Universités: opération séduction à l'international
Certes, les universités ne brillent guère dans les classements internationaux: dans celui de Shanghai, Paris-Sud, la première française, n'arrive qu'à la 40 e place. Une faiblesse due à deux spécificités françaises: l'extrême émiettement de l'enseignement supérieur, partagé entre 85 universités et 220 grandes écoles, et l'organisation de la recherche, dont une large part reste aux mains de grands organismes comme le CNRS ou l'Inserm.
Et pourtant, en ce qui concerne l'attractivité, les universités françaises ont beaucoup progressé. Elles reçoivent plus de 280.000 étudiants étrangers (dont plus de la moitié en master ou doctorat). La France est ainsi le 3 e pays d'accueil après les Etats-Unis et le Royaume-Uni. Et les cours en anglais se multiplient. Une prise de conscience s'est opérée : « La promotion de la francophonie passe par des enseignements en anglais », comme le note Louis Vogel, président de la Conférence des présidents d'université (CPU). Certaines facs, à l'instar des grandes écoles, s'implantent hors de l'Hexagone : Dauphine possède un campus à Tunis, la Sorbonne est présente à Abu Dhabi, Panthéon-Assas crée une école de droit à Singapour, une fac franco-vietnamienne de sciences et technologie a vu le jour à Hanoi...
L'accueil reste à améliorer
Surtout, les réformes engagées depuis 2007 - et avant -commencent à porter leurs fruits. Loi sur l'autonomie, réforme des premiers cycles, création des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES), investissements d'avenir... Résultat, les universités retrouvent le moral et passent à l'action. Le lancement de fondations (une quarantaine) est un autre facteur de mobilisation. Partout, on innove, on monte des projets, on peaufine la pédagogie... Même si les universités ne roulent pas sur l'or. « Entre 2009 et 2011, la dépense par étudiant a légèrement diminué », estime Yannick Lung, président de Bordeaux-IV. En 2009, elle était de 10220 euros par étudiant.
Reste un gros bémol: l'accueil des étudiants internationaux. Si la Cité universitaire internationale de Paris et quelques campus de province offrent un hébergement de qualité, beaucoup reste à faire. Plus préoccupant: la mobilisation des universités à l'international se télescope avec une circulaire récente du ministère de l'Intérieur interdisant aux étudiants étrangers de démarrer leur vie professionnelle en France. Les conditions financières exigées avant l'arrivée sur le territoire ont aussi été durcies. Une initiative dénoncée par la CPU et les grandes écoles comme par les entreprises. « Cela décourage les étudiants étrangers de venir, souligne Louis Vogel. Il faut une vision de long terme. » Une « bavure », qui pourrait être corrigée dès cette semaine (« Les Echos » du 3 octobre 2011).
Dans ce domaine aussi, pourtant, la situation s'améliore. La plupart des universités disposent d'un service dédié aux étudiants étrangers. La Rochelle, par exemple, accueille de nombreux étudiants en master, venus notamment d'Asie. « Nous leur offrons tous les moyens pour assurer leur réussite », assure Fernando Pedraza Diaz, vice-président action internationale. A Strasbourg, à Lille, les étudiants Erasmus sont accueillis dans des familles durant le week-end. Sur de nombreux sites, ils trouvent un « guichet unique », associant préfecture, CROUS, collectivités locales, services culturels et sociaux. Autant de signes d'un nouvel état d'esprit, que les universités veulent mettre en avant. De quoi permettre à Laurent Wauquiez de l'affirmer devant la presse internationale: « French university is back. » En anglais dans le texte.
Propos recueillis par Jean-Claude Lewandowski. Le chantier de l'université française vu par la presse internationale. Réunis pendant quatre jours à Paris et à Bordeaux, les journalistes internationaux donnent leur avis sur les réformes en cours dans les universités françaises.
Juan Antonio Aunion (« El Pais », Espagne)
« Les universités françaises sont sans doute à l'aube d'un changement majeur. A l'évidence, elles sont en train de prendre une nouvelle dimension, et de devenir plus compétitives. Je suis très impressionné, en particulier, par les collaborations qu'elles sont en train de mettre sur pied avec les entreprises, notamment par le biais des fondations. »
Martine Turenne (« Les Affaires », Canada)
« A l'évidence, les pouvoirs publics souhaitent que la France se dote d'une économie du savoir efficace et compétitive. Ils y consacrent des moyens financiers importants. C'est un changement d'envergure. D'autant que, jusqu'à présent, on pouvait avoir des doutes sur l'efficacité de l'université française. »
Loredana Oliva (« Il Sole 24 Ore », Italie)
« La France a choisi de faire de l'enseignement supérieur et de la recherche une priorité -au contraire de ce qu'on observe en Italie ou en Espagne. Je pense que cet effort très important va contribuer, à moyen terme, à aider la France à sortir de la crise. Je suis très frappée par le discours très volontariste et mobilisateur des responsables français. Certes, on peut juger qu'il ne s'agit que de communication; mais la réalité, cette fois, semble suivre les paroles. Il est vrai aussi que les universités avaient commencé à bouger avant les réformes impulsées par Valérie Pécresse. »
Abashi Shamamba (« L'Economiste », Maroc)
« Les universités françaises sont en train de changer de logiciel. Une dynamique nouvelle s'est engagée. Les professeurs, les présidents d'université et même les étudiants sont très impliqués. Tous travaillent sur des sujets porteurs d'avenir. Il y a le « plan campus », l'autonomie, les investissements d'avenir... Tout cela est très positif et prometteur. C'est un changement radical, pour ce milieu d'ordinaire très conservateur. »
Renata Serebryakova (« Kommersant Science », Russie)
« Certes, les responsables français nous ont présenté un vaste ensemble de réformes; mais il manque encore des exemples concrets de changement. Ce qui me frappe, c'est l'effort accompli par les universités françaises pour préparer leurs étudiants au monde professionnel et faciliter leur intégration dans les entreprises. C'est une problématique qui est encore très peu traitée en Russie. »
Roland Houtsch (« D'Wort », Luxembourg)
« Au-delà des montants investis, je suis très frappé par la volonté d'ouverture internationale des universités françaises. Une volonté d'ouverture que l'on retrouve d'ailleurs à tous les niveaux du système éducatif: dans les grandes écoles, dans les laboratoires de recherche, et même dans les entreprises... Aujourd'hui, un peu partout dans le monde, l'enseignement supérieur est devenu un enjeu majeur, à différents niveaux. La France commence seulement à en prendre conscience. Et sur ce sujet, les Français commencent à parler d'une seule voix, ce qui est remarquable -même s'il subsiste encore des dissensions. Il reste à vérifier comment tout cela se traduira dans les faits. »
Fabio Takahashi (« Folha de Sao Paulo », Brésil)
« Un grand changement est en cours pour les universités françaises. Il n'est pas facile de faire accepter les réformes dans ce pays. Mais cette fois, cependant, les choses semblent en bonne voie. La France ne manque pas d'atouts. Une institution comme La Sorbonne, par exemple, est très connue au Brésil; elle dispose d'un potentiel d'attractivité qui est encore peu utilisé. »
Isabelle Grégoire (« L'Actualité », Canada)
« Tout cet ensemble de réformes qui nous a été présenté est bel et bon, mais il faut rester prudent et voir comment tout cela va se traduire concrètement. Quand on parle de changement, beaucoup de gens ont tendance à freiner des quatre fers. Par exemple, la plupart des acteurs, en France, refusent encore d'augmenter les frais de scolarité dans les universités. Cela reste un des points faibles des réformes en cours, car cela prive les universités de ressources importantes. En outre, sur le plan de la pédagogie, le Québec est encore très en avance sur la France. Les étudiants y sont beaucoup mieux encadrés, il y a davantage d'échanges avec les enseignants... Sans compter que beaucoup de bâtiments universitaires doivent encore être rénovés. Bref, beaucoup reste à faire pour changer vraiment le visage des universités françaises. »
Chaoran Ren (« China Business », Chine)
« Les universités françaises sont en passe de devenir plus présentes à l'international. Mais elles sont encore trop nombreuses, ce qui nuit à leur visibilité. Et surtout, le principal problème est sans doute celui de la gestion du système éducatif français. Comment piloter un ensemble aussi morcelé et aussi complexe? Sans compter que réformer l'université réclame un gros effort financier. Partout dans le monde, il faut réfléchir aux moyens de maintenir cet effort d'investissement dans la durée. »