Au sommaire du numéro 88 d'Universités & Territoires: "Le Campus dans la vie". Entretien exclusif avec Geneviève Fioraso, Ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
Geneviève Fioraso est depuis le 16 mai 2012 Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Elle a été de 2008 à 2012 adjointe chargée de l’université, de la recherche, de l’économie et des relations internationales de la ville de Grenoble. Entretien exclusif de rentrée.
C’est votre première rentrée comme Ministre et vous avez choisi d’initier des Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche. Vous avez annoncé que les régions seraient co-organisatrices, quelle est la place pour les villes et leurs agglomérations? D’un point de vue général, comment souhaitez-vous associer les acteurs des territoires?
Ces Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche se veulent un lieu de débats, de dialogue, ouvert sur la société. L’enjeu est de replacer l’enseignement supérieur et la recherche au coeur des grands enjeux de société, des enjeux économiques et culturels de notre pays, dans une perspective mondiale. Après une phase de consultation, nous avons souhaité une organisation en deux temps: d’abord au niveau territorial puis national, en associant tous les acteurs scientifiques, universitaires, mais aussi socio-économiques, étudiants, et citoyens. Le rôle des territoires est très important. Ils doivent être des acteurs du changement car ils sont au plus près des préoccupations des citoyens. Les Régions organisent les Assises à parité avec l’État, mais toutes les collectivités y seront associées à commencer par les métropoles, et les intercommunalités, très présentes dans les projets universitaires et de recherche. D’un point de vue plus général, je souhaite remettre les territoires au coeur des projets de l’enseignement supérieur et de la recherche en concertation étroite avec les acteurs locaux, à la différence de mes prédécesseurs.
J’ai d’ailleurs rencontré les associations d’élus pour organiser les modalités de ce partenariat.
Le Président de la république a précisé que 50% d’une classe d’âge devaient être diplômés de l’Enseignement Supérieur. Vos récentes interventions démontrent que vous souhaitez insuffler un nouveau souffle à la démocratisation de l’enseignement supérieur afin de corriger les inégalités. Quel bilan tirez-vous du Plan licence? Comment pensez-vous recueillir l’adhésion des enseignants aux changements pédagogiques nécessaires? Finalement, qu’est ce qui «coince» dans notre pays?
La démocratisation de l’enseignement supérieur est une exigence absolue. Elle n’est pas commandée seulement par un sentiment de justice sociale, c’est le redressement du pays qui l’exige, car dans la compétition internationale d’une économie fondée sur l’innovation, c’est la carte que la France doit jouer. Les plans qui se sont succédés, n’ont pas donné satisfaction. Le plan réussite licence, notamment, qui a coûté plus de 700 millions d’euros, n’a donné aucun résultat, malheureusement, faute de mode opératoire. Au contraire, les taux de réussite ont encore baissé. Nous devons remplir l’objectif de 50% d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur.
Comment y parvenir?
Par l’innovation pédagogique, certainement. Pour y parvenir, nous nous doterons des outils nécessaires. Des pistes doivent être explorées: la formation pédagogique des jeunes enseignants chercheurs peut être améliorée; on peut imaginer, cela se fait déjà à l’université de Tours, de les décharger d’une partie de leur service, en début de carrière, pour mieux les former. Comment imaginer qu’un jeune maître de conférences n’ait jamais été formé à la pédagogie?
Il faut, ensuite, dans le déroulement des carrières des enseignants chercheurs, valoriser l’implication pédagogique et les innovations pédagogiques: pourquoi les maîtres de conférences ne pourraient-ils pas devenir professeurs au titre de leurs qualités pédagogiques, alors qu’ils ne le deviennent aujourd’hui qu’au seul titre de leurs travaux de recherche?
Démocratiser l’Université, c’est bien entendu réaffirmer que l’Université est une priorité nationale. C’est pourquoi j’ai résisté aux pressions pour augmenter les droits de scolarité. C’est pourquoi les établissements continueront à recevoir des aides publiques importantes. C’est pourquoi nous accompagnerons les Universités en difficulté, pour lesquelles l’autonomie a rimé avec problème de trésorerie, faute d’un suivi sur le terrain, avec une évaluation sous dimensionnée des transferts et même une impasse sur le GVT (glissement vieillesse technicité).
Démocratiser l’Université, c’est favoriser ceux dont les ressources sont les plus faibles: j’ai pris des mesures d’urgence en revalorisant les bourses à hauteur de l’inflation (2%), ce qui représente 35 millions d’euros en dotations nouvelles du MESR en direction des 20% d’étudiants boursiers, en sécurisant le versement du 10ème mois de bourse, soit 160 millions d’euros. Rappelons que le financement du 10ème mois de bourse avait fait l’objet de budgétisation incisive par le précédent gouvernement, et ce, malgré des annonces très médiatisées.
Démocratiser l’Université, c’est aussi continuer d’améliorer l’Admission Post Bac (APB), en allant plus loin dans l’effort de transparence et de justice, pour qu’il n’y ait pas de passedroit possible dans l’accès au supérieur. Il faudra également rapprocher plus fortement les classes préparatoires de l’Université, pour que personne ne s’interdise a priori des parcours d’excellence, et pour que nous arrivions enfin à diversifier nos élites.
C’est pourquoi je veillerai à ce que les bacs pro aient la place qui leur revient dans les BTS, qui sont trop souvent devenus des aspirateurs à bacs généraux, au détriment des publics visés: j’ai écrit dans ce sens à tous les recteurs, pour que les places encore disponibles, à cette rentrée, soient affectées en priorité à des bacs pros. Je veillerai également à ce que ces filières courtes, très prisées en soi, soient reliées aux formations longues, en multipliant les passerelles. J’ai fait les mêmes interventions auprès des IUT pour les bacs technologiques. En tout, cela concerne 20 000 places dans les STS et IUT.
Depuis quelques années, la concentration universitaire avec le regroupement des universités et les grands appels à projets est à l’ordre du jour. Quel est l’avenir des plus petits pôles universitaires que l’on retrouve dans les villes moyennes? Quel est leur rôle pour la démocratisation?
Il y a deux manières de se regrouper: soit sur un même site, quand il comporte plusieurs établissements différents, soit en réseau, entre plusieurs sites: pour les universités des villes moyennes, la solution est dans les coopérations en réseau. Par ailleurs, pour bien des pôles universitaires de villes moyennes, la question se pose différemment et sans rapport direct avec les grands regroupements: ce sont des sites distants des universités métropolitaines, leur existence dépend de la capacité financière de ces dernières, et du soutien des collectivités locales. D’un autre point de vue, la pérennité de ces « petits et moyens » pôles universitaires dépend également de deux facteurs complémentaires, qui assureront leur avenir: premièrement, une spécialisation thématique, qui rendra le pôle attractif largement au-delà de la région d’implantation, et qui permettra de mettre des moyens dans une recherche bien identifiée, et deuxièmement, de forts échanges avec le milieu économique et social du territoire. Sous ces deux conditions, on voit de petits centres universitaires croître et rayonner et pour longtemps. Et il est évident que la proximité, du moins pour le cycle licence, favorise la poursuite des études supérieures dans le sens de la démocratisation.
L’insertion des jeunes diplômés est l’une des principales missions de l’enseignement supérieur. Est-elle pour autant devenue une priorité des universités? La crise économique, l’enkystement du marché de l’emploi sont au rendez-vous et nécessitent la mobilisation de tous les acteurs et parties prenantes. Comment les collectivités et les entreprises peuventelles s’inscrire dans ce chantier?
C’est une absolue nécessité de généraliser la sensibilité à l’innovation, d’en faire un élément constitutif de la nouvelle culture de nos jeunes diplômés, à l’instar du numérique, de l’anglais ou de la mobilité internationale.
Il ne s’agit évidemment pas de former des spécialistes du monde de l’entreprise, mais de transmettre des éléments de culture qui favoriseront la porosité entre deux mondes trop hétérogènes. C’est aussi une formidable occasion d’éprouver de nouvelles méthodes pédagogiques, centrées sur des « projets », des « cas concrets, des « résolutions de problèmes », bref des méthodes qui développent l’esprit d’entreprise, le travail en équipe, la responsabilité et la dynamique collective. Nous sommes déterminés à lancer une nouvelle dynamique sur ce sujet. Il faut se souvenir que l’invention de ce principe de la diffusion des cultures entrepreneuriales, comme sa première mise en oeuvre, ont été initiées par le gouvernement de Lionel Jospin, avec les « Maisons de l’Entrepreneuriat ». Il s’agissait d’une première initiative, dans un cadre encore largement expérimental. Le précédent gouvernement a souhaité généraliser ce dispositif, avec les PEE (Pôles d’Entrepreneuriat Étudiant), installés à la suite d’un appel d’offres interministériel dans les PRES.
Je souhaite à cette occasion rendre hommage au travail de Jean-Louis Boissin, qui coordonne les travaux de la mission interministérielle sur le « Plan d’Actions entrepreneuriat étudiants ». Les objectifs des PEE ont repris ceux des Maisons de l’entrepreneuriat. Les moyens déployés demeurent cependant largement inférieurs aux besoins. Il me semble indispensable de faire un bilan de la situation actuelle pour savoir où en est la mise en place de ces pôles et convenir d’une évolution éventuelle.
Il faut aussi prendre conscience des atouts de l’e-formation: le numérique sera un vecteur de la conquête du champ de la formation professionnelle et continue par les universités françaises.
Toujours sur la vie étudiante. Le logement est un sujet sur lesquels vous avez déjà fait différentes annonces en particulier avec 40 000 logements d’ici 5 ans. Résidences CROUS, logement social hors CROUS, résidences privées, logements dans le diffus, logements en HLM... Le logement étudiant ne se réduit pas à une seule forme. Comment envisagez-vous de mobiliser les acteurs sur ce sujet?
Le budget logement est un des premiers postes de dépenses pour les étudiants, notamment en région parisienne et dans les grandes métropoles, où le coût du logement dépasse parfois 50% de leurs ressources mensuelles.
Le plan Anciaux, qui prévoyait la construction de 40 000 logements neufs en 8 ans, soit 5 000 par an, est loin d’avoir atteint ses objectifs puisque le parc des CROUS n’a cru que de 22 600 logements dans la période prévue (soit moins de 3 000 logements par an) et seules 25 000 réhabilitations ont été effectuées sur les 56 000 annoncées. Pour le Ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche il s’agit non seulement de rattraper le retard mais aussi d’impulser une ambition nouvelle. Une mesure d’urgence a été prise avant l’été, pour bloquer la hausse des loyers. Aujourd’hui, le projet de loi sur le logement social en cours de délibération au Parlement, est une première étape essentielle pour réaliser l’objectif ambitieux fixé par le Président de la République: construire en moyenne 8 000 nouveaux logements étudiants par an, soit 40 000 sur le quinquennat. C’est cette ambition qui nous mobilise tous. La mise à disposition de terrains par l’État, décidée par le gouvernement pour la construction de logement social, ainsi que le financement par la doublement du livret A de 150 000 logements sociaux par an, avec un fléchage sur au moins six mille logements notamment étudiant, représentent un levier précieux.
Les Villes ont envie d’un habitat étudiant intégré dans le tissu urbain et pas seulement dans des grandes résidences universitaires souvent endogames, où les étudiants s’intègrent rarement à la Cité... Le logement social étudiant peut se réaliser avec des opérateurs multiples, y compris avec des SA HLM, des offices publics ou des associations. Certaines réponses innovantes comme les colocations étudiantes solidaires (Kaps) ont d’ailleurs vue le jour dans votre ville. Quels rôles peuvent jouer les Villes pour contribuer à régler ce problème?
Le premier problème du logement étudiant, c’est évidemment sa pénurie et son manque d’accessibilité, notamment dans les zones où le rapport entre l’offre et la demande est défavorable: rareté des logements, et par conséquent, loyers élevés.
Évidemment, la priorité, c’est de construire de nouveaux logements étudiants. Mais, à la différence de ce qui a pu se faire auparavant, je ne veux pas d’une logique purement arithmétique. Cela ne suffit pas de faire du chiffre, d’accumuler des logements en aveugle, sans vision territoriale, sans concertation avec les territoires. Il faut réfléchir à l’implantation des ces logements, selon la situation des campus, les enjeux d’aménagement locaux.
Nous comptons travailler étroitement avec les Villes et les Communautés d’agglomérations pour utiliser tous les leviers permettant d’augmenter l’offre, quels que soient les opérateurs, à la seule condition que les prix pratiqués soient accessibles aux étudiants et préservent leur pouvoir d’achat. De même que je défends l’idée de campus insérés dans les territoires et ouvert sur leur environnement urbain, je voudrais qu’il y ait de la mixité. Les logements sociaux doivent rassembler des étudiants sans les couper des apprentis ou des jeunes actifs.. Je souhaite que nous puissions avoir des campus intégrés aux villes, dans la vie, avec des équipements mutualisés.
Quelles réponses envisagez-vous de donner à l’appel d’Alain Rousset qui au nom de l’ARF plaide pour que la compétence logement soit affectée aux régions?
Je salue le volontarisme d’Alain Rousset en matière de logement mais également sur d’autres questions relatives à l’immobilier universitaire en général. Tous les présidents de régions ne partageant pas ce volontarisme.
Comme je viens de le dire, la réponse à la crise du logement étudiant et à la nécessité de repenser la place de l’université et de l’étudiant dans la cité doit être élaborée avec toutes les collectivités territoriales. C’est une réflexion collective que nous devons mener, notamment dans la perspective de l’Acte III de la décentralisation. J’incite également tous les acteurs concernés à contribuer dans les Assises car tous ces éléments dessinent une nouvelle université.
Nous verrons ensuite comment répartir les compétences de la manière la plus efficace possible entre l’État et les collectivités: sur des sujets comme le logement étudiant, le patrimoine des universités, on peut imaginer des prises de compétences sur la base du volontariat. Les régions, comme les métropoles sont concernées par ces deux sujets.
Comment envisagez-vous de faciliter la reconnaissance de l’engagement étudiant en particulier dans la dynamique que ce dernier peut avoir dans la relation entre Universités et Territoires?
Environ 40% des étudiants déclarent une pratique associative, pour moitié sportive, mais également culturelle, solidaire, civique… La vie associative contribue à l’animation des établissements, au développement local, à l’acquisition de compétences pour les participants. La prise de responsabilité directe par les étudiants dans les associations, les maisons ou lieux de vie pour les étudiants sont en soi, un élément important de leur formation, que l’on pourrait imaginer, pourquoi pas, de valoriser dans leur cursus universitaire.
L’intensité de la vie associative est sensible aux messages institutionnels, qui les valorisent ou au contraire les freinent, c’est pourquoi j’entends encourager autant que possible cet aspect trop négligé de la vie étudiante.
Vous aviez participé en décembre dernier à un Colloque de l’AVUF sur l’Europe des universités et le rôle des Villes. Comment imaginez vous l’Université de demain? Certaines pratiques européennes vous inspirent ou vous séduisent plus particulièrement? Entre le campus et la ville, vers quel modèle voulez-vous aller ou inventer?
Les campus français ont rarement été conçus comme des lieux de vie. Le panel des services proposés y est faible. La vie collective souvent modeste. Le bien-être des étudiants en est minoré, surtout pour ceux qui disposent de ressources insuffisantes, ou peinent à trouver des repères dans leur parcours académique. Ces enjeux sont décisifs. Le rayonnement des établissements comme leur efficacité tient pour partie à l’attention qu’on leur porte. Pour attirer les meilleurs et pour permettre la réussite du plus grand nombre, il s’agit de renforcer les politiques sur ces sujets.
Dans de nombreux pays, l’université est une ressource importante de l’action culturelle, pour la création comme la diffusion et la médiation. En France l’université, la recherche doivent retrouver leur place au coeur du développement du pays, des régions, des villes. C’est la notion de « vie de campus » ou de « campus dans la vie » que je souhaite encourager dans les territoires.
Télécharger numéro 88 d'Universités & Territoires. A l'heure ou les propositions sur l'avenir de notre enseignement supérieur prennent leurs sources aux quatre coins de notre territoire avec les assises souhaitées par la nouvelle Ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, une refonte de notre newslette en une véritable revue s'imposait. "Universités & Territoires" entame sa 9ème année de publication avec toujours cette conviction que nous défendons: les rencontres du savoir universel et de l'initiative locale sont porteurs de richesse et d'innovation pour nos sociétés. Voici donc cette nouvelle formule, plus riche, plus dense, plus ouverte que nous espérons pouvoir encore améliorer au gré de vos remarques.
In the number 88 for Universities & Territories: "The Campus in life." Exclusive Interview with Geneviève Fioraso, Minister of Higher Education and Research.
Genevieve is Fioraso since May 16, 2012 Minister of Higher Education and Research. It was from 2008 to 2012 Deputy for university research, economy and international relations of the city of Grenoble. Exclusive Interview reentry. More...