissage centré sur les publics en difficulté.
Cette étude illustre, dans un cas particulier, le rôle majeur de l’organisme de formation dans la mise en relation entre entreprise et étudiant. Pour autant, les résultats sont nuancés : si l’insertion professionnelle est souvent au bout de la formation, elle dépend en partie des critères de sélection utilisés par l’organisme d’enseignement. Et les perspectives d’emploi et d’évolution professionnelle ne sont pas toujours au rendez-vous…
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CDE119 (418 Ko).
L’apprentissage est un dispositif pédagogique visant à former des jeunes dans le cadre d’un contrat de travail. Il repose sur l’alternance entre enseignement théorique dispensé dans un centre de formation et mise en oeuvre pratique de cet enseignement par le biais d’un travail rémunéré au sein d’une entreprise. S’il s’adressait traditionnellement aux jeunes sortis du cursus de l’éducation secondaire, la loi du 23 juillet 1987 permet à l’enseignement supérieur de proposer des formations en alternance aux détenteurs du baccalauréat afin d’améliorer leur insertion professionnelle. Ainsi Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, déclarait-elle dans un colloque de la Conférence des présidents d’université de novembre 2013 que « développer l’apprentissage […] est une réponse indispensable pour mieux armer les jeunes qui entrent sur le marché du travail ».
L’apprentissage nécessite la rencontre entre trois acteurs : une entreprise, un établissement de formation et un étudiant. Comment chacun de ces acteurs est-il amené à avoir recours à ce dispositif ? Celui-ci, qui réclame l’instauration d’un lien durable entre entreprise et établissement de formation, répond-il aux attentes des parties prenantes et, en particulier, à celles l’entreprise qui les emploie. Plusieurs d’entre eux déclarent avoir assisté à des réorganisations internes. D’autres, recrutés en alternance, ont été avertis que l’établissement bancaire, en phase de réduction de personnel, ne pérenniserait pas leur emploi à l’issue de la formation. De même, certains des enquêtés, diplômés depuis plus de deux ans, n’ont vu leur contrat transformé en CDI qu’après quelques mois de chômage.
Dans un contexte de crise, l’apprentissage permet de « flexibiliser » la relation salariale : en n’engageant pas l’entreprise sur le long terme, il offre néanmoins à celle-ci la possibilité de se créer un vivier de candidats testés et formés.
L’opportunité pour les étudiants de progresser dans un cursus professionnalisant
L’enquête décrit les itinéraires scolaires et professionnels des quarante apprentis interrogés. Tous ont obtenu des baccalauréats généraux (à l’exception d’un étudiant issu d’un bac STG). Rares sont ceux qui ont obtenu une mention au bac, tandis qu’une bonne partie a connu au moins un redoublement au cours de son cursus scolaire ou universitaire. Leurs premières années dans l’enseignement supérieur ont été massivement réalisées en IUT (Institut universitaire de technologie), en BTS (Brevet de technicien supérieur) ou dans des écoles occupant des positions de « milieu de tableau » dans les palmarès et classements des écoles de gestion françaises.
Tous les apprentis rencontrés ont par ailleurs été immergés très tôt dans l’emploi. Que ce soit en ayant multiplié les « jobs étudiants » (en particulier dans des fonctions commerciales), en ayant accumulé des expériences professionnelles relativement longues (contrat à durée déterminée [CDD] ou CDI d’au moins neuf mois) ou encore en ayant réalisé une formation en alternance au cours de la licence ou de la première année de master, ils possédaient tous une solide expérience professionnelle avant même leur entrée en M2. En marge de l’excellence académique, les enquêtés ont suivi des parcours sinueux dans l’enseignement secondaire et supérieur...
En revanche, la plupart se sont familiarisés très tôt avec le travail salarié, soit à travers des jobs étudiants, soit à travers des stages ou des contrats d’apprentissage réalisés dans le cadre de filières professionnalisantes courtes. À ce titre, ils incarnent la demande adressée à l’enseignement supérieur de développer ce type de cursus (Convert, 2010).
Une relation à trois qui produit des effets différenciés pour chacun
Les déclarations ministérielles encouragent le développement de l’apprentissage et donnent comme objectif de doubler le nombre d’alternants dans le supérieur d’ici 2020 pour atteindre un étudiant sur six, soit 300 000 personnes. Ce discours promouvant l’apprentissage nourrit en partie sa diffusion auprès des étudiants, qui y voient une opportunité d’étoffer leur CV. Le nombre des candidatures observées dans l’enquête en est l’illustration : 250 pour 25 places.
En s’installant dans le temps, le dispositif produit des effets inattendus. Tout d’abord, chacune des formations présentes dans l’enquête accueille tous les ans vingt-cinq étudiants, qu’elle doit « placer » dans des entreprises. Si une partie des alternants trouve son employeur par ses propres moyens, la majorité d’entre eux fait appel aux partenariats institués entre le centre de formation et les établissements bancaires. Comme il est plus facile pour les responsables pédagogiques de traiter avec les mêmes entreprises que de changer d’interlocuteurs tous les ans, le centre de formation établit des liens durables et privilégiés avec certaines d’entre elles qui embauchent chaque année plusieurs de ses apprentis. C’est le cas de trois enseignes reconnues du secteur bancaire qui emploient la plupart des apprentis des masters en gestion de portefeuille et en gestion de patrimoine.
Ces partenariats sont considérés par l’IAE comme un atout considérable pour les formations qu’il propose. Au cours de l’année, différents moments d’échange entre lui et les responsables bancaires permettent aux deux parties de comprendre leurs contraintes respectives, mais aussi de construire conjointement le profil du « bon étudiant » en alternance dans la finance. Plus généralement, les liens entre IAE et banques permettent de mettre au point les contenus d’enseignement et de les ajuster aux nécessités du processus productif. Le plus souvent vécus comme positifs, ces ajustements peuvent cependant être à l’origine de tensions quand les demandes des entreprises entrent en contradiction avec les objectifs pédagogiques des formateurs.
Un récent rapport rappelait que l’apprentissage jouait deux rôles distincts. Voie d’insertion professionnelle et de qualification aux niveaux V et IV, la formation en alternance dans le supérieur constitue une « voie de professionnalisation pour des jeunes d’ores et déjà diplômés qui veulent sécuriser et accélérer […] leur entrée dans le monde du travail » (IGA, IGAS, IGEN, IGAENR, 2014). Toutefois, la sélection à l’entrée est forte et a tendance à laisser de côté les étudiants qui pourraient avoir le plus besoin de mettre un pied dans l’entreprise. En effet, ceux qui ont un bon niveau académique mais une faible expérience professionnelle ne franchissent pas les portes du centre de formation, alors qu’ils sont censés être la cible des politiques de développement de l’apprentissage dans le supérieur (Sarfati, 2014).
Un dispositif qui, malgré tout, restreint le champ des possibles pour les étudiants
Les formations proposées par l’IAE préparent aux fonctions les plus exigeantes et les plus valorisées dans leur segment respectif (trader en gestion de portefeuille, gestionnaire de fortune en gestion de patrimoine). Mais la proximité avec de grandes institutions bancaires a paradoxalement tendance à restreindre le champ des possibles pour les étudiants. De fait, dans la mesure où ces institutions segmentent autant leur clientèle que leur personnel, elles réservent de préférence les postes les plus prestigieux à ceux qui ont bénéficié de formations plus anciennes et mieux reconnues (Dauphine, ESCP…). En conséquence, les apprentis d’un IAE de la périphérie parisienne doivent faire preuve d’une grande ténacité et multiplier les expériences professionnelles valorisantes (en particulier à l’étranger) pour ne pas être, à moyen terme, cantonnés dans des postes d’assistant trader ou de simple conseiller de clientèle en agence bancaire (Sarfati, Vezinat, 2013). Des perspectives limitées de carrière se cachent parfois derrière des insertions professionnelles rapides et donnent à voir les décalages entre les attentes des uns et des autres.
La formation en alternance, telle que pratiquée par l’enseignement supérieur, se déploie parce que les trois parties prenantes (étudiants – institut – entreprises) y trouvent un intérêt. En rapprochant des étudiants en quête d’insertion professionnelle et des entreprises, l’organisme d’enseignement joue un rôle d’intermédiaire sur le marché du travail. L’enquête l’a montré, l’apprentissage dans le supérieur est utilisé pour sélectionner les bénéficiaires – au risque même d’écarter ceux qui en auraient le plus besoin – et définir les savoirs à transmettre. À travers ce dispositif, le monde universitaire doit composer avec les contraintes productives et les hiérarchies du milieu professionnel.

RÉFÉRENCES
Cahuc P., Ferracci M., avec Tirole J. et Wasmer E., 2014, « L’apprentissage au service de l’emploi », Les notes du Conseil d’analyse économique, n° 19, décembre.
Convert B., 2010, « Espace de l’enseignement supérieur et stratégies étudiantes », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 183, juin.
IGA, IGAS, IGEN, IGAENR, 2014, « Les freins non financiers au dévelop pement de l’apprentissage », février, 2013-145R. Larquier (de) G., Tuchszirer C., 2012, « Le secteur bancaire : des recrutements sous haute régulation », Rapport de recherche du CEE, n° 72, mars.
Mignot-Gérard S., Perrin-Joly C., Sarfati F. (coord.), Vezinat N., 2014, « Entrer dans la banque par la voie de l’alternance. Une enquête auprès d’étudiants en master 2 Banque-Finance dans un IAE », Rapport de recherche CEE, n° 87, septembre.
Sarfati F., Vezinat N., 2013, « À la lisière de l’emploi : perspectives et interrogations de jeunes en formation dans un secteur bancaire en crise », in Spieser (dir.), L’emploi en temps de crise. Trajectoires individuelles, négociations collectives et action publique, Rueil-Malmaison, CEE - Liaisons sociales.
Sarfati F., 2014, « L’alternance au risque de la sur-sélectivité », Revue Française de Socio-Économie, n° 14. Voir plus...

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