Par Olivier Rollot. Les mathématiques ont souvent mauvaise presse, en particulier parce qu'elles interviennent très fortement dans la sélection, en France notamment. Les maths peuvent en tout cas se prévaloir d'une certaine objectivité dans la notation. Leurs vertus formatrices pour le raisonnement, l'abstraction, la conceptualisation, la rigueur... leur donnent une certaine légitimité au moment d'une évaluation. Elles peuvent être taxées aussi d'encourager les inégalités, quand on voit par exemple l'importance des cours particuliers donnés dans cette matière… Clairement, les parents aideront d'abord leurs enfants dans les matières qui sélectionnent.
Ces questions, et d’autres, seront débattues au cours d'une journée de rencontre à l'Ecole Polytechnique autour de l'ouverture sociale et de l'Education, organisée par l'Association Paestel, un groupement d'acteurs pour l'ouverture sociale via les études supérieures et l'insertion professionnelle, et ouverte sur simple inscription au public:
http://paestel.fr/debat. Elles apparaissent d'autant plus brûlantes que les mathématiques souffrent aussi d’inégalités hommes femmes, d'un fort déficit de vocations chez les étudiants et au CAPES, tandis que nombre d'enseignants semblent inquiets de l'évolution du niveau de élèves dans cette matière.
Maths et origines familiales Mathématicien et président de l'Association Paestel, Vincent Bansaye explique : « Plus la matière peut être transmise, directement ou indirectement, dans le milieu familial, plus les origines socio-culturelles doivent jouer. Or le milieu familial semble pouvoir aider sur les compétences d’abstraction. Peut-être moins pour les aspects plus techniques ou calculatoires des mathématiques. Le milieu semble plus naturellement pouvoir jouer pour le français, la culture générale ou les lettres. Par exemple, les élèves d'origines étrangères semblent buter plus sur ces matières dans le concours d'entrées que sur les mathématiques.
Par ailleurs, dans une évaluation scientifique, elles peuvent prétendre à une certaine légitimité, ne serait qu'en voyant leur importance en physique chimie, informatique, ou plus récemment en finance ou en biologie.
Ceci dit, plus la matière est enseignée depuis longtemps, plus les inégalités ont pu s'accumuler. Ceci ne plaide pas pour une évaluation forte par les mathématiques.
Pour les maths en particulier, l'Ecole est ainsi en première ligne pour donner les mêmes chances à chacun, même si beaucoup reste à faire quand on voit le creusement des inégalités entre établissements. Elle peut être aidée d'associations comme Animath, Math en jeans, Hippocampe-Math, Tremplin…, des engagements des universités ou grandes écoles, voire des labels institutionnels comme MathC2+ »
Maths et origines familiales Martin Andler, professeur des universités en mathématiques, président d'Animath, constate lui qu’ « on s'intéresse surtout aux inégalités (sociales, sexe) dans l'accès à l'enseignement supérieur long, et en particulier aux écoles d'ingénieurs (les "grandes" écoles plus ou moins prestigieuses), et au rôle des mathématiques. Il faut donc être conscient que l'accès aux diplômes avancés en sciences (écoles, masters, doctorats) ne concerne que moins de 10% de chaque classe d'âge.
Notons, en ce qui concerne le pourcentage de femmes, que les données concernant les masters et les diplômes agrègent les données qui concernent toutes les sciences, sachant que la proportion de femmes y est très variable: 58,9% dans les écoles d'agronomie, 60% dans les écoles de génie chimique et sciences de la vie, 15,8% dans les écoles spécialisées en informatique.
L'échec scolaire massif Il frappe de manière disproportionnée les jeunes d'origine sociale modeste, commence évidemment très tôt, certainement dès l'école primaire. Les enquêtes dont nous disposons, dont les études Pisa au niveau des jeunes de 15 ans, permettent de faire le diagnostic suivant:
- la France est un des pays avancés dans lesquels l'échec scolaire est le plus élevé, concernant près de 20% de chaque classe d'âge;
- la France est le pays dans lequel le poids de l'origine sociale pèse le plus lourd dans la réussite scolaire;
- les mathématiques n'y échappent pas: elles sont plus discriminantes internationalement (plus d'élèves en échec en mathématiques que dans les autres domaines), plus discriminantes en France qu'ailleurs.
Lettres et sciences La reproduction sociale semble donc jouer de la même manière des deux côtés de la frontière sciences/lettres. On n'a guère d'explication pour ce phénomène qui va contre le sens commun qui dicterait que la réussite des jeunes en sciences devrait être moins dépendante de l'origine sociale qu'en lettres. La familiarité avec la "culture générale" (livres, musique, arts) acquise dans le contexte familial serait un passeport vers la réussite scolaire en français, histoire etc. alors que les différences familiales auraient moins d'impact sur la réussite en mathématiques, physique, sciences de la vie.
Nous sommes tous influencés par les travaux de Bourdieu qui, avec le concept de « capital culturel » a démonté les mécanismes du jugement scolaire dans les disciplines littéraires. Mais Bourdieu n'a pas produit une analyse comparable en ce qui concerne les disciplines scientifiques. Par exemple son ouvrage La Noblesse d'Etat — Grandes écoles et esprit de corps (Edition de Minuit, Paris, 1989), qui traite des grandes écoles en général, base l'analyse, et en particulier l'enquête de terrain, exclusivement sur les classes préparatoires littéraires et le concours d'entrée à l'Ecole normale supérieure littéraire.
Conclusions Les inégalités sont donc solidement installées quand on en arrive aux études supérieures. De ce point de vue, l'argument selon lequel le système des écoles n'a pas de responsabilité particulière dans les inégalités pourrait être recevable. Mais il ne résiste pas à une analyse comparative. En effet, les inégalités dans les grandes écoles sont de deux natures différentes : inégalités sociales d'un côté, mais également inégalité entre hommes et femmes. Si le système fonctionnait bien, mais était seulement tributaire des inégalités sociales installées dès le primaire et le collège, alors il n'y aurait aucune raison que les progrès en direction de la parité soient si lents.
Or on a vu dans le tableau plus haut que les grandes écoles scientifiques comptaient seulement 27% de femmes parmi leurs élèves. Ce chiffre médiocre est trompeur, car plus les écoles sont prestigieuses, moins il y a de femmes: seulement
15% à Polytechnique par exemple. De plus, après des progrès enregistrés dans les deux décennies précédentes, on assiste maintenant à une quasi-stagnation
On peut ajouter à ce diagnostic une autre constatation: plus il y a de mathématiques, moins il y a de femmes, comme le montre l'exemple de l'Ecole normale supérieure où le nombre de femmes reçues au concours est le plus bas dans le concours Mathématiques.
Dans ces domaines, la parité hommes femmes n'est pas un problème français. Un peu partout dans le monde, les études de mathématiques, informatique, sciences de l'ingénieur sont plus ou moins dominées, en proportion, par les garçons. Mais que peut-on constater ailleurs ?
- Au Massachussetts Institute of Technology, le nombre de femmes dans leur cycle "bachelor" (licence) a régulièrement augmenté depuis les années 1960 pour se rapprocher maintenant de la parité : 44,7% pour les étudiants actuellement en cours d'études, contre 43,7% l'année précédente et 40,6% en 1998-99. Au niveau "graduate" (master et doctorat), on en est à 31,5% contre 29,4% l'an dernier et 25,8% en 1998-99.
- A l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, le nombre de femmes est passé de 16% en 2000 à 26% en 2008 et 30% en 2011.
Le système méritocratique des concours, importé en France par les Jésuites qui avaient découvert et admiré le recrutement par concours des fonctionnaires dans la Chine impériale, fut, à l'époque de son introduction à la fin du XVIIIème siècle, un immense progrès à la fois en termes de compétences et de démocratie. Est-il encore la panacée?
L'enseignement supérieur est confronté aujourd'hui à trois enjeux essentiels - 1 : la parité;
- 2 : la démocratisation dans une période où; globalement, il n'y a plus un mouvement général d'ascension sociale, mais un jeu à somme nulle dans lequel ceux qui sont en haut défendent durement leur place;
- 3 : une innovation technique qui s'écarte du modèle des grandes entreprises étatiques dans laquelle la France avait connu une certaine réussite de la 2ème Guerre jusqu'aux années 1970.
Force est de constater que notre système de recrutement des élites ne répond que médiocrement à ces trois défis.
Il n'y a pas lieu de baisser les bras. Même si l'inertie semble bien souvent l'emporter, les réformes de structure sont possibles. Mais en dehors de ce niveau "macro", nous devons être présents au niveau "micro", par des interventions sur le terrain, en direction des jeunes des zones défavorisées et en direction des filles. C'est ce que les différentes associations regroupées autour d'Animath tentent tous les jours, et depuis cette année dans le cadre de Cap'Maths.»
Les débats sont lancés...
By Olivier Rollot. Mathematics has often bad press, particularly because they involved very heavily in the selection, particularly in France. The math may in any case to rely on a certain objectivity in scoring. Their formative virtues for reasoning, abstraction, conceptualization, rigor ... give them some legitimacy at the time of assessment. They may also be taxed to encourage inequality, for example when we see the importance of private tuition in that subject ... Clearly, parents help their children first in that select materials.
These questions and more will be discussed during a meeting day at the Ecole Polytechnique around the opening and Social Education, organized by the Association Paestel, a group of actors for the social openness through graduate and professional integration, and open to the public upon registration: http://paestel.fr/debat. More...